Nature domestiquée - nature sauvage, une dichotomie occidentale
Du parc à la nature sauvage chapitre 1.
Nature domestiquée/nature sauvage, une dichotomie occidentale
Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe
p. 13 à 18
La place prépondérante que tiennent aujourd’hui dans les recherches scientifiques les problèmes environnementaux dus à l’impact des activités humaines et au changement climatique qui en résulte, laisse peu imaginer que l’étude des rapports de l’être humain à l’environnement ne date que d’une centaine d’années. Si cette question a pris naissance dès la fin du XIXe siècle, ce n’est qu’au cours des années 1950 qu’un véritable intérêt pour ce champ de recherche s’est développé, encore accentué dans les années 1970 avec la prise de conscience des problèmes environnementaux et l’essor de l’écologie.
L’histoire de l’environnement relève d’un champ d’étude multidisciplinaire où convergent des sujets aussi différents que le climat, la végétation, l’économie, la démographie, etc. mais aussi la culture. Elle a en effet pour objectif de comprendre comment l’environnement a influencé l’être humain à travers l’histoire et en retour comme celui-ci a transformé la nature, c’est-à-dire quels ont été les impacts sur l’environnement des activités humaines. Raphaël Mathevet et Arnaud Béchet le résument ainsi : « l’histoire des humains se confond avec l’histoire de la nature, comment nous la façonnons et, en retour, comment nous sommes façonnés par elle » 1. En d’autres termes, les études sur l’histoire de l’environnement concernent le rôle et la place de la nature dans la vie de l’être humain. Car comme le dit Pierre Charbonnier :
« Notre inscription dans un milieu ne va jamais de soi, elle ne résulte pas d’une dynamique aveugle et uniforme simplement dictée par le besoin de subsistance, mais elle prend des formes multiples et réflexives : les collectifs humains ne s’installent dans le monde qu’en s’interrogeant sur les formes de ce processus, en définissant d’emblée des modalités possibles et impossibles, permises et interdites, de ce rapport. » 2.
Aussi serait-il difficile de chercher à définir le rapport à la nature qu’entretint la grande bourgeoisie du tournant du XXe siècle, sans référer en premier lieu au concept de nature et à la dichotomie établie par la culture occidentale entre elle et l’être humain. Cette dichotomie, désormais désignée sous le terme de « Grand partage », est en effet essentielle à considérer pour comprendre comment elle justifia la domination de l’être humain sur la nature et l’exploitation qui en découla, et comment elle l’amena à opposer nature domestiquée et nature sauvage. C’est dans ce paradigme que se situe cette étude du parc d’un château viticole.
1.1. La perception amérindienne de la nature
Si la dichotomie établie par la culture occidentale entre la nature et l’être humain a longtemps semblé aller de soi, il est important de noter qu’elle n’existait pourtant pas chez la plupart des peuples dits primitifs qui considéraient au contraire l’être humain comme un élément indissociable d’une nature qu’il fallait respecter. Aussi ne peut-on éviter de se pencher sur cette perception de la nature pour faire émerger la singularité du regard occidental clairement explicité il y a seulement une trentaine d’années. Elle s’y oppose en effet tant au niveau de ses fondements qu’à celui de ses répercussions pratiques. Nous prendrons pour exemple caractéristique l’idéologie amérindienne nord-américaine qui a suscité depuis le début du XXe siècle nombre d’études et de débats pour comprendre si les Amérindiens furent les premiers protecteurs de la nature 3. Si la pensée écologiste semble avoir grandement motivé les auteurs, leur objectif était et reste encore cependant de montrer qu’il existe d’autres façons de percevoir l’environnement que celle du monde occidental 4.
La perception des Amérindiens s’inscrivait dans la vision globale qu’ils se faisaient de leurs rapports au reste de l’univers. Éric Navet 5 montre que leur religion reconnaissait un créateur, mais que la création ne renvoyait pas au passé et était au contraire un phénomène permanent qui, loin d’être linéaire comme chez les Occidentaux, était circulaire, « le cercle sacré de la vie ». Aussi, comme un cercle effectue un retour perpétuel sur lui-même, la perte d’un de ses éléments était vue comme une perte pour l’ensemble. L’univers était donc considéré comme une grande chaîne de relations entre une infinité d’êtres tous égaux et interdépendants, qu’ils soient matériels ou immatériels, d’autant plus selon Calvin Martin 6 qu’il n’existait pas de distinction entre le monde profane et le monde religieux. Aussi, rien n’étant profane, toutes les manifestations de la nature étaient considérées comme sacrées et comme un don du créateur qui enseignait aux Amérindiens que « leur vie dépend de celle des autres êtres vivants. Il leur a aussi enseigné qu’il reste le seul à pouvoir disposer de la terre et que les hommes n’ont pas le droit de l’aliéner » 7. Ce qui explique que la condition indispensable pour le maintien de cette cosmologie reposait sur le respect de toutes les parties, puisque c’est à travers elles que la présence du créateur se manifestait 8.
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1.2. La perception occidentale de la nature
1.3. « La fin d'un grand partage » 27
NOTES
1. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 119.
2. CHARBONNIER, 2015, p. 15.
3. SPECK, 1938 ; STRONG, 1973 ; TYLER, 1993.
4. HUGHES, 1983 ; HULTKRANTZ, VECSEY, 1981 ; CALLICOTT, 1989.
5. NAVET, 1990.
6. MARTIN, 1978.
7. VINCENT, 1989, p. 419.
8. HULTKRANTZ, VECSEY, 1981.
9. SCOTT, 1992 ; ARMITAGE, 1992.
10. SNYDERMAN, 1951.
11. DELAGE, 1985, p. 84.
12. HULTKRANTZ, VECSEY, 1981.
13. THOMAS, 1985, p. 28-29.
14. NASH, 1967.
15. DAVAL, 1989, p. 37.
16. VINCENT, 1989, p. 431-432.
17. BAUDRILLARD, 1973.
18. VINCENT, 1989, p. 443.
19. DAVAL, 1989, p. 39.
20. DAVAL, 1989, p. 38.
21. MERCHANT, 1989.
22. BUREAU, 1984, p. 58.
23. NASH, 1967.
24. VINCENT, 1989.
25. DAVAL, 1989, p. 37.
26. MERCHANT, 1989.
27. CHARBONNIER, 2015.
28. NASH, 1967.
29. CORBIN, 1988.
30. HÉBERT, 1991, p. 24-25.
31. HÉBERT, 1991, p. 25.
32. GIRARD, 1994, p. 21.
33. HÉBERT, 1991, p. 33.
34. DAVAL, 1989, p. 39.
35. CHARBONNIER, 2015, p. 15.
36. LATOUR, p. 216.
37. DESCOLA, 2005.
38. BOUSENNA, 2021, p. 12.
39. MORIZOT, 2021, p. 8.
40. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 110.
41. HARVEY, 1973.
42. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 92.
43. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 98.
44. La bouvine : définie comme l’ensemble des traditions et des pratiques sportives de la tauromachie camarguaise (Camargue et Petite Camargue). Localisée dans les Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Sud du Gard et Est de l’Hérault.