Soumettre la nature à une ambition bourgeoise
Du parc à la nature sauvage chapitre 2.
Soumettre la nature à une ambition bourgeoise
Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe
p. 19 à 30
Parler de château viticole en Languedoc amène en premier lieu à se référer à la centaine de châteaux de la campagne biterroise et narbonnaise dont Catherine Ferras a dressé la typologie en 1989 1. Claude Raynaud et Isabelle Cellier en expliquent l’origine :
« Phénomène majeur de l’économie méridionale sous le Second Empire et le début de la IIIe République, la monoculture de la vigne produisit, on le sait, une prospérité subite dans les campagnes, source d’enrichissement pour les grands propriétaires. Ainsi les paysages languedociens reçurent-ils une nouvelle parure, des châteaux dans la construction desquels furent investis les confortables profits du vignoble. » 2
Cela fut moins le cas cependant dans la partie orientale du Languedoc, dont la structure foncière était beaucoup plus morcelée et qui se trouva surtout en première ligne face à la propagation du phylloxera. Retirant moins de profit de leur propriété qu’en Biterrois mais participant de cette vogue pour l’ostentation et le plaisir de vivre en milieu campagnard, les propriétaires optèrent plus souvent pour l’embellissement de vieux domaines que pour la construction. Ce fut le cas du château de Lunel-Viel.
2.1. Un domaine en Petite Camargue
La situation du château de Lunel-Viel est d’autant plus intéressante à observer dans notre questionnement sur le rapport de la bourgeoisie à la nature, qu’il s’inscrit dans un paysage, la Petite Camargue, où les terres cultivées l’ont de tous temps disputé aux lagunes. Nature domestiquée contre terre sauvage, nous voici d’emblée au cœur du sujet. (Fig. 3)
Tony Rey et Stéphanie Defossez 3 montrent bien l’évolution du trait de côte de cette partie de la Camargue qui conduisit du XVIe au XXIe siècle, sous l’influence de facteurs aussi bien naturels qu’anthropiques, à une transformation progressive du paysage. Situé à l’ouest du Petit-Rhône et à l’est du Vidourle, ce territoire concerne principalement le sud du Gard mais s’étend également sur l’est de l’Hérault. Il offrit aux propriétaires du château l’opportunité de développer la viticulture mais aussi de pratiquer leurs activités de loisir privilégiées, chasse, ornithologie et bouvine, dans de vastes étendues sauvages.
La diversité biologique et surtout ornithologique qu’offre en effet la Camargue devait justifier que l’on crée dès 1927 la « Réserve zoologique et botanique » qui devint en 1975 la « Réserve Naturelle Nationale ». Créé également en 1975, le Conservatoire du Littoral eut et a toujours actuellement pour mission de protéger, entre autres, les zones humides du littoral « riches aux plans faunistique, floristique et paysager » dont certaines, comme la Camargue gardoise, « revêtent une importance internationale pour l’accueil de nombreuses espèces d’oiseaux » 4. Si le « Parc Naturel Régional de Camargue » créé en 1970 couvre la majeure partie de la Grande Camargue, le secteur de l’étang du Scamandre, situé en Petite Camargue gardoise et terrain de chasse privilégié de la famille Manse, ne sera classé « Réserve naturelle régionale » qu’en 2006 5.
En 2014, la Camargue gardoise est devenue un espace protégé sous le label « Grand Site de France ». Cet espace lagunaire suscite de nos jours quantité de recherches scientifiques venues de tous les horizons, mais il semble utile d’en dresser le portrait à l’époque étudiée ici, le tournant du XXe siècle. Et pour ce faire, deux sources potentielles : les peintures et les écrits de voyageurs, comme le souligne Dominique Ganibenc : « Les récits de voyage et les peintures, jusqu’aux premières phases d’urbanisation du littoral à la fin du XIXe siècle, perpétuent la mémoire de ce paysage qui a radicalement changé. […] [Ils] sont donc les révélateurs du rapport entre la société et la nature à un moment donné. » 6.
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2.2. Un château aux origines incertaines
2.3. Du domaine au château viticole
NOTES
1. FERRAS, 1989.
2. RAYNAUD, CELLIER, 2011, p. 83.
3. REY, DEFOSSEZ, 2022.
4. BRUN, DELABIE, 2022, p. 108.
5. GHIOTTI, 2022. La réserve naturelle volontaire a été créée le 10 novembre 1994. Le classement en réserve naturelle régionale est intervenu le 29 novembre 2006..
6. GANIBENC, 2022, p. 43-44.
7. Vincent van Gogh privilégia surtout, à part ses vues du Rhône et du fameux pont-levant, la représentation des villes d’Arles et des Saintes-Maries-de-la-Mer plutôt que de la nature camarguaise..
8. VAN GOGH, 1888.
9. MICHELET, 1875, p. 40.
10. HUREL, 2015, p. 81.
11. DAUDET, 1895, p. 307-308.
12. DAUDET, 1895, p. 317-318.
13. RIVIÈRE, 1825.
14. RECLUS, 1883.
15. GOURRET, 1897.
16. DAUDET, 1895, p. 307.
17. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 89.
18. MATHEVET, BÉCHET, 2020, p. 88.
19. RAYNAUD, CELLIER, 2011 ; CELLIER et al., 2018.
20. ANNUAIRE de l’Hérault, 1890.
21. FERRAS, 2011.
22. CAILLÉ, 1974, p. 14.
23. ALARY, 1996, p. 75.
24. VALANTIN, 2008.
25. CÉSAR et al., 2016, p. 7.
26. GIRARD, 1987.
27. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 105.
28. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 191.