Les apports du notariat en généalogie sociale : trajectoires héraultaises
Les apports du notariat en généalogie sociale : trajectoires héraultaises
* Docteur en Histoire.
p. 109 à 120
La généalogie sociale, autrement dit, l’inscription de l’histoire des familles dans l’évolution de la conjoncture économique et sociale, est actuellement un secteur de recherche en plein développement, comme en témoignent divers travaux récents, parmi lesquels ceux de Jacques Dupâquier, d’Adeline Daumard, d’Elie Pélaquier ou de Guy Brunet ainsi que certaines publications des Annales ESC (principalement en 1972), et des Annales de démographie historique (plus particulièrement en 1984) 1.
La thèse que j’ai soutenue le 2 avril 2004, devant le jury de l’Université Paul-Valéry III, intitulée Trajectoires familiales et professionnelles, contribution à l’histoire économique et sociale du Languedoc, (XVIe-XXe siècles), se propose de contribuer à cette problématique, à l’essor récent, mais prometteur.
La mise en relation de trajectoires familiales et professionnelles, avec l’évolution de la conjoncture économique et sociale du Languedoc du XVe siècle à nos jours, celle de l’Hérault en particulier, fait en effet, l’objet de cette recherche.
Les Bessier sont, du fait de leur intéressant parcours, la principale famille servant de fil conducteur. D’abord gens de métiers : potiers de terre et fontainiers à Saint-Jean-de-Fos, au siècle de la Renaissance, chirurgiens et apothicaires dans les vallées de l’Hérault et de la Buège, sous Louis XIV, et encore au XVIIIe siècle, facturiers en coton à Montpellier de 1760 à 1840, à la grande époque de l’indiennage, ils connaissent au XIXe siècle, au temps des bourgeois conquérants, une fulgurante ascension. Elle a pour cadre la petite ville de Mèze, sur les rives de l’étang de Thau, et passe par deux voies : le tissu (plusieurs générations de marchands de nouveautés), et surtout la vigne, en cet âge d’or du vignoble languedocien ; ils en subissent les vicissitudes et s’orientent vers les activités liées à l’exploitation du littoral.
Ils ne sont pas des cas isoles, mais sont, de génération en génération, représentatifs de l’évolution de la société languedocienne.
Loin d’être le fait du hasard, les adaptations successives des familles ici reconstituées, sont révélatrices des stratégies d’un Languedoc qui, d’âge en âge, au travers d’essais parfois infructueux, est à la recherche de sa voie.
La généalogie sociale nécessite le recours à toutes les sources possibles et imaginables sur l’histoire des familles. Elles sont nombreuses et bien connues. Si l’État civil (les registres paroissiaux de l’Ancien Régime), est indiscutablement le point de départ et le fondement de toute recherche généalogique, les sources notariales – abondamment utilisées tout au long de cette recherche -, sont seules susceptibles de donner à une monographie familiale, son épaisseur sociale. Elles permettent en particulier une évaluation très précise des niveaux de fortune.
Une synthèse sur les apports du notariat en généalogie sociale, à partir des trajectoires familiales et professionnelles (principalement, mais non exclusivement héraultaises) reconstituées dans la présente thèse, s’avère donc nécessaire.
a) Le notariat, miroir de l'évolution des sociétés humaines
« L’histoire de notre pays, son histoire sociale et économique, celle de la vie quotidienne, de la province comme de la capitale, est essentiellement contenue dans les faits et actes retraces par les notaires, ce sont les notaires qui ont écrit l’histoire ou du moins, qui ont consigne les faits qui sont le tissu de toute l’histoire » 2.
Cette affirmation est précisée par Jean-Louis Laffont : « Pour qui s’attache à l’étude de la famille sous l’Ancien Régime, les archives notariales représentent un passage oblige de l’investigation. Le temps n’est, certes, plus à démontrer l’intérêt et la richesse de ce type de documentation, mais pour autant a-t-on véritablement, pris la mesure de ce qui passe aujourd’hui comme une cause entendue ? En effet, lorsque l’on considère d’une part la multiplicité et la diversité des types d’actes, qui au travers des trois catégories que sont : les actes en rapport avec le mariage et la vie conjugale, les actes à titre gratuit et à finalité de dernière volonté, les actes de règlement successoraux, lesquelles catégories constituent cet ensemble que l’on appelle les actes relatifs au droit de la famille ; et d’autre part les actes qui ont effectivement retenu l’attention des historiens de la famille, soit essentiellement les contrats de mariage, les testaments, et plus récemment les inventaires après décès, on mesure aisément l’ampleur des territoires qui restent à explorer. Dans le domaine de l’histoire de la famille, comme dans bien d’autres domaines d’ailleurs, se vérifie la pertinence de la réflexion de Jean-Paul Puisson, qui constatait que l’on n’a pas encore entrepris l’étude approfondie des actes notariés, ni les historiens, ni les économistes, ni les psychologues sociaux, ni même les juristes » 3.
Ce qui est vrai de la famille de l’Ancien Régime, l’est bien entendu aussi, de la famille contemporaine, celle des XIXe et XXe siècles.
Les notaires sont, comme chacun sait, des officiers publics chargés de dresser les actes et contrats auxquels les parties veulent donner un acte d’authenticité.
Ce qui explique que les actes notariés soient, comme vient de le dire Jean-Louis Laffont, d’une prodigieuse diversité. René Jette, dans son Traité sur la généalogie en dresse la liste suivante : « Abandon, accord, achat, annulation, apprentissage, bail, cession, compte rendu, concession, convention, décharge, déclaration, désistement, donation, échange, engagement, inventaire, marches, mariage, obligation, partage, procuration, quittance, ratification, renonciation, rétrocession, testament, transport, vente, tutelle et curatelle… ». Encore est-elle sans doute loin d’être exhaustive 4. Elle était probablement plus vaste sous l’Ancien Régime. « À côte des actes du droit de la famille : successions, donations, conventions matrimoniales, et des actes spécifiques à l’ancien droit : titres mobiliers, fondations religieuses…, les notaires passaient un nombre de contrats considérables pour l’organisation du crédit : actes de prêts, constitution de rentes, achats d’obligations, ventes à crédit, pour le compte de particuliers et de collectivités publiques ou religieuses. Les actes de commerce étaient des actes notariés : ventes de marchandises, marche de fabrication, cession de denrées agricoles, transports terrestres et maritimes, concordats, marches de pourvoirie. Les marches de travaux sont passés devant notaire ainsi que les contrats d’édition littéraire ou musicale » 5.
Les types d’actes notariés présentant le plus d’intérêt généalogique, ceux du moins que nous avons le plus utilisé, sont cependant ceux qui font état de transfert de biens au cours du cycle d’une vie familiale : les contrats de mariage, les inventaires, après décès et les successions, les donations entre vifs et les testaments. Les mutations, achats et ventes ont aussi une grande importance – pour ce qui est de la constitution de la fortune des familles.
Les actes notariés sont assez facilement accessibles, la plupart des notaires ayant, depuis la loi du 14 mars 1928, déposé leurs registres vieux de plus de cent ans, aux archives départementales. Ils figurent dans la strie II E. Ils sont assez facilement repérables par le biais du contrôle des actes pour l’Ancien Régime (strie 4 C), et de l’enregistrement pour la période contemporaine (strie Q). Le chercheur dispose en outre de diverses tables : vendeurs, acquéreurs, baux, contrats de mariage, testaments, donations, sépultures, successions, partages… à partir de 1865, elles ont été remplacées par un sommier du répertoire général 6.
Les actes des notaires du XXe siècle, par contre, sont non déposés, et donc, plus difficilement consultables.
L’ampleur de notre recherche, dans le temps comme dans l’espace, a nécessité la consultation des archives de bien d’études de notaires, en divers dépôts, mais principalement aux archives départementales de l’Hérault : études des hauts cantons de l’Hérault, (moyenne vallée de l’Hérault, vallée de la Buège, Lodévois) : notaires de Saint-Jean-de-Fos, d’Aniane, Montpeyroux, Gignac, Clermont l’Hérault, Saint-Martin-de-Londres, Saint-Bauzille-de-Putois, Ganges, Lodève… ; études des notaires de la plaine héraultaise (villes et campagnes) : Montpellier, Lavérune, Pézenas ; études des notaires des petites cités riveraines du bassin de Thau : Mèze et Bouzigues, principalement. Mais, il a été nécessaire de travailler aussi aux archives départementales du Gard (notaires de Sauve et de Saint-Hippolyte-du-Fort) et de la Lozère (notariat de Langogne), pour ce qui est du Languedoc oriental cévenol et gévaudanais. Sans oublier quelques incursions dans le notariat du Jura (Morez) et de la Saône et Loire (Prissé Charnay, Crêche-sur-Saône).
Il n’est pas peut-être inutile de préciser que la lignée ici étudiée a elle-même fourni au moins trois notaires : Charles : Mathieu (1739-1756) et Jacques Joseph Tanthoine (1763-1778) à Langogne, en Gévaudan, et Édouard Fromiga, à Mèze, à l’âge d’or de la vigne (1845-1865), ce dernier étant en outre rapporteur de la Chambre de discipline des notaires.
Une présentation chronologique des apports du notariat à la généalogie sociale qui vient d’être réalisée au travers de la trajectoire de la famille Bessier est la plus adéquate. Il y a lieu, en effet, malgré les évidentes continuités, de distinguer le notariat d’Ancien Régime, de celui de la période contemporaine qui s’ouvre avec la Révolution française.
b) Le riche notariat d'Ancien Régime
Le notariat en France est fort ancien. Il s’agit, en effet, d’une profession millénaire qui a survécu à bien des changements de régime. C’est dans la France méridionale, dans les pays de droit écrit que son ancienneté est la mieux attestée, car le notariat y est l’héritier de celui de la Gaule romaine. Dans l’ensemble du royaume, c’est au tournant des XIIIe-XIVe siècles, que la pratique notariale prend sa forme moderne et presque définitive : en 1270, Saint-Louis crée les soixante notaires du Châtelet de Paris et en 1302, Philippe le Bel établit dans tous ses domaines, des notaires à l’image de ceux de Châtelet.
À l’aube des Temps modernes, l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) revêt une particulière importance dans l’évolution du notariat. Elle impose aux notaires de tenir registre des testaments et contrats. Elle leur demande d’en conserver les minutes et d’en faire répertoire. Ils doivent abandonner le latin et rédiger leurs actes en français. Leur compétence territoriale est définie : ils ne peuvent instrumenter que dans le ressort du bailliage, de l’évêché et du comté.
L’accès à la profession est contrôlé par des juges. Mais le recrutement se fait en fait, et ce depuis le XIVe siècle, par le biais de la vénalité des charges.
L’Édit de 1664 fixe le nombre des offices à vingt pour les villes capitales de province (Montpellier), quatre pour les villes siège de prévôté, deux pour les bourgs dans lesquels il y a des foires ou marches (Aniane ou Mèze) et un pour les paroisses de plus de soixante feux (Saint-Jean-de-Buèges).
L’Édit de mars 1693 met en place le contrôle des actes. Il enjoint aux notaires de faire contrôler leurs actes sous quinzaine. Ils doivent fournir des extraits d’actes au bureau des insinuations. Mais la situation est en fait fort complexe. Trois sortes de registres sont tenus : les registres de contrôle des actes (à partir de 1693), les registres du centième denier (1703-1791), et les registres d’insinuation suivant le tarif (1703-1791).
Malgré cette grande ancienneté du notariat, peu d’actes antérieurs au XVIe siècle, ont, dans l’ensemble du royaume, été conserves : huit départements seulement conservent des minutes du XIIIe siècle, à Paris, les plus anciennes remontent à 1471.
En Languedoc, pays du droit écrit, les études des notaires de certaines communautés, dont la réalisation de cette monographie familiale a nécessité la fréquentation, ont conservé des actes fort anciens, remontant parfois à la période latine : tel est le cas de Clermont l’Hérault (1346 et 1402), d’Aniane (1359 et 1442), de Lodève (1405), de Saint-Jean de-Fos (1441), de Ganges (1448 et 1552), pour d’autres, conformément à la majorité des cas, la tenue des registres commence au XVIe siècle, tel est le cas de Montpeyroux (1565), de Saint-Jean-de-Buèges (1581), et de Montpellier (entre 1553 et 1597 pour ce qui est des plus anciennes études) pour certains enfin, il faut attendre le XVIIe siècle, tel est le cas de Saint-Bauzille-de-Putois (1612), de Bouzigues (1624), de Mèze (1631), de Saint-Martin-de-Londres (1669), et même de Montpellier, étude Durranc (1613) 7.
Saint-Jean-de-Fos, berceau de la famille Bessier (alors Vaissière), où ses traces ont pu être repérées au XVe siècle, possède un fonds notarial particulièrement ancien et riche. « Ses registres sont conservés dans deux études différentes. Le lot le plus important et le plus ancien se trouve dans l’étude Poulaud de Montpeyroux qui renferme deux cent trente registres rédigés entre 1441 et 1793. Le deuxième lot conservé dans l’étude, Maurin de Gignac représente quarante-six volumes rédigés entre 1679 et 1811 » 8.
Les actes notariés concernant les Vaissière-Bessier sont, comme il se doit, fort nombreux pour ce qui est des siècles de l’Ancien Régime, en un temps où, cessant d’être paysans, ils deviennent gens de métier potiers de terre et fontainiers à Saint-Jean-de-Fos au siècle de la Renaissance, chirurgiens et apothicaires dans les vallées de l’Hérault et de la Buège, sous Louis XIV, et au XVIIIe siècle, facturiers en coton à Montpellier à l’époque de l’indiennage (1760-1842).
Les actes notariés les plus anciens les concernant, ont seuls permis – les registres paroissiaux faisant défaut – la reconstitution de leur trajectoire à l’extrême fin Moyen Age et à l’aube des temps modernes. Il s’agit de contrats de mariages (Bertrand Vaissière en 1452, suivi de Johan et Raymond en 1505, d’Antoine en 1531) 9, puis de testaments (deux frères Audibert Vaissière dit le plus vieil en 1546, Audibert dit le jeune en 1559) 10.
Au cours de ces siècles de l’Ancien Régime, les actes notariés se rapportant à la lignée familiale ici étudiée sont d’une grande diversité. Ils se rapportent principalement aux métiers exercés (contrats d’apprentissage, marchés de travaux), et à la transmission des biens au cours du cycle familial : contrats de mariage, partages et testaments ; viennent s’y ajouter, bien entendu, un certain nombre d’actes de mutations, achats et ventes dont la quantité varie avec la plus ou moins grande prospérité de la famille. Les baux et arrentements sont également présents. Il en est à peu près de même pour les branches apparentées.
Les actes notariés les plus nombreux ayant trait au métier relèvent de la période, où les Vaissière sont maîtres potiers et fontainiers à Saint-Jean-de-Fos (1580-1646).
Il s’agit d’abord de contrats d’apprentissage, parmi lesquels, celui premier et fondateur d’Anthoine Vaissière, qui, en juillet 1580 (à l’âge de douze, ans), entre en apprentissage chez le cousin germain de sa mère, le potier Guillem Deleuze 11. Il a appris à son tour le métier à ses fils, parmi lesquels Bastian, dont il a fait son héritier.
Très nombreux sont les marchés de travaux, dont les actes, comme il a été dit, sont passés devant notaire (à une toute autre échelle, il n’est pas inutile de rappeler qu’il en a été de même, des marchés de construction du château de Versailles).
Il s’agit de contrats, d’accords, conventions, prix faits.
Les plus significatifs sont les contrats passés entre Anthoine Vaissière et le connétable de Montmorency, en 1607, pour la construction et l’entretien des fontaines de la Grange des Prés, à Pézenas 12 : l’accord passé en 1639 par Bastien Vaissière avec le sieur Guillaume Du Pont, sieur Du Goût, propriétaire de la métairie de Lattes 13 ; et le contrat passé à la même époque avec Jean-Jacques de Plantade, pour la métairie de Rondelet 14, Ces divers contrats permettent de se faire une idée, assez précise du travail d’un fontainier de Saint-Jean-de-Fos.
Mais les contrats concernent aussi les associations entre les potiers pour réaliser tels ou tels travaux. Anthoine, Vaissière, Guilhem et Jacques Deleuze s’associent en 1600 pour la fourniture de tuiles à crochet à l’abbaye d’Aniane ; Anthoine et Daniel Campagne œuvrent en commun à Pézenas en 1602 ; Bastien Vaissière et Pierre Hugol travaillent en commun à la fontaine de Saint-Jean-de-Fos en 1642 15.
Les différends et procès donnent également lieu à actes notariés, tel celui qui oppose Anthoine à Arnaud Martin, en 1602, à l’occasion de la construction de la fontaine du château de Fontfroide 16.
L’arrentement ou l’achat de l’indispensable, atelier se fait bien entendu devant notaire, tel est le cas en 1623, lorsque Anthoine Vaissière arrente la boutique de son cousin Guillem Deleuze 17, et lors de l’achat d’un atelier par son fils, Bastian à André André, en 1634. Cet atelier – atelier n° 3 – a été vendu en 1679 au potier Jean Durand 18.
Les accords entre maîtres orjoliers qui organisent la profession, en 1626 et 1638, qui comptent les Vaissière parmi les signataires, sont aussi passés devant notaire 19.
Les activités des familles Reynes et Bécane, ultérieurement apparentées aux Bessier, et potiers en faïence commune, donnent lieu à de semblables actes notariés.
Les actes concernant le métier deviennent par contre beaucoup moins nombreux, lorsque les Vaissière, abandonnant l’art de la céramique, deviennent pour une longue période chirurgiens et apothicaires dans les vallées de l’Hérault et de la Buège. Le notariat a pourtant conservé, ici aussi, la trace de contrats d’apprentissage. Le plus notable est celui, où, le 23 août 1679, Henri Vessière (deuxième du nom), est mis en apprentissage, par sa mère, Jeanne Teule et son parâtre, Louis Noualhac, chez Louis Labaume, maître-apothicaire d’Aniane 20. L’on peut relever aussi, en 1717, l’achat par Jérôme Vessière, maître-chirurgien à Saint-Jean-de-Buèges, d’une maison, à Jean Tricou, pour y entreposer « drogues et médicaments » 21.
Mais pour le reste, la documentation notariale fait défaut et il est bien difficile de savoir – sans le recours d’ouvrages spécialisés – comment des chirurgiens et apothicaires, des bourgs et villages, dits de petit exercice, exercent leur métier. D’autres chercheurs, plus heureux, ont pu, pour d’autres localités, exploiter des actes fort intéressants, certains maîtres chirurgiens s’engageant par contrats à guérir leurs malades. Tel est le cas, en 1638, du chirurgien de Castelnau de Guers, Etienne Maurin. Deux contrats sont signes le 12 juillet 1638, devant Maître Dejean, notaire à Pézenas, entre ce chirurgien et ses deux clients, Nicolas Catusse, cordonnier et Jean Focus, cordonnier. Toujours à Pézenas, le testament du chirurgien Jean Guillaume Jullien, le 20 octobre 1734, permet de pénétrer dans son intérieur. En 1790, l’inventaire d’un chirurgien de Pézenas, Guillaume Cazal est encore plus explicite 22.
La documentation notariale fait totalement défaut, pour ce qui est du métier, lorsque les Vaissière deviennent, à partir de 1759, facturiers en coton à Nîmes, puis à Montpellier. Il s’agit à cet égard des temps obscurs. Et il est bien difficile de savoir comment Jacques Jérôme et son fils Jean, travaillent. Sont-ils facturiers à domicile (manufacture dispersée) ou en fabrique (manufacture concentrée), sont-ils facturiers du Peyrou ou de Boutonnet, pour le compte de quels négociants-entrepreneurs travaillent-ils ?
L’activité de la branche apparentée qui a le mieux réussi, celle des Tricou, cordonniers de la Buège, qui doivent leur ascension au drap et au Levant et qui fournissent une dynastie d’inspecteurs des manufactures en Lodévois, est mieux connue par les archives de l’intendance (strie C) que par le notariat.
Une deuxième série d’actes notariés, toujours pour ce qui est de l’Ancien Régime, concerne la constitution d’éventuelles fortunes et la transmission des biens au sein des familles.
Les transactions – achats et ventes – sont relativement peu nombreuses, ce qui, outre le fait que des familles ici étudiées ne se situent pas à un niveau très élevé, sur le plan de la fortune, peut aussi s’expliquer par une considération plus générale. « Les ventes immobilières sont relativement peu nombreuses, ont pu écrire Jean Rioufol et Françoise Rico, la propriété foncière étant peu morcelée et appartenant souvent à des collectivités laïques ou religieuses qui les transforment en biens de main morte, les actes de location de toute nature, par contre, sont très répandus. » 23
Des transactions ont cependant pu être repérées, portant sur des maisons ou des terres.
Les Vaissière, paysans propriétaires à Saint-Jean-de-Fos à la fin du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe siècle ont déjà – à une date indéterminée – fait l’acquisition d’une maison au faubourg de la Font des Orts et de quelques pièces de terres, jardins, champs, olivettes, vignes.
Elles sont conservées par les maîtres-potiers qui les arrentent, et qui arrondissent, du moins pour ce qui est des maisons, l’héritage familial : Anthoine Vaissière en acquiert une nouvelle en 1597, sise dans les murs du village, 24 et son fils Bastien, encore une autre en 1629, sans compter celle servant d’atelier acquise en 1634.
Ces diverses acquisitions témoignent de l’ascension des Vaissière au sein de la communauté des potiers de Saint-Jean-de-Fos.
Les achats des chirurgiens et apothicaires semblent relativement moins nombreux, mais avec de nettes variations selon les branches, aînées ou cadettes.
Les acquisitions sont, en effet, assez nombreuses pour ce qui est de la branche aînée, celle des apothicaires et chirurgiens d’Aniane qui parviennent à constituer une petite fortune : une maison avec boutique évaluée à bien près de 1 000 livres, et diverses pièces de terre, champs, vignes, olivettes, qui, outre le métier, permet de les ranger dans la petite bourgeoisie anianaise. Elles sont également présentes chez leurs cousins de Montpeyroux : l’on peut relever, pour ce qui est de Jean Vaissière, quelques achats ou ventes, principalement dans les années 1770, portant sur des pièces de terres. Il laisse à sa mort, en 1808, une maison, une écurie, un champ et trois vignes 25.
Jérôme Vaissière, maître-chirurgien à Saint-Jean-de-Buèges, à la charnière des XVIIe-XVIIIe siècles, ne semble, par contre, pas avoir constitue une bien grosse fortune. Il loge dans la maison de ses beaux-parents Tricou et ne procède, sa vie durant, qu’à deux acquisitions : une pièce de terre en 1694 et une maison en 1717 26, encore est-ce, comme il a été dit, pour y entreposer drogues et médicaments. Ce manque d’assise foncière est certainement une des raisons qui pousse son fils Claude, cadet de cadet, à quitter la vallée de la Buège, sans doute pour aller chercher fortune ailleurs.
Aucune transaction n’a pu être repérée chez les facturiers en coton montpelliérains, leur très modeste niveau de fortune ne le leur permettant guère. Ne possédant pas de maison, ils sont constamment locataires (maison Galabert, rue Plan de l’Olivier, maison Montclar, rue de la Coquille) 27. Ils figurent au sommier douteux lors de leur décès.
L’on est davantage surpris de constater la quasi-absence d’acquisitions chez les Tricou, inspecteurs des manufactures, qui semblent longtemps se contenter de leur haute fonction sans investir dans des biens fonciers (leurs appointements, 20 000 livres par an, le leur auraient permis cependant). À sa mort, en 1761, Dominique Tricou laisse deux maisons : l’une à Clermont l’Hérault, l’autre à Lodève, mais aucune pièce de terre 28.
La transmission des biens se fait, bien entendu, par actes notariés. Ils peuvent être de plusieurs natures : donations entre vifs, partages et successions et bien entendu, les testaments. Ces actes revêtent une particulière importance sous l’Ancien Régime, en raison de la loi de l’élection d’un héritier.
Les successions s’accompagnent parfois d’un inventaire après décès, mais aucun n’a pu être retrouvé chez les Vaissière. Ils sont pourtant relativement fréquents dans la France d’Ancien Régime.
Les testaments sont relativement nombreux dans cette lignée, mais sont loin d’être systématiques.
Ils existent au XVIe siècle, chez les paysans propriétaires de Saint-Jean-de-Fos (même si aucun testament antérieur à 1546 n’a pu être retrouvé). Audibert Vaissière dit le plus vieil, teste en 1546, son frère prénommé aussi Audibert, le suit en 1559 29. Ils sont également présents chez les maîtres-potiers et fontainiers : Anthoine Vaissière teste « sain de son entendement », le 5 mai 1628 30. Mais ils se font curieusement plus rares chez les chirurgiens et apothicaires, si l’on excepte le testament d’Henri Vessière, décédé à Saint-Martin-de-Londres en 1667 31, et celui de Jean à Montpeyroux en 1806 32, Jérôme semble décéder sans avoir testé, à Saint-Jean-de-Buèges, en 1725.
Qu’il s’accompagne ou non d’un testament, le décès donne lieu à un partage, il est vrai très inégal, de la succession et pose le problème de l’élection d’un héritier.
Ce problème a été abondamment développé dans le cours de cette recherche, notamment à propos de Claude Vessière, obligé de quitter la vallée de la Buège. Le notariat languedocien en témoigne abondamment au travers de ses testaments, bien sûr, mais aussi de ses contrats de mariage, cession de droits légitimaires ou actes en augment d’hoirie. Comme son nom l’indique, l’héritier reçoit en héritage, l’activité principale du père, ainsi que l’ensemble de ses biens. Mais cadets et cadettes reçoivent cependant une part d’héritage, une légitime. L’héritier (le plus souvent l’aîné) est chargé de payer aux autres leur légitime (à moins que les parents ne l’aient fait au moment de leur mariage) Il peut s’agir d’une somme d’argent, de quelques biens ou, dans le cas des plus pauvres, d’une somme pour l’entrée en apprentissage.
Les actes notariés témoignent à plusieurs reprises de cette situation pour ce qui est des Vessière.
Lorsque Audibert dit le plus vieil teste en 1546, il partage ses biens entre ses trois fils Jean (le majeur), Jean et Thomas. Au majeur, il donne le grand champ des Bouisses, les deux autres sont héritiers 33 (ce qui au XVIe siècle est encore possible, Elie Plaquier a montré, à Saint-Victor de la Coste 34, le glissement vers l’héritier unique à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle).
En 1586, Anthoine II, depuis peu potier de terre, héritier, baille à ses sœurs, Marie et Catherine, la part leur revenant des biens de leur père Anthoine 1er. 35
Ce même Anthoine II, dans son testament reçu chez Maître Causse, en 1628 36 institue son fils, Bastien, héritier universel. Les trois autres fils, Guilhem, Pierre et Henri connaissent le sort de bien de cadets deux d’entre eux s’en vont quêter leur pitance loin du logis parental et de leur village.
Il en est de même au XVIIIe siècle, de Claude, troisième fils du maître-chirurgien de Saint-Jean-de-Buèges, Jérôme. Sans situation et sans état, ayant reçu une modeste légitime de 250 livres lors de son mariage en 1733 37, il se voit contraint de quitter la vallée de la Buège.
Le maître-chirurgien d’Aniane, Jean, fait d’abord de sa fille aînée Élisabeth, son héritière, par acte du 2 août 1754. Mais très vite, mécontent des soins donnes par sa fille, mais peut-être aussi de sa mésalliance (elle a épousé le travailleur Fulcrand Salze), il fait son héritière de sa cadette, par acte du 24 août 1756, bien mariée, elle, au bourgeois Jacques Decroze 38.
Mais la dévolution, au moins partielle des biens, peut se faire aussi au moment du mariage, plus précisément lors de la signature du contrat.
Les contrats de mariage sont une source particulièrement riche. Nous les avons de ce fait abondamment utilises. Ils fournissent de nombreux renseignements ; en général, « le nom, l’âge, le lieu de résidence et la profession des conjoints le nom, le lieu de résidence, la profession et s’il y a lieu, le décès des parents des conjoints ; le nom, le lieu de résidence et la profession du conjoint précédent. Le nom, le lieu de résidence et la profession des témoins. La parenté éventuelle entre les époux et leurs témoins » 39 ; ils indiquent en outre le montant et la nature des constitutions dotales et permettent donc de se faire une idée précise de la fortune des familles.
Le contrat de mariage précède obligatoirement la célébration du mariage et doit être rédigé par un notaire. En général, il précède de quelques jours la célébration du mariage. Il est rare que l’intervalle soit supérieur à un mois. Cela est cependant possible. Le potier Anthoine Vaissière se fiance et passe contrat de mariage avec Jeanne Julli, le 23 janvier 1586, mais il ne l’épouse pas avant le 13 avril 1587 40 ; le travailleur Charles Robert passe contrat avec Catherine Compant, le 9 août 1767, mais il ne l’épouse que le 15 février 1768 41.
Sous l’Ancien Régime, le mariage s’accompagne presque toujours d’un contrat. Quelques mariages sans contrats ont cependant pu être repérés. Tel est le cas de ceux d’Henri (marie à Élisabeth Argeliers en 1687) et de Jérôme (marié à Françoise Tricou en 1693) ; leur mère, Jeanne Teule, veuve d’Henri Vessière, puis de Louis Noulhac, n’ayant doté que les enfants de son second lit (leur père ayant laisse une plus grande fortune), elle s’est contentée de faire donner à ceux du premier, le même métier que leur père. Tel est aussi le cas de celui de Jean et d’Élisabeth Perrier en 1789, ce qui, outre les raisons personnelles, peut s’expliquer par la dureté des temps, la crise de subsistance frappant alors durement les travailleurs du textile.
Les époux sont mariés sous le régime dotal.
Les constitutions dotales peuvent être constituées par les parents des futurs époux « ayant le mariage pour agréable.. », le père et la mère, bien sûr, mais parfois aussi les oncles et tantes ou autres parents ; mais elles peuvent être aussi constituées par les époux eux-mêmes : « la future épouse ou le futur époux se constitue en dot de son chef… ».
Le paiement de la dot peut être immédiat, « présentement compte », se faire le jour de la consommation du mariage ou être échelonné sur plusieurs mois et même plusieurs années.
La nature de la constitution dotale varie bien évidemment avec les périodes et le milieu social, mais reviennent le plus fréquemment, espèces d’argent, joyaux et dorures, nippes, meubles (le plus courant au XVIe siècle est le coffre, il est peu à peu remplace par l’armoire), des biens immobiliers, terres et maisons peuvent s’y ajouter, mais dans le cas des milieux les plus aises.
Les parents peuvent aussi s’obliger à nourrir et à loger « aux même pots, feu et table », les futurs époux, pendant une durée plus ou moins longue à compter de la célébration du mariage.
Les époux se constituent en général, en cas de décès de l’un d’entre eux, une somme d’argent, pour gain de survie, en augment et contre augment.
Dans le cas des familles pauvres, les hôpitaux généraux peuvent intervenir en fournissant un apport dans les constitutions dotales.
Tel est du moins le cas à Montpellier où existe à l’Hôpital général, la fondation de M. Bernard, procureur de la Cour des Aydes qui a fonde douze places ou douze dots pour marier des filles pauvres, natives de Montpellier, mais qui n’ont pas été dans l’Hôpital.
Deux interventions ont été repérées. L’une en 1761, en faveur de Catherine Lafont, lors de son mariage avec Jérôme Vessière, facturier en coton 42, l’autre en 1739, en faveur de Catherine Viala, lors de son mariage avec le travailleur Jean Martin 43. Dans les deux cas, l’apport est de 100 livres.
L’élément le plus intéressant pour évaluer le niveau des fortunes est le montant des dots. Il est bien évidemment variable, il varie suivant les milieux sociaux (milieux populaires, de bourgeoisie, voire aristocratique se distinguant ici très nettement), et suivant les périodes (au XVIIIe siècle se produit un accroissement général du montant des dots, y compris en milieu populaire, ce qui est le reflet de la croissance économique et de l’enrichissement qui lui est lié).
Pour ce qui est des XVIe-XVIIe siècles, les seules indications chiffrées dont nous disposons sont celles de la période où les Vessière sont gens de métiers. Les dots, plutôt modiques, sont par leur montant, conformes à celles constituées dans les communautés de métier auxquelles ils appartiennent, même s’ils se situent parfois dans la frange supérieure. Chez les potiers de terre de Saint-Jean-de-Fos, la majorité des dots gravitent entre 50 et 400 livres, les dots atteignant 500 livres sont assez rares. (Tel est cependant le cas, en 1661, lors du mariage de Catherine Vessière et de Pierre Delzeuze, maître Corroueux 44, dans la dot de la future figure une ceinture d’argent de 80 livres). Il en est de même, par la suite, chez les chirurgiens et apothicaires dont les dots excèdent rarement ces 500 livres. Dans la proche parentée des Tricou, les Nouallac, les Delalèque, les constitutions dotales tournent autour de 300, 400 livres.
Une analyse plus fine devient possible pour ce qui est du XVIIIe siècle, en raison de la diversité des trajectoires reconstituées et de leur appartenance à des milieux sociaux contrastés.
La tendance générale est à une augmentation sensible du montant des dots, que se soit en milieu populaire ou en milieu bourgeois ou en cours d’embourgeoisement.
Henri Michel le constate à Montpellier, à partir des dots constituées entre 1700 et 1789. Les moyennes annuelles passent de 1 670 livres en 1700-1729, à 2 320 livres en 1750-1759 et à 2 843 livres à la fin de l’Ancien Régime. Cette augmentation profite davantage aux dots élevées (plus de 10 000 livres), et aux dots modestes (inférieures à 1 000 livres) qu’aux dots moyennes (de 1 000 livres à 9 990 livres) qui s’élèvent plus lentement 45.
Chez les Vessière, du moins pour ceux qui continuent à exercer les métiers d’apothicaires et de chirurgiens, le phénomène – sans revêtir une grande ampleur – est déjà observable.
Chez les Vaissière d’Aniane : 440 livres en 1728, pour le mariage de Jeanne avec Laurent Estival, garçon facturier de bas, 790 livres en 1750 pour celui de Magdeleine avec le bourgeois Jacques Decroze, 550 livres en 1757, pour celui d’Élisabeth avec le travailleur Fulcrand Salze 46.
Chez ceux de Montpeyroux, plus nettement : 800 livres en 1723 lors du mariage de Jérôme avec Jeanne Parronton, 1 099 livres en 1757 lors de celui de son fils Jean, avec Magdeleine Lafont; et 7 100 francs en l’an VIII à l’occasion de l’union de l’officier de santé Pierre Jérôme avec Gracie Puech de franc, devenu unité monétaire, remplace peu à peu la livre), mais la progression de la dot doit être nuancée, car il faut tenir compte de la dépréciation de la monnaie sous la Révolution, et particulièrement sous le Directoire 47.
La seule branche connaissant un net appauvrissement, reflété par le montant des dots, est celle issue de Claude Vessière, fils de Jérôme, maître-chirurgien à Saint-Jean-de-Buèges. 500 livres encore lors du mariage de ce cadet de cadet, avec Marie Delalèque en 1733, mais seulement 285 livres en 1761 lors du mariage de son fils Jacques Jérôme, parti gagner sa vie à Montpellier, et de Catherine Lafont (et encore l’Hôpital général en fournit-il 100 livres) 48, et aucun contrat de mariage et par conséquent, aucune dot lors de celui de son petit-fils Jean avec Élisabeth Perrier en 1789. Contrats et dots ne réapparaissent que dans les premières décennies du XIXe siècle, lors du remariage de Jean avec Marie Pradel (500 livres), et surtout lors de ceux des deux fils, de ce dernier Jean Jérôme et Vincent Marc où les constitutions dotales atteignent respectivement 1 100 et 900 francs 49.
L’augmentation, la poussée du montant des dots est plus évidente chez certaines branches apparentées dont la trajectoire s’est croisée avec celle des Bessier, au siècle suivant. Certaines se rattachent encore aux milieux populaires, d’autres sont déjà embourgeoisées.
Parmi les premières, figurent les Martin, travailleurs de terre au faubourg Saint-Denis. La progression est ici très nette : 415 livres en 1711, lors du mariage de Jacques et de Marie Laurens ; 570 livres en 1739 lors de celui de Pierre et de Catherine Viala ; mais 1 250 livres en 1769, lors de celui de Jean et de Marie Mathieu (avec pour la première fois quelques biens fonciers) 50. Au moment de la Révolution, ce même Jean est en mesure de donner 300 livres à chacun de ses quatre fils, au moment de leur mariage.
Même progression à Mèze, chez d’autres familles de travailleurs de terre : les Poujade, les Galibert et surtout chez les Molinier, pêcheurs sur l’étang : en 1710, les constitutions dotales ne s’élèvent qu’à 90 livres lors du mariage d’Etienne et de Marie Courtès ; en 1747, elles s’élèvent légèrement pour Louis et Élisabeth ‘Ihomas, 180 livres ; mais plus nettement en 1771, pour Pascal et Jeanne Berlanger, 364 livres (avec pour la première fois, ici aussi, des biens fonciers) 51.
À Bouzigues, les contrats de mariages témoignent de l’enrichissement des David, patrons pêcheurs devenus peu à peu ménagers. 700 livres de dots en 1740 lors du mariage de Jean Baptiste avec Marguerite Vivarès, mais respectivement 3 090 livres et 5 900 livres en 1772, pour ceux de Pierre et Paul, ses deux fils 52.
D’autres familles, déjà embourgeoisées, poursuivent leur progression.
Tel est le cas à Montpellier, des Fromiga, marchands-droguistes, devenus peu à peu gens de robe. Les constitutions dotales témoignent de la consolidation de leur position sociale. 2 000 livres déjà en 1712 lors du mariage d’Hugues avec Anne Varennes, mais 5 000 livres en 1737, pour celui d’Anne et Louis Bousquet, procureur à la CCAF 53. Lors des mariages des enfants de Jacques Fromiga conclus entre 1775 et 1792, les dots sont respectivement de 2 000 livres (Marie Anne Françoise et Jean Joseph Vanderburk, peintre, 1775), 4 000 livres (Marie Thérèse et Pierre Marie Augustin Tioch, docteur en médecine, 1776), 2 400 livres (Pierre Antoine et Marguerite Christine Martin, 1786), 2 500 livres (Jean Pierre et Jeanne Espinas, 1792) 54.
Même évolution en Gévaudan, à Langogne, chez les Forestier. Ces marchands ciergiers, devenus mégissiers avant d’être négociants en laine, poursuivent leur ascension. Dans les contrats, le montant des dots s’élève progressivement 1 000 livres lors du premier mariage de Jean Joseph en 1761 avec Catherine Bouet, mais 2 600 livres en 1788, lors de son second avec Catherine Montfrin 55. Il en est de même pour les branches apparentées les Tanthoine, les Mathieu. 3 000 livres en 1761, lors du mariage de Jacques Joseph Tanthoine, notaire à Langogne, fils du marchand Toussaint Tanthoine, avec Marianne Mathieu 56. Dans cette famille Mathieu, figure le superbe contrat de mariage de Jean Baptiste Mathieu-Chambon et de Marie Fluvie Mercier de Malaval 49 000 livres en 1792, en un temps où souffle pourtant la tourmente révolutionnaire 57.
c) De la Révolution au XIXe siècle, âge d'or du notariat
La Révolution supprime la vénalité et l’hérédité des offices, mais non, malgré certaines velléités, le notariat, une institution qui avait fait ses preuves et qui était plus que jamais nécessaire à une époque où la bourgeoisie triomphante allait avoir besoin d’un bon système contractuel et ce plus encore aussitôt après la Révolution, où « la population éprouve le besoin de stabiliser les structures sociales qui viennent d’être bouleversées.., la nouvelle société va se consolider et se développer sur trois bases fondamentales la propriété individuelle, les libertés civiques et la famille » 58.
Avec Bonaparte et le Consulat, le notariat reçoit une sorte de consécration.
La loi du 25 ventôse an XI (15 mai 1803) donne au notariat une organisation et un statut dont les grandes lignes sont encore valables de nos jours. Les notaires sont alors définis comme des fonctionnaires publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner un caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique et pour en assurer les dots, en conserver le dépôt et délivrer les grosses et expéditions. Ils sont institués à vie. Les actes sont reçus par deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins 59. Le notariat reste sous la tutelle du pouvoir judiciaire (le garde des sceaux est le ministre de tutelle de la profession). Les règles de nomination et de formation sont fixes. Le notaire a le droit de présenter son successeur, mais les cessions d’offices sont placées sous le contrôle de l’État.
L’enregistrement est réorganisé par le décret du 5 décembre 1790. Registres et tables sont dresses par bureaux d’enregistrement, en principe un bureau par canton, Mèze en possède un). Ces registres sont de plusieurs natures la strie la plus importante est constituée par les actes civils publics, elle commence en 1791 ; viennent ensuite les registres d’actes sous-seing privé, les registres de mutation par décès, les registres de baux d’immeubles. Ces registres sont accompagnes de tables, qui, comme il a été dit, facilitent la consultation des archives notariales 60.
Ainsi réorganisé, le notariat a pu jouer un rôle important dans la vie économique et sociale du XIXe siècle. « À l’âge d’or du libéralisme, il prête la main à l’établissement de conventions qui seules peuvent désormais lier les hommes et édifier les structures sociales. À une époque d’enrichissement national, il organise la collecte de l’épargne privée, la gestion et le transfert des patrimoines. Le notariat sait être utile à la fois à une société essentiellement rurale dans laquelle la propriété foncière tient une grande place, et au monde industriel naissant, auquel il procure les instruments juridiques du droit des sociétés et les capitaux dont il a besoin. Le crédit hypothécaire joue un rôle économique de premier plan » 61.
Les actes notariés témoignent de l’ascension des Bessier (et des branches apparentées, celles avec lesquelles se font les alliances), en ce XIXe siècle, qui est celui des bourgeois conquérants, et en Languedoc, celui du triomphe de la bourgeoisie viticole, à l’âge d’or de la vigne, qui multiplie, selon l’expression de Raymond Dugrand « les activités, les commerces et les fortunes » 62.
Les transactions, principalement les actes d’achats, permettent, comme aux siècles précédents, de prendre la mesure de la constitution des fortunes.
Les deux principaux exemples sont ici les Bessier proprement-dits et la famille Molinier-Poujade. Ils ont pour cadre, la petite ville de Mèze, devenue une petite capitale viticole, sur les rives d’un étang de Thau, lui-même reconverti dans la vigne et l’exportation des vins.
Pour les Bessier, dont l’ascension s’explique par le commerce de nouveautés et la propriété viticole, les actes d’achats portent sur des maisons et des biens fonciers.
Jérôme Bessier, installé à Mèze depuis 1836 (il y est d’abord locataire), fait en 1841, l’acquisition d’une maison, place de la Fontaine (moyennant 4 400 francs, étude de Maître Charamaule) ; il y installe son commerce de tissus 63, l’agrandit et le transforme en maison de maître. En 1853, il achète à Lodaicha et Théotiste Bonnet, sept hectares quatre-vingt-quatorze ares quarante-cinq centiares de terre, vignes et champs, au lieu dit Campagne ou Grange Basse (moyennant 33 000 francs, étude de Maître Fromiga) 64.
Son fils, Antoine, poursuit son œuvre. Il agrandit le domaine de la Grange Basse, en deux temps, entre 1855 et 1859 (trois acquisitions) et entre 1884 et 1891 (huit acquisitions), portant sa superficie à plus de quatorze hectares. Il la dote en 1888 d’une maison de maître 65.
Son fils, Gabriel, procède encore à deux achats de pièces de terre en 1893 et 1896 66.
Édouard Fromniga, gendre de Jérôme Bessier, lui-même notaire, fait en 1863, l’acquisition du domaine du Sesquier (neuf hectares vingt ares soixante et un centiares, moyennant 50 000 francs) 67.
Les Molinier-Poujade doivent leur ascension à la tonnellerie et au commerce des vins. L’on note chez eux aussi l’acquisition de maisons et de biens fonciers.
Le tonnelier Pascal Molinier fait en 1866, 1873, 1875, l’acquisition de terrains, rue des adieux, en vue d’y faire construire sa maison et d’y installer ses magasins de tonnellerie (respectivement cinq cent vingt, quatre cent quatre- vingt-quinze, deux cent cinquante-sept m², moyennant 8 500 francs, étude de Maître Fabre 68. Faisant l’acquisition de quatre-vingt-huit ares de terres, champs, il arrondit légèrement le modeste patrimoine légué par son père Jean Molinier, régisseur du domaine la Grand-Grange 69.
Son fils, Gaston, devenu commissionnaire en vins, agrandit considérablement le domaine de la rue des adieux (trois acquisitions au début du XXe siècle), en vue de l’aménagement de jardins. Il porte sa superficie à quarante-sept ares soixante-quatre centiares. Au cours de la même période, il agrandit considérablement, par de nombreuses acquisitions de pièces de terres, champs et vignes, le patrimoine foncier légué par ses père et grand-père, portant sa superficie à bien près de sept hectares.
À Mèze, toujours, des familles de petits propriétaires, alors en ascension, les Poujade et les Galibert réussissent aussi à acquérir maisons et pièces de terres.
Le plus entreprenant est Joseph Galibert. Il procède sa vie durant à de fréquents achats de parcelles de plus important est celui du 29 avril 1873 : quatre hectares vingt-huit ares de vignes, moyennant 8 750 francs 70, et fait construire deux maisons, l’une rue Pépin, l’autre, rue des Moulins. Cette dernière est un magasin surélevé. L’aménagement de son jardin est rendu possible par l’échange de terrains qui a lieu en 1869 entre Joseph et Gustave Privat, maire de Mèze, ces terrains situés en bordure de l’étang, étant communaux 71.
À Bouzigues, les David, déjà ménagers au XVIIIe siècle, renforcent encore leur emprise foncière. En 1836, Jean Baptiste est propriétaire de six hectares.
À Langogne, les Forestier font de même. Ils apparaissent dans les actes en tant que propriétaires rentiers. Alors qu’en 1768, Jean Joseph n’était propriétaire que d’une maison d’habitation, de deux champs et d’un patural (soit deux quartes et vingt quartilières de terres), son fils Louis est, au moment de son décès en 1879, propriétaire de six maisons et bâtiments divers et de cinq hectares de terres 72.
Mais les biens fonciers ne sont pas l’unique élément des fortunes bourgeoises ; le notariat révèle aussi la constitution de fortunes en titres de rentes, obligations et créances hypothécaires (Antoine Bessier), qui tiennent une place de plus en plus grande dans les successions et les partages.
La dévolution des biens se fait toujours par le biais des testaments (qui sont rares) et des successions (mutations par décès).
Mais au XIXe siècle, dans toutes les familles étudiées, la donation partage (qui n’existait guère au siècle précédent) prend de plus en plus d’importance. Les biens y sont donnés par les parents aux enfants, de façon anticipée. Les père et mère se réservent toutefois la jouissance de certains d’entre eux.
L’exemple type est celui de Jérôme Bessier qui en 1864 procède à une donation partage entre ses deux enfants, Antoine et Catherine-Pascale, épouse Fromiga. La masse à partager consiste en une maison, place de la fontaine, estimée 25 000 francs et en une somme de 49 000 francs, mais les deux enfants font le rapport de ce qui leur a été donné au moment de leur mariage en avancement d’hoirie : 25 000 francs pour ce qui est de Catherine-Pascale, le domaine de la Grange Basse (estimé 49 000 francs), pour ce qui est d’Antoine, deux lots d’une valeur chacun de 74 000 francs sont constitues. Bessier fils reçoit la maison et le domaine, Mme Fromiga, sa constitution dotale et la somme de 49 000 francs.
Jérôme se réserve la jouissance du premier étage de la maison 73.
La donation partage se pratique dans les milieux plus modestes des petits propriétaires mézois. En 1883, Joseph Galibert et son épouse Marguerite Vialla procèdent à une donation partage entre leurs deux fils : Jean et Léonce (deux maisons, six hectares quatre-vingt-quatre ares de terres, champs, d’une valeur de 150 000 francs) 74. En 1884, Magdeleine Félicite Olombel, veuve d’Hilaire Poujade, en fait de même avec ses deux enfants Baptiste Hilaire et Marie, épouse Gaston Molinier (deux maisons et quatre hectares vingt et un ares de terres, d’une valeur de 7 930 francs) 75.
À Bouzigues, Jean Baptiste David procède en 1836 à une donation partage entre ses deux enfants : François et Élisabeth, épouse Reynes (maison sur le port, magasin et nombreuses pièces de terres, vignes, champs, d’une valeur de 23 000 francs 76.
Mais la donation partage n’est cependant pas le mode principal de transmission des biens. Pour la plupart des familles, elles continuent à se faire par le biais des successions. Les successions dressées par les notaires sont enregistrées au bureau d’enregistrement (mutations par décès). Elles sont révélatrices de l’ascension des familles à la fois par leur montant qui ne cesse de s’élever, et par leur composition : à l’argent et aux biens immobiliers (terres et maisons) viennent s’ajouter titres de rentes, obligations et créances hypothécaires et au début du XXe siècle, des portefeuilles en actions, ce qui témoigne de la diversification des fortunes bourgeoisies.
Chez les Bessier, progression et diversification sont très nettes. En 1842, lors de son décès, le facturier Jean Bessier ne semble laisser aucun bien (il est en tout cas inscrit au sommier douteux) 77, en 1867, son fils Jérôme, qui a fait fortune, ne laisse certes qu’une succession de 1 000 francs en valeurs mobilières 78, mais il convient de préciser qu’il a donné en 1867, l’ensemble de ses biens, soit 148 000 francs, en donation partage à ses deux enfants : en 1897, la succession d’Antoine se monte à 47 197 francs 79, mais il conviendrait d’y ajouter ce qu’il a donné à ses deux enfants, en avancement d’hoirie, au moment de leurs mariages, soit 126 140 francs, dans sa succession, se trouvent, pour la première fois chez les Bessier, des valeurs mobilières, obligations et créances.
La progression est également très nette chez les Molinier-Poujade. En 1879, Jean Molinier, le régisseur de la
Grand Grange ne laisse qu’une modique succession d’une valeur de 765 francs 80. En 1897, le montant de la succession de son fils Pascal s’élève à 23 000 francs (la maison et les magasins de la rue des adieux en constituent l’essentiel) 81. Mais son fils Gaston qui agrandit considérablement le patrimoine familial, laisse en 1915 une succession s’élevant à 70 000 francs (23 000 francs pour ce qui est de la maison de la rue des adieux, mais aussi 16 000 francs en pièces de terres). Il a pratiquement triple l’héritage paternel 82.
À Bouzigues, Élisabeth David laisse en 1896 une succession s’élevant à 15 200 francs (une maison et trois hectares de terres) 83.
À Langogne, en 1879, le montant de la succession de Louis Forestier s’élève à 44 000 francs (six maisons, cinq hectares de terres et 1 100 francs de créances) 84.
Le décès donne parfois lieu à de fructueux inventaires de biens, tel est par exemple le cas à Langogne, pour Joséphine Adèle Mathieu, en 1885, et à Frontignan pour François Ferdinand Forestier en 1916, respectivement grand-mère et oncle de Marie Forestier, épouse de Gabriel Bessier 85.
Mais, comme au XVIIIe siècle, ce sont les contrats de mariage qui constituent les meilleurs témoins de l’ascension des familles, de la progression et de la diversification des fortunes. Ils restent très fréquents quasi-systématiques dans la société bourgeoise, et encore très nombreux en milieux populaires. Certaines familles en ascension, qui n’avaient pas antérieurement la tradition du contrat de mariage, en deviennent adeptes (les Reynes à Bouzigues), mais d’autres continuent curieusement à s’en passer (les Poujade et les Molinier à Mèze). Dans ces contrats du XIXe siècle, les biens sont de plus en plus donnés en avancement d’hoirie (en avance sur héritage). Plus on avance dans le siècle, plus les valeurs mobilières y tiennent une grande place. Au régime dotal s’ajoute progressivement une communauté d’acquêts, composte de tous les bénéfices que les époux pourront faire pendant le mariage.
Les contrats de mariage, du moins en milieu bourgeois, et tel est désormais le cas chez les Bessier, s’intègrent dans une véritable stratégie matrimoniale qui est un facteur essentiel de l’ascension sociale.
Chez les Bessier, la progression du montant des dots devient très nette.
Lors du mariage de Jérôme avec Marguerite Martin en 1823, les contributions dotales s’élèvent seulement à 1 100 86 francs. Mais une génération plus tard, les mariages de ses deux enfants s’accompagnent de contrats qui montrent à l’évidence qu’il a fait fortune et qu’il s’est intégré dans la société bourgeoise de la ville de Mèze.
En 1845, lorsque sa fille, Catherine Pascale épouse Édouard Fromiga, elle reçoit 25 000 francs de dot, en avancement d’hoirie. 16 000 francs sont destinés à l’acquisition de l’office de notaire du futur époux 87. Ce mariage permet à Jérôme de s’allier à une vieille famille de bourgeoisie qui dans la première moitié du XXe siècle, peut prétendre à des dots d’environ 20 000 francs (tel a été le cas en 1827 lors du mariage de Christine Fanly avec le chirurgien dentiste Timothée Roubière et encore en 1839, lors de celui d’Amélie avec le futur médecin Jean Georges Verge). C’est précisément ce que Jérôme leur offre.
En 1855, lors du mariage de son fils Antoine avec Marie Aloïsia Reynes, de Bouzigues, les constitutions dotales s’élèvent à 60 000 francs. Jérôme lui donne en avancement d’hoirie, le domaine de la Grange Basse (estime 33 000 francs, et M. et Mme Reynes constituent en dot, toujours en avancement d’hoirie, la somme de 27 000 francs 88.
Une génération plus tard, au cours des années 1890, la progression du montant des dots s’affirme encore davantage.
En 1891, lorsque Gabriel Bessier, fils d’Antoine, épouse Marie Forestier, les dots atteignent un niveau second : 125 500 francs. Antoine donne à son fils, en avancement d’hoirie, le domaine de la Grange Basse, désormais estimé 60 000 francs. La future se constitue 65 000 francs (parmi lesquels 40 000 francs en valeur mobilière, obligations hypothécaires, créances, billets à ordre) 89.
Fort jolie dot, également en 1893, lors du mariage de Marie Bessier avec le jeune officier, polytechnicien et Lyonnais, Joseph Tardy : 65 640 francs (uniquement en valeurs mobilières), ce qui représente à peu près la valeur du domaine de la Grange Basse, donné à Gabriel 90.
La tradition est désormais bien établie : le domaine est donné au fils, mais la fille est dotée de façon équivalente. L’indivision est ainsi évitée.
La progression du montant des dots se retrouve dans toutes les branches apparentées (ou qui vont l’être au siècle suivant), qu’elles appartiennent à des milieux déjà embourgeoisés ou en ascension, mais encore à bien des égards populaires, comme celui des petits propriétaires de Mèze.
Aux premières se rattachent les Reynes-David de Bouzigues que la fabrication des foudres enrichit (en attendant le commerce des vins) : 13 800 francs de dots en 1836 lors du mariage de Jean-Louis Reynes et d’Élisabeth David, mais ces derniers sont en mesure de donner 27 000 francs de dot à leur fille Marie Aloïsia en 1855 ; en 1864, lorsqu’elle épouse leur fils Léon, Léontine Vivarès reçoit 18 000 francs de ses parents 91.
S’y rattachent aussi les Forestier de Langogne. Les dots oscillent ici entre 16 500 francs (mariage de Louis Forestier et de Marie Sabine Fminier), et 50 000 francs (principalement des créances), lors du mariage de leur fille Victoire avec Ferdinand de Romeu, en 1871. Leur fils Auguste reçoit 20 000 francs en 1864 lors de son mariage avec Marie Amélie Tanthoine 92.
S’y rattachent aussi, nouveaux venus en bourgeoisie, les Martin de Montpellier, anciens travailleurs de terre du faubourg Saint-Denis, devenus négociants (en vins) et notables montpelliérains : 650 livres de dots, seulement en l’an VII, lors du mariage de Jean Martin et de Magdeleine Bécane, mais 3 000 francs pour Pierre et Fulcrande Andrieu en 1832, et 27 000 francs en 1863 pour Gustave et Florence Dorothée Alibert 93.
Aux seconds se rattachent, comme il a été dit, les familles de petits propriétaires mézois : les Poujade et les Galibert. Les Poujade continuent à ignorer le contrat de mariage, mais il devient fréquent chez les Galibert, et le montant des dots s’élève : 1 170 francs en 1842, lors du mariage de Joseph avec Marguerite Vialla, 10 000 francs en 1878, lors de celui de Léonce et de Marie Louise Roque (parmi lesquels deux champs d’une contenance de deux hectares et demie) 94.
Le contrat de mariage, pivot de la société bourgeoise, joue également un grand rôle dans la carrière des officiers, le ministre de la guerre exigeant de leur future épouse une dot suffisante pour se marier. Le problème s’est pose à deux reprises pour la famille Bessier qui a alors fourni deux généraux à la France. En 1874 d’abord, lors du mariage de Léopold Louis Reynes, lieutenant, avec sa cousine germaine Pauline Reynes, alors domiciliée à Mustapha en Algérie, fille du chasseur d’Afrique, devenu riche colon, Pierre Reynes ; elle se constitue une forte jolie dot comprenant diverses maisons et propriétés et de nombreuses créances hypothécaires, le tout d’une valeur de 62 660 francs 95. En 1893, ensuite lors du mariage de Joseph Tardy, polytechnicien mais encore lieutenant, avec Marie Bessier, la dot de 65 640 francs qui lui est alors constituée dépasse aussi de beaucoup le minimum exigé. Dans les deux cas, les contrats ont été soumis à l’approbation du ministre de la guerre.
Mais si le notariat est le reflet et parfois le moyen de l’ascension bourgeoise, il est aussi le miroir de ses revers de fortune et de ses vicissitudes, très possibles dans la bourgeoisie viticole. Ceci en au moins deux cas. Dans les années 1870, lorsque le notaire Édouard Fromiga ayant fait de mauvaises et douteuses affaires, doit non seulement, et ce dès 1865, renoncer à son office de notaire, mais encore vendre vigne après vigne, le domaine du Sesquier qu’il avait acquis en 1863. Dans les années 1880 et 1890, au moment de la faillite de Jean Louis Reynes, parti foncier un aventureux négoce des vins à Charenton. Le notariat de Bouzigues conserve la trace des difficultés de sa veuve, Élisabeth David 96.
d) Les mutations du XXe siècle
« Au XXe siècle, le notariat, a tout naturellement ressenti le bouleversement social et économique provoque par la première guerre mondiale l’inflation succédant à une remarquable période de stabilité monétaire…, la multiplication des textes juridiques…, l’appauvrissement de sa clientèle traditionnelle, bourgeois et propriétaires fonciers…, l’entre-deux-guerres avec la crise économique de 1929 et le mouvement social de 1936 pose des problèmes nouveaux à la profession qui s’y adapte. » 97
Pour les Bessier et apparentés se pose le problème du difficile maintien d’une notabilité au travers des vicissitudes du XXe siècle languedocien.
Pour cette dernière période, le recours aux sources notariales devient plus difficile, les registres vieux de plus de cent ans n’ayant pas encore été déposés aux archives départementales.
Les actes notariés concernant ces familles semblent de toute façon devenir moins nombreux et moins riches, du moins pour ce qui est des fructueux contrats de mariage qui disparaissent totalement.
Dans la première moitié du siècle, le notariat reflète l’effort de la famille pour maintenir l’héritage du brillant passé viticole qui a fait sa fortune ainsi que celle de la région. Raymond Bessier parvient encore à agrandir le domaine de la Grange Basse par des acquisitions auxquelles il procède en 1935 (quatre hectares vingt-quatre ares de terres achetées au domaine de la Grand Grange 98. Le domaine se trouve pour la première fois en indivision Raymond et Édouard, les deux fils de Gabriel en vivent, et ce de plus en plus difficilement. Cette situation ne prend fin qu’en 1952, lors du décès d’Édouard qui, par testament en 1947, lègue à son frère la totalité de ses biens. De leur côté, les frères Poujade, Méril et Gaston, héritiers du négociant en vins Gaston Molinier, font l’acquisition d’un domaine viticole le mas du Prince, en 1927, d’une contenance de onze hectares trente et un ares, leurs caves sont situées à Mèze, avenue de la Gare, dans des magasins acquis au début des années 1920 99.
La transmission des biens se fait comme au siècle précédent, soit par la donation partage (Adrienne Galibert, veuve Méril Poujade, procède en 1943 au partage de leurs biens entre ses deux enfants Georges qui va assurer la continuité du commerce des vins, et Odette, épouse Raymond Bessier) 100, soit plus fréquemment par le biais de la succession (Gabriel Bessier en 1928, Edouard, en 1952) 101.
L’on est surpris qu’aucun contrat de mariage n’accompagne en 1925, le mariage de Raymond Bessier et d’Odette Poujade. Cela marque la fin d’une longue tradition.
Le notariat reflète les difficultés de la famille à partir des années 1950 pour partie liées à la crise de la viticulture méridionale.
L’agonie du vignoble de masse amène la famille à se dessaisir peu à peu des biens acquis au siècle précédant, celui de l’âge d’or de la vigne. Le domaine de la rue des adieux, emblème de la réussite de négociants en vins se contracte : les jardins sont vendus en 1959, les bureaux ayant abrité le négoce, en 1969. Le mas du prince est vendu cette même année et le domaine de la Grange Basse en 1989 (malgré les efforts de Jean Bessier pour l’agrandir et le rénover). Il est acquis, ce qui n’est pas sans signification, par une famille suisse Mouthier-Guérin 102.
Aucun contrat n’accompagne les mariages conclus dans les années 1950 (qui se font, il est vrai, dans des milieux plus populaires). Mais il s’agit là, outre les raisons propres à la famille, d’une question de société, le mariage en communauté de biens ayant dans tous les milieux considérablement progressé, au détriment du mariage avec séparation de biens.
Le notariat reflète enfin, le renouveau familial de la fin du siècle, lié à une nouvelle orientation de la famille en symbiose avec les nouvelles activités régionales. Elle a pour artisan Thierry Bessier, fondateur d’un négoce de matériel pour la conchyliculture. Certains actes (locations ou achats de locaux commerciaux, principalement), témoignent de la bonne marche de son entreprise 103.
À la lumière de l’étude de cas qu’est la trajectoire de la famille Bessier et des nombreuses familles qui lui sont apparentées, il s’avère que la contribution du notariat à la généalogie sociale est des plus considérables. Profession millénaire, il permet par son ancienneté, de remonter très loin dans le temps – en tout cas bien plus que l’État civil, plus récent, ne l’autorise – une reconstitution généalogique. Il lui donné surtout son indispensable dimension sociale. Il permet, par la diversité de ses actes de cerner, avec beaucoup de précision, les fortunes familiales leur mode de constitution et leur transmission, ainsi qu’une analyse très fine des stratégies matrimoniales. Il met en évidence les phénomènes d’ascension sociale, d’embourgeoisement, mais aussi de déchéance sociale, qui reflètent le plus souvent, outre les comportements personnels, les grandes phases de l’évolution de la conjoncture économique et sociale. Il est le plus fidèle miroir de l’évolution des sociétés humaines.
– Notes –
1. Voir Jacques DUPAQUIER, 3 000 familles, l’enquête des généalogistes sur la mobilité sociale en France, aux XIXe-XXe siècles, 1981. Publication synthétique en 1995. Ainsi que L’Histoire de la population française, publiée sous sa direction, Paris, PUF, 1988, particulièrement les tomes II (de la Renaissance à 1789) et III (de 1789 à 197) et IV (de 1914 à nos jours).
Adeline DAUMARD, La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, Albin Michel, 1963 ; Les bourgeois et la bourgeoisie en France depuis 1815, Flammarion, 1991 ; son importante Contribution à l’histoire économique et sociale de la France, sous la direction de Fernand BRAUDEL et d’Ernest LABROUSSE, PUF, tome III, 1976, et tome IV, 1979-82 ainsi que son article « Les généalogies sociales », Annales de démographie historique, 1984.
S’intègrent également dans cette problématique, les ouvrages d’André BRUGUIERE, Sur Plozevet, 1975, de Martine SEGALEN, Sur le pays de Bigouden, 1985, de Paul André ROSENTAL, Les sentiers invisibles. Espaces, familles, migrations dans la France du XIXe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS.
Pour ce qui est du Languedoc, voir la thèse d’Elie PELAQUIER, De la maison du père à la maison commune, Saint-Victor de la Coste, 1661-1789, UPV, 1996.
Ainsi que sa mise au point sur les dernières orientations bibliographiques sur la famille, LIAME, 2002.
Parmi les revues, voir :
– Les Annales ESC, particulièrement « Famille et société », 4ème et 5ème numéros de la 27ème année, juillet-octobre 1972.
– Les Annales de démographie historique, sous la direction de Jean Pierre BARDET et Jean-Pierre POUSSOU, fondées en 1964, qui publient les résultats de recherches sur la population et la famille, et notamment sur le lien entre démarche généalogique et histoire sociale, tel est le cas des volumes parus en 1984 (article d’Adeline DAUMARD sur les généalogies sociales) et dans une moindre mesure 1998 et 2000.
Dans le même ordre d’idées, voir aussi les recherches et publications du Centre d’Études démographiques (CED), crée en 1995, sous la direction de Guy BRUNET, Université de Lyon II, à vocation interdisciplinaire, mais dont l’un des thèmes de recherche porte sur l’histoire sociale de la famille et des comportements familiaux des systèmes démographiques du passé, le choix du conjoint, le patronyme).
2. Jean RIOUFOL et Françoise RICO, Le notariat, PUF, Que sais-je ?, 1979, mise à jour 2004, p. 7.
Sur le notariat voir aussi M. F. LIMON, Notaires, Dictionnaire de l’Ancien Régime, publié sous la direction de Lucien BELY, Paris, PUF, 1996, p. 901-906.
– A. MOREAU, Les métamorphoses du scribe. Histoire du notariat français, Perpignan, SOCAPRESS, 1989. Idem, La fonction notariale. Nature / Évolution (1788-1990), Perpignan, SOCAPRESS, 1991.
– J. P. POISSON, L’étude du notaire. Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre NORA, Tome III, Paris, Gallimard, 1992. Idem, « Préalables à l’étude historique des actes notariés : observations du praticien », in Histoire sociale et actes notariés. Problèmes de méthodologie, Toulouse, PUM, PIEP, 1989, p. 19.
3. Jean-Louis LAFFONT, « Le visage testamentaire de la famille à l’époque moderne en pays de doit écrit – réflexions méthodologiques critiques », in Famille et familles dans la France méridionale à l’époque modeme, Actes du colloque de 1991, UPV, 1992.
4. René JETTE, La généalogie 1991 (préface de Jacques DUPAQUIER) p. 465.
5. Jean RIOUFOL et Françoise RICO, op. cit., p. 13-14.
6. Voir Gildas BERNARD Guide de recherches sur l’histoire des familles, 1981, chapitre IV, Fonds notariaux, p. 61-72 ; chapitre. V, Fonds de l’enregistrement et des hypothèques.
7. ADH, II E 4 Aniane), II E 34-35 (Ganges), II E 39 (Clermont-l’Hérault, Lodève), II E 55 à II E 62 ( Montpellier), II E 63 (Montpeyroux), II E 77 (Saint-Jean-de-Buèges), II E 81 (Saint-Bauzille-de-Putois), ADH II E 49-50 (Mèze).
8. Jean Louis VAYSSETTE, Les potiers de terre de Saint-Jean-de-Fos, 1987, p. 14.
9. ADH II E 63/11, II E 63/26, II E 63/59.
10. ADH II E 63/76, 11 E 63/87.
11. ADH II E 63/116.
12. ADH II E 69/10.
13. ADH II E 60/63.
14. ADH II E 57/137.
15. ADH II E 4/102 ; II E 63/173 ; II E 63/202.
16. ADH II E 63/173.
17. ADH II E 63/181 et 182.
18. ADH II E 63/185 (pour l’achat) ; II E 77/18 (pour la vente).
19. ADH II E 63/197 (1626) et ADH II E 63/187 (1638).
20. ADH II E 63/217.
21. ADH II E35/106.
22. ADH II E 68/2 et ADH II E 63/133 II E 68/131.
23. Jean RIOUFOL et Françoise RICO, op. cit. p. 14
24. ADH II E 63/150.
25. ADH II E 4 C 721 et 4 C 725 ; 3 Q 602.
26. ADH II E 77/187 ; II E 35/106.
27. ADH II E 59/192. Inventaire après décès des meubles et effets mobiliers, se trouvant dans le logement de Marie Pradel, maison Montclar, rue de la Coquille (Maître Cavalier, 15 octobre 1852).
28. ADH II E 39/66.
29. ADH II E 63/76 et ADH II E 63/87.
30. ADH II E 37/197.
31. ADH II E 81/1. Étude de Maître Causse.
32. ADH II E 63/384.
33. ADH II E 63/76.
34. Elie PÉLAQUIER, op. cit.
35. ADH II E 63/124.
36. ADH II E 63/197.
37. ADH II E 77/81.
38. ADH II E37/174 et II E 4/200.
39. René JETTE, op. cit., p 465.
40. ADH II E 63/122.
41. ADH II E 63/243.
42. ADH II E 59/97.
43. ADH II E 62/245.
44. ADH II E 63/191.
45. Henri MICHEL, Les fortunes montpelliéraines au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise, 1961. Histoire de Montpellier, sous la direction de Gérard CHOLVY, Privat, 1985, p. 205.
46. ADH II E 4/197 ; II E 4/480 ; II E 4/212.
47. ADH II E 63/342 ; II E 63/357 ; II E 59/97.
48. ADH II E 57/81 et ADH II E 59/77.
49. ADH II E 62/299 ; II E 59/133 ; II E 59/144.
50. ADH II E 57/313 ; II E 62/245 ; II E 62/275.
51. ADH II E 49/22 ; II E 50/14 ; II E 49/34.
52. ADH C 85I C 867.
53. ADH II E 57/616.
54. ADH II E 57/665 ; II E 57/656 ; II E 57/666 ; II E 58/142.
55. AD Lozère III E 4423 et III E 6333.
56. AD Lozère III E 6220.
57. AD Lozère III E 6233.
58. Jean RIOUFOL et Françoise RICO, op. cit., p. 15 et 16.
59. Voir Gildas BERNARD, op. cit., p. 61.
60. Pour la Lozère, voir le répertoire numérique de la sous-série 30, enregistrement et timbre, 1791-1972, précédé d’une introduction historique sur l’enregistrement en Lozère, dressé par Alain LAURANS, attaché de conservation du patrimoine, sous la direction de Benoît PEDRETFI, conservateur du patrimoine, directeur des archives départementales de la Lozère, Mende, 2004.
61. Jean RIOUFOL et Françoise RICO, op. cit., p. 19.
62. Raymond DUGRAND, La région méditerranéenne, PUF, 1967, p 51.
63. ADH II E49/182.
64. ADH II E 50/63.
65. ADH II E 50/65 ; II E 50/66 ; 11 E 49/202 et ADH II E 50/97, 98, 99, 100, 101. 3 Q 2008.
66. ADH 3 Q 8012 et Q 8016.
67. ADH II E49/206.
68. ADH II E50/77 ; II E49/217 ; II E 50/88.
69. ADH II E 49/227.
70. ADH II E 50/81.
71. ADH II E 50/80.
72. AD Lozère 3 Q 2741.
73. ADH II E 49/207.
74. ADH II E 49/227.
75. ADH II E 49/228.
76. ADH II E 73/198.
77. ADH 3 Q Successions, 1842, n° du sommier douteux 125.
78. ADH 3 Q 8169.
79. ADH 3 Q 8191.
80. ADH II E 49/223.
81. ADH 3 Q 8189.
82. ADH 3 Q 8214.
83. ADH 3 Q 8190.
84. AD Lozère 3 Q 2741.
85. Étude de Maître Bresson, notaire à Langogne, 29 juin 1885, archives privées.
86. ADH II E 59/133.
87. ADH II E 59/177.
88. ADH II E 50/65.
89. Étude de Maître Bresson, notaire à Langogne, 5 août 1891.
90. Étude de Maître Dehan, notaire à Mèze.
91. ADH II E 73/198 II E 50/6511 E 50/75.
92. AD Lozère 4E 80/26 3 Q 2454.
93. ADH II E 58/315 II E 56/705 II E 61/274.
94. Archives privées et ADH II E 49/222.
95. Dossier militaire du général Reyes, Service historique des armées, Vincennes, dossier 1126, G b /3. Étude de Maître Franck, notaire, Alger, 11 novembre 1874.
96. La faillite Reynes, archives privées.
97. Jean RIOUFOL, Françoise RICO, op. cit., p. 19-20.
98. Étude de Maître Vinas, notaire à Poussan, 11 mars 1935.
99. Étude de Maître Séverac, notaire à Mèze, 13 juin 1927.
100. Étude de Maître Cabassut, notaire à Mèze, 21 novembre 1943.
101. Succession Édouard Bessier, archives privées et ADH 3 Q 8252.
102. Archives privées.
103. Archives privées.