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Description
Le verd-de-gris ou Verdet à Montpellier :
une traçabilité globale au XVIIIe siècle
* Ingénieur agronome – Économiste
Le Verdet ou vert-de-gris est une substance chimique dérivée du cuivre. Connu depuis l’Antiquité, ce poison revêt un intérêt thérapeutique ancien. Guy de Chauliac (1298-1368) le mentionne dans son traité de chirurgie ; au XVIIIe siècle, il entre dans la pharmacopée de l’Université de Montpellier. Sa production se développe, dans cette ville, pour satisfaire la diversification de la demande internationale en adjuvant de peinture et en teinture. En situation de quasi-monopole, Montpellier rationalise ses procédés techniques et impulse une commercialisation rigoureuse pour pérenniser une économie florissante à l’échelle européenne. A son tour, le pouvoir royal intervient juridiquement par ses Arrêts et Ordonnances, mettant ainsi cette filière sous sa tutelle, via ses Intendants et Inspecteurs locaux. Ainsi, au XVIIIe siècle, se construit un système de traçabilité sur la qualité depuis les matières premières requises jusqu’à l’acheteur final étranger. Cette innovation institutionnelle, prémisses des appellations d’origine, est à l’actif de cette industrie chimique de Montpellier, disparue au XXe siècle.
The Verdet or verdigris is a chemical substance derived from copper. Known since Antiquity, this poison has been of therapeutic interest for a long time. Guy de Chauliac (1298-1368) mentions it in his treatise on surgery ; In XVIII Century, it was introduced into the pharmacopoeia of Montpellier university. The production of verdigris developed in Montpellier in response to the diversification of international demand as an additive to paint and dye. In a quasi monopoly situation, Montpellier rationalized its technical procedures and boosted a rigorous commercialization in order to maintain a flourishing economy on an European scale. In turn, the Royal authority intervened via Warrants and Orders, putting this sector under the control of its Stewards and Inspectors. Thus in XVIII Century a system of quality traceability developed from the necessary raw materials through to the final foreign buyer. This major institutional innovation, the first steps towards what is now known as Appellation d’Origine (or Designation of Origin), is thanks to this chemical industry in Montpellier, that disappeared in XX Century.
Lo verdet o “verd de gris” es una substància química derivada del coire. Conegut dempuèi l’Antiquitat, aquel poison es cargat, fa plan temps, d’un interés terapeutic. Gui de Chauliac (1298-1368) ne parla dins son tractat de cirurgia ; Al sègle XVIII, fa son intrada dins la farmacopea de l’Universitat de Montpelhièr. Sa produccion se desvolopa, dins aquela ciutat, per complir la diversificacion de la demanda internacionala en adjuvant de pintura e en tintura. En posición de quasimonopòli, Montpelhièr racionaliza sos procediments tecnics e baila un vam a una comercialización rigorosa per perennizar una economía que fasiá flòri al nivèl europèu. A la sieuna ora, lo poder reial interven sul plan juridic amb sos Arrèstes e Ordonanças, pausant aital aquela filièra jos sa tutèla via sos intendants e inspectors locals. Aital, al sègle XVIII, se bastís un sistema de traçabilitat sus la qualitat, dempuèi las primièras matèrias requesidas entrò al final compraire estrangièr. Aquela innovacion institucionala, premissas de las apellacions contrarotladas, es a l’actiu d’aquela industria quimica de Montpelhièr, desapareguda al sègle XX.
Au XVIIIe siècle, le Languedoc viticole produit des vins et des eaux-de-vie destinés à l’exportation mais aussi une substance chimique dérivée et très recherchée en Europe, le verd-de-gris ou verdet. Cette spécialité de Montpellier depuis le Moyen Age est en relation avec le développement de son Université de médecine. Sa technique d’élaboration a été largement décrite, bénéficie d’une réelle innovation commerciale sur un marché entièrement internationalisé au niveau de l’Europe. Cet article se propose d’analyser un système de traçabilité administrative particulièrement élaboré dont l’intérêt historique repose sur sa modernité et sa rigoureuse cohérence. En effet, les acheteurs étrangers et les utilisateurs, teinturiers et peintres, mais aussi les chirurgiens et médecins, exigent un niveau de qualité et de pureté inhabituel à cette époque. Car il s’agit de valoriser pleinement les propriétés tinctoriales et médicinales, justifiant par ailleurs son prix relativement élevé. L’intervention politique, tant au niveau local que royal, est très volontariste pour assurer la pérennité de cette production et la défense de sa réputation, base de la confiance commerciale.
Toutefois, les instances officielles de la Province sont confrontées aux limites inhérentes aux possibilités réelles des contrôles. Malgré la surveillance des Brigades au service des Fermiers de la Province, les moyens sur le terrain de l’Inspecteur des Manufactures sont insuffisants pour éviter les abus et les falsifications; d’où une multitude de litiges, d’abus qui seront ensuite décrits, montrant par là même la ferme volonté de disposer d’un système technico-économique performant au plan international. Les flux d’exportation traduisent bien l’efficacité de ce système de traçabilité globale tout au long du XVIIIe siècle.
Le verd-le-gris ou verdet : définition et usages
Le verd-de-gris est une mince pellicule recouvrant les toits en cuivre de certains monuments ou entourant des tubes de cuivre corrodés. Ingéré, il est jugé dangereux pour la santé. Sa couleur d’un vert typique et sa toxicité le rendent intéressant depuis l’Antiquité, en particulier à des fins chirurgicales et médicinales. Comme produit, il est appelé verdet. Sa fabrication repose sur le raclage d’une plaque de cuivre attaquée par le vin acidifié (vinaigre). Le verd-de-gris est identifié par sa couleur, son odeur, et par sa nocivité pour l’homme. Au XVIIe siècle, le chimiste allemand Ettmuller (1644-1683), puis Macquer (1718-1784) au XVIIIe siècle, donnent une définition scientifique de cette action corrosive : c’est un acétate de cuivre résultant de l’action d’un acide, ici l’acide acétique du vin obtenu dans les pots fermés, sur le cuivre. Au XVIIIe siècle, cette poudre n’est pas toujours très pure et contient des déchets de diverses origines y compris des morceaux de cuivre, appelé vulgairement pessilhoux.
Etttmuller signale son emploi en chirurgie, pour un usage externe : « il fait ordinairement la base de l’onguent Egyptiac, de l’onguent lildanus, &c. qui ont lieu dans les ulcères caroétiques et dangereux. Il entre dans les eaux vertes qu’on compose pour les ulcères scorbutiques, éroliques &c. »
M. Montet (1722-1782), maître apothicaire et membre de la Société Royale des Sciences de Montpellier, précise ses usages dans l’Encyclopédie de Diderot – d’Alembert (1751-1772). Les médecins et pharmaciens de Montpellier, ville ayant disposé d’une des premières universités de médecine et de pharmacie d’Europe, tirent un large profit du pouvoir bactéricide de cette poudre pour cautériser des plaies : « L’emploi du verd-de-gris qu’on prépare à Montpellier se borne pour l’usage de la Médecine à l’extérieur ; les Chirurgiens s’en servent quelquefois comme d’un escarotique pour manger les chairs qui débordent & qui sont calleuses, en en saupoudrant la partie malade. Dans ce cas il faut que le verdet soit bien sec & réduit en poudre pour qu’il agisse, ayant perdu alors toute son eau surabondante : on l’emploie encore avec succès dans des collyres officinaux pour les yeux. » Il entre dans la composition d’autres traitements, « dans le collyre de Lanfranc, dans le baume verd de Metz, dans l’onguent égyptiac & des apôtres, & dans les emplâtres divins & manus Dei. » […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2017 |
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Nombre de pages | 15 |
Auteur(s) | Jean-Claude MARTIN |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |