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Description

Pour une sociologie des institutions scientifiques locales
Le cas de l’Institut de chimie de Montpellier (1889-1957)

Tenter de mettre en perspective le social et le scientifique n’est pas original. Il existe une tradition de sociologie des sciences reconnue dans notre discipline. Mettre en relation société et chimie ne l’est pas davantage malgré l’apparente précision de l’objet. Que ce soit dans la littérature romanesque ou bien autobiographique où respectivement Balzac et Lévi nous offrent des exemples intéressants ou bien encore, et tout naturellement, dans la sociologie ou l’« histoire sociale » des sciences. Ces dernières disciplines ont montré d’abord par l’étude des polémiques, notamment celle qui opposait Pouchet à Pasteur, mais aussi par la réalisation de biographies critiques, notamment celle de Berthelot, tout l’intérêt qu’il y avait à considérer cet angle de vue.

Pour ce qui est du premier cas, il s’agit d’une controverse autour des théories de la génération spontanée au XIXe siècle qui oppose un médecin et un chimiste. Selon Farley et Geison, « Les comptes rendus traditionnels de ce débat ont porté presque exclusivement sur les problèmes expérimentaux qui opposèrent les combattants. Cette approche laisse, à notre avis, dans l’ombre l’importance considérable des aspects extra-scientifiques et politiques du débat ». « D’une façon plus générale, nous croyons qu’en réexaminant le débat Pasteur-Pouchet, nous révélerons l’influence directe de facteurs extrinsèques sur le contenu conceptuel des sciences reconnues ».

L’étude de la polémique montre qu’effectivement le contexte politique et religieux d’abord, la bonne estime et la protection de la part des élites scientifiques ensuite et la composition des deux commissions chargées par l’Académie des sciences de trancher la question ne sont pas neutres et pèsent plus que l’examen rigoureux des procédures expérimentales. En effet, le débat se déroule alors qu’en réaction à l’expérience révolutionnaire de 1848 l’Etat et l’Eglise s’allient contre le républicanisme et l’athéisme. Or il se trouve que Pasteur « avait l’avantage d’être au service des préjugés du parti de l’ordre et des intérêts de la théologie » puis « en complet accord avec l’orthodoxie régnante du Second empire ». Sur le plan scientifique, il bénéficie d’abord du prestige posthume de Cuvier (le vainqueur de la première polémique autour de la génération spontanée sous le Premier empire) au moment où « l’élite scientifique française déployait une énergie considérable pour réfuter les thèses darwinistes, en se basant précisément sur le rejet de la génération spontanée » et ensuite de l’aide de chimistes influents tels que Balard et Dumas qui, en haut lieux, soutiennent « depuis longtemps les intérêts de Pasteur », Enfin, les commissions de l’Académie des sciences sont unanimement acquises à Pasteur. On y compte des disciples de Cuvier mais aussi Dumas et plus surprenant Balard qui « avait joué un rôle important dans les travaux de Pasteur contre la génération spontanée puisque c’est lui qui avait suggéré è ce dernier les fameuses expériences des ballons à col de cygne ».

Quant aux protocoles expérimentaux « durant toute la controverse sur la génération spontanée, Pasteur qualifia de «  ratées  » presque toutes les expériences – y compris les siennes – au cours desquelles la vie apparaissait mystérieusement, et de «  réussies  » toutes celles qui aboutissaient au résultat inverse ». Enfin Pasteur néglige « l’un des principes considérés comme fondamentaux de la «  méthode expérimentale  » – à savoir l’obligation de «  démontrer la fausseté  » des expériences de son adversaire » sans « qu’aucun membre de la commission n’ait relevé cette violation » !

Pour ce qui est du deuxième cas, Jacques déconstruit méthodiquement le mythe institué à la gloire de Berthelot à la lumière de ses carrières scientifique, institutionnelle puis politique. Celles-ci sont d’ailleurs le reflet d’une époque : la Troisième république et du positivisme ou « scientisme » ambiant. « Si le mythe de Berthelot n’est ni le premier ni le seul de ce genre dans l’histoire des sciences et dans l’histoire de la sociologie des sciences, il n’en reste pas moins un des plus persistants et des mieux construits. Ne renouvelle-t-il pas en effet, cette créature qui répond sans doute à un besoin de société et qui, multiplié, banalisé, se trouve aujourd’hui sous les traits de la vedette de notre environnement quotidien ? Mais du même coup, ce processus original devient passionnant, dès lors qu’on cherche à comprendre les conditions de son aboutissement, la pratique médiatique qu’elle inaugure, le savoir-faire et le faire-connaître dont il jette les fondements. Analysé sous le bon angle, il nous révèle le mécanisme de l’accumulation de prestige qui est à l’origine de ce qu’on a appelé l’effet Saint-Matthieu. « On donnera à celui qui à, et il sera dans l’abondance ; quant à celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a » (Mt. XXV 29). En termes moins évangéliques, dans le domaine des sciences, ce prêt qu’on ne fait qu’aux riches veut dire qu’on grossira les mérites des savants déjà connus et qu’on oubliera encore plus ceux qui n’ont pas encore mérité la notoriété. Le sociologue Robert K. Merton qui a donné un nom à cet intéressant phénomène l’a surtout illustré par des exemples modernes. Celui de Berthelot, jusqu’ici moins étudié, mériterait pourtant d’être considéré comme un classique ». Jacques montre notamment comment ce scientifique se sert de tout son poids institutionnel et politique pour d’une part imposer dans l’enseignement officiel… […]

Informations complémentaires

Année de publication

2001

Nombre de pages

14

Auteur(s)

Jean-Paul LAURENS

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf