Note sur une faïence montpelliéraine
conservée dans les collections du château de Montrottier (Haute-Savoie)

* Attaché de conservation du patrimoine ;
Adjoint au directeur des Archives départementales de Haute-Savoie.

Membre effectif de l’Académie Florimontane ;
membre de son comité, en charge des collections de Montrottier.

[ Texte intégral ]

Le château de Montrottier, situé sur la commune de Lovagny (Haute-Savoie), conserve de riches collections. Elles furent essentiellement rassemblées entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle par Léon Marès, né à Montpellier en 1854. Elles constituent aujourd’hui un précieux témoignage du goût éclectique des collectionneurs de l’époque et bénéficient de l’appellation « Musée de France » depuis le 17 septembre 2003. Léon Marès reçoit, en 1906, le domaine de Montrottier à la suite du décès de sa sœur Marie-Louise, veuve de Georges Frèrejean 1. En 1916, Léon Marès, à sa mort, lègue cette propriété à l’Académie florimontane d’Annecy 2, à condition que les collections restent en l’état, que le château soit ouvert à la visite, que lui-même soit inhumé dans son domaine et qu’une messe soit célébrée chaque année en sa mémoire et celle de sa famille. C’est ce à quoi s’emploie encore aujourd’hui la Florimontane.

Afin de rendre hommage à Jean Nougaret avec qui nous avions tissé des liens professionnels 3, puis amicaux, nous avons choisi de présenter une faïence conservée dans les collections de Léon Marès 4. Ce choix s’explique aussi parce que Jean Nougaret a largement contribué, par ses études de portraits de plusieurs membres de la famille Marès 5, à la diffusion et au rayonnement de l’histoire héraultaise (fig. 1).

Plat en faïence. Académie florimontane, n° inv. 2 459
Fig. 1 - Plat en faïence. Académie florimontane, n° inv. 2 459

Les origines montpelliéraines de Léon Marès

Ce collectionneur est issu de deux familles montpelliéraines d’importance au XIXe siècle 6.

La famille Marès dirige un important domaine viticole, le domaine de Launac à Fabrègues. Parmi les oncles du collectionneur, Henri Marès se distingue particulièrement par ses travaux sur les cépages du Languedoc et la découverte du traitement de l’oïdium 7. Un autre, Paul Marès, installé en Algérie, mène des études de botanique, de topographie, de zoologie et figure parmi les pionniers de la photographie 8. Le frère du mari de la tante de Léon Marès, Georges-Marie-Gustave d’Albenas, joue un rôle important dans la vie culturelle locale : il devient en 1902 conservateur du musée Fabre.

Le père du collectionneur acquiert la propriété du Rouquet à Saint-Gély-du-Fesc où il pratique la viticulture et l’élevage de vers à soie ; il est maire de cette commune de 1871 à 1878. Quant à la grand-mère du collectionneur, Louise Marès 9 – née Bidreman –, elle tient un salon fréquenté par la société montpelliéraine : elle y accueille des artistes, des archéologues et des savants, parmi lesquels Alexandre Cabanel, les frères Bonaventure et Jules Laurens, Théodore Richard ou encore Jules Renouvier 10.

La famille maternelle de Léon Marès s’illustre, elle, par de nombreux savants, notamment Étienne Bérard, préparateur de Jean-Antoine Chaptal 11, qui contribue, avec ce dernier, à la direction d’une usine de produits chimiques au domaine de La Paille, dans les faubourgs de Montpellier.

La fortune héritée de sa famille – dont des membres entretenaient des relations avec des artistes – permet donc à Léon Marès, de rassembler des collections, suivant la prédilection et l’esprit que partagent certains de ses riches contemporains. Il s’approvisionne chez des marchands annéciens, lyonnais et montpelliérains pour enrichir ses collections, comme auprès de la boutique d’ameublement ancien et de style « Au chevalier », installée 5 rue Jacques-Cœur à Montpellier, dirigée par C. Gély.

Une vue de Montpellier sur un plat en faïence

Parmi les centaines de céramiques de diverses provenances rassemblées par Léon Marès, se trouve un plat ovale en faïence 12, avec un décor polychrome en manganèse et ocre sur fond blanc. Sur ce plat figure une vue de Montpellier. La singularité de cette représentation est qu’elle reprend le motif d’une des lithographies de Camaret 13 éditée par Donnadieu 14 en 1830 : (Vues de Montpellier) La Ville (côté du Sud). Cette date est d’ailleurs reprise sur le plat, qui porte la mention « Montpellier ff 1830 » ; cette pièce de faïence est donc postérieure à la publication de la lithographie ; toutefois, à cette date, les dernières faïenceries montpelliéraines ont fermé leurs portes.

Cette lithographie appartient à une série de douze 15, intitulées « Vues de Montpellier », publiée en trois livraisons et déposée au titre du Dépôt légal à la Bibliothèque nationale en 1832. Les Mélanges Occitaniques parus en 1831 annoncent la parution de cette collection des vues de Montpellier et le prix de la souscription : la collection se compose de trois livraisons et chaque livraison comporte quatre dessins. L’avis précise que cet ouvrage « désiré depuis si longtemps par les amateurs, ne laissera rien à désirer, tant pour le fini du dessin, que pour la beauté de l’impression » 16 (fig. 2). D’après Jean-Louis Vayssettes, cette faïence, qui n’avait pas fait l’objet jusque-là d’une attribution particulière, pourrait finalement être à rattacher aux productions de Fontcarrade 17, atelier fondé à l’aube du XXe siècle.

Ce plat confirme la diversité et l’intérêt des collections conservées au château de Montrottier, parmi lesquelles figurent des objets d’origines méridionale et héraultaise, dont la présence en Haute-Savoie peut intriguer au premier abord. Certaines de ces collections méritent encore d’être mieux connues, en bénéficiant des connaissances de spécialistes.

Jean Nougaret avait travaillé en ce sens par sa contribution relative à deux œuvres inédites d’Alexandre Cabanel, conservées à Montrottier 18, représentant des membres de la famille du collectionneur Léon Marès : un portrait de son père et un dessin préparatoire au portrait de sa grand-mère Louise Marès conservé au musée Fabre.

Lithographie de Camaret (dessinateur) et Donnadieu (graveur, éditeur) représentant La Ville de Montpellier
Fig. 2 - Lithographie de Camaret (dessinateur) et Donnadieu (graveur, éditeur) représentant La Ville, côté du Sud. Musée du Vieux Montpellier, n° inv. 2011.0.110

NOTES

2. Cette famille de fondeurs et d’industriels acquiert, à la Révolution française, des morceaux de la statue équestre de Louis XIV de la place du Peyrou à Montpellier. Voir : Coppier, Julien, « À l’épreuve de l’histoire : la destruction de la statue équestre de Louis XIV à Montpellier (2 octobre 1792) », Études héraultaises, 43, 2013, p. 103-107.

2. Cette société savante est fondée en 1606-1607 à Annecy par François de Sales, évêque de Genève en résidence à Annecy, et Antoine Favre, président du conseil de Genevois. Pierre Fenouillet, fils d’un syndic d’Annecy, en fut membre. En 1607, il devient évêque de Montpellier ; il fait construire un monastère de la Visitation – ordre fondé par François de Sales et Jeanne de Chantal en 1610 – sur le modèle de celui d’Annecy. Après une période d’interruption, l’Association florimontane est refondée en 1851. Elle publie depuis, chaque année, ses travaux dans La Revue savoisienne.

3. Jean Nougaret nous avait proposé d’accueillir deux de nos articles au sein des Études héraultaises, en 2013 et 2014.

4. Léon Marès, dans ses collections qui mêlent mobilier, armes et objets maçonniques, œuvres graphiques, objets exotiques et orientaux ou encore collections archéologiques, rassemble à Montrottier des objets d’origine héraultaise et montpelliéraine. Sur ces collections, voir : Coppier, Julien, « Léon Marès (1854-1916) : éclairages sur un collectionneur à partir de documents inédits », Revue savoisienne, 151e année, 2011, p. 331-360.

5. Jean Nougaret consacre son diplôme d’études supérieures (DES) à Alexandre Cabanel. Voir aussi : Nougaret, Jean, « De Figuerolles au parc Monceau : Alexandre Cabanel », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, n. s., 40, 2010, p. 145-164. Il contribue au catalogue de l’exposition réalisée en 2010 par le musée Fabre : Amic, Sylvain et Hilaire, Michel (dir.), Alexandre Cabanel (1823-1889), la tradition du beau, Montpellier, 2010, 504 p. Alexandre Cabanel, outre le portrait de Louise Marès, réalise plusieurs portraits de cette famille : Henri en 1839, Léon – le père du collectionneur – et Louise Marès en 1851, et à nouveau Henri en 1853 : Amic, Sylvain et Hilaire, Michel (dir.), op. cit., p. 452, 454-455.

6. Cette synthèse est tirée de Coppier, Julien, « Léon Marès (1854-1916), propriétaire du domaine de Montrottier : éclairages sur une personnalité à partir de documents inédits », Revue savoisienne, 150e année, 2010, p. 181-215.

7. Dumond, Lionel, « L’olivier dans l’Hérault à l’âge d’or de la viticulture : les observations d’Henri Marès, 1840-1870 », L’olivier dans l’Europe méditerranéenne de l’Antiquité à nos jours, Liame, 20, juillet-décembre 2007 [publication 2010], p. 199-216. Voir aussi : Legros, Jean-Paul et Argelès, Jean, « Henri Marès (1820-1901), vainqueur de l’Oïdium », Études héraultaises, 30-32, Montpellier, 1999-2001, p. 183-190.

8. Aubenas, Sylvie et Roubert, Paul-Louis, Primitifs de la photographie. Le calotype en France 1843-1860, Paris, 2010, p. 292. Voir aussi : Denhez, Annie-Dominique, « La photographie à Montpellier à ses débuts », Études héraultaises, 28-29, Montpellier, 1997-1998, p. 143-150.

9. Son portrait par Alexandre Cabanel, bel exemple des portraits féminins dans lesquels cet artiste excelle, est conservé au musée Fabre, n° inv. 884.2.1 (105,3 x 90,2 cm). Jean Nougaret lui avait d’ailleurs consacré une notice : Amic, Sylvain et Hilaire, Michel, op. cit., p. 165.

10. Andréani, Roland, « Les Renouvier dans la société montpelliéraine (1790-1863) », Études héraultaises, 30-32, Montpellier, 1999-2001, p. 331-336.

11. Lavabre-Bertrand, Thierry, « Jean-Antoine Chaptal », Akadémos, Conférence nationale des Académies des Sciences, Lettres et Arts et tricentenaire de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, Paris, 2007, p. 163-179. Voir aussi Dulieu, Louis, « Jean-Antoine Chaptal et la fabrique des produits chimiques de La Paille », Actes du 110e congrès national des sociétés savantes (Montpellier 1985), Paris, 1985, p. 171-175. Dulieu, Louis, « Le chimiste Étienne Bérard, trésorier de l’École de Pharmacie de Montpellier (1764-1839) », Revue d’histoire de la Pharmacie, Paris, 1950, p. 40-44. Bérard figure parmi ceux qui manifestent les premiers un intérêt pour la photographie : voir Denhez, Annie-Dominique, op. cit., p. 144.

12. Académie florimontane, n° inv. 2 459 (42 cm de longueur x 28 cm de largeur). Ce plat est présenté au musée Fabre lors de l’exposition, sous la direction de Jean Thuile et Jean Claparède, sur la faïence de Montpellier en juin-juillet 1962.

13. Dessinateur-lithographe qui travaille en 1832 à Montpellier et ensuite à Paris : Adhémar, Jean, Inventaire du fonds français après 1800, tome 4, Paris, BnF – département des estampes, 1949, p. 25.

14. La famille Donnadieu est une dynastie de graveurs montpelliérains ; elle compte notamment Jean-Joseph Donnadieu, Guillaume-Joseph Donnadieu et le fils de ce dernier, Alexandre-Léon Donnadieu né à Montpellier le 8 juillet 1831, Arch. dép. Hérault, 3 E 177/91, n° 675. Le Dictionnaire de biographie héraultaise précise que Jean-Léon Donnadieu, imprimeur-lithographe à Montpellier, Grand-rue, actif en 1856, a réalisé de nombreuses planches pour des ouvrages parus à Montpellier dans la première moitié du XIXe siècle. Sur Alexandre-Léon Donnadieu, graveur puis dessinateur lithographe, voir : Adhémar, Jean et Lethève, Jacques, Inventaire du fonds français après 1800, tome 6, Paris, BnF – département des estampes, 1953, p. 621. Voir aussi le Dictionnaire des imprimeurs-lithographes rédigé par Corinne Bouquin à partir des fonds des Archives nationales (F18 1756), accessible en ligne, http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/ node/22230 (consultation le 15 novembre 2015).

15. La ville (côté du Nord), 2e livraison, n° 4 ; La ville (côté du Sud), 3e l., n° 4 ; L’aqueduc, 1ère l., n° 1 ; Le Pont-Juvénal, 3e l., n° 3 ; Porte du Peyrou, 1ère l., n° 3 ; La Préfecture, 3e l., n° 2 ; Place de l’Hôtel de ville, 2e l., n° 3 ; Place neuve, 2e l., n° 2 ; Place de la Comédie, 1ère l., n° 2 ; Saint-Pierre et l’École de médecine, 3e l., n° 1 ; Saint-Côme, 1ère l., n° 4 ; Le Château d’eau, 2e l., n°1. Merci à mesdames Feuillas et Persegol, des Archives municipales de Montpellier, pour avoir facilité la reproduction de cette gravure.

16. Sur papier de Chine : 18 fr. Sur ¼ grand colombier, superfin vélin d’Annonay : 10 fr. : Mélanges Occitaniques, recueil politique, religieux, philosophique et littéraire, t. 3, Montpellier, 1831, p. 368.

17. Jean Nougaret nous avait mis en contact avec Jean-Louis Vayssettes avec qui nous avons échangé par courriel au cours du dernier trimestre 2012.

18. Jean Nougaret nous avait fait l’amitié de se charger de cet article, Nougaret, Jean, « Note sur deux œuvres d’Alexandre Cabanel conservées au château de Montrottier », Revue savoisienne, Annecy, 151e année, 2011, p. 361-366.