Henri Marès (1820-1901) Vainqueur de l’Oïdium

* INRA-ENSA.M, place Viala, 34060 Montpellier cedex 1.

Henri Marès est né le 18 janvier 1820 à Chalon-sur-Saône. Il est mort à Launac, dans l’Hérault, le 9 mai 1901. Ingénieur à l’Ecole centrale mais aussi agronome, il gagna la reconnaissance du Midi en établissant le protocole du soufrage des vignes contre l’oïdium. Pour cela, il reçut l’un des deux grands prix de l’Agriculture décernés par le jury international de l’Exposition Universelle de 1867. L’autre prix fut attribué à Pasteur. Les deux hommes devinrent amis. Marès fut aussi membre correspondant de l’Académie des sciences et de l’Académie d’agriculture.

Les étapes de la vie d'Henri Marès

Le père de l’homme qui nous intéresse ici s’appelait Étienne Marés. Il était négociant en vin. Au début du XIXe siècle, il avait acquis le château de Launac, dans l’Hérault, à 12 km de Montpellier sur la route de Béziers, un peu après le village de Fabrègues. La propriété de Launac représentait 72 ha de vignes taillées en gobelet et plantées au carré à la densité de 4 444 souches à l’ha. Plusieurs enfants scellèrent l’union d’Étienne Marès avec Louise Bidreman. Parmi eux, Pierre-Louis-Henri Marès naquit le 18 janvier 1820 alors que ses parents étaient établis provisoirement à Chalon-sur-Saône. Le jeune Henri (c’est son prénom usuel) se révéla très vite d’une vive intelligence. Il fréquenta différents établissements dont le lycée de Montpellier puis fut reçu, à Paris en 1840, à l’École centrale des Arts et Manufactures. Là, il fut l’élève de professeurs éminents dont Jean-Baptiste Dumas, célèbre chimiste et membre de l’Académie des sciences. Sans doute grâce à Dumas, il entra en relation avec le baron Thénard et avec Balard. En 1843, il sortit de l’École centrale comme major de sa promotion. En 1844 et 1845, il travailla à Paris dans le laboratoire de Pelouze. Là il rencontra Gerhardt et Péligot. Une belle carrière aurait pu l’attendre dans l’industrie. Mais, son père étant mort quelques années plus tôt, Henri décida de retourner dans le Midi pour diriger la propriété familiale.

Héritier d’une famille connue, auréolé de son titre d’ingénieur d’une grande école, il est admis comme membre de la Société Centrale d’Agriculture de l’Hérault (SCAH), le 15 avril 1844. L’institution n’était pas médiocre. Fondée en 1799, sous le nom de Société libre d’agriculture, elle avait compté, dès ses débuts, des membres prestigieux, en particulier Chaptal, professeur à l’École de médecine et membre de l’Institut. Quelques années plus tard, en 1837, Antoine-Jérôme Balard, pharmacien et chimiste, rejoignait la société. Balard avait découvert le brome en 1826 et réussira, en 1845, à extraire la soude et la potasse de l’eau de mer. Il continuera sa carrière à Paris comme professeur au Collège de France et membre de l’Académie des sciences. D’autres noms mériteraient aussi mention, tel Planchon (Boulaine et Legros, 1998)…

Mais revenons à Marés qui prépare alors une licence de science physique. En 1846, il réalise un voyage à la mode chez les agronomes de son temps il se rend en Allemagne pour rencontre Thaër et visiter son Institut agronomique.

On sait peu de choses sur la personnalité de Marès. Son écriture était fine, régulière, penchée, avec une jolie calligraphie. Pourtant Pasteur signale à Jean-Baptiste Dumas, en lui transmettant une communication que Marès souhaite présenter à l’Académie des sciences : « Je vous serais fort obligé de vouloir bien vous charger de relire l’épreuve, car M. Marès n’est pas toujours très lisible. Des erreurs pourraient se glisser dans la composition ».

A la SCAH, Marès est un membre particulièrement actif, multipliant les interventions et les communications sur toutes sortes de sujets. En 1845, il est nommé secrétaire adjoint et, en 1847, secrétaire en titre. Peu de temps avant, il était entré comme membre fondateur de l’Académie de Montpellier nouvellement reconstituée.

Mais c’est surtout dans la lutte contre l’oïdium qu’il va s’illustrer. En 1854, il met au point la technique du traitement des vignes par soufrage à sec. Le succès est éclatant; Henri Marès atteint la célébrité. Il a 34 ans. En 1856, il est nommé membre associé de la Société nationale d’agriculture (section d’économie rurale). La même année, le 15 décembre, il devient secrétaire perpétuel de la SCAH et occupera ce poste jusqu’à sa mort en 1901. Cette exceptionnelle longévité dans ses fonctions lui vaut d’être le rapporteur du cinquantenaire de la société en 1849 et le rapporteur lors du centenaire en 1899 ! En 1865, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur. En 1866 (ou 67 ?), il est élu membre correspondant de l’Académie des sciences. En 1867, il obtient le grand prix de l’Exposition Universelle en même temps que Pasteur. Entre les deux récipiendaires naissent estime et amitié. En 1868, Marès entre comme membre fondateur à la Société des agriculteurs de France.

En parallèle, il tâte de la politique. De 1846 à 1870, il est Conseiller municipal. En 1857, il est élu Conseiller général de l’Hérault et le restera jusqu’en 1870.

En 1868, lorsque le phylloxéra fait son apparition dans le Midi, c’est évidemment à Henri Marès que les viticulteurs font appel. Il dirige la Commission départementale instituée pour trouver des remèdes au fléau.

Par ailleurs, Marès est président du groupe de l’Hérault des anciens élèves de l’École centrale de Paris.

En 1894, on fête, par un banquet, le 50e anniversaire de l’entrée d’Henri Marès dans la SCAH. En 1899, lors du centenaire de la SCAH, Henri Marès évoque la mémoire des grands noms de la Société, en particulier Planchon et Bazille.

Son discours, à la fois brillant et touchant, reste dans les mémoires.

Henri Marès est décédé, chrétiennement dit la chronique, le 9 mai 1901, en son château de Launac. Jusqu’à l’âge de 80 ans, ce secrétaire perpétuel de la SCAH avait gardé toute sa vigueur et toutes ses capacités intellectuelles. Ses obsèques, le 11 mai, attirèrent un monde considérable. Une section du 122e de ligne rendit les honneurs. On put lire dans la presse : « Bienfaiteur de la viticulture, les vignerons te doivent leur salut. »

Henri Marès eut trois enfants. L’aîné Pierre-Louis-Étienne Marès (18/3/1856-10/2/1914) épousa Marie-Thérèse-Henriette de Surville, le 7 février 1887. Il en eut cinq filles. Ce fils marcha sur les traces de son père, cultiva Launac, présida la SCAH et surtout joua un rôle important dans la lutte des viticulteurs lors de la crise de surproduction de 1903 à 1907. Il fut ainsi président de l’Union départementale pour la défense viticole, Union qui disparut ensuite pour faciliter le regroupement des viticulteurs au sein de la Confédération Générale des Vignerons (CGV). Étienne Marès fut alors nommé vice-président de cette dernière.

Le second fils d’Henri Marès, Georges, resta célibataire. Le troisième enfant, Henriette, organisa la Croix Rouge à Montpellier. Elle reçut la Légion d’Honneur. Mariée à Albert Geniez, elle n’eut pas d’enfants. Le nom « Marès » reste perpétué par des descendants d’un frère d’Henri.

Château de Launac.
Fig. 1 Château de Launac.

Henri Marès agronome et viticulteur

Au milieu du XIXe siècle, le département de l’Hérault est le premier producteur de vin français. A lui seul il assure le cinquième et parfois le quart de la production nationale vinicole. Certes, il s’agit souvent de « vins de chaudière » destinés à être distillés et non de vins fins. Entre 1840 et 1850, la distillation représente 40 000 pièces d’alcool de 86 à 92 degrés et de 625 litres l’une. En fait, ce nombre de pièces double si on ajoute l’Aude et le Gard. On distille alors 2,5 à 3 millions d’hectos dans l’Hérault. La production est largement exportée par le port de Cette (Sète) en particulier.

Il en résulte une grande prospérité, mais aussi une forte pollution. On distille en effet les marcs qui sont les résidus du pressage de la vendange. « Les distilleries infestaient de vinasses corrompues les abords des routes, près des villages ». Dans un tel contexte, on comprend que Marès se soit intéressé à l’utilisation des marcs. Entre 1845 et 1859, il publie différents mémoires sur leur emploi comme engrais, aliment du bétail et même comme source d’un mauvais vin de « deuxième cuvée ». Ce produit, plus vinaigré que moelleux, était fort justement appelé « piquette ». Il était obtenu par fermentation du liquide résultant du lavage des marcs avec de l’eau.

En fait, au cours de sa vie, Marès va traiter, dans ses communications, de presque tous les sujets concernant la vigne : drainage des parcelles, défoncement, choix des cépages, plantation, fertilisation, conduite des ceps, fabrication des vins, cuverie, conservation, distillation… Mais toutes ces questions ne retiennent pas son attention au même niveau. Il insiste sur l’oïdium et le phylloxéra. En effet, il a la malchance, pendant son existence, de devoir faire face à ces deux parasites. Ils ruineront, l’un après l’autre, la viticulture pendant quelques années.

En disciple de Pasteur, il fera quelques communications sur la maladie des vers à soie et sur le chauffage des vins.

En 1866, il écrira un Résumé des études de Pasteur sur les vins et la maladie.

Avec le recul du temps, Henri Marès peut sembler avoir donné dans une certains dispersion scientifique. Mais, si on le juge dans le contexte du milieu du XIXe siècle, on doit conclure que son action a été très ciblée. La vigne et le vin ont été les objets de presque tous ses travaux.

Henri Marès et l'oïdium

Le champignon microscopique qui couvre les feuilles de vigne d’un mycélium blanchâtre a été découvert dans une serre, en Angleterre, en 1844 ou 1845, près de Canterbury, par un jardinier du nom de Tucker. Cet homme de terrain montra sa découverte au révérend M. J. Berkeley qui nomma oïdium tuckeri le nouvel ennemi de la vigne et lui consacra un article dans le Gardener’s Chronicle du 27 novembre 1847. On suppose que le parasite venait d’Amérique et avait été introduit en Angleterre avec du matériel végétal importé pour créer des collections.

Mais bientôt l’oïdium franchit la Manche. Il est observé à Versailles en 1848 et à Montrouge en 1849. De là, il gagne le Languedoc et le Bordelais. Dès 1850, il est à Lunel, dans l’Hérault. En 1851, il attaque le vignoble de Launac. Puis il continue sa course vers l’Italie et l’Espagne.

La maladie est alors signalée dans tout le bassin méditerranéen. Marès écrit : « L’année 1851 est donc remarquable à cause de l’immense extension que prit le fléau. Cependant, ce développement prodigieux ne paraît point tenir aux circonstances climatériques qui qui signalèrent cette année ; elle me paraît plutôt le résultat de la propagation progressive du mal, dont les forces se multiplient à mesure qu’il occupe de vastes espaces. »

Les dégâts sont très importants. Les grains de raisin ne grossissent plus ; ils se fendent et se dessèchent. La production de l’Hérault tombe à 4 millions d’hectos en 1848 puis à moins d’un million en 1854. D’un autre côté, le prix du vin flambe et atteint quatre fois sa valeur normale. L’opinion publique s’émeut.

Fragment de la pellicule d'un grain de raisin, envahi par l'oïdium
Fig. 2 Fragment de la pellicule d'un grain de raisin, envahi par l'oïdium, sur lequel a été disséminée de la fleur de soufre. - f, f, f, grains de fleur de soufre
(d'après H. Marés.).

Il existe cependant des remèdes. En 1851, on recommande toutes sortes de procédés lotions au lait de chaux, cendres de bois, etc. Duchartre, professeur à l’Institut agronomique de Versailles, est chargé de faire le point sur la question. On apprend que, dès 1846, un autre jardinier anglais, Kyle, a eu l’idée de traiter avec des particules de soufre les feuilles de vigne préalablement mouillées à la main. On peut aussi projeter les particules en suspension dans l’eau. Mais ces procédés, qui ont permis de sauver quelques arbres en espaliers, ne sont pas applicables en grand dans les vignobles.

Certains songent alors au soufrage à sec. Parmi eux citons en particulier Rose-Charmeux qui est membre de la Société d’horticulture de Paris. Dans le Médoc, M. de la Vergne est aussi un précurseur. Il invente bientôt le soufflet à soufrer qui va porter son nom. Dans l’Hérault, les essais sont faits par Jules Bouscaren, Cazalis-Allut, Laforgue et surtout Marès. D’après la tradition orale de sa famille, Marès avait bien vu que la poussière des chemins adhérait naturellement sur les feuilles des souches proches sans nécessiter un liant quelconque.

Mais, le soufrage à sec donnait des résultats fort irréguliers : efficace en tel lieu, il était sans le moindre effet en tel autre.

En 1854 à Launac, Marès reprend la question à la base. Il teste 23 procédés de traitement différents tels que sulfatage, sel d’arsenic, goudron, lait de chaux, flambage des feuilles avec un tampon goudronné, eau bouillante, etc. A chaque fois, 70 couches au moins sont traitées de la même façon. Mais, comme notre expérimentateur sait déjà que le soufre possède une certaine efficacité, il privilégie ce produit et le teste à grande échelle. Il l’épand, à plusieurs reprises, sur un lot de 20 ha. Les résultats sont excellents. Dès le 28 juin de cette année-là, Marès abandonne les autres procédés et soufre la plus grande partie de son vignoble. La récolte n’est perdue que dans les vignes non soufrées. En 1855, la cause est entendue et les viticulteurs du pays viennent à Launac visiter les vignes et observer la pleine réussite de Marès.

Mais celui-ci ne se contente pas de traiter empiriquement. Il essaie de comprendre le mécanisme d’action du produit. Sous le microscope, il observe que les fines particules de soufre provoquent, dans leur voisinage, la nécrose des filaments du champignon. Utilisant des lames d’argent, il prouve alors que le soufre émet des vapeurs lorsque la température est suffisante (apparition de sulfure d’argent).

Il montre qu’au bout de 3 semaines environ, le mycélium se reconstitue, ce qui implique un nouveau traitement de protection des feuilles. Étudiant de près et à l’échelle de la souche la répartition des températures, il définit les conditions thermiques qui conviennent le mieux au champignon. Tout cela débouche sur des conséquences pratiques : définition des doses de soufre, indication du nombre de traitements et de leur période optimale. D’après Marès, les vignes traitées au soufre ont une meilleure vigueur, ce qui n’étonne pas les agronomes modernes connaissant le rôle de cet élément dans la physiologie des plantes. Il constate aussi que le soufre, bien employé, ne donne pas de goût au vin.

En 1856, Henri Marès publie dans un bulletin de la SCAH un mémoire de 83 pages résumant tous ses travaux. Le texte est clair, précis et qu’une qualité scientifique qui éblouit encore un siècle et demi après.

Progressivement, entre 1856 et 1862, le soufrage se répand et devient une opération de grande culture intéressant tous les vignobles français qui sont sauvés. Plus encore, sous l’action du soufre, l’oïdium recule. Les traitements restent chaque année nécessaires mais ils peuvent être un peu allégés par rapport à ce qui était indispensable pour juguler l’invasion en 1854 ou 1856.

Quelques savants se partagent alors le grand prix offert par la Société d’Encouragement à l’agriculture et par le gouvernement :

— Tucker qui signala le premier l’oïdium ;

— Duchartre pour la qualité de sa synthèse ;

— Rose-Charmeux qui, le premier, pratiqua le soufrage à sec ;

— Marès qui fixa dans le détail le protocole d’emploi du soufre.

Marès obtient aussi le Prix de la Société impériale et centrale d’agriculture de France pour la rédaction du meilleur mémoire sur la maladie de la vigne. De 1857 à 1860, il travaille à affiner son procédé et rédige de nombreuses communications sur le sujet.

Mais pour traiter, il faut du soufre. Albert Julien, dans son ouvrage de 1998, détaille l’aventure. Jusque-là, cet élément était utilisé, à petits tonnages, pour fabriquer de l’acide sulfurique et pour quelques applications industrielles particulières : blanchiment de la laine et de la soie, fabrication des allumettes, de la poudre à canon et des mèches pour le traitement des tonneaux. Brutalement, la demande de soufre augmente. A l’époque, le produit est extrait des dépôts liés aux fumerolles des volcans de Sicile. Il est amené par bateau, au pied des vignobles, dans les ports de Marseille, Cette (Sète) et Bordeaux. En 1860, la France importe 46 000 tonnes de minerai. Des usines de traitement sont créées à proximité de ces ports. Il y a deux procédés. Dans les sublimeries, le matériel est chauffé et le soufre s’évapore puis est condensé sous forme de fines particules appelées fleurs de soufre. Dans les tritureries, on broie seulement le minerai. Au début, les fabriques de ce dernier type sont d’anciens moulins à huile ou à farine reconvertis. Le soufre trituré est évidemment moins pur que le soufre sublimé et il en faut presque deux fois plus pour traiter efficacement une vigne. Dans un cas comme dans l’autre, la fabrication n’est pas commode. Ces très fines particules soufrées sont très inflammables et beaucoup de fabriques partent en fumée. Les habitants des quartiers concernés sont effrayés et rédigent des pétitions pour que ces usines incendiaires soient installées en rase campagne. Cela durera presque jusqu’à la fin du siècle. Puis les sources d’approvisionnement en soufre vont se diversifier : soufre extrait dans les mines de Louisiane où on le fait fondre in situ par le procédé Frash, soufre sous-produit de l’industrie pétrolière et gazière. Les mines de Sicile périclitent…

Après la crise de l’oïdium, le vignoble méridional repart pour une nouvelle période de très grande prospérité. Celle-là va durer jusqu’en 1873, date après laquelle le phylloxéra provoque une réduction massive de la production. Cet heureux intermède de 20 ans est favorisé par l’arrivée du chemin de fer. Le rail permet de fournir les millions d’ouvriers parisiens en vins communs produits dans le midi de la France. Les propriétaires-viticulteurs sont ravis et n’hésitent pas à se faire construire des châteaux néogothiques, payés en quelques récoltes seulement.

Mais pour traiter, il faut du soufre. Albert Julien, dans son ouvrage de 1998, détaille l’aventure. Jusque-là, cet élément était utilisé, à petits tonnages, pour fabriquer de l’acide sulfurique et pour quelques applications industrielles particulières : blanchiment de la laine et de la soie, fabrication des allumettes, de la poudre à canon et des mèches pour le traitement des tonneaux. Brutalement, la demande de soufre augmente. A l’époque, le produit est extrait des dépôts liés aux fumerolles des volcans de Sicile. Il est amené par bateau, au pied des vignobles, dans les ports de Marseille, Cette (Sète) et Bordeaux. En 1860, la France importe 46 000 tonnes de minerai. Des usines de traitement sont créées à proximité de ces ports. Il y a deux procédés. Dans les sublimeries, le matériel est chauffé et le soufre s’évapore puis est condensé sous forme de fines particules appelées fleurs de soufre. Dans les tritureries, on broie seulement le minerai. Au début, les fabriques de ce dernier type sont d’anciens moulins à huile ou à farine reconvertis. Le soufre trituré est évidemment moins pur que le soufre sublimé et il en faut presque deux fois plus pour traiter efficacement une vigne. Dans un cas comme dans l’autre, la fabrication n’est pas commode. Ces très fines particules soufrées sont très inflammables et beaucoup de fabriques partent en fumée. Les habitants des quartiers concernés sont effrayés et rédigent des pétitions pour que ces usines incendiaires soient installées en rase campagne. Cela durera presque jusqu’à la fin du siècle. Puis les sources d’approvisionnement en soufre vont se diversifier : soufre extrait dans les mines de Louisiane où on le fait fondre in situ par le procédé Frash, soufre sous-produit de l’industrie pétrolière et gazière. Les mines de Sicile périclitent…

Fragment de feuille de vigne attaquée par l'oïdium (d'après H Marès).
Fig. 4 Fragment de feuille de vigne attaquée par l'oïdium (d'après H Marès).

Après la crise de l’oïdium, le vignoble méridional repart pour une nouvelle période de très grande prospérité. Celle-là va durer jusqu’en 1873, date après laquelle le phylloxéra provoque une réduction massive de la production. Cet heureux intermède de 20 ans est favorisé par l’arrivée du chemin de fer. Le rail permet de fournir les millions d’ouvriers parisiens en vins communs produits dans le midi de la France. Les propriétaires-viticulteurs sont ravis et n’hésitent pas à se faire construire des châteaux néogothiques, payés en quelques récoltes seulement.

Ouvrier armé du soufflet et du sac de La Vergue, soufrant la vigne (Soc. Enc. md. Nat.).
Fig. 5 Ouvrier armé du soufflet et du sac de La Vergue, soufrant la vigne (Soc. Enc. md. Nat.).
Coupe d'un soufflet à soufrer (d'après H Marès).
Fig. 6 Coupe d'un soufflet à soufrer (d'après H Marès).

Henri Marès, ami et disciple de Pasteur

En 1867, Pasteur séjourne dans le laboratoire qu’il a installé au Pont-Gisquet près d’Alais (Alès) pour l’étude de la maladie des vers à soie, la pébrine. Le 11, mars, il écrit à Henri Marès, son « cher confrère ». Il résume, pour le secrétaire de la SCAH, ses idées sur le meilleur moyen d’éradiquer le fléau en identifiant sous le microscope puis en éliminant les papillons porteurs des corpuscules révélant la maladie. Marès est intéressé et rend visite à Pasteur à Alès. En fait, le Montpelliérain joue le rôle de propagandiste des idées du savant. A Launac, il trie aussi ses papillons sous le microscope et obtient des succès dans l’élevage des vers à soie. Pasteur écrit dans une lettre à un ami, en 1874 : « C’est à des hommes comme vous, comme M. Marès, M. de Lachanède et quelques autres qu’on doit en grande partie d’avoir éclairé les populations et d’avoir fait peu à peu baisser la tête à la contradiction superficielle et ignorante ».

Pasteur est doublement satisfait. D’une part, il est heureux de voir que ses idées se répandent et que ses techniques sont appliquées. D’autre part, il a soin d’indiquer par lettre à « son cher maître », Jean-Baptiste Dumas, que ses études ont été reproduites dans les journaux agricoles du Midi. C’est la preuve qu’il a bien rempli sa tâche faisant à la fois œuvr de savant et de vulgarisateur.

Dans le domaine viticole comme dans celui des vers à soie, Marès est le disciple zélé et enthousiaste de Pasteur. Il écrit au savant, en 1867 : « Je suis de plus en plus satisfait de votre procédé de chauffage du vin en bouteille. Tous mes vins fins y passeront à l’avenir… Que la pratique s’empare du moyen pour la bouteille, puis pour le tonneau, elle finira certainement par arriver au foudre. » Chacun sait pourtant que le vin pasteurisé n’a pas séduit les papilles des consommateurs !

En 1874, Marès est choisi comme rapporteur de la commission chargée d’examiner les travaux de Pasteur sur les industries du vin, du vinaigre, de la bière et des vers à soie. On peut supposer qu’on avait fait appel à lui à la fois parce qu’il avait suivi de près les travaux du biologiste et parce qu’il les admirait trop pour les critiquer fortement. Mais cela montrait en quelle estime Marès était tenu par les savants de l’époque. Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir eu à juger Pasteur !

En 1882, Pasteur vient à Montpellier pour donner une conférence à l’École d’agriculture. De santé fragile et fatigué par son exposé, le grand biologiste rend visite à Marès à la sortie de l’amphithéâtre. On lit dans les comptes-rendus de la Société d’agriculture : « En quittant l’École d’agriculture, M. Pasteur, accompagné de sa famille qui ne le quitte pas et qui l’entoure de la sollicitude la plus tendre s’est longuement arrêté chez son ami Marès. Sa faiblesse était telle, que dans cette maison hospitalière, il a fallu lui prodiguer les soins que réclamait son état. »

Henri Marès et le phylloxéra

Une nouvelle et grave maladie apparaissant dans le vignoble, on se tourne évidemment vers Marès, le vainqueur de l’oïdium. Il est invité en consultation dans les vignes dévastées de la région de Carpentras. Là, il ne découvre pas la cause de la maladie mais décrit les symptômes correspondants. Il rend compte de ses observations à la SCAH, le 13 juillet 1868. Par ailleurs, dès le 6 juillet, la Société avait nommé une commission ayant pour tâche de se rendre dans le Vaucluse pour étudier les vignes malades. Cette commission ne comprenait pas Marès, ce qui est inexplicable. Celui-ci n’avait que 48 ans. Sans doute existait-il quelques tensions au sein de la Société. Peut-être reprochait-on à Marès de s’être rendu seul en Vaucluse, sans avertir ou inviter ses collègues ? Quoi qu’il en soit, Marès n’est pas présent, le 15 juillet 1868, lorsque Bazille, Planchon et Sahut découvrent le phylloxéra, ce terrible puceron maléfique qui parasite les racines de la vigne (Legros et Argelès, 1993). Bien plus, Marès est égratigné par les trois experts qui écrivent dans leur compte-rendu de découverte : « Il y a peu de jours encore, le Comité agricole de Carpentras appelait près de lui un de nos plus habiles viticulteurs de l’Hérault et, après un examen du vignoble attaqué, le Comité, fort de l’opinion de notre compatriote, déclarait solennellement qu’il n’y avait pas lieu de s’effrayer et que les froids rigoureux et prolongés étaient seuls cause du triste état de la vigne. Nous nous croyons en conscience obligés de-troubler cette dangereuse quiétude. »

Pendant quelques mois, Marès va persister dans son erreur. Le 23 avril 1869, au congrès régional de Lyon, il s’efforce de démontrer que le puceron est étranger à la destruction du vignoble. En 1873, il se rend à ses adversaires et admet la responsabilité du phylloxéra tout en minimisant son défaut d’appréciation. Il prétend alors que la virulence de l’insecte dépend beaucoup des conditions météorologiques. A cette époque, à la SCAH, le Secrétaire perpétuel s’opposait donc très certainement à beaucoup de membres très éminents, à commencer par Planchon. Les séances devaient être crispées sinon houleuses, mais rien n’a jamais filtré hors de l’institution.

On peut se demander ce qui justifiait l’attitude de Marès car il était bien placé pour observer les myriades d’insectes dans les vignes et il connaissait par ailleurs le sérieux des trois découvreurs du phylloxéra. Surtout, pendant la crise de l’oïdium, il avait fait preuve d’éminentes qualités d’observateur. En plus, il avait été amené à discuter les causes de l’apparition brutale et de l’extension rapide du champignon. Parmi les hypothèses, il avait rapporté celle qui avait trait à un insecte microscopique jouant le rôle de vecteur. Donc, l’idée d’un insecte parasite de la vigne lui était forcément venue à l’esprit. Mais peut-être que, l’ayant infirmée concernant l’oïdium, il l’avait éliminée une fois pour toutes des possibilités… Par ailleurs, il était certainement victime de sa fidélité à Jean-Baptiste Dumas et aux savants parisiens qui ne croyaient pas, vers 1870, qu’un puceron puisse causer de tels désastres.

Pour faire le bilan des dégâts et identifier des moyens de traitements, on crée des Commissions départementales du phylloxéra et aussi une Commission nationale du phylloxéra. Henri Marès est invité à présider la Commission départementale de l’Hérault et à faire partie de la Commission nationale dirigée par Jean-Baptiste Dumas.

Au début de la crise, les pouvoirs publics espèrent que la solution du problème va être trouvée, comme dans le cas de l’oïdium, par un viticulteur identifiant rapidement le produit chimique adéquat. C’est pourquoi un prix est institué. Une grosse somme d’argent est ainsi promise à celui qui découvrira comment se débarrasser de l’insecte. En 1876, les commissions départementales font le bilan. Elles ont reçu des centaines de propositions sérieuses ou farfelues présentées par des experts, des naïfs et des escrocs. Aucune n’est réellement efficace. La récompense n’est pas attribuée.

Il faut donc changer de méthode. Les Commissions départementales du phylloxéra sont alors chargées de conduire leurs propres essais. Cette même année 1876, la Commission de l’Hérault installe ses expérimentations dans la banlieue de Montpellier, au mas de Las Sorrès, à l’emplacement actuel du « Géant casino » dans des terres d’alluvions louées à un certain Michel Fermaud. Quelques années plus tard, en 1883, la commission installe un second champ d’expérience chez M. Boissézon, sur le flanc sud de la colline de l’Aiguelongue. Là, le sol chaud et pierreux est bien typique de nombreux terroirs du Languedoc.

Dans ces parcelles expérimentales, on examine tout d’abord l’efficacité des toxiques chimiques préconisés par le baron Thénard et par Jean-Baptiste Dumas. Il s’agit du sulfure de carbone et du sulfocarbonate de potassium. A Paris, Jean-Baptiste Dumas n’a pas de phylloxéras à sa disposition et teste ses insecticides sur des mouches ! Mais les toxiques sont chers et difficiles d’emploi. Sur le terrain, à petites doses, ils sont peu efficaces. A doses trop élevées, ils tuent les ceps. Un viticulteur du Midi écrit : « L’arrivée des agents de Monsieur le chimiste Dumas pour traiter des vignobles au sulfure de carbone équivaut bien réellement aux désastres d’une nouvelle invasion de phylloxéra ». En fait, il est difficile de faire pénétrer ces produits profondément dans les sols.

Mais Léo Laliman, propriétaire à Floirac dans la région de Bordeaux et collectionneur de cépages américains avait observé que ceux-ci étaient résistants au phylloxéra. Il avait attiré sur ce fait l’attention des viticulteurs au congrès viticole de Beaune en novembre 1869. On teste donc, à Las Sorrès en particulier, l’aptitude des cépages américains à produire du vin. En même temps, on examine s’il serait possible de s’en servir comme porte-greffes : leurs racines indemnes fouilleraient la terre tandis que leurs parties aériennes, remplacées par des ceps français (au moyen de la technique du greffage), donneraient des raisins capables de faire du bon vin. Quatre-vingt variétés différentes de vignes américaines sont ainsi testées à Las Sorrès. Les responsables des essais sont deux professeurs de l’École d’agriculture : E. Durand et J.-L. Jeanneriot.

Mais, en parallèle, l’École d’agriculture poursuit, sur ses propres domaines et avec quelques autres professeurs (Bouffard, Foéx, Ravaz, Viala…), des essais différents mais dont les objectifs sont similaires (Legros et Argelès, 1997).

Cela pourrait créer des phénomènes de concurrence. Il n’en est rien grâce à Marès. Le Secrétaire perpétuel de la SCAH, diplomate et efficace, fait le lien entre la Société et l’École. Le bulletin de la Société sert d’organe de publication pour tous les expérimentateurs; l’École sert de vitrine en accueillant les viticulteurs dans des réunions d’information où les membres de la SCAH sont souvent appelés à la tribune.

Par ailleurs, les gros viticulteurs, ceux qui ont de beaux domaines et de confortables capitaux, font aussi des expériences dans leurs propriétés plutôt que d’assister, sans réaction, à la dévastation de leur vignoble. De très nombreuses personnes participent donc à la lutte contre le phylloxéra. A titre personnel, Marès est de ceux-là. A Launac, il installe sa propre collection de vignes en y transférant la collection du comte Odart. Il se procure aussi des cépages en Bourgogne, en Bordelais, au Jardin du Luxembourg à Paris, dans des serres de Londres, en Italie, en Espagne…

En même temps que les essais au champ, un effort est fait pour établir le catalogue des vignes américaines. Celles-ci appartiennent à plusieurs espèces différentes qu’il s’agit de découvrir et de répertorier. Le plus grand désordre règne car les mêmes variétés sont introduites en France par plusieurs canaux et sous plusieurs noms. Le cas du Vitis berlandieri (appellation définitive proposée par J.-E. Planchon) est exemplaire. On l’envoie d’Amérique sous forme de sarments qui portent une étiquette effacée sur laquelle on croit déchiffrer : Surret moutain. En fait Surret ne veut rien dire en anglais et il aurait fallu lire : Sweet mountain ! Les savants français, travaillant en ordre dispersé l’appelent Vitis monticola Vitis aestivalis et aussi Vitis cordifolia. Tout cela complique les choses car on trouve des porte-greffes résistants sans trop savoir ce qu’ils représentent réellement. Ainsi le Berlandieri dont les qualités sont reconnues depuis 1877 par Fabre à Saint-Clément de Rivière, ne s’imposera-t-il qu’après le voyage en Amérique de Pierre Viala, en 1887 (Nougaret, 1995)…

En tant que président de la Commission départementale du phylloxéra, Henri Marès fournit un rapport annuel dans lequel il rend compte de tous les efforts. Il ne donne jamais beaucoup de chiffres et ses textes ressemblent moins à de modernes comptes-rendus d’expérimentations qu’à des synthèses intéressant à la fois les travaux de Las Sorrès, ceux de l’École d’agriculture et les essais des viticulteurs. Dès 1886 (rapport de 1887) les connaissances fondamentales sont acquises. Elles se résument comme suit :

— les produits chimiques ne viennent pas à bout du phylloxéra ;

— les vignes françaises ne résistent pas à l’insecte ;

— certaines vignes américaines sont parfaitement résistantes tout en étant très sensibles au mildiou et aussi à la chlorose en milieu calcaire ;

— ces étrangères ne conviennent guère comme producteurs directs car leurs fruits sont souvent peu abondants et leur vin peu agréable à boire ;

— quelques vignes américaines, assez rares il est vrai, constituent des portes-greffes vigoureux (riparia, rupestris, berlandiéri) et parfaitement compatibles avec nos cépages français.

Ces résultats ont été établis en onze ans. Ils constituent les bases de la nouvelle viticulture qui repose sur le greffage systématique des variétés françaises sur des pieds américains. Or, la vigne n’entre pas en production avant la troisième année de plantation et il faut bien trois ou quatre années de plus pour distinguer ce qui est le fait du porte-greffe, de la variété ou des conditions climatiques de l’année. Marès et les siens ont donc travaillé extrêmement vite. Surtout, ces partisans des vignes américaines, ces américanistes comme on disait à l’époque, sont passés tout aussi vite à l’application et ont commencé à reconstituer leurs vignobles sur pieds américains, à un rythme soutenu, à partir de 1880. Quand en 1888 à Paris, la Commission supérieure du phylloxéra, prenant tardivement conscience de l’impossibilité d’éradiquer l’insecte par voie chimique, en vient à recommander le greffage, les viticulteurs de l’Hérault peuvent sourire : la reconversion de leur vignoble est alors presque achevée !

En 1889, Marès fait le bilan de la crise phylloxérique dans une publication de la SCAH. Le manque à gagner dû à l’effondrement de la production représente 11,5 milliards de francs de l’époque. On a dit que le phylloxéra avait coûté plus cher à la France que la guerre de 1870. Les départements du Midi ont été particulièrement concernés. L’Hérault a perdu 180 000 ha de vignes. Mais la plus grave des conséquences de la crise phlloxérique est la désorganisation du marché. Pendant les années de crise, pour pallier le manque de vin, on a pris l’habitude d’acheter à l’étranger des « raisins secs à boisson ». Ils proviennent de Grèce ou de Turquie. Additionnés de glucose, mélasses ou autres produits sucrés, ils sont mis à tremper dans l’eau pour faire un « vin » à 7 degrés d’alcool. On le colore ensuite artificiellement à la fuschine. L’avantage principal de cette boisson est que son prix de revient est la moitié de celui d’un vrai vin. Les importateurs-fabriquants s’enrichissent rapidement. Ils font entrer dans le pays des quantités de raisins secs importantes mais difficiles à estimer. Les évaluations vont de 30 000 à 100 000 tonnes par an On importe aussi des vins doux vinés c’est-à-dire additionnés d’alcool jusqu’à la limite autorisée de 15,9 degrés. En principe, et pour la douane, ce sont des mistels qui voyagent facilement et sont destinés à l’apéritif. En fait, il s’agit de mixtures, sirupeuses et imbuvables en l’état. Arrivées en France, elles sont additionnées de beaucoup d’eau et mises à fermenter sur des raisins secs ou sur des marcs. Tout produit sucré est bon pour faire du « vin » y compris les figues sèches, les dattes ou les caroubes. Dans certains procédés de fabrication, on part d’amidon saccharifié avec de l’acide sulfurique ou de l’acide chlorhydrique. Avec le recul du temps, tout cela paraît incroyable. Mais nous sommes à une époque où il n’y a pas encore de service de répression des fraudes alimentaires. Marès écrit : « En présence de pareilles concurrences, la situation de la viticulture est des plus compromises elle court à sa ruine, car pour écouler ses produits, elle est obligée d’accepter des prix dérisoires qui ne couvrent pas ses frais. »

En 1893, lors du grand congrès viticole de Montpellier, Henri Marès a déjà 73 ans mais fait cependant partie du comité d’organisation et est rapporteur de la section « Procédés de culture résultant de la reconstitution par les cépages américains ». Il y présente le bilan financier correspondant à la nouvelle viticulture, celle qu’il a vu apparaître au cours de sa vie, celle qui doit maintenant intégrer, dans ses frais de production à l’hectare, le soufrage contre l’oïdium, le greffage contre le phylloxéra et le sulfatage contre le mildiou. Il constate que les frais d’exploitation ont doublé et que la production « a plutôt diminué qu’augmenté ». Il indique que la rémunération des travaux (la rentabilité) ne peut être atteinte que si on assainit le marché en luttant contre les fraudes et les falsifications. Mais, les viticulteurs, tout joyeux d’avoir échappé au phylloxéra, trouvent cela bien insipide et adoptent le rapport de Marès sans discussion, alors que toutes les autres synthèses avaient suscité des débats passionnés. Pourtant, quinze ans après, la crise de surproduction de 1907 allait ruiner la plupart d’entre eux !

Conclusion

Henri Marès est l’un des plus importants notables de l’histoire de la Société centrale d’agriculture de l’Hérault. Sans lui la Société n’aurait pas atteint le même prestige. Intervenant dans la plupart des domaines techniques dont les propriétaires viticulteurs devaient se préoccuper, il a fait preuve d’une grande activité, publiant plus d’une centaine de mémoires au cours de sa vie. Parmi tous ses travaux, on retiendra, en premier lieu, ceux intéressant l’oïdium. Marès a mis au point, avec un talent remarquable, la technique de lutte contre ce parasite. Pendant la crise du phylloxéra, son action a été plus discrète mais néanmoins fort utile. Il a administré les recherches au sein de la Commission départementale, organisé et facilité les expérimentations correspondantes, assuré leur publication dans le le bulletin de la SCAH et participé aux travaux de la Commission nationale. Le grand homme de la crise du phylloxéra a certes été Jules-Émile Planchon (Boulaine et Legros, 1998). Mais cet esprit brillant n’était pas toujours d’un contact facile. C’est Henri Marès qui sut organiser discrètement une synergie très payante entre la SCAH et l’École d’agriculture de Montpellier. Dans le même esprit, il fit aussi le lien entre les viticulteurs montpelliérains et les savants parisiens, Pasteur en tout premier lieu.

Ses travaux montrent que Marés était avant tout capable de comprendre les avancées récentes de la science afin d’en tirer des applications pratiques. L’action du soufre étant connue, il a indiqué comment l’appliquer. Les découvertes de Pasteur étant faites, il est l’un des tous premiers â les utiliser pour ses vins et ses vers à soie. Le phylloxéra étant identifié et étudié par Planchon et les autres, Marès a coordonné les expérimentations destinées à le neutraliser. Ce récapitulatif ne doit pas apparaître comme critique. Marès, ne l’oublions pas, n’était pas un universitaire mais un simple viticulteur ! Mais ce simple viticulteur, ingénieur de Centrale il est vrai, put faire, un moment, jeu égal avec Pasteur !

Enfin, cet esprit clair avait bien vu les conséquences de la crise phylloxérique et pratiquement annoncé la crise de surproduction de 1907. Il ne vécut pas assez longtemps pour la subir lui-même.

Montpellier possède son « Avenue Henri-Marès ».

Bibliographie

— BOULAINE J. et LEGROS J.-P., 1998. D’Olivier de Serres ci René Dumont, Portraits d’agronomes. Lavoisier Tee-doc, Paris, 320 p.

— COSTE-FLORET, 1901. L’œuvre agricole d’Henri Marès. Société Centrale d’agriculture de l’Hérault, séance du 20 mai, p. 97-127.

— JULIEN A., 1998. L’Industrie du soufre utilisé en viticulture depuis 1850. Imprimerie de I’Ouvèze à Sorgues, 161 p.

— LEGROS et ARGELÈS J, 1993. L’invasion du vignoble par le phylloxera. Conférence. Bull. Acad. Sci. et Lettres de Montpellier, tome 24, p. 205-223.

— LEGROS J.-P., 1997. Le Phylloxéra, une histoire sans fin. Conférence à l’Association Française pour l’Avancement des Sciences, le 8/6/96. In Sciences, 97-1, p. 32-39.

— LEGROS J.-P. et ARGELÈS J., 1997. L’Odyssée des agronomes de Montpellier. Editagro, Paris, 397 p.

— NOUGARET C., 1995. « Ferdinand Bouisset à Montagnac ». Études héraultaises, 1995-1996, 26-27, p. 155-164.

Textes d'Henri Marès

Outre ses ouvrages principaux, Henri Marés a publié plus de 100 mémoires dans le bulletin de la SCAH. Il est évidemment impossible de les reprendre tous ici (xxxx signifie que les dates nous manquent).

— xxxx – Manuel pour le soufrage de la vigne

— xxxx – Alcoomètre Vidal

— xxxx – Introduction au mémoire de Bories

— xxxx – L’alcoomètre Bories

— 1844 – Catalogue d’une collection de cépages de la pépinière de Dresde

— 1845 – L’emploi du marc non fermenté

— 1845 – Sur le sulfate d’ammoniaque considéré comme engrais

— 1850 – Le drainage dans le département de l’Hérault

— 1850 – Des effets du froid sur la vigne et les oliviers

— 1850 – Des salaires de l’agriculture en Angleterre

— 1850 – Lettre sur le projet d’impôt sur les boissons

— 1851 – Valeur nutritive du marc de raisin et de la feuille de mûrier cueillie en automne

— 1851 – Combustion du soufre dans les locaux muscardinés

— 1853 – La maladie de la vigne

— 1854 – Fabrication du 3/6 d’Asphodèle

— 1854 – Drainage dans le département de l’Hérault

— 1854 – Note sur le plâtrage des vins

— 1854, 1855, 1856, 1857, 1858, 1859, 1861 – Études sur la maladie de la vigne et sur l’application du soufrage pour détruire l’Oïdium

— 1856 – Note sur le soufrage des vignes

— 1856 – Réponse aux observations de M. Cazalis-Allut

— 1856 – Observations sur le rapport de M. Cambon

— 1855-1957 – Mémoire sur la maladie de la vigne. Bull. de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, t. 3, p. 321-395.

— 1857 – De l’action du soufre sur la végétation

— 1858 – Notes sur diverses questions concernant le soufrage des vignes

— 1859 – Notes sur la végétation de la vigne

— 1859 – Rapport sur les graines de vers à soie. Discussion du procédé de Mitifiot

— 1859 – Moyens propres à utiliser et désinfecter les vinasses provenant des distilleries

— 1861 – Du soufrage économique de la vigne

— 1863 – Faut-il défoncer pour planter la vigne ?

— 1863 – Des revenus des troupeaux

— 1863 – La nature, la valeur et la quantité des engrais employés annuellement dans le département de l’Hérault

— 1863 – Rapport sur le vinage en franchise

— 1863 – Aperçus divers sur le vinage

— 1864 – Étude sur les vignes du Midi de la France

— 1864 – Livre de la ferme

— 1865 – Essai du Brome de Schrader

— 1866 – Sur les vins de coupage

— 1866 – Influence de la chaleur sur les vins rouges liquoreux

— 1866 – Résumé des études de Pasteur sur les vins et les maladies

— 1866 – Du prix de revient des vins dans le département de l’Hérault

— 1867 – Rapport sur la demande d’abaisser le droit sur l’alcool destiné au vinage

— 1867 – Des indications que peut fournir, pour la taille de la vigne, l’époque de la chute des feuilles

— 1867 – De la floraison et de la fructification de la vigne

— 1868 – Des vignes grêlées de Clermont-l’Hérault

— 1868 – Muscat de Hambourg

— 1868 – Production des graines de vers à soie

— 1868 – Communication sur la pourriture des racines

— 1869 – Pétition contre l’introduction des vins vinés

— 1869 – Trappe de sûreté pour foudres et cuves

— 1869 – Des transformations du soufre en poudre lorsqu’il est répandu sur le sol

— 1871 – Maladie corpusculaire des vers à soie

— 1871 – Examen microscopique des papillons des vers à soie

— 1871 à 1889 – Rapports de la Commission ministérielle et départementale de l’Hérault sur la maladie de la vigne

— 1872 – Notion sur le baron de Rivière

— 1873 – Action de l’acide sulfurique sur le vin

— 1873 – Note sur l’ampélographie

— 1873 – Destruction des insectes qui détruisent les luzernes

— 1873 – De la propagation du phylloxéra

— 1874 – Rapport sur la submersion des vignes

— 1875 – Les traités de commerce, le régime intérieur des boissons et de la viticulture

— 1875 – Traitement des vignes malades

— 1875 – Les sulfocarbonates, les vignes phylloxérées

— 1876 – Procédés appliqués au mas de Las Sorrès

— 1876 – Reconstitution des vignes détruites par le phylloxéra

— 1876 – Notes pour combattre le phylloxéra

— 1877 – Le sulfure de carbone

— 1877 – Formation des galles, disparition spontanée du phylloxéra

— 1880 – Traitement des vignes phylloxérées

— 1881 – Rapport sur les vignes du mas de Las Sorrès

— 1881 – Traitement des vignes phylloxérées

— 1882 – Travaux à Las Sorrès

— 1883 – Expériences à Las Sorrès

— 1884 – Expériences à Las Sorrès

— 1885 – Travaux de la Commission du phylloxéra

— 1887 – Commission du phylloxéra

— 1887 – Sur le traité de commerce franco-italien

— 1888 – Les raisins secs et la viticulture

— 1888 – Travaux de la Commission du phylloxéra

— 181 ou (92) – Les Cépages de la Région Méridionale de la France

— 1892 – L’exposition des vins de l’Hérault au concours agricole de Paris

— 1893 – Procédés de culture résultant de la reconstitution par les cépages américains. Congrès viticole de Montpellier, p. 131-135.