Montpellier et sa région au XVIIIe siècle, à travers les récits de voyageurs germanophones
Montpellier et sa région au XVIIIe siècle,
à travers les récits de voyageurs germanophones
* Maître de conférences à l’Université de Franche-Comté.
p. 147 à 161
Préférant pour la plupart la liberté helvétique au despotisme français, les voyageurs suisses germanophones de la fin du XVIIIe siècle, succombent néanmoins au charme de Montpellier, de sa région et de ses habitants, et s’ils se livrent à une critique féroce des institutions et des manifestations excessives de piété catholique, ils dépeignent, dans leurs récits de voyages, manifestant un grand souci du détail, les paysages, le peuple, les travaux des champs et les manufactures, avec une préférence marquée pour les protestants de tout milieu. De nombreuses études ou articles ayant été publiés, je me limiterai pour l’essentiel de mon intervention au récit de voyage de Johann Georg (Jean Georges) Fisch, qui est sans doute le plus long récit de voyage jamais écrit au XVIIIe siècle en langue allemande et que je connais bien, puisque j’y ai consacré beaucoup de temps. Fisch, encore élève-prédicant, c’est-à-dire qu’il n’était pas encore devenu pasteur, prend en 1786, venant de Suisse, la route du Sud, en direction du Languedoc et de la Provence. C’est donc empreint de culture helvétique, déterminé par la civilisation de son époque et chargé de toute une histoire, que Fisch entre en France ou plutôt en Savoie par la frontière genevoise, avant de se diriger sur le Languedoc par Chambéry, Grenoble, Romans et Pont-Saint-Esprit, où il parvient vers les premiers jours de Novembre 1786. Puis, passant par le Pont du Gard, qu’il prend le temps d’admirer, et Nîmes, dont il découvre tous les monuments, il parcourt la région languedocienne en tous sens, pendant les dix mois où il habite Montpellier, résidant parfois aussi dans les plus petites localités des environs ou des Cévennes, et ne franchit le Rhône, non sans une grande émotion qu’il ne cherche pas à dissimuler, que vers la fin d’août 1787. Il visite d’abord Tarascon, Arles et les environs ; puis par Salon, vient à Aix et entre à Marseille pour y séjourner douze jours environ. Toulon est l’étape suivante : le port est alors en pleine activité et l’intéresse tant qu’il y resta plus de six semaines. Après un passage à Hyères, nous le voyons ensuite regagner le Rhône par Gémenos, dont il vante les jardins, Lambesc, Orgon, Bonpas et Avignon. Enfin, il revient à Montpellier, probablement pour prendre congé, et remonte la vallée du Rhône pour atteindre Lyon en avril 1788, puis, dans le courant du même mois, Genève. Son voyage de dix-huit mois est terminé et il rapporte ample moisson de notes et de renseignements bibliographiques. Ce sont les éléments qu’il refond dans les lettres écrites à son frère, en route, ou, pour certaines peut-être, après le voyage.
Sur les raisons de ce voyage, nous n’avons en fin de compte que peu de certitudes peut-être Fisch est-il venu rencontrer le célèbre Chaptal, peut-être accomplit-il le chemin inverse du refuge huguenot, peut-être vient-il rencontrer quelque personne connue de lui seul, peut-être vient-il aussi tout simplement parfaire son éducation et améliorer sa culture… A elles seules, les raisons du voyage nécessiteraient une étude spécifique.
En tout cas, il est significatif que ce soit précisément sur la rive droite du Rhône, où il est temporairement retenu par une montée des eaux, que Fisch jette un regard rétrospectif, quasi nostalgique sur la province du Languedoc qu’il s’apprête à quitter, et où, finalement, il ne reviendra que pour un temps assez bref, afin de prendre congé de ses amis. Il va ainsi, lors de cette pause forcée, repasser dans sa mémoire tous les faits marquants de son séjour languedocien, toutes les données essentielles concernant cette province, comme s’il avait peur d’en oublier. Sur la quinzaine de pages qu’il y consacre, cinq exposent les avantages et les inconvénients géographiques et climatiques de la région, ce qui laisse supposer chez lui non seulement un intérêt marqué pour les sciences, mais aussi un attachement profond pour cette région. Il insiste bien sûr sur les défauts, considérables un seul port sur toute la longueur de la côte ; peu d’habitants sur plus de 50 milles carrés de marais et de marécages, aux émanations pestilentielles; une immense étendue de terres stériles, sans eau, un champ de pierres nues, avec, pour toute végétation, un peu de mousse, des plantes sans sève et des buissons rabougris ; des vipères, des scorpions et des moustiques dans les régions humides: des loups dans les montagnes, et même parfois des monstres qui font trembler toute une contrée, comme la bête du Gévaudan ; et là où il n’y a pas d’animal à craindre, il reste encore les diverses sortes de vent : le cers, ou tramontane, le marin, ou autan, le sirocco et son cortège de fléaux, maladies des nerfs, problèmes de digestion, rhumatismes… En revanche, il adopte un ton élogieux, presque solennel, quand il vante les charmes du pays. Il présente le ciel du Languedoc comme un des plus beaux et des plus bénéfiques qui soit ; cette région, écrit-il, « est située à égale distance de l’inflexible hiver de l’Europe du Nord et de l’atmosphère brûlante de l’Afrique toute proche ; elle fait naître et nourrit la flore et la faune de ces deux mondes sans présenter trop de désavantages de l’un ni de l’autre. Il y neige rarement en hiver ; et il est bien rare que la neige résiste au soleil de midi; en été, la chaleur du jour est tempérée d’ordinaire par des vents rafraîchissants » 1. Fisch prend toutefois soin de préciser que cet été, très chaud, constitue une exception, le thermomètre de Réaumur n’étant jamais descendu au-dessous de 27 ou 28 degrés. Il voue sans aucun doute un amour sans partage à ce pays de contrastes, qui le fascine malgré tout, et où il trouve aussi bien « une nature suédoise dans les monts des Cévennes » que « les plantes de la Calabre à leurs pieds, et jusqu’à la mer » 2.
Le séjour à Montpellier
Revenons au début du voyage : lorsqu’il quitte Nîmes, Fisch se dirige vers Montpellier, où il va séjourner plusieurs mois. Il mettra cette période à profit, puisqu’il visitera non seulement la ville de Montpellier et ses alentours (Castelnau, Marsillargues, Maguelonne, Lavérune entre autres), mais aussi d’autres villes languedociennes, comme Sète et Agde. Il entreprendra aussi une « traversée » des Cévennes et du Rouergue. Ce qui caractérise ce moment du voyage, c’est bien sûr, d’abord, son long séjour dans la ville de Montpellier, son excursion de plusieurs jours dans les Cévennes, mais aussi, nous en reparlerons, l’attention qu’il porte aux ouvriers des manufactures de la région, ainsi qu’aux paysans en général, et, parmi eux, à ceux qui présentent la double caractéristique d’être à la fois cévenols et protestants. Sans vouloir coller d’étiquette ni préjuger – ce serait un comble ! – de la capacité de Fisch à se dégager de toute une carapace de prérequis, il sera intéressant, après avoir constaté à quel point sa vision de la nature, par exemple, était conditionnée, de se demander s’il y a, dans le regard que Fisch accorde à des régions ou domaines peu investis par ses contemporains, quelque originalité, et, si cela s’avère, où elle réside.
Quoi qu’il en soit, on peut dire d’emblée que Montpellier et sa région séduisent. Plusieurs facteurs avaient assuré, dès la première moitié du siècle, le succès de la ville et sa région. Dans l’ensemble, le climat est plutôt prisé et réputé. Les villégiateurs colportent de flatteuses louanges qui font germer le nom de Montpellier aux quatre coins du monde. L’île de Rhode aux États-Unis devient le Montpellier de l’Amérique, en raison de son atmosphère bienfaisante ; aux Nouvelles Galles du Sud, on collera l’étiquette de « Montpellier du monde astral », pour la « bonté de l’air ». Les environs offrent également de nombreuses possibilités d’excursions : Nîmes, le Pont du Gard, le Canal du Languedoc. Des minéralogistes ou botanistes, comme James-Edward Smith, partent à dos de mule dans les Cévennes (on ne peut s’empêcher de penser à Fisch, tout en sachant que l’objectif est différent, et on est amené à se demander si Fisch avait eu vent de ces « promenades ») ; les « voyageurs valétudinaires », selon l’expression de Sterne, tel F. Garden, vont prendre les eaux à Balaruc 3.
Mais quelle est la première impression de Fisch, et de la plupart des voyageurs de l’époque quand ils découvrent la ville de Montpellier pour la première fois ? Dans son étude sur Montpellier à la fin du XVIIIe siècle 4, J.P.G. Delpuech souligne l’état de délabrement dans lequel se trouvait la ville en s’appuyant sur de nombreuses déclarations et descriptions de l’époque entre autres, celles de Rousseau et de l’archiviste Berthelé. Après un court séjour dans la capitale des États de Languedoc, Rousseau écrit en 1737 : « Montpellier est une grande ville fort peuplée, coupée par un immense labyrinthe de rues sales, tortueuses et larges de six pieds. Ces rues sont bordées alternativement de superbes hôtels et de misérables chaumières, pleines de boue et de fumier » 5. Quelques décennies plus tard, en octobre 1775, von Thümmel découvre à son tour la ville et en donne une évocation rapide, un peu caricaturale :
« Tu trouves ici de nombreux (amphi)théâtres, mais uniquement des amphithéâtres d’anatomie et de chirurgie, et les jardins qui les entourent ne sont ni français ni anglais, mais botaniques. – Les ruelles étroites s’emmêlent comme les boyaux d’un corps humain. Emanant de toutes les portes et de toutes les fenêtres, une odeur de pharmacie vient t’assaillir, et sur le marché on fait blanchir des squelettes » 6. A condition de ne pas douter entièrement des témoignages cités – mais quelles raisons auraient eu tous les détracteurs de la ville de vouloir à ce point ternir son image ? – on peut mieux comprendre le désarroi, ou l’étonnement, de Fisch. « La ville de Montpellier n’est pas belle en elle-même, elle a des ruelles très étroites, irrégulières, mal pavées, et en principe sales et puantes – certaines sont en pente raide. La plupart des maisons sont noires et sombres, et ce sont précisément les bâtiments dont on devrait attendre le plus grand luxe qui sont les pires de la ville. Le Palais de Justice, le Palais épiscopal, l’Hôtel de Ville, la Cathédrale et les quatre églises paroissiales offrent un aspect d’indigence et de délabrement. A l’inverse, on voit une grande quantité de très beaux hôtels particuliers, grands et je serais tenté de dire : princiers – dont certains se trouvent dans des ruelles étroites et des coins sombres. » Les rues sont suffisamment éclairées pendant la nuit par une foule de réverbères, mais quand le calendrier annonce un beau clair de lune, on n’en allume aucune, même si un ciel nuageux enveloppe la ville d’une obscurité très profonde, ce qui ne manque pas de mettre bien souvent dans l’embarras – et non le moindre -, le piéton nocturne qui revient d’une soirée ou d’un spectacle, dans ces ruelles étroites et bien boueuses » 7.
A la veille de la Révolution, la population à l’intérieur de la ville est encore de 24 000 habitants, mais celle des faubourgs atteint 8 000. Et sur l’extension de la ville, Fisch écrit encore : « A présent on aménage petit à petit de nouveaux faubourgs qui croissent très vite, mais dont la construction est anarchique » 8.
Dans l’ensemble, ce qui séduit le goût classique des voyageurs, c’est l’Esplanade (un édit de 1724 avait réglementé la hauteur de ses maisons), les allées du Jardin du Roi et du Jardin Botanique, et la place du Peyrou, même si certains d’entre eux s’indignent devant les inscriptions bellicistes de l’Arc de Triomphe.
Nous verrons, quand nous étudierons la vision que Fisch a des institutions languedociennes, ce qu’il pense du Jardin Botanique. En tout cas, il aime l’Esplanade, située « entre la partie basse de la ville et la citadelle, grande, spacieuse, bordée et ombragée par plusieurs rangées d’arbres, et qui assure, de sa butte, une vue délicieuse vers la mer » 9. Il aimera le Peyrou surtout pour le panorama qu’il permet de découvrir :
« De cette précieuse place, ornée de tant d’œuvres d’art et de prestige, on jouit d’une vue étendue sur la région autour de la ville et sur une grande partie de la mer. Par temps clair, le regard se perd à l’ouest sur les Pyrénées, et à l’est sur le piémont des Alpes. Au nord, on voit les proches montagnes des Cévennes s’élever progressivement les unes au-dessus des autres » 10. Et il raconte que chacune de ses promenades quasi quotidiennes au Peyrou est toujours une découverte, un plaisir renouvelé, intact. Mais il ne s’abandonne pas seulement à la contemplation du paysage, il décrit minutieusement, selon son habitude, l’Arc de Triomphe qui ouvre la place, la statue équestre de Louis XIV et le beau château d’eau en forme de temple qui se situe au bout de la perspective. Il admire la statue : les adjectifs laudatifs ne manquent pas (« grand, noble, sublime »), et Fisch s’étonne de l’ingéniosité des hommes qui, bâtissant un aqueduc, ont saisi cette occasion pour faire du château d’eau une œuvre royale. Mais tant d’éloges ne sauraient se concevoir sans critiques : utilisant de façon fort avisée la visite de l’empereur Joseph II dans la région, Fisch donne libre cours à la surprise et à l’indignation, exprimées par la voix du monarque autrichien, à chaque découverte d’une nouvelle somptuosité. « Votre bon roi laisse-t-il impunément les États gaspiller des sommes si prodigieuses ? » 11, se serait-il exclamé. Contrairement à ce qu’affirmèrent à l’époque de nombreuses personnes, ce n’était pas là l’expression d’une jalousie sûrement compréhensible, mais, et l’interprétation de Fisch prend de l’importance pour nous, une préoccupation sociale, la manifestation d’un constant souci du bien-être du peuple. « … Je pense que l’empereur avait autre chose dans le cœur que de l’envie […]. Il s’était enquis auparavant de l’état des écoles, de l’université, […], des bibliothèques publiques, des orphelinats, des hôpitaux […], et avait appris que certaines de ces institutions philanthropiques indispensables se trouvaient dans le plus extrême délabrement, mais que dans l’ensemble elles n’existaient même pas » 12. Et Fisch d’ajouter que Joseph II, voyageant dans la province, et constatant à quel point le paysan y était opprimé, avait maintes fois imaginé la sueur et les larmes qu’avait pu coûter l’aménagement du Peyrou !
La description de la ville s’assortit donc ici d’une critique politico-sociale qui, certes, n’est pas conduite jusqu’au bout, sous forme de réflexion conséquente, sans doute parce qu’elle constitue encore davantage une sorte de revanche contre ce qu’on appellera plus tard « la Grande Nation », qu’une véritable remise en cause du système monarchique, ce qui aurait été assez improbable à ce moment-là de la part de Fisch, tel que nous l’avons perçu. Mais on met ici le doigt sur quelque chose d’essentiel : ces diverses constatations sont les prémisses d’un raisonnement qui conduit logiquement à la mise en place d’une économie à caractère social. Les grands travaux entrepris dans la ville et les monuments royaux deviennent ainsi l’expression d’une injustice sociale.
Tous les voyageurs de l’époque soulignent l’opposition entre, d’un côté, la beauté de certains hôtels et des grands aménagements de prestige et, de l’autre, la pauvreté architecturale de la plupart des rues étroites et tortueuses; tous mettent en valeur, avec quelques bémols, certes, surtout de la part de Fisch, la vitalité et la diversité de la manufacture et du négoce de la place. Par contre, tous ne célèbrent pas unanimement l’ancienneté et la notoriété de l’Université, à commencer par Fisch, nous le verrons ultérieurement.
Fisch emploie pleinement le temps libre dont il dispose, et ne se contente pas de la seule ville de Montpellier : il visite aussi les environs (Sète, Agde) et fait même de grandes excursions ; il visite le port à Sète, la région d’Agde qui lui plaît pour sa configuration géologique, il vante le muscat de Frontignan. A Sète, il s’intéressera au canal qui traverse la ville et au port Saint-Louis, aux mouvements de la mer, des bateaux, au commerce – en bonne compagnie, puisque lui-même et l’ami qui l’accompagne depuis Montpellier, et dont, discrétion regrettable pour nous, il taira le nom, sont guidés dans ces visites par le fils du consul du Danemark auquel ils ont été recommandés. A Agde, ils seront également escortés par un commissaire qui leur montrera toutes les installations situées à l’embouchure du fleuve. Fisch gravira les pentes du Mont Saint-Loup, ancien volcan aux flancs très fertiles, et, depuis le sommet, peu élevé, mais impressionnant au milieu d’un paysage somme-toute assez plat, il se livrera à l’évocation de la topographie de tout le Languedoc, suggérant à son frère de déplier devant lui la « Carte de la Province du Languedoc, divisée suivant ses diflerens dioceses (sic), dans laquelle sont comprises les Provinces du Rouergue, du Quercy, du Roussillon, & du Comté de Foix… ». Le désir de procéder à de plus amples investigations est présent chez Fisch ; d’ailleurs, c’est avec regret qu’il rebroussera chemin, par obligation, et on le comprendra d’autant mieux qu’on sait l’enthousiasme et l’énergie qu’il déploiera à explorer les Cévennes.
« D’Agde j’aurais bien aimé poursuivre ma route vers les frontières espagnoles; mais l’ami de Montpellier, en compagnie duquel je faisais ce voyage, était contraint de rentrer ; j’avais diverses raisons de l’accompagner; et c’est ainsi qu’il me fallut renoncer à mon désir de voir encore Narbonne et Perpignan, les écluses près de Béziers, et les étangs qui s’étendent jusqu’aux Pyrénées » 13.
Mais il est des paysages ou des sites pour lesquels aucune donnée scientifique, aucune considération topographique ne semble nécessaire au départ, et qui seront davantage placés sous le signe du plaisir sensuel et de la mélancolie que sous celui de la science. Ainsi la promenade favorite de Fisch sera le village de Castelnau, à une demi-heure de Montpellier, où il passe de « douces heures, à penser à (son) pays, et à tous les êtres chers qu’il y a laissés » 14. Le tableau que Fisch nous brosse de Castelnau et de ses environs 15 est, comme il se doit, ponctué de moulins, de fabriques, de lavandières ou de voies romaines, qui rappellent le travail de l’homme et son histoire. Certes, il nous permet de ressentir le plaisir du contemplateur, dans la mesure où nous suivons le glissement progressif du regard, et jouissons avec lui du changement incessant de perspective et du renouvellement constant des objets à voir. Mais si nous décelons dans cet approfondissement des dimensions et dans cette approche quasi cinétique quelque chose d’essentiel, il serait prématuré, à ce stade, de l’identifier comme une percée préromantique, bien que l’on sente ici effectivement une sorte de rupture. L’ouverture du paysage baroque avait ses limites, on a plutôt ici affaire à des espaces gigognes avec lesquels on peut jouer à l’envi. D’autre part, si ce tableau, maintes fois élaboré et recommencé par Fisch, soit seulement en imagination, depuis sa halte ombragée, soit en suivant véritablement le cours du Lez, nous touche particulièrement, c’est sans doute qu’il exprime immédiatement sentimentalité et nostalgie.
La nostalgie éclate plus vivement encore, pour d’autres raisons, à Maguelonne 16. Le destin de cette ville, autrefois florissante, prospère et puissante, émeut Fisch au plus profond de lui-même. Non seulement l’île de Maguelonne, dépossédée ainsi de sa terre, de sa chair pour ainsi dire, a été réduite dans le but d’aménager un canal, mais la ville, à l’exception de sa cathédrale, a disparu. « Ici se trouvait donc une ville, pensai-je avec nostalgie, quand je posai le pied sur la terre et vis devant moi les employés du fermier occupés à faire les foins. Là où le faucheur brandit sa faux sans se poser de questions, se dressait la maison d’un riche marchand; là où cette jeune fille épand l’herbe coupée, les marchandises d’Asie étaient transportées par une rue très animée. Rues et maisons ont à présent disparu, il n’en reste pas une seule pierre ; il ne subsiste que la cathédrale, solitaire et comme en deuil ; une Niobé à laquelle on aurait ravi tous ses enfants. Je suis envahi d’une certaine nostalgie solennelle chaque fois que je vois les ruines d’un vieux château […]. Là, je fus bien plus profondément ému. Ce n’était pas seulement un château, bien souvent symbole du grand asservissement des villageois, bien souvent terrible repaire de brigands issus de familles nobles ; c’était une ville, habitée par une foule d’hommes et femmes industrieux et zélés, qui avait complètement disparu, ravie à ses sœurs : pour qu’aujourd’hui on récolte du foin où autrefois s’élevait l’atelier de l’artiste, la réserve du marchand » 17. On trouve là, inévitablement, la référence au travail et à l’activité des hommes : Fisch montre une préférence marquée pour l’histoire du peuple, des marchands et des paysans, chaque monument à la gloire d’un seigneur, statue, château ou autre trace d’un quelconque asservissement, d’une quelconque suzeraineté, lui étant d’avance suspect. Mais plus que cela, on notera ici l’emploi répété du mot Wehtnuth (nostalgie, mélancolie) : Maguelonne est bien pour Fisch le lieu de la mélancolie préromantique devant des ruines ou une ville-fantôme. Alors que les Arènes de Nîmes ou d’Arles, la Vénus d’Arles, les monuments de Saint-Rémy, suscitent encore l’enthousiasme de la découverte, la ville de Maguelonne, repérée à sa seule cathédrale, et que son absence rend encore plus douloureusement présente, devient symbole de la fuite du temps.
Une étape de l’émancipation semble ici franchie, pas définitive certes, mais néanmoins marquante. On y associera volontiers certaines échappées remarquées lors du voyage dans les Cévennes.
Ce qui a déterminé Fisch à entreprendre son voyage dans les Cévennes, c’est certainement d’abord sa curiosité naturelle pour les montagnes, et pour les hommes, car une autre motivation, et non des moindres, reste bien entendu l’envie de découvrir les Cévenols, protestants industrieux, expression d’ailleurs quasi pléonastique pour Fisch, nous le verrons.
Mais ce périple est aussi une sorte de bravade : c’était à n’en pas douter une entreprise difficile, peut-être même périlleuse, et Fisch pouvait presque avoir légitimement le sentiment d’être le premier à s’y risquer. Certes les Cévennes ne sont pas les Alpes, mais la rudesse de certains de ses sommets avait bien de quoi surprendre et captiver les voyageurs les plus hardis de l’époque. Les contemporains de Rousseau ont eu, avec la haute montagne, la révélation d’un univers qui, pour eux, était aussi exotique que celui des archipels polynésiens. Car enfin, quelle satisfaction, depuis les sommets !
Fisch se risque donc. Mais les Cévennes ne sont pas uniquement une façon de tester son courage. Nous ne pouvons qu’associer ces montagnes à des éléments essentiels pour lui : la terre et les hommes, l’économie et le travail, la religion et la société. C’est un terrain privilégié. Contentons-nous ici de le marquer d’une pierre blanche. La première impression est que ces massifs ont gardé une densité, une épaisseur ; ils sont, physiquement, restés intacts. Dans la dixième lettre 18, cette constatation apparaît très vite, après la traversée de la garrigue, synonyme, elle, de destruction, d’effritement et de mort. Le deuxième constat, c’est que les traces du labeur de l’homme sont présentes dans les endroits les plus inattendus, les plus improbables. Enfin, Fisch craignait le pire : les masses des Cévennes ne sont pas si horribles, pas si effrayantes que certaines montagnes suisses. A chaque niveau, c’est un soulagement : les Cévennes, c’est la vie, c’est le travail, c’est un paysage moins inhumain que ce à quoi on s’attendait. Et les hommes y sont bienveillants et conviviaux ; un paysan vous invite à partager son repas, un pâtre vous aide sur votre route. Arrivé sur les sommets, Fisch pense avoir atteint un but suprême, un lieu de révélation. Son émotion esthétique est forte, elle n’est pas sans écho philosophique 19. Car les hauteurs sont un espace d’utopie. L’altitude permet à l’homme de se préserver des turpitudes et autres indignités des plaines urbanisées. Comme les vallées fermées, elles garantissent simplicité et intégrité. Pour Fisch, elles sont des foyers de bonheur et d’épanouissement personnel : ce n’est pas par hasard que le mythe du « bon sauvage » y prend toute sa signification. Ici, l’homme est croyant, responsable, travailleur, frugal, et ne succombe pas aux mirages d’un faux progrès. Il vit dans le respect de ses ancêtres, sur la terre qu’ils lui ont léguée, et qu’il doit gérer à son tour, après toutes ces générations qui ont su métamorphoser un sol aride en plantations. C’est ainsi que pénétrer dans une châtaigneraie est pour Fisch un acte quasi religieux ; l’endroit, comme un temple, témoigne de la présence divine qui pourvoie à la survie des fidèles, et, en même temps, est le signe tangible de la foi de l’homme, qui, par son travail infatigable, son zèle sans failles, honore l’Être en qui il croit. Les Cévennes, c’est bien sûr, aussi, la terre des Camisards ; elles ont droit d’avance à tout le respect que Fisch peut témoigner à un territoire et à ses habitants, protestants pour la plupart, ses « frères ». Leur configuration et leur histoire font d’elles un espace de liberté privilégié, où Fisch va naturellement se sentir à l’aise, et pourra donc mieux s’ouvrir, s’épanouir, et donner de lui une image plus forte, plus authentique. L’extrême variété de leurs paysages, associés à ceux du début du Rouergue, (vallées fertiles, frondaisons luxuriantes, sommets dénudés, plateaux désertiques, rochers ruiniformes), les rendent attachantes, évitent une monotonie soporifique et rappellent à tout instant le combat de l’homme contre une nature âpre et cruelle. Les vallées cévenoles sont aussi le lieu d’implantation de tant d’industries auxquelles Fisch voue une passion constante, fasciné qu’il est, d’un côté, par les machines elles-mêmes, de l’autre par la vie des ouvriers.
Les thèmes abordés par Fisch sont multiples et de genres divers, mais on peut les regrouper autour de cinq points majeurs les institutions, l’économie, le travail (en liaison avec les questions économiques, religieuses et philosophiques), la religion et les mentalités. Nous nous proposons de les étudier dans cet ordre.
Les institutions
Parmi les institutions, on peut distinguer celles qui relèvent de la culture, celles qui correspondent à des groupes, et les institutions purement administratives, politiques et juridiques.
Les théâtres français ont les faveurs de Fisch : il les fréquente, aussi bien à Nîmes et à Montpellier qu’à Aix, Marseille ou Toulon, s’adonnant parfois à de méchantes réflexions. A Montpellier, l’ancien théâtre venant de brûler, un autre se construit, sur un modèle italien, ce que Fisch semble hautement apprécier, mais on doit, en attendant, se contenter d’une salle de concert « dont l’étroitesse n’offre ni places confortables aux spectateurs, ni espace à la machinerie. Le directeur de la société semble choisir ses gens avec justesse, et les pièces avec goût » 20. Petite concession, aussitôt ternie par le constat que les coûts à prévoir sont trop élevés pour le budget de fonctionnement alloué.
Fisch a l’alibi du sociologue pour aller observer le public des théâtres, et même si parfois le récit tourne à l’anecdotique, il n’en est pas moins empreint d’observations précises sur le rapport de cause à effet entre le budget et la programmation, et donc sur la composition du public, ce qui, à son tour peut expliquer certains comportements observés. D’une façon générale, il n’a rien à reprocher au public de ces théâtres, nous dit-il. A Nîmes, il a vu certes, une fois, « dans les premières loges, des familiarités auxquelles se laissaient aller des personnes de qualité et qui n’étaient pas très convenables pour les bonnes mœurs féminines » 21.
Fisch déplore également le manque de bibliothèques dans une ville comme Montpellier. « Ni l’Université, ni l’une des Académies n’ont de bibliothèque publique ; ni la ville, ni le chapitre de la cathédrale, ni quelque église que ce soit, ni cloître […]. Celui qui veut avoir, lire, ou tout simplement consulter des livres, doit se les acheter lui-même. […] En Allemagne, chaque ville, même de taille moyenne, possède une ou plusieurs bibliothèques publiques ; et une université, une Académie, une société savante est impensable pour un Allemand sans un fonds important de livres » 22, C’est le moment idéal pour Fisch de faire le procès de la société française à travers ses institutions et son clergé ; car, pense-t-il, c’est à coup sûr « le clergé qui trouve nuisible l’aménagement d’une bibliothèque publique » 23. Et puis, se dit-il, c’est bien la peine d’avoir « un évêque, une cathédrale et deux autres chapitres, environ trente cloîtres, une Académie des Sciences, et une Académie des Arts, une université, une Ecole de chirurgie, une Cour de justice souveraine, et quantité d’autres plus petites, deux grandes confréries religieuses, de nombreux nobles, beaucoup de capitalistes oisifs, et de très riches marchands » 24, si l’on n’a pas une seule bibliothèque L’argument culturel sert donc de support à un constat plus social.
La Faculté de Médecine de Montpellier est un centre d’attraction, moins grâce à ses médecins, peu estimés des Anglais et de Fisch, que pour la possibilité qu’elle offre d’assister librement et gratuitement aux cours. Vieille de cinq siècles, l’école de médecine jouissait d’une renommée européenne et attirait les étudiants de toutes les provinces de France et de tous les pays d’Europe. Mais Fisch ne manifestera guère d’enthousiasme ; c’est ainsi qu’il écrit à son frère :
« Tu es curieux, comme il se doit, de connaître l’état actuel de l’Université, tant il est vrai qu’en France on a l’habitude d’en faire l’éloge. Eh bien, tu ne dois pas te laisser abuser par le nom d’Université et surtout ne pas penser au genre d’établissement qui réunit, comme c’est le cas actuellement pour les meilleures grandes écoles allemandes, toutes les sections de la science humaine. Ici le terme d’Université ne recouvre qu’une école où sont enseignées, selon un mode ancien et routinier, deux ou trois sciences privilégiées » 25… ?
Fisch ne se montre pas tendre envers cette Faculté de Médecine, et il est parfois à la limite de la caricature : si tant de jeunes gens viennent faire leur médecine dans cet endroit, c’est qu’ils n’ont pas vraiment le choix, puisqu’en dehors de Montpellier, il n’existe que Paris et Strasbourg, et encore cette dernière est-elle plutôt le fief des Allemands ! Quant aux professeurs, l’un d’entre eux habite définitivement à Paris, ce qui en dit long sur la possibilité d’assurer ses cours, (le TGV n’existait pas à l’époque!) et certains ont atteint un âge canonique, ce qui laisse supposer que leurs facultés intellectuelles sont menacées 26. Nous avons vu qu’il y a sûrement une grande part de vérité dans les faits exposés, mais la manière employée relève de la satire. Et on retrouve chez Fisch la joie féroce qu’un Tobias Smollett employait à détruire un mythe.
Fisch ne sera pas plus élogieux sur le Jardin des Plantes que sur l’Université, dont ce jardin faisait d’ailleurs partie. Car c’était alors une dépendance de l’Ecole de Médecine du fait que le Chancelier de l’Université devenait, par charge d’emploi « intendant du jardin et professeur de botanique ». Il recevait une indemnité de 2 400 livres pour pourvoir au bon entretien de cette école de botanique, dont Richer de Belleval, le premier, avait organisé l’ordonnance. Mais de chancelier en chancelier, la juste notion de l’indemnité d’entretien s’était estompée et le bénéficiaire ne la considérait guère que comme une indemnité de fonction dont il pouvait jouir personnellement ; le jardin lui-même était devenu son jardin dont il disposait à son profit en lésinant, par ailleurs, sur les dépenses d’entretien.
Les Académies provinciales ne s’attireront pas non plus que des éloges. A l’origine, elles regroupent des « personnes distinguées qui se communiquent leurs lumières et se font part de leurs découvertes pour leur avantage mutuel », selon l’Encyclopédie 27. Ce mouvement qui touche tout le royaume se diffuse pour l’essentiel au XVIIIe siècle, même si la première impulsion, parisienne et monarchique, date du XVIIe siècle. La pratique de concours ouverts au public leur confère une fonction de perfectionnement et de diffusion du savoir. Fisch, jugeant l’Académie des Sciences de Montpellier, dira : « L’Académie de province a été moins généreusement équipée que sa sœur aînée de la capitale. Elle n’a reçu ni subventions ni capitaux pour d’importantes entreprises ; et les bâtiments qu’on lui a attribués n’ont pas de valeur particulière. Les médailles, sans grande distinction, qu’elle doit distribuer pour ses prix, elle les reçoit des Ètats de la province ; et au lieu des jetons, qui représentent pour les Académiciens parisiens une somme annuelle considérable, tous ceux qui assistent ici aux réunions habituelles ne reçoivent que quelques sous par session » 28. Dès lors, qu’attendre de ces « personnalités » ? Chacun d’entre eux, devant assurer son quotidien, sera « d’abord médecin, commerçant, artiste, et ensuite seulement Académicien, à ses heures perdues » 29. Ce n’est d’ailleurs, dit Fisch, qu’au bout de soixante années d’existence de cette Académie qu’est paru, en 1766, le premier compte-rendu de ses travaux, et seulement douze ans plus tard le deuxième. Et de citer d’Alembert : « (Cette Académie) a un comportement avisé, elle fait si peu parler d’elle » 30. Cependant, Fisch note un léger frémissement, un réveil de la belle endormie, et a d’autant plus d’espoir qu’il constate que « les Ètats de Languedoc se servent de temps à autre de l’Académie pour la faire travailler sur des sujets particulièrement importants concernant le bien du pays » 31, entre autres l’avenir du port de Sète.
Si on estime que la franc-maçonnerie est une « société secrète », demeurée privée de la reconnaissance de l’Etat, et qu’elle apparaît comme le résultat des progrès des Lumières, tout en les diffusant, elle a sa juste place parmi les institutions scrutées par Fisch. Mais il faut bien admettre que le passage, d’une quinzaine de lignes à peine, consacré, dans la septième lettre, aux francs-maçons de Montpellier, n’est pas très clair : on y voit dénoncer les excès de nombreux membres de ces loges, « hantées par l’esprit de la superstition » 32. Fisch y parle de « secrets » (« Geheimnisse »), de « Châteaux en Ecosse » (« goldne Schlösser in Schottland »), s’empressant d’ajouter « qu’il existe ici plusieurs loges qui ont su se préserver de toutes ces illusions et qu’il connaît « certains de leurs membres, maçons honorables et sages, qui ne se laisseront jamais poser sur la tête la coiffe à grelots de la folie exaltée » 33. Cette rapidité, – et également le fait que Fisch, de son propre aveu, soit entré en contact avec des francs-maçons, d’ordinaire peu enclins à avouer leur appartenance à une loge -, dévoilent-ils une certaine pudeur, sinon une gêne, de la part d’un aspirant-prédicateur ? C’est une question qui reste ouverte : nous n’avons, malgré un début de recherches, pas encore pu trouver trace du passage ou d’une quelconque activité de Fisch au sein d’une loge de francs-maçons de Montpellier.
Les États du Languedoc ont une réputation qui s’étend à toute la France ; les évêques qui y siègent possèdent souvent une fortune colossale, d’où le dicton populaire : « Je veux être damné comme un évêque du Languedoc » (cité et traduit en allemand par Fisch, pp. 347-348). A l’origine, l’organisation est plutôt bonne et sérieuse : Fisch note ici, avec satisfaction sans doute, que « les États se réunissent chaque année à Montpellier, début décembre, siègent pendant cinq à six semaines, et traitent, sous la présidence de l’archevêque de Narbonne, […], toutes les affaires qui dépendent d’eux » 34. Mais très vite, après avoir présenté les Ètats et leur structure, après avoir souligné les avantages qu’offrait à l’origine une telle organisation, Fisch dénoncera la présence trop nombreuse d’ecclésiastiques qui occupent les trois-quarts des sièges. Il regrettera l’impuissance des consuls, face aux évêques et archevêques : à moins d’y perdre leur place et leur emploi, les pauvres ne peuvent rien faire pour combattre la volonté du clergé, qui « dispose à sa guise du bien d’autrui, […], entreprend sans scrupules, ce qu’exigent son ambition, son confort, […] accumule des pensions et des cadeaux […], et se soucie comme d’une guigne de ceux qui doivent fournir l’argent qu’il distribue sans compter » 35. Quant à la noblesse, elle a, elle aussi, d’innombrables privilèges, et impose au peuple de lourds impôts. Ce qui indigne le plus Fisch, c’est « l’inégale répartition des charges » (« die ungleiche Vertheilung der Auflagen », p. 352). « Tout patriote souhaite l’abolition des Ètats », écrit-il, prenant soin d’ajouter une note où il précise : « Les vœux de ces patriotes, que j’ai mentionnés, lorsque j’ai écrit ce passage, ont été exaucés en août 1789. Toutes les provinces qui avaient l’opprimant « privilège » d’être administrées par des États, ont été mises à égalité avec toutes les autres, et toutes les organisations, les privilèges et les institutions particuliers qui les distinguaient des autres, ont été abolis » 36. Il est clair que Fisch ne veut pas donner la fâcheuse impression « d’arriver après la bataille », mais quoi qu’il en soit, ses remarques, aussi acerbes qu’elles soient, semblent bien relever d’une observation pertinente et documentée sur le terrain. Ses révoltes sont tout à son honneur.
Autre révolte : la justice, ou plutôt l’injustice. On ne punit par exemple le fratricide que de la prison à vie – au lieu de la pendaison, comme en Angleterre, ou de la roue, comme en Allemagne.
« Comment penses-tu », demande-t-il de façon rhétorique à son frère, « que ce fratricide a été puni ? – En Angleterre, où les lois ne font pas de différence de rang ni de dignité, il eût été au moins pendu comme Lord Ferrers. En Allemagne, on l’aurait torturé avec des pinces, et mis sur la roue. Ici, en France – il faut bien te rappeler que c’était le fils d’un assesseur de la Haute Cour des Comptes de Montpellier, donc qu’il était par là-même noble – ici en France, ce fratricide doit, pour payer son abominable crime, passer toute sa vie en prison… » 37.
L'économie
L'agriculture
L’intérêt de Fisch pour l’agriculture méridionale, la culture des oliviers, de la vigne, du blé entre autres est très marqué ; il manifeste un engouement certain pour les châtaigneraies des Cévennes et les diverses plantations effectuées sur les flancs difficiles d’accès de ces montagnes 38. Sur ce point, Fisch ne fait que traduire une fois de plus la polarisation utilitaire de ses contemporains. Et il n’est pas étonnant de constater que Fisch, comme l’agronome britannique Arthur Young, ait considéré le territoire français comme un espace très mal mis en valeur : friches, landes et marais ne trouvent aucune grâce à leurs yeux.
Le même Arthur Young estime que les terres incultes occupent dans la France de l’époque 11 millions d’hectares alors que les terres arables en recouvrent 30 millions 39. Même si ces chiffres d’une réalité nationale ne peuvent être proportionnellement repris pour le Languedoc et la Provence, ils ne doivent pas y être radicalement différents. Les espaces non cultivés représentaient entre le tiers et la moitié de la superficie des sols mis en culture. A cette époque où l’homme est sensible à la belle ordonnance de la nature, tout paysage qui porte encore l’apparence sauvage est regardé et jugé comme l’expression de la stérilité et de la pauvreté. Défricher, assainir, cultiver, c’est assurer à plus d’un titre le bonheur du peuple. Toute sous-exploitation du sol, toute mauvaise gestion des domaines, fera l’objet d’une dénonciation de la part des experts et des voyageurs avertis, tels que Young et Fisch. Le peuple doit être occupé à ces travaux d’aménagement du territoire, ce qui, d’une part endiguerait le chômage, et, d’autre part, maintiendrait le contact des hommes avec le sol. L’importance du lien avec la terre est considérable ; si des paysans sont amenés à travailler dans les manufactures, on le tolérera, à condition que cet emploi soit relayé par une occupation à la campagne, telle que cela existe encore en Languedoc à l’époque, et dont les patrons et les gouvernants se félicitent. La main d’œuvre proprement industrielle, c’est-à-dire le prolétariat des manufactures, voué à la machine, et en rupture de terre, sera mal jugé, parfois même sournoisement, ou naïvement, condamné.
L'industrie
La curiosité de Fisch l’entraîne à s’intéresser à toute forme d’industrie. Dans les villes traversées, ou dans celles où il séjourne plus longtemps, il ne manquera jamais d’aller visiter une fabrique, ou seulement d’admirer une machine, quitte à critiquer ensuite son utilisation. De passage à Nîmes, il s’était passionné pour la fabrication de la soie, et rendra à cette occasion un vibrant hommage au Nîmois François Traucat, le premier à avoir, dans la deuxième moitié du seizième siècle, planté un mûrier sur le sol français. « Le bon Traucat ne fut certes pas un inventeur ; le mûrier aurait été petit à petit planté en France, même sans lui, c’est indéniable. Mais en tout cas, son grand mérite aura été d’offrir le premier mûrier à son pays » 40. Fisch signalera que « les soieries nîmoises imitent trop les produits indiens » et qu’en qualité, « elles sont bien inférieures aux soieries lyonnaises » 41. Il évoquera encore les teintureries et les manufactures de toiles de coton peintes 42.
En liaison directe avec l’économie, Fisch donne sur la ville de Montpellier quantité d’informations démographiques. Si on l’en croit, la ville de Montpellier était « voici deux siècles – donc au XVIe siècle – beaucoup plus importante et plus peuplée qu’elle ne l’est aujourd’hui (XVIIIe). Certes, elle a toujours les murs qui l’entouraient au temps de sa splendeur; mais les faubourgs, autrefois plus grands que la ville elle-même se réduisirent de plus en plus au cours des guerres de religion du seizième siècle, avant d’être incendiés en 1621 par les Réformés qui occupaient la ville […] » 43. Sur le nombre d’habitants, synonymes, dans ce contexte, de consommateurs potentiels, il ajoute : « Le nombre d’habitants actuellement est évalué communément à 36 000 têtes ; mais Monsieur Mourge de Montredon, médecin de l’endroit, très connu, décédé récemment, ne donne, dans un traité sur ce sujet, que 30 000 âmes » 44. En fait, selon des recherches plus récentes, mais pas obligatoirement plus justes, il semble que Montpellier ait compté, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, environ 45 000 habitants de tout état ; à ce nombre déjà grand de consommateurs sédentaires, il faut ajouter les acheteurs qui viennent des environs, des villages et des petites villes, et également les voyageurs, de même que les hivernants étrangers. D’autre part, le progrès des métiers majeurs et l’expansion du commerce lointain sont singulièrement aidés par ceux des services publics dont la création et le développement sont dus à la politique économique du gouvernement royal et de l’administration provinciale.
Fisch consacre plus de quatre pages à l’histoire économique de Montpellier, à l’ascension et/ou à la décadence, selon les époques, de cette industrie; et plus de dix pages aux différentes branches de ce secteur. Il citera les eaux-de-vie, les parfums, les liqueurs, le verdet, les teintureries de fil de coton écarlate, et s’étendra sur le commerce et la bourse 45.
Il associera, comme il le fait dès qu’il le peut, – nous en avons un exemple avec François Traucat -, une branche de l’industrie à un homme : Arnaud de Villeneuve devient ainsi le bienfaiteur de la ville de Montpellier, pour avoir permis aux industriels locaux, grâce à la distillation, de diversifier leur production, et d’apporter une nouveauté sur le marché. « Tout le Bas-Languedoc regorge de vignes ; et la plus grande partie des vins, le plus souvent excellents, qui y sont produits, ne trouvent pas assez d’acquéreurs. L’Angleterre a de tout temps eu l’habitude d’aller chercher son vin au Portugal […]; c’est ainsi qu’il restait dans la région plus de vin que l’on ne pouvait en consommer. Une invention qui permettait de transformer ce précieux cadeau de la nature […] ne pouvait être que bienvenue dans ce pays […]. Ce fut Arnaud de Villeneuve, célèbre médecin du quatorzième siècle et professeur à Montpellier, qui, le premier, fit connaître cet art singulier de transformer le vin en eau-de-vie 46. Fisch associe à l’art des parfums les frères Ribans « qui, grâce à la pureté et la perfection de leur marchandise, ainsi que par le soin et la minutie apportés à leur commerce, ont su gagner le plus de confiance auprès d’une clientèle très étendue » 47.
Quant à la fabrication du verdet, elle retiendra toute l’attention du voyageur, mais ne fera pas l’objet d’une description détaillée. Après avoir dit que cette industrie était implantée depuis le seizième siècle déjà à Montpellier, et qu’une croyance un peu stupide, selon laquelle le verdet ne pouvait bien se fabriquer que dans cette ville, avait pendant longtemps retenu les villages environnants de s’y essayer (époque heureusement révolue !), Fisch nous accorde une note, ajoutée ultérieurement, vu le temps employé, lors de la rédaction définitive des lettres : « Si je n’avais pas craint d’abuser de la patience de plus d’un de mes lecteurs, je me serais engagé dans une description plus précise de la fabrication de ce produit, d’après la méthode que l’on emploie ici […]. Mais celui qui aurait envie d’en savoir davantage sur le sujet, pourra consulter […] deux traités de Monsieur Montet… » 48. Il ne fait aucun doute que cette fabrication 49, qui tient d’une chimie bien propre à exciter la curiosité, a dû captiver Fisch, comme le fascinera également à Gallargues, village situé entre Lunel et Nîmes, la fabrication de tissu de tournesol, à partir de la maurelle. Sur plus de quatre pages, nous suivrons cette délicate élaboration, depuis la cueillette de la plante contenant le jus bleu, par tous les habitants du village, et cela sur ordre du consul, dans le plus de régions possible (Provence, Cévennes, Gévaudan, Auvergne, Vivarais). « Puis la maurelle est écrasée jusqu’à constituer une pâte, par un moulin qui ressemble à un moulin à huile, […]. Avec le jus vert obtenu, on teint ensuite des morceaux de toile de lin, bien lavés, que l’on suspend au soleil, afin de les faire rapidement sécher » 50. Le passage de la couleur verte à la couleur bleue sera détaillé : les morceaux de toile seront posés sur des récipients de pierre, où « l’on aura conservé l’urine familiale de tout un mois » 51, à laquelle on aura « mélangé un peu de chaux vive » 52 ; et c’est ainsi que, la chaux aidant, le contenu alcalin de l’urine, en se dégageant, « transformera en vingt-quatre heures la couleur (de la toile) en une belle couleur bleue » 53.
Quand les Cévennes deviennent l’environnement quotidien de notre voyageur, elles ne captent pas seulement son attention, sa curiosité et sa sympathie en tant que montagnes. Elles sont habitées par des hommes qui l’intriguent et le fascinent. Fisch a certainement, en sa qualité de citoyen suisse, entendu depuis longtemps vanter les mérites des Languedociens et plus particulièrement des Cévenols ; il existe en effet un rapport régulier et dense entre sa région d’origine (l’Argovie) et ce pays. Dans son étude sur la communauté huguenote à Aarau de 1685 à 1699, Fr. Ebrard 54 note qu’à l’instar des autres manufacturiers français réformés qui produisaient soie, laine, lin, coton, bas, chapeaux et gants, la firme des Frères Mourgues constituait un point de repère et d’ancrage pour les autres familles émigrées du Languedoc et du Vivarais qui voulaient s’installer dans cette région d’Aarau afin de gagner leur vie. C’était une habitude courante chez les artisans et commerçants languedociens, et cévenols donc, même modestes, d’envoyer leurs enfants et surtout leurs fils en apprentissage chez des amis de famille ou d’affaires à l’étranger également huguenots. Habitude éminemment commerciale et très utile pour l’extension des connaissances et des relations, mais qui avait aussi des raisons très précises d’ordre religieux. Jean-Paul Chabrol, dans son étude Les seigneurs de la soie 55 consacre un chapitre à l’éducation suisse d’un jeune cévenol : en 1782, Laurent Parlier, fabricant d’indiennes, Cévenol installé à Montpellier, décide de placer son fils en Suisse non sans hésitation. L’indiennage sera comme un retour du Refuge huguenot 56.
Mais suivons donc Fisch dans les Cévennes. Après avoir traversé le « désert » de la garrigue montpelliéraine, il aborde avec soulagement la vallée de l’Hérault, et parvient à Ganges 57. Il se penche sur le mystère des origines de la ville et des eaux méridionales, et l’éclaircit, avant de présenter la ville et ses habitants : « Cette localité grandit de jour en jour ; depuis quelques années, on y a aménagé des rues toutes neuves, droites et larges. La vieille ville est sale, mal bâtie, elle a d’étroites ruelles et forme un contraste désagréable avec la nouvelle ville. Les habitants de cette localité florissante doivent être plus de 4 000 – parmi lesquels la plus grande et également la plus riche partie est de confession réformée ; la plupart des fabricants sont de ce nombre, alors que presque tous les ouvriers vont à la messe. Les Réformés ont leur propre directeur de conscience, reconnu comme tel par toute la ville, et estimé des Catholiques » 58. A Nîmes déjà, notre voyageur s’était réjoui de constater une fois de plus la prospérité de ses coreligionnaires. « L’esprit d’industrie règne depuis des siècles déjà sur la ville de Nismes. Même au beau milieu des horreurs des guerres de religion, alors que la ville, ravie tantôt par un parti, tantôt par l’autre, devenait le principal théâtre de la guerre, donc dans les circonstances les plus défavorables, le magistrat municipal n’oublia jamais que le bien-être d’une ville dépend uniquement du zèle et de l’activité des bourgeois ; ainsi, on trouve aux archives plus d’un contrat de cette époque, passé par les consuls de Nismes avec des artistes et des artisans pour y attirer de nouvelles industries et de nouvelles branches de commerce. Aussi épuisées que fussent les ressources, déjà réduites, de la ville, et surtout dans les circonstances de l’époque, on parvint toujours à trouver assez de moyens pour avancer des sommes considérables nécessaires à la création de nouvelles manufactures » 59.
Il se plaît également à décrire les ouvriers protestants des manufactures sous un jour avantageux : « Les ouvriers des fabriques de religion protestante se distinguent des autres bien à leur avantage ; ils sont plus travailleurs et plus mesurés ; et comme les responsables de la communauté veillent sur eux, ils sont tenus d’être plus économes de leur gain. Ils ne sont jamais non plus opprimés par la peine et la misère ; les marchands et les propriétaires de fabriques sont précisément protestants et ils s’occupent en temps de pénurie de leurs ouvriers, avec un zèle bienveillant, tandis que, pendant ce temps, les ouvriers catholiques vont mendier de porte en porte, et sont souvent contraints d’attendre tristement, devant le réfectoire des couvents, qu’on les prenne en pitié. Nismes est, comme tu le sais, la capitale des Réformés de France ; leur nombre est plus grand que dans plus d’une province du nord. La plus grande partie des habitants est réformée. Cette nombreuse communauté est prise en charge par trois prédicateurs, parmi lesquels Monsieur Paul Rabaud s’est particulièrement distingué aux temps de l’intolérance par son intelligence, son héroïsme et son infatigable zèle » 60. Fisch aurait bien voulu rendre visite au vieillard, malade à cette époque, mais il n’osa pas.
A Ganges, il va s’étendre une fois de plus avec plaisir sur les productions locales : « La plupart des habitants connaissent un certain bien-être ; nombreux sont ceux parmi eux qui possèdent des richesses considérables, acquises par le commerce de la soie sauvage et des bas de soie. La production de soie, dans toute la province du Languedoc, s’élève, d’après un calcul de l’Intendant, à six millions par an. Il en passe chaque année deux dans les mains des négociants de Ganges, du fait que la petite bande de terre que l’on appelle les Basses-Cévennes tisse presque autant de soie que tout le reste de la province ; et cette soie est achetée la plupart du temps par les Gangeois qui dévident les cocons dans leurs filatures, font fabriquer des bas à leur compte dans le voisinage, ou même vendent la soie vierge à des fabriques de Nîmes et de Lyon » 61. Mais Fisch a besoin de tout vérifier, de voir de ses propres yeux 62. Suit un très long passage sur la fabrication du fil de soie, que Fisch juge déficiente, – passage où Fisch injecte une nouvelle critique de la gestion des finances par les États du Languedoc -. Ce long texte nous rappelle, s’il en était besoin, l’esprit curieux de Fisch, son goût pour le détail, son insatiable soif de s’instruire et de communiquer, de soumettre ses idées – dont il se félicite que quelqu’un, ici le propriétaire de la manufacture, les écoute -, sur les techniques nouvelles et la bonne gestion d’une entreprise ; tout cela après avoir exprimé, bien sûr, nous l’avons mentionné plus haut, sa bienveillante amabilité pour les Réformés.
Sur les sentiers et les drailles de ces vieilles montagnes, il trouvera, en fin de compte, une forme de ravissement, peut-être même tout simplement le bonheur 63. Sa rencontre avec un paysan cévenol suscite en lui une émotion sincère : ah !, pouvoir partager le modeste repas de cet homme simple, honnête, travailleur ! Oui, c’est bien cela, finalement, le bonheur : cette vie tranquille, sobre, frugale, que ne peut mener que celui qui a employé tous ses efforts à se rendre utile par son travail – et s’il s’agit du travail de la terre, c’est naturellement encore mieux ! De là à penser que celui qui se trouve dans la misère, ou dans une situation difficile, parce qu’il n’a pas trouvé de travail, ou parce qu’il a abandonné la terre et le domaine où ses ancêtres ont travaillé, pour le mirage des manufactures, – de là à penser que ce malheureux a bien mérité son sort, il n’y a qu’un pas ! Il ne faut pas perdre de vue qu’au XVIIIe siècle, on trouve, étroitement liée à la notion de travail, celle d’utilité 64, que l’on ne peut détacher non plus de l’idée du bonheur 65. Pour être utile, travailler ne suffit pas ; il faut servir au bonheur. C’est bien ce que pense Fisch 66. L’idée de bonheur se trouve aussi dans la tempérance. Fisch évoque avec un plaisir ému la vie sage du paysan cévenol, rêve de partager avec lui un frugal repas. On peut signaler ici l’influence non négligeable des physiocrates 67. Ils opposaient aux thèses des économistes mercantilistes, qui voyaient dans la masse des métaux précieux dont dispose un pays la mesure de sa richesse, une théorie de la production de richesse et de la circulation de cette richesse dans une nation. Fisch partage même l’anglomanie des physiocrates qui trouvaient un modèle et l’assurance du bien fondé de leur projet d’amélioration de l’agriculture dans l’économie anglaise.
Plus proche de l’Angleterre est le modèle suisse : « J’aimerais pour finir conduire tous ces messieurs à travers les champs fertiles de la région de Berne ; j’aimerais leur montrer nos maisons de campagne, nos beaux villages, les habitations de nos paysans pleines à craquer de riches provisions ; j’aimerais leur faire comprendre la façon de penser et d’agir des sujets bernois; et puis, une fois qu’ils auraient assez vu, assez analysé et assez comparé pour porter un jugement, alors j’aimerais leur demander où ont-ils vu champs mieux cultivés, vignobles mieux soignés, prés mieux situés et entretenus avec plus d’intelligence ? Où ont-ils trouvé race plus saine, plus forte […] ; gens plus aisés, confort mieux répandu et moins de pauvreté ? Où ont-ils rencontré plus de zèle infatigable, plus de loyauté, d’honnêteté, de droiture ; plus de respect envers l’autorité, plus d’obéissance heureuse ? Et puis je les prierais de me dire ce qu’il manque à ce pays pour être heureux ! Pensent-ils sérieusement que le commerce pourrait accorder véritablement le bonheur à ce pays si praticable et si habité ? Espère-t-il que celui-ci rendra le paysan plus travailleur, plus mesuré, plus honnête, plus débonnaire, plus satisfait et donc plus heureux ? Ils ne résisteraient certainement pas à l’évidence d’une telle induction et béniraient comme moi un gouvernement qui, à l’inverse de l’exemple aveuglant de la plupart des Ètats européens, du préjugé répandu généralement sur le commerce, préfère régner sur des sujets prospères, sains, estimables et zélés, dont le fisc ne peut espérer dans le meilleur des cas qu’une participation moyenne, plutôt que sur des sybarites riches, faibles et dépravés […] » 68.
Et Fisch va de plus en plus loin dans son enthousiasme convaincu. Dans la onzième lettre, il va même jusqu’à évoquer la pureté du sang suisse, qu’il se refuse à voir mêlé au sang impur du peuple d’une autre nation 69. Nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher cette évocation du « sang suisse » de certains chants de la Société Helvétique. « Tout écrivain ou penseur suisse était en général membre de la Société Helvétique », déclare Ulrich Im Hof 70. N’ayant aucune preuve tangible, nous ne pouvons affirmer la même chose à propos de Fisch, et nous nous contenterons d’établir un certain nombre de liens, ou de constater certaines différences, entre la ligne suivie par la Société Helvétique, d’une part, et les idées émises par Fisch, d’autre part. La Société avait été fondée en 1761 : il s’agissait pour ses fondateurs de rajeunir le sentiment national qui s’était formé au cours du XVe siècle et avait su se maintenir pendant les deux siècles suivants, mais avait perdu, au XVIIIe siècle, le contact avec la langue de l’époque héroïque, celle des chroniques, des jeux et des chants. Cette conscience nationale avait permis à la Suisse de jeter des ponts entre les différents cantons de confessions différentes ; elle était en train de se perdre parce qu’elle n’avait plus de moyens d’expression adaptés aux temps modernes. Les membres de la Société Helvétique avaient surtout des préoccupations de politique intérieure ; ils voulaient d’abord rétablir une cohésion dans leur pays. La politique à mener se concentrait donc sur les points suivants concilier les différences confessionnelles, réduire les inégalités entre cantons de type féodal et cantons d’organisation démocratique, gommer les préjugés qui subsistaient entre cantons. La figure de Guillaume Tell semblait tout indiquée pour rassembler en elle toute l’énergie nécessaire à la mise en chantier de ce vaste programme. Le héros fut ainsi chanté à partir de 1767, dans les cercles de la Société. On composa des chants suisses (Schweizerlieder), à reprendre en chœur lors des rencontres, des réunions, des débats. A Bâle, on institua un rituel en 1782 : la coupe de l’amitié helvétique, remplie de vin nommé « sang suisse », circulait, pendant que les participants entamaient le chant de Guillaume Tell ou de Saint-Jacques. Le mot Schweizerblut prend ici toute sa signification : le sang suisse est sacré, il sert à la « communion » (toutes confessions et toutes convictions religieuses confondues !). Il est intéressant de noter l’allusion de Fisch au « sang suisse », et de voir que les aspirations de notre voyageur en matière de justice sociale ne sont pas très éloignées de celles de la Société. Par contre les préjugés concernant l’autre confession, la religion catholique, ne semble pas être surmontés chez Fisch, et son séjour en France les a même, d’une certaine façon, accrus.
Quoi qu’il en soit, et pour rester dans le cadre de notre étude, nous voyons bien que, même lorsqu’au XVIIIe siècle, le travail apparaît au cœur d’un projet productiviste et utilitariste, il conserve son rôle d’instrument de contrôle social et moral. Fisch se situe à un point donné de cette chaîne, conférant au travail, certes, une valeur éthique, par le rôle qu’il peut jouer dans l’épanouissement individuel, mais aussi une valeur sociale (ou socio-politique), dans la mesure où sa conception du travail renvoie à une image d’ordre public, où chacun a la place qui lui échoit.
La Suisse que nous dépeint Fisch avec tant de fougue, quitte à nous octroyer çà et là des arguments d’une xénophobie qui ne s’était encore ni identifiée ni reconnue comme telle, est le pays de référence des Lettres, sorte d’idéal, de paradis économique où l’homme peut s’épanouir. Autre idéal pour Fisch : la religion réformée et ses fidèles. Est-ce pour autant qu’il faut établir un lien entre cette vision particulière de l’économie et les préceptes du protestantisme ? Est-ce pour autant qu’il faut conclure à un germano(helvético)-centrisme protestant, ou faudra-t-il, après avoir conduit l’étude à son terme, apporter quelques nuances à ce jugement, à la lumière d’autres informations ? Pour l’instant, il convient de considérer la façon dont Fisch aborde et présente la religion.
La religion
Apologie des protestants
En tant qu’élève-prédicant, Fisch porte, c’est indéniable, un regard presque toujours empreint de « religieux » sur les événements, les choses et les gens. Ce qui nous frappe le plus, c’est qu’il est un groupe qui trouvera toujours grâce à ses yeux dans la France d’alors : il s’agit des protestants français dont il dépeindra abondamment les souffrances et les vertus au cours de ses premières lettres – d’autant plus que l’Édit de Tolérance accroît l’actualité du sujet et lui confère une nouvelle vigueur. L’admiration que Fisch leur voue est sans bornes. Il ne manque jamais de mettre en valeur les qualités de l’homme protestant, qu’il s’agisse de l’ouvrier, du paysan ou de l’homme de bien. A travers l’histoire du protestantisme dans le Midi, la description des conditions de vie dans les manufactures, l’évocation d’une châtaigneraie cévenole, on sent, au fil des pages vibrer l’âme de Fisch. C’est un Fisch ému, reconnaissant et admiratif qui s’exprime, chaque fois qu’il rédige un passage consacré à ses coreligionnaires, – ce qui ne l’empêche pas de donner une légère touche critique, comme ici, à la fin de l’extrait cité : « Les temps ont changé pour les protestants de France, et pour leur grand bonheur. Autrefois, celui qui voulait aller à une assemblée risquait son bien, son honneur, sa liberté, et même parfois sa vie, et pourtant très peu se laissaient impressionner ; plus on leur rendait les choses difficiles, et plus ils avaient soif de ce rafraîchissement religieux. Peut-être y attachent-ils moins d’importance, à présent qu’ils peuvent en profiter plus tranquillement et sans avoir ce prix à payer ; en tout cas cela paraît être dans la nature de l’homme ; et il me semble que j’ai entendu de telles plaintes au sujet des protestants d’aujourd’hui » 71. Suit l’histoire d’une assemblée organisée malgré l’interdiction, d’un massacre etc. Un petit coup de patte, pour les réveiller sans doute, aux protestants un peu léthargiques qui auraient oublié leur histoire, mais un grand hommage au courage des anciens. Un coup de griffe en tout cas à la France, « nation qui se prétend la plus éclairée, la plus policée de toute la terre, (et qui) a à répondre des forfaits les plus terribles, les plus dignes d’horreur ; […] c’est chez elle que se sont passés les guerres albigeoises, les michelades, les meurtres d’Alet et de Merindol, les nuits de la Saint-Barthélémy et les fêtes du dimanche des Rameaux de Nismes » 72. Et de s’appuyer, nous y avons déjà fait allusion, sur les massacres d’Alet, ordonnés par « la cruauté de tigre du maréchal de Montréal ».
Sur les protestants de Montpellier, mêmes remarques :
« Parmi les habitants de Montpellier se trouvent en ce moment environ 5 000 Réformés qui ont un pasteur toléré sans protestation par le gouvernement. Mais le clergé catholique n’a jamais voulu leur accorder d’école ni d’établissement d’enseignement ; il a bien su étouffer toutes les tentatives qui allaient dans ce sens » 73. Fisch parle ensuite du Mas de Merle, à une demi-heure de la ville, où les protestants tiennent leur assemblée et raconte ce qu’il y a vu et entendu. Il est particulièrement touché quand les protestants demandent la prospérité des rois de France qui les ont presque tous persécutés, et note que, si l’on perçoit nettement une ouverture, effet d’une certaine tolérance, si, par exemple, on octroie à un protestant le droit de se faire soigner dans un hôpital catholique, on ne lui permet pas encore d’y recevoir son directeur de conscience. La tolérance concerne à la limite l’homme, beaucoup moins, voire pas du tout, la religion.
On peut se demander si le fait d’être protestant ne permet pas à un homme de la glèbe ou des manufactures de s’élever au-dessus de sa condition. Valeur éducative d’une religion qui a, entre autres idéaux, « la mesure et la transparence » (ce qui pourrait expliquer, autant que l’influence des Lumières, la répulsion de Fisch devant toute forme d’excès). A d’indéniables qualités d’économie et de tempérance, le protestant allie le sens de l’équilibre social. Fisch se réjouit de ce que ses coreligionnaires soient « plus travailleurs », « plus mesurés », que les autres, et aussi mieux encadrés, et mieux soutenus, dans leur démarche de croyant, et pour une meilleure gestion de leurs revenus. Ce dernier point est très important. En effet, si la charité chez les protestants, tout en se rationalisant, demeure toujours le devoir essentiel du chrétien qui, par ses offrandes dominicales, par des legs parfois très généreux et des contributions obligatoires, alimente la « bourse des pauvres », l’aumône individuelle est désormais interdite. Ainsi, l’assistance est donnée, pour une fois seulement, si l’on est momentanément dans l’impossibilité de travailler. Mais elle s’accompagne d’exhortations morales, si le pauvre mène une vie indigne d’un chrétien, si, par exemple, il cherche à oublier sa malchance dans le vin 74. Dès lors, on s’explique mieux l’enthousiasme de Fisch au contact des paysans cévenols une vie empreinte de travail, de mesure, de jouissance sage. On peut, au passage, rappeler que la vie du protestant n’est pas ascèse. « Tout ce que Dieu a créé est bon, et rien ne doit être rejeté » (Timothée I, 4,4-5), mais entre l’ascèse et l’excès, il y a une marge où s’installe confortablement le protestant, sachant qu’il est un être actif, « fait pour le travail et non l’oisiveté » 75. Luther et Calvin ont, en leur temps, arraché à la vie contemplative son auréole de sainteté, comme l’ont fait, à la même époque quelques humanistes, parmi lesquels Érasme. Réhabilitant la valeur de la vie laïque, vécue dignement, ils ont aussi exalté le labeur quotidien, si humble soit-il. Le travail d’une servante, accompli dans la droiture et la conscience, est, si l’on suit Luther, supérieur à la sainteté et à la vie sévère de tous les moines. D’où la sincère émotion de Fisch devant l’effort quotidien du paysan des Cévennes : « J’allai, avec grand plaisir, me promener dans les environs ; cette région allie tant de charmes qui sont de grande importance aux yeux du philanthrope. Le long du ruisseau qui descendait de la montagne, nous vîmes la première châtaigneraie de cette région, un bel exemple déjà. La châtaigne est au Cévenol économe et mesuré ce que la pomme de terre est au paysan suisse ; et de même que je n’ai jamais pu voir de plantation de pommes de terre sans éprouver la plus vive reconnaissance envers les bienfaits providentiels du Tout-Puissant, je pénétrai ici avec respect, dans l’ombre de ces arbres utiles (à l’homme) » 76. Labeur quotidien, pain quotidien, reconnaissance de tous les instants envers Dieu. On est loin des prétentions de la Grande Nation, de ses injustices et de ses pièges. Ici tout n’est que droiture et loyauté. La France, affirme Fisch, doit une grande part de son essor aux protestants, l’Église Catholique ayant surtout constitué un frein 77. Se pose, une fois encore, la question des rapports entre protestantisme et capitalisme 78 comme Max Weber l’a développé. Pour Weber, il s’agit plutôt de mettre en évidence un parallélisme entre deux structures, celle du comportement de l’entrepreneur capitaliste, et celle de la mentalité puritaine de l’autre. Ni le capitalisme, ni le monde moderne, ni la pensée rationnelle ne commencent à Wittenberg ni à Genève 79. Mais il y a indubitablement un lien : si les œuvres ne sont pas un moyen d’obtenir le salut, elles sont indispensables comme signes d’élection.
Fêtes religieuses et superstition
Si tout ce qui est protestant jouit chez Fisch d’un a priori favorable, les manifestations excessives de catholicisme, rapidement ravalées au rang de la superstition, vont faire l’objet d’une critique acerbe. Les moines (« Mönche ») – il faut entendre par là les membres du clergé catholique -, et les cloîtres (« Klöster ») – où ils résident -, font partie des cibles privilégiées de Fisch. Ce sont ces « moines » qui sont responsables de bien des malheurs dans le Sud de la France : les mascarades, les processions, les procès absurdes, une éducation déficiente et indigente des enfants etc. Fisch emploie toute sa force, – osera-t-on aller jusqu’à employer le mot « hargne » ? -, à dénoncer ces comportements excessifs, dans lesquels, on l’aura compris, il lui est impossible de voir la moindre trace de vrai sentiment religieux.
Dans la septième lettre, ce sont les Jansénistes qu’il présente à son frère et qu’il condamne avec véhémence 80. Il leur reproche de « s’interdire tous les plaisirs du monde », d’être « des ennemis déclarés de la danse, du rire, et de tous les cercles où l’on s’amuse », et de considérer comme une spoliation « les mystères nocturnes » du mariage. Il est intéressant de remarquer à cet endroit que ce que Fisch reprochera aux Méridionaux, ce n’est pas leur goût du jeu, de la danse, du rire, en tant que tel, mais les excès qui en découlent. Car il blâmera, ou plaindra, ceux qui ne profitent pas des plaisirs de la vie. Dans la treizième lettre, par exemple, il établit bien une équation entre le refus de tout plaisir et le reniement de la personne humaine : « dans un creux, que la nature avait providentiellement prévu, il y a quelques cabanes habitées par de pauvres gens qui travaillent ici à renier leur propre personne et toute joie humaine » 81, Pas de puritanisme donc chez Fisch, mais bien la perplexité du protestant responsable. Même chose quand il nous expose le rôle important joué, dans la ville de Montpellier, par les Pénitents dont il ne reste plus « actuellement, que les Blancs et les Bleus. Entre les deux confréries règne une forte jalousie qui s’est déjà manifestée sous la forme de violents incidents, lorsque les deux processions se sont rencontrées dans la rue » 82. « L’habit de pénitence, ou comme on l’appelle, le sac, dans lequel il s’emmitouflent du sommet du crâne jusqu’aux orteils, est généralement, comme les têtes contiennent autant de vanité que de superstition et de bigoterie, composé de toile lourde de coton ou de fine toile de lin hollandaise, avec une ceinture blanche ou bleue autour de la taille qui est censée représenter la corde de flagellation » 83. Fisch est bien dubitatif, devant ces religieux, qui prétendent faire pénitence, « ainsi encagoulés, défilant en plein jour avec des cierges allumés, et chantant en même temps de pitoyables litanies » 84.
« Depuis la première moitié du XVIIIe siècle, les voyageurs avaient l’impression que la piété baroque enregistrait une recrudescence précisément au moment où les bibliothèques de certains monastères s’ouvraient aux philosophes anglais, […] ou aux auteurs allemands protestants » 85. Le saisissement est sans doute encore plus puissant en France, et surtout dans le Midi de l’époque. Ces rites, ressentis comme des manifestations de superstition sont considérés « comme une régression, un retour au paganisme », par les voyageurs allemands dans le Midi, en particulier par les protestants, bien que certains catholiques soient aussi des voyageurs rationalistes, et condamnent ces excès.
Même si Fisch nous assure de sa loyauté envers la religion catholique et son clergé, force nous est de constater que, dans les faits, l’expression catholique de la foi le perturbe ou l’indigne, selon les cas. Il y retrouve un certain paganisme, en tout cas un obscurantisme, dont il se défie. C’est vers les protestants, tant pour des raisons socio-économiques que religieuses (et, logiquement, affectives), que va sa préférence. Il est probable que nous retrouverons ce partage dans l’observation des mœurs et des mentalités. Mai là encore, des distinctions apparaissent, plus liées à la notion de classe sociale et à la géographie.
Mœurs et mentalités
Les classes supérieures et moyennes
Nous pouvons considérer que Fisch embrasse du regard la société méridionale dans son ensemble les classes supérieures, constituées par la noblesse et la haute bourgeoisie ; les classes moyennes, dont les dignes représentants restent pour lui les commerçants et les maîtres-artisans ; et le petit peuple, formé par les paysans et les ouvriers des fabriques, mais aussi les petits artisans, les portefaix, les journaliers. Nous avons donc bien là un témoignage aussi complet et détaillé que possible des mœurs et des mentalités de la société méridionale de l’époque.
Autant Fisch excelle à dénoncer les abus perpétrés par la noblesse dans le domaine des finances et du fisc, nous l’avons vu dans la partie consacrée aux institutions, autant il sait reconnaître à cette noblesse et à la haute bourgeoisie une certaine civilité. Comme le dit A. Babeau, « il ne partage point l’opinion de ceux qui accusaient les habitants de Montpellier d’être fiers et peu polis. Il loue au contraire l’urbanité des classes supérieures. L’homme de qualité et l’homme riche, remarque-t-il avec justesse, sont semblables dans tout le royaume ; ils se modèlent sur Paris » 86. Certes, il y a des ombres au tableau : la noblesse du Vigand « se distinguait par sa morgue et son esprit exclusif. (Mais) c’était une exception en France. (Sa) conduite se rapprochait de l’orgueil nobiliaire inflexible et stupide qu’on remarquait dans quelques villes d’Allemagne » 87. Fisch note que « ce que l’on attend, c’est un nom noble, c’est de connaître les dernières coutumes et les dernières modes de la capitale, et les règles des jeux de cartes les plus courants ; et celui qui les maîtrise est reçu à bras ouverts par la bonne société, qui reste par contre irrémédiablement fermée aux hommes qui ont le plus de mérite » 88. Par contre, il ne tariera pas d’éloges sur la bonne société de Millau, « où il ne règne pas un ton aussi bon qu’au Vigand, mais un ton plus aimable, plus séduisant, un ton comme il a dû s’en former au sein d’une belle nature, parmi des hommes intacts, auxquels luxe et excès sont inconnus, épargnés par les vices du grand monde » 89. Avant d’ajouter : « Nulle part ailleurs je n’ai rencontré chez les Français autant d’ouverture et de cordialité qu’ici ; la politesse ne paraît pas étudiée, elle semble au contraire couler directement du cœur » 90. Est-ce une explication ? ; ces nobles, nombreux dans cette ville de Millau, ne sont pas riches, ils vivent du revenu de leurs terres, situées aux environs ; d’ailleurs Fisch craint que les relations de plus en plus fréquentes avec Montpellier et Toulouse ne viennent modifier le caractère des habitants et introduire parmi eux des habitudes de dissipation et de luxe inconnues jusqu’alors ! Et, connaissant Fisch – et la réalité -, nous savons bien que le tableau ne peut rester si rose.
A Montpellier, en particulier, « l’aspirant-prédicateur se plaint de ce qu’on néglige l’instruction des enfants, en la confiant à des abbés ou à des séminaristes peu instruits ; il en résulte qu’il n’y a guère dans la société que des conversations futiles ; quand le chapitre du spectacle est terminé, quand les cancans de la ville ne présentent plus d’intérêt, alors on s’assied à une table de jeu ; le jeu est le centre où les désirs et l’activité de la société viennent aboutir: on visite ses parents et ses amis pour jouer, on voyage pour aller jouer… » 91.
Pour ce qui touche les classes moyennes, leur étude est directement liée à celle du travail : si les représentants de cette classe trouvent grâce aux yeux de Fisch, c’est bien sûr parce que ce sont des hommes qui donnent de leur personne, et qui vivent bien parce qu’ils sont travailleurs, qu’ils portent bien haut les vertus du zèle et de l’effort. Ce sont souvent, nous l’avons vu, des protestants.
Le peuple
En ce qui concerne le peuple au sens large, le discours est plus nuancé. Tant qu’il s’agit de décrire les costumes, de rendre compte de ce qu’on n’appelait pas encore des « loisirs », c’est-à-dire les danses, les jeux, tant qu’il s’agit de commenter les habitudes alimentaires, les réflexions de Fisch, si elles peuvent être cruelles, ne se font pas condamnation. Mais dès que le sujet l’exige, dès que le comportement devient excessif, que les débordements sont par trop caricaturaux, cela lui devient vite insupportable, la morale apparaît, et le ton se fait plus sec, plus coupant.
Fisch sacrifie aux préjugés habituels sur l’aspect physique des Méridionaux, ou Méridionales. Il est toujours un peu maladroit quand il s’agit de parler de l’aspect physique des femmes: le recours à des images stéréotypées le montre bien. A Arles, les filles ne peuvent qu’être belles, ainsi le veut la tradition, orale ou écrite. Par contre, il lui arrivera parfois de ne pas se montrer très tendre envers les villageois, et encore moins quand il parle de l’aspect presque repoussant de certaines villageoises languedociennes : « La pauvreté ne permet qu’à certains d’entre eux de mettre un vêtement décent ; mais, malgré le caractère sommaire et la saleté des parties principales de leurs costumes, ils portent tous des bas de soie blanche, des chapeaux ornés de plumes de toutes les couleurs […]. Les filles, encore plus mal vêtues dans l’ensemble, ont des coiffes, des foulards et des bonnets de soubrette, qu’elles mendient ou empruntent la plupart du temps dans les maisons où elles ont l’habitude de vendre du lait et des herbes pour la cuisine. Ces foulards font bien souvent un effet singulier sur ces visages bruns, aux traits grossiers… » 92. Ce qui, dans un autre contexte, pourrait passer pour de la goujaterie, offre ici l’alibi de la sociologie. En outre Fisch dénonce ici une certaine vanité (« Eitelkeit ») à vouloir imiter les classes supérieures.
Ce qui retient son attention, quand il se trouve parmi les petites gens, c’est aussi cette passion pour les danses et les jeux. « Les réjouissances publiques et les jeux sont si intimement liés au caractère du peuple auquel ils appartiennent […]. Comme (ils) ont lieu la plupart du temps en hiver, qui est la saison la plus commode, car il n’y a pas le travail des champs et des vignes pour les empêcher, ni la chaleur du climat pour les rendre insupportables, je les ai déjà presque tous vus » 93.
Ainsi, il observe ces Français du Midi, qui, selon lui, ne seraient pas aussi gais que ceux du nord, mais bien plus vifs en tout cas que les Allemands ou les Suisses et il les verra danser, le samedi soir, le dimanche et les jours de fêtes, sur les places publiques. « Un tambourin, une musette, auxquels se joignent parfois un tambour de basque et un flageolet, garantissent toujours la musique. La danse commence par une sorte de menuet, dont les mouvements sont si monotones et la musique si traînante que ma patience s’est bien des fois émoussée, quand j’entendais pendant des heures la même rengaine sous ma fenêtre. […] Enfin la musette entame une mélodie assez proche, mais plus vivante : le rythme plus accéléré a un effet immédiat sur les auditeurs; et tout le groupe […] danse dans une joyeuse cohue » 94. Cette passion pour la danse est si forte que presque toutes les corporations ont leur bal annuel. D’ailleurs, cette passion n’atteint pas que les gens du peuple même les fils de bonne famille l’ont aussi, qui organisent la danse du chevalet, longuement décrite par Fisch, et qui trouve ses origines dans l’histoire de la ville de Montpellier.
Une autre passion, largement partagée par tous les représentants de la société méridionale, est le jeu, sous toutes ses formes non seulement le jeu de cartes, déjà cité, mais les courses de chevaux, les courses à la bague, les combats, les joutes nautiques, plus particulièrement dans le port de Sète, ainsi que le jeu de mail et la crosse : « En automne, en hiver et au printemps, les innombrables petits chemins qui sillonnent toute la région de Montpellier se couvrent de joueurs de mail. Après quatre heures de l’après-midi, l’artisan quitte son atelier, l’épicier sa boutique, l’employé du marchand son bureau; et tous se saisissent de leur bâton de mail. […] Ce jeu a aussi ses adeptes dans les villages ; mais le paysan semble lui préférer de loin le jeu de crosse qui nécessite un mouvement plus tempéré » 95. Et Fisch trouve même à Lavérune, et dans les villages voisins, des équipes de joueurs de ballon, jeu tombé en désuétude dans le reste du Midi, et inconnu, d’après lui, en Suisse, ce qui le poussera à en décrire une partie dans le menu.
C’est une population tout entière vouée au plaisir que nous présente ici notre voyageur : jusqu’ici, rien de bien méchant, des agacements çà et là, un peu d’ironie, mais comment chasser le naturel, ou ce qui est désigné pour tel ? Car, après les fêtes, les danses et les jeux, l’alcool du cabaret permet à la violence contenue de s’exprimer, cette violence qui parfois déjà surgit d’elle-même, comme les soldats du régiment de Vermandois s’en sont, à leurs frais, rendu compte 96. Fisch nous parle d’intempérance, d’esprit vindicatif, de rixes, de vols, d’affrontements nocturnes. Les ouvriers des manufactures, quand ils ne sont pas encadrés par les lois strictes d’une organisation civile ou religieuse, se livrent au jeu, à la boisson, aux querelles, et leurs femmes sont mauvaises ménagères. Bref, les Méridionaux ont le sang chaud, leurs défauts en sont donc accrus, et la gamme de leurs vices s’étend de la violence et du crime, dans le pire des cas, à la négligence et à la paresse, dans le meilleur des cas.
Ces défauts sont d’ailleurs plus accentués chez les Provençaux que chez les Languedociens. La négligence des Provençaux se voit partout, à commencer par l’entretien des canaux (comme celui de Craponne) ou des routes. Dans l’ensemble, chaque fois qu’il est sorti de Montpellier, Fisch s’est émerveillé des routes du Languedoc, et son admiration pour les routes languedociennes s’exprime clairement, dans la dix-septième lettre, en particulier : « J’ai déjà, à différentes occasions, parlé des avantages des routes de cette province ; je doute qu’on puisse en voir d’aussi belles au monde. Leur largeur est extrême, parfois de plus de quarante pieds ; le lit de la route est fait d’une couche de roches calcaires, sur lesquelles on répand de petits éclats de pierre qui sont écrasées jusqu’à ce qu’on obtienne un revêtement dur. Mais ce qui en fait le principal avantage, c’est le soin qui est apporté à leur entretien régulier » 94.
Fisch plaint les ouvriers des manufactures dont la destinée est entièrement inféodée aux fluctuations de la mode, aux lois du marché, (« flux et reflux » est d’ailleurs l’expression employée dans le texte) 98, à la conjoncture politique. Il suffit d’une déclaration de guerre ou de la conclusion d’un traité de paix pour que l’ouvrier se retrouve au « chômage ». Mais à cette commisération succèdent des considérations très cinglantes sur les dispositions et le caractère de l’ouvrier. Racaille indécente et inconstante, revêtant un jour des atours accrocheurs, un autre des haillons, ce peuple des manufactures est bien victime de tous les défauts et excès de son caractère. Les femmes sont de piètres ménagères qui dépensent tout ce qui rentre au foyer, quand les temps sont fastes. Elles sont ensuite réduites à la misère et à la saleté, quand les temps sont maigres. Les enfants s’abandonnent à toutes les dépravations et finissent par mourir à l’hôpital, terrassés par le vice. Les hommes ont une nette propension au jeu, à la boisson et à la bagarre. Il leur arrive donc, s’ils n’ont plus de travail, de se laisser enrôler ou, pire, d’entrer dans une bande de brigands. Quant aux vieillards, ils sont voués à la mendicité.
Les mœurs sont dissolues : les enfants gagnant parfois, à douze ou quinze ans, autant que leurs parents, ils ne dépendent plus d’eux. La famille éclate et, conséquence de la mauvaise éducation dispensée dans ces groupes sociaux, les jeunes générations quittent le foyer paternel. Combien de couples se forment ainsi, encouragés par la loi, puisqu’il suffit d’un « enlèvement » devant témoins pour que le magistrat n’ait plus qu’à déclarer les jeunes gens unis par le lien du mariage 99.
Intempérance du petit peuple, déchaînement dans les fêtes, les bals, les manifestations de rue, folie des braconniers et des gardiens de troupeaux qui s’enflamment à la moindre résistance, vanité de certains paysans – catholiques ceux-là – qui singent les citadins… Fisch dépeint un naufrage – un radeau où les survivants s’agitent, désespérés ; une nef des fous. Et il a beau énoncer les raisons qui poussent ces individus, ces groupes, ce peuple à se livrer à des actes désespérés, la situation semble bien définitivement jugée.
Dans cette perspective, on peut dire que Fisch, malgré – ou peut-être à cause de – son éducation et sa culture religieuses ne fait pas exception à la règle : car l’opinion publique n’échappe pas, elle non plus, à un certain paradoxe 100.
Fisch notera quantité d’autres détails de la vie du peuple. Il ira jusqu’à parler de leurs légendes et contes de fées. « Quand la famille de paysans est rassemblée, les longs soirs d’hiver, autour de l’âtre, quelqu’un, une bonne vieille mère, ou le barbier du village, ou le maître d’école, raconte une histoire de la dame blanche du château, ou de la vieille tour, ou de la grotte aux fées » 101. Et il nous confiera ses connaissances sur ce sujet, sur la naissance et l’évolution de telles légendes. De même qu’il nous parlera toujours avec passion de faits divers qui ont plus ou moins marqué les esprits du siècle ou des siècles précédents, et dont il se sert pour composer, si ce n’est déjà fait par la tradition écrite, ou le bouche-à-oreille, des histoires édifiantes ! Ainsi, on entendra raconter, dans la dixième lettre, la triste fin de la marquise de Ganges, dont il ne dévoile pas tous les détails, par respect pour la famille, ou, plus au goût de Fisch, la mésaventure du jeune Fabre 102, symbole de l’amour filial et présenté comme un martyr, réhabilité pour un temps par une opérette, puis tombé dans les oubliettes de l’histoire. Ce jeune homme protestant avait en effet bien mérité une place d’honneur, puisqu’il avait accepté de purger une peine injuste et injustifiée à la place de son père, arrêté lors d’une assemblée, et condamné aux galères par l’Intendant de Montpellier de l’époque.
A travers l’ensemble des thèmes abordés, nous voyons défiler tout un pays et vivre toute une société. Le souci d’exhaustivité de l’auteur le contraint à ne rien laisser dans l’ombre, à quelques exceptions près : ni ce qui peut sembler un détail (une anecdote, la couleur d’un vêtement), ni ce qui peut paraître fastidieux (références circonstanciées à un ouvrage scientifique, description minutieuse d’un monument etc.). Par rapport aux intentions de la première lettre, on aura remarqué un fléchissement : Fisch aime entre autres afficher sa culture, ou montrer qu’il s’est documenté sur tel sujet. C’est à une authentique étude ethnologique, doublée d’une réflexion sociale et philosophique, que Fisch se livre. Son attitude est à proprement parler expérimentale. Les seules connaissances livresques ne lui suffisent pas : il vérifie sur le terrain. Mais ces vérifications ne nous semblent pas innocentes : pour nous, Fisch conduit une démonstration, il a des idées à transmettre, des convictions à communiquer, et à faire partager, – et ceci dans tous les domaines de la vie sociale et politique -, écrivant ainsi le « brouillon » d’un projet politique pour la conduite d’un pays. Il va si loin quelquefois qu’on le sent prêt à agir, à intervenir. On est interpellé par la véhémence avec laquelle il proclame, à propos des États de Languedoc : « Tout patriote souhaite l’abolition des États ! ». Sur le plan de l’objectivité, on peut dire que Fisch fait de nombreux efforts. Plus on voyage avec Fisch, et plus la chose semble naturelle : il nous faut nous-mêmes garder une certaine distance « objective », L’opiniâtreté qu’il montre dans la critique finit par le rendre irritant ou attachant, selon qu’on le pense incapable de s’adapter à de nouvelles structures, ou que l’on considère la valeur de son idéal de bonheur.
Grâce à Fisch, le Languedoc pourra occuper, à côté de la Provence, une place de choix dans cette représentation imagée et vivante du sud, où se succèdent paysages désolés, villes animés, foules bigarrées, rivages ensoleillés, – le tout assorti d’une bande-son où l’on distingue les bruits du travail, le verbe haut des Méridionaux et, par-dessus tout cela, le souffle puissant du vent. Au-delà des doutes, des remarques acerbes ou des critiques violentes, le récit de Fisch traduit un attachement fort et déterminant à cette terre du sud qui a été pour lui aussi, comme pour de milliers de personnes depuis des siècles, terre d’accueil. Si, comme tout Suisse alémanique, Fisch a bien le sentiment de représenter ou de défendre une position helvétique, qui est une forme d’identité, une expression de souveraineté, s’il manifeste en tant que tel une conscience politique et culturelle vive, il prend, confronté à l’attrait de la nature primitive et aux séductions de la vertu et de la simplicité populaires, une dimension plus universelle.
Notes
1. J.G. Fisch, Briefe über die südlichen Provinzen von Frankreich…, Zurich, 1790, p. 341 « … gleich entfernt von dem starren Winter des nördlichen Europa, und der glühenden Atmosphäre des nahen Afrika ; geschickt, die Pflanzen-und Thierwelt von beyden zu hegen und zu nähren, ohne deswegen an den Unbequemlichkeiten des einen oder des andern einen merkbaren Antheil zu nehmen. Selten fällt Schnee im Winter: selten widersteht das nächtliche Eis der Wirkung der milden Mittagssonne; im Sommer wird die Hitze des Tages gewöhnlich durch kühlende Winde gemäBigt ».
2. Ibid., p. 346 : « Schwedische Natur in den Bergen der Sevennen ; und Kalabriens Pflanzen an ihrem Fusse, und der Fläche bis zum Meer hinab ».
3. Au sujet des Britanniques dans le Midi, on pourra se reporter à l’ouvrage de Michèle Sacquin, Les Anglais à Montpellier et à Nice pendant la seconde moitié du siècle, in 18e siècle, Paris, Garnier, 1981.
4. J.P. G. Delpuech, Montpellier à la veille de la Révolution, Montpellier, 1954.
5. J.-J. Rousseau, Lettre du 4 novembre 1737 à Madame de Warens, citée par M. Grasset, Jean-Jacques Rousseau à Montpellier, Montpellier, Boehm, 1852, p. 41.
6. M.A. von Thümmel, op.cit., VI, p. 82 : « Du findest verschiedene Theater hier, aber nur anatomische und chirurgische, und die herumliegenden Gärten sind weder französische noch englische, sondern botanische. – Die engen Gassen verschlingen sich in einander wie die Gedärme in einem menschlichen Körper. Aus allen Thüren und Fenstern tritt dir ein Apotheker-Geruch entgegen, und auf dem Markt liegen Skelette, die man bleicht ».
7. Fisch, op. cit., pp. 79-80. « Die Stadt Montpellier ist selbst nicht schön, sie hat sehr enge, unregelmässige, übelgepflasterte, und gewöhnlich schmutzige und stinkende Gassen, von denen manche sehr steil sind. Die Häuser sehen meistens schwarz und finster aus ; und gerade die Gebäude, bey denen man die groBte Pracht erwarten sollte, sind die schlechtesten der Stadt. Der Pallast der Gerichtshöfe, der Pallast des Bischofs, das Rathaus, die Domkirche, und die vier Pfarrkirchen, haben ein dürftiges oder verfallenes Aussehn. Hingegen sieht man eine grosse Menge sehr schöner, grosser, und beynahe möchte ich sagen, fürstlicher Privatgebäude, von denen aber manches in engen Gabchen und finstern Winkels steht. […] Die Strassen werden des Nachts durch eine Menge Reverberierlaternen hinlänglich erleuchtet ; wenn aber das Licht des Mondes im Kalender versprochen steht, su wird keine angezündet, sollte auch ein wolkenbedeckter Himmel die Stadt ins tiefste Dunkel hüllen, welches bey der Rückkehr aus Gesellschaften, oder dem Schauspiel, den nächtlichen Wanderer, in den engen mit Koth reichlich angefüllten Gassen, oft in nicht geringe Verlegenheit setzt ».
8. Ibid., p. 74 « Jetzt werden nach und nach wieder nette Vorstädte angelegt, welche sehr schnell anwachsen, aber auch ohne Plan gebaut werden ».
9. Ibid., p. 80 « …zwischen dem unter Theil der Stadt und der Citadelle, (ist) groB und geräumig, mit verschiedenen schattigter Bäumen besetzt, und gewährt eine vorteffliche Aussicht gegen das Meer herab ».
10. Ibid., p. 85 « Von diesem kostbaren, mit so vielen Werken der Kunst und der Pracht gezierten Platz genieBt man einer ausgebreiteten Aussicht über die Gegend um die Stadt her, und über eine grosse Strecke vom Meer. Bey reiner Luft verliert sich der Blick auf der Westseite in den Pyrenäen, und auf der Ostseite in den Alpgebürgen von Piemont. Gegen Norden sieht man die nahen Berge der Sevennen sich stuffenweis übereinander erheben ».
11. Ibid., p. 83 « LaBt Euer gute König die Stände ungeahndet so ungeheure Summen verschwenden ? »
12. Ibid., p. 84 « Ich denke aber, der Kayser batte etwas anders als Neid im Herzen, […]. Er hatte vorher nach dem Zustand der Schulen, nach der Universität, […], nach der öffentlichen Bibliotheken, Waysenhäusern, Spitälern […] gefragt, und erfahren, daB es einige dieser nothwendigen und menschenfreundlichen Anstalten im äussersten Verfall, die meisten aber gar nicht vorhanden wären ».
13. Ibid., p. 330 « Von Agde wäre ich gerne noch weiter gegen die Spanischen Gränzen vorgerückt ; allein der Freund von Montpellier, in dessert Gesellschaft ich die Reise machte, war genöthigt zurückzukehren ; ich hatte verschiedene Gründe ihn zu begleiten ; und so muBte ich den Wunsch aufgeben, noch Narbonne und Perpignan, die Schleussen (sic) bey Béziers, und die Etangs bis an die Pyrenäen zu sehen ».
14. Ibid., p. 167 « … (auf welchem) ich manche süsse Stunde mit dem Andenken an mein Vaterland, und an die Theuern alle die ich dort zurückgelassen habe, zubrachte… »
15. Cf. lettre 8.
16. Cf. lettre 8.
17. Fisch, op. cit., pp. 147-148 : « Hier stuhnd also eine Stadt, dacht ich mit Wehmuth, als ich den FuB ans Land setzte, und vor mir die Leute des Pächters mit der Heuerndte beschäftigt sah ! hier, wo der Mäher gedankenlos seine Sense schwingt, stuhnd das Haus eines reichen Kaufmanns ; dort, wo das Mädchen das geschnittene Gras hinstreut, wurden die Güter Asiens durch eine volkreiche Strasse geschleppt. Strassen und Häuser sind nun verschwunden, nicht ein Stein blieb; nur die Domkirche steht einsam, beraubt und gleichsam traurend da; eine Niobe, all’ihrer schönen Kinder! Es tiberfällt mich allemal eine gewisse feyerliche Wehmuth, wenn ich die Trümmer irgendeines alten Schlosses erblicke […]. Hier ward ich viel tiefer gerührt. NichtBloB ein SchloB, oft das Denkmahl der schweren Dienstbarkeit der nächsten Dörfer, oft ein fürchterlicher Schlupfwinkel adelicher Strassenräuber ; sondern eine Stadt, der Wohnsitz einer Menge geschäftiger arbeitsamer Menschen war es, welche so ganz unter ihren Schwestern verschwunden ist, daB man jetzt Heu erndtet, wo vormals die Werkstätte des Künstlers, das Magazin des Kaufmanns stuhnd ».
18. Cf. lettre 10.
19. Ibid.
20. Fisch, op. cit., pp. 85-86 : « …dessen enger Raum weder bequeme Plätze für die Zuschauer, noch Raum zum Spiel der Maschienerie gestattet. Der Direktor der Gesellschaft scheint seine Leute mit Vers-tand, und die auszuführenden Stücke mit Geschmack zu wählen ».
21. Ibid., p. 539 : « …nur zu Nismes sah ich einmal in der ersten Loge Vertraulichkeiten, zu denen sich Personen vom Stande herabliessen, welche der weiblichen Sittsamkeit nicht sehr angemessen waren ».
22. Ibid., pp. 109-110 : « Eine öffentliche Bibliothek hat weder die Universität, noch eine der Akademien ; weder die Stadt, noch irgend eine Kirche oder Kloster […]. Wer Bücher haben und lesen, oder nachschlagen will, kann sich dieselben selbst kaufen. […] In Deutschland besitzt jede auch nur mittelmässig grosse Stadt eine oder mehrere öffentliche Büchersammiungen; und eine Universität, eine Akademie, eine gelehrte Gesellschaft läBt sich für einen Deutschen nicht einmal denken, ohne einen beträchttichen Bücherschatz ».
23. Ibid., p. 111 : « … die Geistlichkeit, (welche) die Errichtung einer öffentlichen Bibliothek schädlich fand ».
24. Fisch, op. cit., p. 110 : « … ein Bischof; ein Dom-und zwey andre Kapitel; bey dreyBig Klöster; eine Akademie der Wissenschaften, und eine der Künste; eine Universität; ein souverainer Gerichtshof, etliche untre Gerichtshöfe; zwey grosse geistliche Brüderschaften; ein zahtreicher Adel; viel müssige Kapitalisten und eine sehr reiche Kaufmannschaft ».
25. Ibid., p. 88 : « BeBter Broder! Du bist, wie natürlich, neugierig, den gegenwärtigen Zustand der Universität kennen zu lernen, da man in Frankreich so viel Rühmens von derselben zu machen pflegt. Du muBt dich aber von dent Namen amer Universität nicht irre führen lassen, und ja nicht dabey an eine Anstalt denken, welche, wie gegenwärtig die vorzüglichsten hohen Schulen in Deutschland, alle nur gedenkbare Theile menschiicher Wissenschaft umfaBt. Hier versteht man unter Universität nichts mehr als eine Schule, wo zwey bis drey privilegierte Wissenschaften, nach einem alten Schiendrian, vorgetragen werden ».
26. Cf. lettre 5.
27. Cité par V. Milliot, Cultures, sensibilités et société dans la France d’Ancien Régime, Paris, Nathan, 1996, p. 108.
28. Fisch, op. cit., p. 103 : « Die Akademie in der Provinz ist aber bey der Ausstattung weniger freygiebig nachgedacht worden, ais ihre ältere Schwester in der Hauptstadt. Sie erhielt keine Pensionen, und keine Kapitalien zu wichtigen Unternehmungen; und die Gebäude, die man ihr eingeräumt hat, sind von keinem besondern Werth. Die nicht beträchtlichen Medaillen, die sie für ihre PreiBfragen auszutheilen bat, erhält sie von den Ständen der Provinz; und statt der Jettons, die zu Paris eine beträchtliche Summe für die Akademisten im Jahr ausmachen, bekommt hier ein jeder, der den gewöhnlichen Versammiungen bevwohnt, nur einige Sols für die Sitzung ».
29. Ibid., p. 104 : « Jeder ist zuerst Arzt, Kaufmann, Künstler, und dann erst Akademiker in den Nebenstunden ».
30. Ibid., p. 104 : « Daher sagt D’Alembert von ihr: Sie führe sich sehr klug auf, sie gebe ja so wenig AnlaB von ihr zu sprechen ».
31. Ibid., pp. 104-105 : « Die Stände der Provinz Langedok bedienen sich zuweilen der Akademie, um besonders wichtige Materien, die das Wohl des Landes betreffen, […] bearbeiten zu lassen ».
32. Ibid., p. 141 : « (Auch in den Logen der Freimaurer) spukt der Geist des Aberglaubens ».
33. Ibid., p. 141 : « Es haben sich hier mehrere Logen von diesem Schwindelgeist rein erhalten; und ich kenne manche ihrer Angehörigen als würdige und kluge Maurer, die sich die Schellen-kappe der Schwärmerey nie werden auf den Kopf setzen lassen ».
34. Ibid., p. 349 : « Sic versammeln sich aile Jahre am Anfang des Dezembers zu Montpellier, sitzen 5. bis 6. Wochen, und behandeln, unter dem Vorsitz des Erzbischofes von Narbonne, […], alle in ihrem SchooBe ruhenden Geschäfte ».
35. Ibid., p. 351 : « … er handelt und schaltet also über fremdes Eigenthum, […] Er unternimmt also, ohne Bedenken, was sein Ehrgeiz, seine Bequemlichkeit, […], fordert; [.] häuft Pensionen und Geschenke […] ; und bekümmert sich wenig darum, wer zuletzt das Geld, das er mit vollen Händen ausspendet, herschaffen musse ».
36. Ibid., pp. 352-353 : « Diese Wünsche der Patrioten, deren ich erwähnte, ais ich diese Stelle niederschrieb, sind itzt im August 1789. Wirklich in Erfüllung gegangen. Alle Provinzen, welche das drückende Vorrecht hatten, durch Stände verwaltet zu werden, sind nun mit allen übrigen in Reihe gesetzt, und alle besondern Einrichtungen, Vorrechte und Anstalten, wodurch sich einer von den andern unterschied, aufgehoben worden ».
37. Fisch, op. cit., pp. 435-436 : « Wie denkst du nun, daB dieser Brudermörder gestraft worden sey? – In England, wo die Gesetze keinen Unterschied des Rangs und der Würde kennen, wäre er aufs wenigste gehangen worden, wie Lord Ferrers. In Deutschland hätte man ihn mit Zangen gezwickt, und auf’s Rad geflochten. Hier in Frankreich – du erinnerst dich doch, er war der Sohn eines Beysitzers der Ober-Rechen-Kammer zu Montpellier, folglich vom Adel – hier in Frankreich, sitzt der Brudermörder, zum Lohn seines schauerhaften Verbrechens, auf sein ganzes Leben im GefängniB».
38. Cf. lettre 11.
39. Contre 8 millions d’hectares aux forêts, 1,6 aux prairies et 2 aux vignes : Y. Luginbuhl, Paysages – Textes et représentations du paysage du siècle des Lumières à nos jours, Lyon, La manufacture, 1989, p. 146. Les corrections apportées en 1860 par un rapport de l’économiste Léonce de Lavergne indiquent qu’en réalité, c’étaient même 13 millions d’hectares de terres incultes qu’il fallait compter en 1790, contre 25,5 millions de terres arables.
40. Fisch, op. cit., p. 53 : « Der gute Traucat ist freylich kein Erfinder; der Maulbeerbaum würde auch ohne ihn nach und nach in Frankreich gepflanzt worden seyn, das ist nicht zu leugnen. Allein groB war immer das Verdienst, seinem Vaterland den ersten Maulbeerbaum geschenkt […] zu haben ».
41. Ibid., p. 54 : « … (sie) ahmen zu viel die Indischen Zeuge nach. […] stehen sie weit unter den Lyonerzeugen ».
42. Ibid., p. 54.
43. Ibid., p. 74 : « Die Stadt Montpellier war vor zwey Jahrhunderten um ein Grosses beträchtlicher und volkreicher, als sie jetzt ist. Zwar hat sie noch immer dieselben Stadtmauern, die sie zu der Zeit ihres gröBten Flors umgaben; allein die Vorstädte, ehmals grösser, als die Stadt selbst, wurden in den Religionskriegen des sechzehnten Jahrhunderts immer kleiner, bis sie endlich von den Reformierten, welche die Stadt besassen, vor der Belagerung durch Ludwig den Dreyzehnten, 1621 abgebrannt (…) wurden ».
44. Ibid., p. 75 : « Die Zahi der jetzigen Einwohner wird gewöhnlich auf 36 000 Köpfe gesetzt; doch gibt Herr Mourge von Montredon, ein neuerlich verstorbener, sehr berühmter, hiesiger Arzt, in einer Abhandlung über diesen Gegenstand nur 30 000 Seelen an ».
45. Ibid., Table des matières de la sixième lettre, p. 115 : « Fabrikwesen, Brandtweinbrennerey. Parfums. Liquörs. […] Grünspanfabrikation. Färbereyen von türkisch rothem Baumwollengarn. […] die Börse ».
46. Fisch, op. cit., pp. 119-120 : « Das ganze untre Langedok ist mit Weingärten angefüllt ; und die gröBte Menge, meistens vortrefflicher Weine, die da gezogen werden, finden nicht genug Absatz. England ist von jeher gewohnt, seinen Wein in Portugal zu suchen; […] daher blieb mehr Wein im Lande, als man da verbrauchen konnte. Eine Erfindung, dieses kostbare Geschenk der Natur in eine andere Gestalt zu verwandeln, […] muBte also hier sehr willkommen sevn. […] Arnold von Villeneuve, einBerühmter Arzt aus dem vierzehnten Jahrhundert und Professor zu Montpellier, war es, der diese merkwürdige Kunst, den Wein in Brandtwein zu verwandeln, zuerst bekannt machte ».
47. Ibid., p. 122 : « …welche durch die Reinheit und Vollkommenheit ihrer Waare, und die Gewissenhaftigkeit ihrer Handlungsart sich das vorzüglichste Zutrauen, und den ausgebreitesten Absatz erworben haben ».
48. Ibid., note du bas des pp. 123-124 : « Wenn ich nicht gefürchtet hätte die Geduld von manchem meiner Leser zu ermüden, so würde ich mich in eine nähere Beschreibung der Behandlungsart dieses Fabrikats, nach der hier gebräuchlichen Methode eingelassen haben; […]. Wem aber darant gelegen seyn möchte, etwas mehr davon zu wissen, der kann […] aus zwey Abhandlungen von Herrn Montet lernen… ».
49. Mireille Lacave, Montpellier la Souveraine, Paris, PML éditions, 1992, p. 126, cit. de Basville : « La manière de faire (du verdet) est avec du cuivre rouge d’Allemagne. Ce sont les femmes qui le font, elles font couper le cuivre en pièces de l’épaisseur d’une pièce de dix-huit sols et de la grandeur d’une carte à jouer, on met dans le fond d’un pot de terre deux pintes de vin, toute sorte de vin est bon pourvu qu’il ne soit pas aigre et qu’on n’y ait point mêlé d’eau, on met au-dessus du vin des bâtons en croix sur lesquels on met une couche de grappes sèches de raisins et par dessus une couche de ces pièces de cuivre qui ne se touchent pas l’une à l’autre: ainsi couche après couche jusqu’à ce que le pot soit rempli, on couvre le pot d’un couvercle de paille de fer exprès (sic) épais d’un demi-pied en sorte que l’air n’y entre pas, on ne l’ouvre plus de dix ou douze jours plus ou moins suivant la température de l’air, la force du vin qui est au fond fait pousser sur le cuivre une sorte de poudre verte comme de la mousse humide, on tire les pièces du pot, on les expose […] à l’air afin qu’elles se sèchent un peu, et puis les femmes les raclent, et c’est ce qui est le vert-de-gris !
50. Fisch, op. cit., p. 333 : « …dann wird die Maurelle auf einer Mühle, die einer Oelmühie ähnlich sieht, zu einem Brev zerrieben […]. Mit dem ausgepreBten grünen Safte werden dann wohlgewaschene, leinene Lappen gefärbt, welche an die Sonne gehängt werden, damit sie geschwinde troknen ».
51. Ibid., p. 333 : « Man hebt einen Monat […] allen Urin aus dem Hause […] auf ».
52. Ibid., p. 333 : « …nachdem etwas ungelöschter Kalk beygemischt worden ».
53. Ibid., p. 333 : « … und verwandelt sie in 24. Stunden in ein schönes Blau ».
54. Fr. Ebrard, « Die Hugenottengemeinde in Aarau, 1685-1699 », Argovia, Zürich, 1939.
55. J.-P. Chabrol, Les seigneurs de la soie, Montpellier, Presses du Languedoc, 1994, pp. 169 sqq.
56. Pour toute cette partie, nous avons utilement consulté, entre autres : E. Bonnet, « L’industrie des toiles peintes à Montpellier » in Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie, 1923, pp. 5-35 ; L. Dermigny, « De Montpellier à La Rochelle, route de commerce, route de médecine au XVIIIe siècle » in Annales du Midi, t. 67, 1955 ; Myriam Yardeni, Le refuge protestant, Paris, PUF, 1985 ; J. E. Gruner, « Ancêtres languedociens d’une famille du Refuge bernois », in Cahier de généalogie protestante, n° 7, 1979, pp. 164-167.
57. Cf. Annexe I, lettre 10, pp. 11-22.
58. Fisch, op. cit., p. 206 : « Dieser Ort nimmt täglich an Grösse zu; seit wenigen Jahren wurden einige ganz neue, gerade und geräumige Strassen angelegt. Die alte Stadt ist schmutzig, schlecht gebaut, und macht einen unangenehmen Kontrast mit der neuen. Die Einwohner dieses blühenden Orts mögen sich über 4 000. Köpfe belaufen, von welchen der grössere und auch der reichere Theil die reformirte Religion bekennt; die meisten Fabrikanten sind unter dieser Anzahl, da hingegen bevnahe aile Arbeiter in die Messe gehn. Die Refor-mirten haben einen eigenen Seelsorger, der von der ganzen Stadt als solcher bekannt, und auch von den Katholicken geschätzt ist ».
59. Ibid., p. 51 : « Der Geist der Industrie waltet schon seit Jahrhunderten über Nismes. Selbst mitten unter den Greueln der Religionskriege, da die Stadt bald von der einen, bald von den andern Parthey überrumpelt, und zum Hauptsitz des Krieges gemacht ward, also unter den ungünstigsten Umständen, vergaB des Munizipalmagistrat nie, daB der Wohlstand einer Stadt einzig vom KunstfieiB und der Betriebsamkeit ihrer Bürger abhange; daher findet man in dem Archive mehr als einen Vertrag aus diesen unseligen Zeiten, durch die Konsuln von Nismes mit Künstlern und Handwerkern abgeschlossen, um noue Gewerbe und neue Zweyge der Handlung dahin zu ziehn. So erschöpt das ohnehin geringe Gemeingut der Stadt war, und in den damaligen Umständen seyn muBte, so fand man doch immer noch Mittel genug, für Errichtung neuer Manufakturen ansehnliche Vorschüsse zu machen ».
60. Ibid., pp. 59-60 : « Die Fabrickarbeiter (sic) von der protestantischen Religion unterscheiden sich von don andern nicht wenig zu ihrem Vortheil ; sie sind arbeitsamer, und mässiger ; und da die Vorsteher der Gemeinde über sie wachen, so sind sie gezwungen mit ihrem Erworbenen etwas sparsamer umzugehn. Auch werden sie von Noth und Elend nie so tief gedrückt; gerade die reichsten Kaufleute und Fabrikanten sind Protestanten, und diese sorgen, zur Zeit der Noth, für ihre Arbeiter mit wohlthätigem Eifer, da indessen die Katholischen Arbeiter von Thüre zu Thüre betteln, und oft vor dem Speisesaal der Klöster ungetröstet um Mitleid stehen müssen.
Nismes ist, wie du weiBt, der Hauptsitz der Reformirten in Frankreich; ihre Anzahl ist grösser als in mancher der nördlichen Provinzen. Der grössere Theil der hiesigen Einwohner ist reformirt. Diese zahlreiche Gemeinde wird durch drei Prediger besorgt, unter denen sich Herr Paul Rabaud durch seine Klugheit, seinen Heldenmuth, und seinen unermüdlichen Eifer in jenen gefährlichen Zeiten der Intoleranz besonders auszeichnete ».
61. Ibid., p. 206 : « Die meisten Einwohner leben im Wohlstande; viele derselben besitzen ansehnliche Reichthümer, welche sie durch die Handlung mit roher Seide und seidenen Strümpfen erworben haben. Der Ertrag der Seidenkultur in der ganzen Provinz Langedock, beläuft sich nach einer Berechnung des Intendanten jährlich auf sechs Millionen. Von diesen gehen don Kaufleuten von Ganges wenistens zwey jedes Jahr durch die Hände; indem der kleine Strich Landes, den man die Untern Sevennen nennt, beynahe so vide Seiden zieht, als die ganze übrige Provinz; und diese Seide wird meistens von den Gangern aufgekauft, in ihren Filaturanstalten abgehaspelt, in der Nachbarschaft auf ihre Rechnung zu Strümpfen verarbeitet, oder auch rohe an die Nismer und Lyoner Fabriken verkauft ».
62. Cf. lettre 10.
63. Cf. lettre 10.
64. J. de Viguerie, op. cit., pp. 1423-1426.
65. Ibid., pp. 770-772.
66. Cf. lettre 11.
67. Cf. à ce sujet Georges Weulersse, Le mouvement physiocratique en France de 1756 à 1770, Paris, Alcan, 1910, 2 vol.
68. Fisch, op. cit., pp. 220-221 : « Ich möchte diese Herren insgesamt durch alle die früchtbaren Gefilde des Bernergebiets führen; möchte ihnen unsere Landhäuser, unsere schönen Dörfer, die mit reichem Vorrath vollgestopften Wohnungen unserer Bauern weisen ; möchte ihnen die Denkens-und Handlungsart der Bernerschen Unterthanen verständlich machen ; und dann, wenn sie alles das genug gesehen, untersucht und verglichen hätten, um richtig zu urtheilen, dann woille ich sic fragen : Wo sic besser bebaute Aecker, besser besorgte Wein-berge, klüger angelegte und behandelte Wiesen gesehen ? Wo sie eine gesundere (sic), stärkere […] Menschengattung; wo wohlha-bendere Landleute, wo mehr ailgemeines Wohlseyn, und weniger Armuth gefunden? Wo sie mehr unermüdete Arbeitsamkeit; mehr Treue, Redhchkeit, Geradheit; mehr Ehrfurcht gegen die Obrigkeit; mehr freudigen Gehorsam angetroffen haben? Und dann wollte ich sie bitten, mir doch zu sagen: Was diesem Land noch fehle, um glücklich zu seyn? Ob sie im Ernste denken, daB die Handlung das wahre Wohl eines so benutzen so bewohnten Landes vermehren könnte? Ob sie hoffen, daB diese den Landmann arbeitsamer, mäBiger, gutmüthiger, zufriedener, folglich glücklicher machen würde ? Der Evidenz eines solchen induktiven Beweises würden sie gewiB nicht widerstehen, und mit mir eine Regierung segnen, die gegen das blendende Bevspiel der meisten Staaten Europens, gegen cas allgemeine verbreitete Vorurtheil für die Handlung, lieber über wohlhabende, gesunde, schätzbare, arbeitsame Unterthanen herrschen will, von denen ihr Fisk im Nothfall nur einen màBigen Beytrag hoffen kann, als über reiche, schwächelnde, verderbte Weichlinge […]
69. Cf. lettre 11.
70. U. Im Hof, in Ernest Giddey, Vorromantik in der Schweiz?, op.cit., p. 195 : « Wer in der Schweiz schrieb oder dachte, war in der Regel Mitghed der Helvetischen Gesellschaft ».
71. Fisch, op. cit., pp. 61-62 : « Die Zeit bat sich für die Protestanten in Frankreich sehr glücklich verändert. Ehemals muBte ein jeder, der einmal zur Versammlung gehen wollte, Gut und Ehre, Freyheit, und oft so gar das Leben wagen, und doch liessen sich wenige davon abschrecken; je schwerer man es ihnen machte, je mehr dürsteten sie nach diesem geistlichen Labsal. Vielleicht setzen sie jetzt weniger Werth darauf, da sie es nun wohlfeiler und gemächlicher geniessen können ; wenigstens scheint das in der Natur des Menschen zu liegen ; und mich dünkt, ich habe würklich so etwas über die heutigen Protestanten klagen gehört ».
72. Ibid., pp. 65-66 : « … die Nation, die sich die aufgeklärteste, die polirteste von der ganzen Erde nennt, gerade die schrecklichsten verabscheuungswürdigsten Unthaten auf ihrer Rechnung bat; […] daB nur bey ihr Albigenserkriege, Micheladen, Mordereyen von Alet und Merindol, Bartholomäusnächte, und Palmsonntagsfeyern von Nismes entstehen muBte ».
73. Ibid., p. 76 : « Unter den Einwohnern von Montpellier befinden sich gegenwärtig bey 5 000. Reformirte, die einen von der Regierung stillschweigend geduldeten Seelsorger haben. Die Katholische Geistlichkeit hat ihnen aber noch nie eine Schule, oder Unterrichtsanstalt gestatten wollen, und alle Versuche dieser Art zu unterdrücken gewuBt ».
74. J. Garrisson, op. cit., p. 186.
75. Ibid., p. 115.
76. Fisch, op. cit. pp. 213-214 : « Ich gieng mit grossem Vergnügen in der Gegend umher spazieren; sie vereinigt so viele Reize, die dem Menschenfreund wichtig sind. Wir sahen längs dem Bergbach den ersten Kastanienwald dieser Gegend; schon ein wichtiger Gegenstand. Die Kastanie ist für den sparsamen und mäBigen Sevenolen, was die Kartoffeln für den Schweizerbauer ist; und so, wie ich nie ohne das lebhafteste Dankgefühl gegen die wohlthätige Vorsehung des Allgütigen eine Kartoffelpflanzung erblicke, so trat ich hier mit Ehrfurcht in den Schatten dieser nützlichen Bäume ».
77. Ibid., pp. 88-89.
78. On consultera: Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Religions-soziologie, Bd. I, 4. Auflage (Tübingen, Mohr, 1947), pp. 1-236, ou la traduction française : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964 ; Ernst Troeltsch, Protestantisme et modernité, Paris, Gallimard, 1991, trad. des œuvres Calvinismus und Luthertum…, 1909-1913, éd. à Tübingen, par J.C.B. Mohr ; Philippe Besnard, La Controverse post-wéberienne, Paris, A. Colin U2, 1970. Cf. Annexe II, note n° 20, pp. 60-62.
79. H. Lüthy, « Calvinisme et capitalisme », in Preuves, Paris, 1964, pp. 3-22 et 86-92.
80. Cf. lettre 7.
81. Fisch, op. cit., p. 253 : « … in einer Vertiefung, welche die Natur im voraus begiünstigt hatte, liegen ein Paar kleine Hütten von armen Menschen bewohnt, die sich hier in der Verläugnung ihrer selbst und aller Menschenfreude üben ».
82. Ibid., p. 136 : « … gegenwärtig sind nur noch die Weissen und Blauen übrig. Unter beyden Brüderschaften herrscht eine gewaltige Bifer-sucht, die schon su Thätlichkeiten ausgebrochen, wenn beyde in Pro-zession sich in den Strassen begegneten ». Cf. Annexe II, lettre 7, p. 8.
83. Ibid., p. 137 : « Diese BuBkleidung, oder, wie man sie nennt, der Sack, worein sic sich von der Scheitel bis auf die Zehen vermummen, bestech gewöhnlich, da gerade eben so viel Eitelkeit als Aberglauben und andächteley in den Köpfen steckt, ans weissem Nesseltuch oder fetner Holländischer Leinwand, mit einem weissen oder blauen Gürtel um den Leib, der den Strick zur Buyeisselung vorstellen soll ».
84. Ibid., p. 137 : « So vermummt, mit brennenden Wachslichtern am hellen Tage umherzugehn, und dabey klägliche Litaneien zu singen… »
85. Françoise Knopper, Le regard du voyageur en Allemagne du Sud et eu Autriche dans les relations de voyageurs allemands, Nancy, PUF, 1992, chap. 2, p. 55.
86. Babeau, op. cit., p. 228.
87. Ibid., p. 229.
88. Fisch, op. cit., p. 227 : « Man fordert daher einen adelichen Namen, die neuesten Sitten und Manieren der Hauptstadt, und die Kenntnisse der gangbarsten Kartenspiele; und wer sic besitzt, den nihmt die gute Gesellschaft mit offenen Armen auf; den verdienstvollsten Bürgern ist sie hingegen unwiederbringlich verschlossen ».
89. Ibid., p. 256 : « … wo nicht so ein guter Ton herrscht, als in Vigand, aber ein weit liebenswürdigerer, weit gefälligerer ; ein Ton wie er im SchooBe einer schönen Natur, unter unverdorbenen, mit dem Luxus und Ausschweifungen unbekannten, von den Lastern der grossen Welt nicht durchseuchten Menschen, sich bilden muB».
90. Ibid., p. 256 : « Nirgends habe ich unter den Franzosen so viel offenes und herzliches Wesen angetroffen, wie hier; die Höflichkeit scheint hier nicht studiert, sondern ans vollem Herzen zu fliessen ».
91. Babeau, op. cit., pp. 228-229.
92. Fisch, op. cit., p. 182 : « Die Armuth erlaubt nur wenigen von ihnen, ein anständiges Kleid anzuziehen; allein bey aller Dürftigkeit und Schmutz der Haupttheile ihrer Kleidung, tragen sie weiB, seidne Strümpfe, Hüte die mit Federn von allen Farben ganz überdeckt sind, […], Die Mädchen, überhaupt noch schlechter gekleidet, haben Hauben, Kopfzeuge […], welche sie meistens ans den Häusern, wo sie Milch oder Küchengewächse zu verkaufen gewohnt sind, zusammenbetteln, oder abborgen. Diese Kopfzeuge machen gewöhnlich eine seltsame Würkung auf den braunen und derben Gesichtern… ».
93. Ibid., p. 180 : « Die öffentlichen Lustbarkeiten sind mit dem Charakter des Volks, welchem sie angehören, so nahe verwandt […]. Da (sie) hier meistens alle im Winter, als die bequemlichste Jahreszeit fallen, in welcher weder die nothwendigsten Arbeiten des Feld-und Wemnbaues sie hindern, noch die Hitze des Klimates sie lästig machen können, so habe ich sic schon alle gesehen ».
94. Fisch, op. cit., pp. 180-181 : « Ein Tambourin, eine Müsette, wozu sich noch zuweilen ein Tambour de Basque und ein Flageolet gesellen, machen immer die Musick (sic) dabev aus. Der Tanz wird mit einer Art von Menuet eröffnet, dessen Bewegungen se, einförmig und dessen Musik so schleppend sind, daB, oft meine Geduld ermüdete, wenn ich unter meinem Fenster stundenlang dasselbe Geleyer fortdauern hörte. […] Endlich fällt die Müsette in eine nahe verwandte aber lebhaftere Melodie; der raschere Rythmus würkt alsbald auf alle Zuhörer fort; und aus dem ganzen Haufen, […] wird auf einmal ein tanzendes Gewimmel ».
95. Ibid., p. 188 : « Im Herbst, Winter und Frühlinge sind die unzählichen kleinen Wege, von denen die ganze Gegend um Montpellier durchschnitten ist, aile mit Mallschlägern angefüllt. Nach vier Uhr des Abends verläBt der Handwerker seine Werkstatt, der Krämer seine Bude, der Kaufmannsdiener die Schreibstube; und alle greifen nach dem Mallstab. […] Dieses Spiel findet auch auf den Dörfern seine Liebhaber; doch scheint der Bauer das Krokspiel, welches eine mäBigere Bewegung fordert, weit vorzuziehen ».
96. Cf. lettre 7.
97. Fisch, op. cit., p. 354 : « Ich habe schon verschiedene Male von den Vorzügen der Strassen in dieser Provinz gesprochen ; ich zweifle wirklich, ob sie irgendwo in der Welt so schön zu finden seyen. Ihre Breite ist übermäuBig, zuweilen über 40. FuB ; das Bette des Strassendamms wird von Kalksteinen erbauet, dann kleinere Bruchstücke darauf geschüttet, und diese wie ein hartes Pflaster zusammen geschlagen. Ihr grosser Vorzug besteht aber hauptsächlich in der Sorge, die auf ihre beständige Unterhaltung verwandt wird ».
98. Ibid., pp. 56 sqq.
99. Ibid., pp. 56 sqq.
100. Dans le paragraphe qui suit, nous résumons, dans le cadre de notre étude, l’ouvrage de Nicole Castan. Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980.
101. Fisch, op. cit., pp. 189-190 : « Wenn die ländliche Familie, am langen Winterabend, um den Feuerheerd versammelt sitzt, erzählt irgend ein altes Mütterchen, oder der Dorfbarbier, oder der Schulmeister, ein Märchen von der weissen Frau im Schlosse, oder im alten Thurm, oder in der nächsten Felsgrotte ».
102. Cf. lettre 10.