Jean-Baptiste Pillement :
Un peintre de paysage dans l’Hérault à la fin du XVIIIe siècle

Auteur de recueils d’ornements, paysagiste et peintre de marine, Jean-Baptiste Pillement (Lyon, 1728-ib., 1808) appartient à cette catégorie d’artistes dont les œuvres expriment le goût de tout un siècle pour la nature et ses représentations les plus extrêmes. Ses tableaux de paysages, de naufrages côtiers, de scènes d’orages ou ses arabesques rocailles et chinoises constituent le corpus étonnant d’un artiste dont l’écriture et le langage témoignent d’une période riche en contrastes et en contradictions.

Peu à peu oublié, l’œuvre de Pillement fut remis en lumière à l’époque des frères Goncourt. Mais à défaut d’une redécouverte totale, seul l’œuvre ornemental éveilla la curiosité. La période d’alors se passionnait pour les aspects les plus charmants de l’art de l’époque prérévolutionnaire. Dès lors, renforcée par la critique formulée sur les paysagistes du XVIIIe siècle, l’histoire de l’art occulta ses tableaux de paysages et l’on dissocia les deux activités préférant à celle du paysagiste celle qui faisait du peintre un artiste à l’invention féconde et doué exclusivement pour le dessin d’ornement.

Si plus tard les paysages de Pillement furent redécouverts, c’est en jalons d’une filiation menant à Corot et aux peintres de la nature du XIXe que la critique les sortit de l’oubli du temps. Étrangement, la complexité de l’œuvre ne fut que rarement abordée et l’histoire de l’art survolant la problématique paysage et ornement considéra ensuite Pillement comme ornemaniste ou comme paysagiste au gré des publications ou des expositions.

Aujourd’hui, les locutions « dans le goût de Pillement » ou « à la manière de Pillement » évoquent ces « ressources imaginatives des plus agréables » comme les définissaient André Chastel à propos des arabesques chinoises 1 ; curieusement, jamais elles ne renvoient à sa peinture de paysage qui demeure encore le domaine réservé de quelques amateurs même si depuis quelques années différentes expositions ont célébré le paysagiste important et original qu’il fût 2. L’analyse de la fortune critique, du séjour en Languedoc et de l’art du paysage doivent permettre de replacer les paysages du peintre dans leur temps, celui où l’artiste languedocien Jacques Gamelin (1738-1803) appréciait dans les paysages de Pillement les choix esthétiques.

Le témoignage de Gamelin constitue une des rares critiques portées sur un peintre de paysage méconnu. Les documents en relation avec le séjour de Pillement dans l’Hérault sont l’occasion d’éclairer une vie à l’itinéraire souvent obscur et de comprendre un art du paysage pratiqué à la fin du XVIIIe siècle par un paysagiste de premier plan. Appréhender ces paysages revient à se rapprocher d’un processus d’élaboration qui, entre théorie et pratique, forme l’un des œuvres paysagés les plus originaux du XVIIIe siècle.

Pillement et l'Histoire de l'Art

La critique contemporaine de Pillement témoigne très rarement des activités du peintre. En France, les notes de Pierre-Jean Manette, réunies sous le titre d’Abecedario entre 1851 et 1860, ne mentionnent que le nom et le lieu de naissance de l’artiste 3. Pourtant, le Cabinet de l’amateur, dispersé au lendemain de sa mort, comportait deux dessins de Pillement conservés aujourd’hui dans le Département des arts graphiques du Musée du Louvre 4. L’absence de Pillement dans les Mémoires et Journal du graveur allemand Jean Georges Wille 5, dont on connaît l’activité de marchand notamment de dessins de Pillement mais aussi de Vernet, Hoüel ou Loutherbourg 6, rend également impossible l’appréciation critique de ses paysages. L’on pourrait multiplier la liste des répertoires ou mémoires du XVIIIe siècle, fondateurs de nombreuses fortunes critiques d’artistes, dans laquelle le nom de Pillement n’est pas retenu. Faut-il y voir un mépris ou un désintérêt dans lequel sont tenus les artistes restés aux portes de l’illustre académie royale ? Cochin s’en explique dans une lettre adressé à Marigny en 1764 : « on peut ranger ce degré de savoir [de Pillement] au nombre des talens agréables qui n’emportent aucune distinction […] il n’y paraît aucune trace de talens académiques » 7. Si le peintre est méconnu des biographes, paradoxalement, et malgré le jugement de Cochin, ses paysages sont collectionnés en France et à l’étranger.

Au Portugal, le rayonnement de l’œuvre de Pillement lui permet de figurer dans la première moitié du XIXe siècle dans deux publications considérées comme les premières œuvres modernes de critique historique de l’art portugais. Parmi les artistes originaires du Portugal, l’auteur, le comte Athanatius Raczynski, mentionne les artistes étrangers qui ont séjourné au Portugal. Si Raczynski met en avant les caractères « très maniérés » des paysages du peintre, il y voit une technique du dessin parfaitement maîtrisée dans laquelle il décèle « beaucoup de savoir faire » 8. L’attention particulière de Pillement au dessin sera reprise un demi-siècle plus tard, en 1898, par Edmond de Goncourt dans La maison d’un artiste. Ce dernier collectionne deux « petits paysages proprets » exécutés par un « crayon taillé menu, menu, menu » 9. Mais pour l’auteur, Pillement est surtout « un chinoiseur faisant de la chinoiserie rococo au goût du temps » 10 et l’inventeur d’une flore imaginaire dont tout le charme est contenu dans le recueil de ses « Fleurs idéales […] arrosées de poudre » 11. Les Goncourt avaient de l’art du XVIIIe siècle une conception des plus romantiques et exaltaient dans les œuvres des grands et petit maîtres du XVIIIe siècle les côtés les plus exquis et raffinés. De fait, l’engouement pour le dessin et la gravure d’ornements du XVIIIe siècle, caractérisé par la publication à partir de 1880 des Maîtres Ornemanistes de Guilmard 12, contribue à rendre public l’œuvre décoratif de Pillement et d’apprécier dans « ces pages capricieuses, mêlées de grotesques et de chinoiseries, […] le goût de tout un siècle » comme l’écrit le marquis de Chennevières en 1880 13.

A la même époque, les publications traitant de la nature et de sa transposition picturale occasionne une évocation confidentielle des paysages du peintre. En 1876, Louis Dussieux rédige dans Les artistes français à l’étranger, la première notice parue dans un ouvrage très général s’adressant à un large public. S’il note le goût des« couleurs brillantes et [des] contrastes d’ombre et de lumière 14 l’analyse demeure superficielle et la critique de Dussieux se referme sur elle-même. La même année, Fromentin écrit dans Les Maîtres d’autrefois : « Il est clair que pendant deux siècles nous n’avons eu en France qu’un seul paysagiste, Claude Lorrain » 15, renvoyant l’art d’un Claude-Joseph Vernet ou d’un Hubert Robert au rang de l’ornement et de la décoration. Les paysagistes du XVIIIe siècle sont partiellement rejetés, et parfois ignorés, dans des études moins ambitieuses comme Paysage de Thomas Couture, publiés en 1869 16. Et si la critique au début du siècle est plus laudative, elle persiste à voir dans les paysages du XVIIIe siècle « une nature apprêtée comme une jolie dame » 17 et à rechercher dans le passé les jalons qui mènent aux peintres de Barbizon et à la pratique pleinairiste de la peinture. Alphonse Germain écrit en 1907 dans la Gazette des Beaux-Arts à propos de Pillement : « Ses paysages (peintures, gouaches et dessins) ne sont certes pas à dédaigner […], mais ils n’ont rien de particulièrement lyonnais. Ses décors d’étoffes […] méritent d’être étudiés comme des œuvres de précurseurs » 18. Fallait-il pour exalter l’ornemaniste s’aveugler sur le paysagiste ? Le rejet s’affirme clairement quelques années plus tard, toujours sous la plume de Germain, pour qui les paysages de Pillement […] disposés en décor de théâtre […] amusent un œil profane » 19. Insensiblement, la fortune du peintre s’est constituée autour de ses ornements, ignorant ou délaissant volontairement l’un des deux langages de l’artiste.

L’on persistait à voir dans l’œuvre de Pillement l’expression habile d’un artiste, doué essentiellement pour un art mineur, puisque limitée à la décoration. En 1927, Henri Focillon, qui définit les caractères d’une école lyonnaise du paysage, souligne également le rôle joué par les artistes attachés à la fabrique lyonnaise ; il écrit : « le meilleur de l’œuvre de Pillement est peut-être là » 20. Si l’historien d’art ne condamne pas l’œuvre paysagé du peintre qu’il a pu observer en tant que directeur des musées de Lyon, il demeure attaché à la tradition qui fait de Pillement l’un des dessinateurs d’ornements de la grande fabrique. Les paysages doivent attendre le milieu des années 1920 pour que la critique d’art leurs accorde un intérêt certain. L’exposition parisienne de 1925 consacrée aux peintres de paysage de Poussin à Corot met à l’honneur dix peintures et quatre dessins de Pillement 21. Les dessins, judicieusement choisis dans les collections du musée de Poitiers, illustrent le travail du peintre qui le mène du croquis pris sur le vif comme la Vue du chemin de Parme à Plaisance 22, aux paysages recomposés. Mais le choix sélectif des dessins de Pillement, comme ceux de ses contemporains, ne sert qu’à démontrer le rôle de l’observation de la nature afin de mieux déterminer l’apport des paysagistes du XVIIIe siècle dans l’art de Corot. Car si pour la critique cette nature saisie dans son instantanéité est l’un des fondements de l’art de Corot, elle regrette que « tout ce que la nature apportait à la peinture [fut] immédiatement transfiguré, transposé en décoration spirituelle » comme le souligne Louis Hourticq dans sa critique de l’exposition 23

C’est grâce à Paul Cailleux, directeur de la galerie parisienne qui porte encore son nom, qu’un grand pas en avant a été fait dans la connaissance de l’œuvre du peintre. En 1928, Paul Cailleux organise la première exposition monographique sur Pillement. Sa connaissance et sa passion de l’art du XVIIIe siècle lui permettent une lecture cohérente de l’ensemble des activités du peintre où les paysages et marines côtoient la peinture de fleurs et de chinoiseries. Cette célébration, au bicentenaire de la naissance de Pillement, devait être assortie de l’étude du critique d’art Georges Pillement, lointain descendant de l’artiste. Rédigé en 1928, son ouvrage ne paraît qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1945, et demeure pour longtemps la principale publication et l’unique source bibliographique du peintre 24. Georges Pillement resitue l’œuvre dans toute sa diversité telle qu’elle apparut au visiteur de l’exposition de 1928 : « dès qu’on l’étudie [l’œuvre] en détail, dès qu’on en prend une vue d’ensemble, [l’œuvre] vous apparaît extrêmement varié, beaucoup plus varié qu’il ne semblait lorsqu’un paysage vous frappait isolément » 25. A travers les contradictions apparentes de l’œuvre, Georges Pillement légitime la particularité du peintre : le droit à la diversité. Implicitement, l’historien invite le spectateur à découvrir les paysages en juxtaposant par association mentale l’expression décorative de l’artiste. S’il ne nomme ni étudie les correspondances formelles et thématiques entre paysages et ornements, l’historien réunit autour du rêve la peinture décorative et les paysages qui deviennent sous sa plume, des « prétextes à la rêverie […] des invitations à la méditation poétique » 26. Mais bâtir une personnalité unitaire autour de la problématique paysage et ornement, à une période qui redécouvre timidement, dans les grands programmes d’histoire de l’art, les artistes liés aux arts décoratifs du XVIIIe siècle, et ne conçoit la peinture de paysages qu’en terme de « modernité », relevait de l’impossibilité. Hormis cette brève incursion dans la problématique paysage et ornement, il ressort de l’exposition Cailleux une meilleure connaissance de l’œuvre paysagé de Pillement, même si René Jullian, à l’issue de la seconde guerre mondiale, considère Pillement comme « le plus aimable et le plus brillant des décorateurs » 27, sans qu’il soit fait mention de son activité de peintre de paysages.

Dans la seconde moitié du xxe siècle, le séjour de Pillement dans la péninsule Ibérique attira l’attention des chercheurs espagnols. Grand historien de l’art, José Camon Aznar, écrit en 1956 lors des Journées internationales d’études d’art de Bordeaux à propos des paysages de Pillement : « Sa formation aux Gobelins détermina sa vision du paysage aux valeurs décoratives, large et profond, avec des premiers plans contractés par des figures, des architectures, des collines, ou des arbres qui provoquent une vaste ampleur spatiale en profondeur. Ce qui le rapproche singulièrement de l’interprétation goyesque des fonds, c’est sa luminosité, avec une clarté laiteuse crépusculaire qui imprègne de nostalgie l’infini de ses horizons » 28. Si notre propos n’est pas de démontrer l’apport de Pillement dans l’art de Goya, le commentaire de Camon Aznar apporte un relief nouveau aux compositions du paysagiste. En considérant la formation d’ornemaniste comme élément de lecture des paysages, l’historien réconcilie les deux activités que l’on avait séparées. Qu’on ajoute à Pillement peintre de paysage l’image de Pillement peintre d’arabesques chinoises et florales et la personnalité de l’artiste prend une autre netteté. Il revient à Camon Aznar d’avoir reconnu en Pillement une véritable personnalité construite autour du sentiment de la nature. Pillement proposa ses solutions dans les peintures décoratives qui, comme le souligne l’auteur, « ont très vraisemblablement laissé des traces chez les décorateurs espagnols » 29, et dans un « type de paysage humble et lumineux, plein de lyrisme et d’intimité » 30. Mais la lecture des paysages effectuée par l’historien demeure tributaire d’un discours largement répandu où le critère de « modernité » préside à l’analyse. Il écrit : « Jean Pillement n’a pas la réputation qu’il mérite, précisément parce que ses paysages sont tout près de notre sensibilité, plus près de notre sensibilité que de celle de ses contemporains, et se lie sans violence avec les romantiques […]. Son antécédent le plus proche se trouve peut-être chez les Hollandais » 31. Autant la référence à la peinture nordique du XVIIIe siècle, et précisément Hollandaise, se retrouve en échos dans les paysages de Pillement, autant le recours comme moyen d’analyse à l’esthétique romantique de 1830 conduit à la négation d’un contexte artistique à travers lequel l’œuvre paysagé doit être analysé. Cette position critique est reprise en 1973 par le conservateur des peintures françaises du Musée du Prado, Juan-José Luna : tout en reconnaissant le langage ornemental, les paysages de Pillement sont « simplement et directement une anticipation de la clarté conceptuelle de Corot » 32. Il s’agit de faire de Pillement un précurseur des peintres de la nature du XIXe siècle, et de percevoir dans l’école française du paysage de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les « prémices de son éclosion au siècle suivant, qui allait renouveler le concept de peinture lui-même » 33. Ainsi considérés, les paysages de l’artiste ne sont analysés qu’à travers l’étude du vrai et de la réalité où la nature est décrite, comme il est clairement indiqué dans le texte, « telle qu’il la voyait et telle qu’elle était en réalité […] sans se soumettre à des conventions » 34. En réhabilitant les paysages peints et dessinés de Pillement, Juan-José Luna la rattache à celle de ses successeurs et légitime l’abstraite notion de progrès esthétique qui ne retient, dans le domaine de la peinture de paysage, que les artistes qui convergent vers Corot. Mais cette doctrine de la « modernité » n’est qu’une valeur rétrospective appliquée aux paysages d’un artiste qui, parfaitement intégré dans son siècle, pratique la peinture de paysage selon la codification du genre, théorisée dès le début du XVIIIe siècle par Roger de Piles dans un des plus beaux textes dogmatiques sur la peinture 35.

Toutefois, l’on doit aux historiens de l’art espagnol d’avoir souligné dans l’œuvre de Pillement les caractères originaux d’un art du paysage qui procèdent autant des règles de l’observation de la nature que du langage ornemental. Mais le rôle de ce dernier dans les paysages a favorisé une lecture critique obsolète qui les renvoie vers une sous catégorie du genre dont l’étiquette « paysage décoratif » évoque la dégénérescence du genre lorsqu’on l’oppose aux transpositions picturales d’une nature soumise à l’ordre, à la vraisemblance et à la topographie. Il convient pour s’approcher des paysages de l’artiste de sortir des classements acquis par réflexes et de mettre en lumière une période complexe dont l’héritage critique a trop souvent oublié de rendre compte. Dès 1957, Robert Mesuret valide l’existence d’une peinture de paysage du dernier tiers du XVIIIe siècle dans laquelle « la nécessité cède à l’ornement [et] à la pensée succède le rêve » 36. Pillement, comme de nombreux artistes, accède à la représentation de la nature en empruntant la voie privilégiée de l’effet au détriment d’une transcription fidèle de la réalité. Sa main d’ornemaniste s’y épanouit en exploitant toutes les ressources expressives offertes par les motifs des vagues, des rochers, des végétaux ou des nuages. Le succès de son œuvre à travers l’Europe témoigne du goût et des aspirations d’un public qui recherchait dans le spectacle d’une nature paisible ou déchainée la représentation de leurs passions, mais il manifeste surtout et aussi l’adaptation réussie du langage ornemental dans le genre du paysage.

Étudier l’œuvre paysagé du peintre implique de réunir sous une même pensée ses différents langages. Lorsqu’en 1992, Vincent Pomarède lors de l’exposition Romanticismo, il nuove sentimento della natura 37 relève comment « la séparation sur le plan esthétique effectuée par la critique […] a faussé en France la lecture de son œuvre et jeté le discrédit sur l’un des grands artistes du XVIIIe siècle » 38, il continue à voir dans les paysages de Pillement un imaginaire détaché de son œuvre ornemental. Les paysages résulteraient du rapport privilégié entre le peintre et une nature « dépouillée de toute référence historique, symbolique ou anecdotique » dans laquelle seul importe le travail de recherche mené sur « le contraste entre les arbres, les rochers et la cascade » 39. Encore un fois, le critère de « modernité » qui conduit l’analyse dénature les paysages de l’artiste. Retrouver le sens de ses vues maritimes et scènes champêtres revient à appréhender cette part de rêve véhiculée par l’eau, les rochers, la barque ou la voile gonflée, appels à l’imaginaire de la peinture de paysage, tout autant que les repères constitutifs de la pensée décorative du XVIIIe siècle. La critique de Pillement, jusqu’à la plus récente, a toujours dissocié ses paysages de sa peinture de fleurs et de chinoiseries préférant lire dans les deux expressions, les manifestations distinctes, voire contradictoires, d’un même talent ; mais comprendre son œuvre paysagé ne pourra s’effectuer qu’en élargissant l’étude à l’ensemble de son œuvre. Ce n’est qu’en acceptant ces divergences apparentes que pourra être comprise l’utilisation dans l’espace cohérent des paysages du peintre, des thèmes et motifs de son œuvre ornemental.

Nous regardons aujourd’hui ses vues maritimes ou ses scènes paysannes en ayant perdu le sentiment de bonheur ou d’effroi qu’elles suscitaient chez le spectateur. Pillement les a étudiées dans des carnets à dessin et en a transposé les aspects les plus aimables ou effrayants dans ses paysages recomposés ; mais qu’il soit peintre de paysages ou peintre d’arabesques chinoises et florales, il regarde la même nature. « Les peintres d’arabesque ne doivent pas perdre de vue les formes naturelles & les accidents heureux », écrivent Watelet et Lévesque en 1792, « ils doivent même les chercher, en tirer parti & enrichir leur portefeuille des études qu’ils en font » 40. Cette réflexion n’est-elle pas l’une des clefs ouvrant sur l’imaginaire d’un artiste qui exalta dans sa peinture le sentiment de la nature ? Ne doit-elle pas, également, faire sortir l’histoire de l’art de l’habituelle réserve dans laquelle elle plaça l’œuvre de l’artiste à travers lequel elle ne vit qu’opposition thématique et stylistique alors que Pillement ne voyait dans l’art du paysage que le simple prolongement de l’exercice ornemental ?

Scène de naufrage, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 80. 9. 1.
Fig. 1 Scène de naufrage, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 80. 9. 1.
Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 10.
Fig. 2 Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 10.
Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 11.
Fig. 3 Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 11.
Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 14.
Fig. 4 Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 14.

Séjour à Pézenas

Lorsqu’en 1957 Robert Mesuret définit Pillement comme un artiste originaire du sud de la France – Roussillon, Languedoc et Provence 41 -, il reprend l’idée répandue dans l’érudition locale et certaines notices depuis près d’un siècle, d’un artiste originaire du Languedoc 42. Ce n’est pourtant qu’en 1789 que Pillement, à soixante ans, s’installe dans l’Hérault jusqu’en 1799. Si la confusion du lieu de naissance révèle la méconnaissance de la vie et l’œuvre de Pillement, elle confirme l’importance qu’occupe son séjour dans la diffusion de l’œuvre dans la région. En effet, les Musées des Beaux-Arts de Béziers et Carcassonne, le Musée Fabre de Montpellier comme les autres musées du Languedoc conservent la trace de l’activité du peintre lors de son séjour à Pézenas. Les œuvres, essentiellement des paysages, datées ou datables de cette période 43, sont entrées dans les collections publiques au moyen de dons et de legs dans la deuxième moitié du XIXe siècle 44. En 1980, Jacques Lugand conservateur du Musée de Beaux-Arts de Béziers fit l’acquisition d’un Naufrage (fig. 1) sur le marché de l’art parisien 45. Le hasard de cette acquisition voulut que l’œuvre, datée de l’An VI (1797-98), appartienne à l’épisode héraultais de l’artiste. Si quelques-uns de ses plus beaux morceaux de son œuvre paysagé sont réunis dans les collections du département comme la série des paysages du Musée Fabre (fig. 2, 3, 4, 5) de nombreux musées français et étrangers ainsi que les collections privées conservent la trace de cette période féconde où Pillement diffusa ses œuvres bien au-delà des limites géographiques du Languedoc. Car, les années qu’il passa à Pézenas, entreprenant ça et là quelques voyages dans des contrées voisines, contribuèrent à répandre définitivement en France sa peinture de paysage.

Accompagné de sa nièce, Pillement de retour de la péninsule ibérique a rejoint Pézenas où sa sœur Louise et son mari Jean-François Séverac, natif de Pézenas, se sont installés 46. La famille est réunie près de l’Ermitage Saint- Siméon dans une ferme appelée rétrospectivement le « Grangeot du Peintre » 47. Durant ces années, Pillement rencontre dans l’Hérault, et plus généralement dans la région, de nombreux amateurs de sa peinture de paysages ; l’amitié avec Jacques Gamelin fut à ce titre décisive. Solidement implanté dans la région depuis son retour de Rome en 1773, Gamelin participe activement à la diffusion de l’œuvre de Pillement. Éloigné de Toulouse depuis sa rivalité avec François Cammas, ruiné après l’échec de son Nouveau recueil d’ostéologie et de myologie en 1779, Gamelin s’était vu proposé par son protecteur le baron de Puymaurin, la direction des Écoles de dessin la Société royale de Beaux-Arts de Montpellier. A Narbonne en 1783, c’est en qualité de peintre de la ville sans en avoir le titre qu’il demeure jusqu’en 1796 48. De fait, de Toulouse à Montpellier Gamelin jouissait depuis sa formation toulousaine dans l’atelier de Pierre Rivalz d’un réseau de connaissances composé de nombreux amateurs susceptibles d’acquérir les paysages du peintre.

Mais l’amitié entre le peintre languedocien et Pillement a certainement pour origine une relation antérieure à l’année 1789 comme le suggèrent les catalogues d’expositions de l’Académie royale de Toulouse ou de la Société des Beaux-Arts de Montpellier. En effet, les livrets de salons des académies provinciales invitent à reconsidérer la biographie du peintre et à envisager des liens établis par Pillement avec la province languedocienne bien avant 1789.

A Toulouse d’abord, le nom de Pillement est référencé dès l’année 1768 : un certain Gourville expose et met à la vente un dessin de l’artiste 49. A cette date, et jusqu’en 1780, Pillement de retour de Pologne au service du roi Stanislas- Auguste Poniatowski réside à Avignon comme peintre de la ville 50. Durant ces années, il poursuit une carrière internationale : la commande du prince des Asturies 51, celle de la reine Marie Antoinette 52 ainsi que la grande vente organisée à Londres en 1774 53 participent du succès de son œuvre en France et à l’étranger. Cette reconnaissance semble déborder sur la province languedocienne ; en décembre 1779, le premier salon organisé par la Société royale des Beaux-Arts de Montpellier expose quatre paysages au crayon de Pillement aux côtés de grands noms comme Fragonard, Robert, Vernet, Loutherbourg, Demachy ou Le Prince 54. L’idée la nécessité d’un enseignement des arts à Montpellier jusqu’alors dispensé dans quelques ateliers privés s’était formée dans la galerie d’Abraham Fontanel Au rendez vous des artistes dans l’actuelle rue de la Loge où se réunissaient artistes, marchands et collectionneurs 55. Fontanel entretenait de nombreuses relations avec les artistes parisiens et le marché de l’art comme en rend compte sa correspondance avec Houdon 56. Nommés Garde des plâtres, dessins et estampes de la Compagnie, Fontanel était également l’instigateur des différentes expositions. En 1912, Henri Stein écrit à propos du premier salon de la Société organisé 1779 : « on y voyait quelques œuvres des sculpteurs Lemonnier et Houdon et de La Rue ; des tableaux, esquisses et dessins de Van Loo, de Pierre, de Sauvage, de Lemonier, de Pillement […] qui, sollicités d’apporter leur concours, n’avaient pas cru devoir refuser de s’associer à cette intéressante manifestation » 57. Jean Claparède reprendra cette information allant jusqu’à considérer Pillement comme un des correspondants de Fontanel, sans en citer la source 58. Il semble donc assez probable que Fontanel dans sa librairie montpelliéraine ait été en contact avec notre peintre alors en résidence avignonnaise. De plus, aux amitiés parisiennes de Fontanel l’on doit ajouter celles entretenues dans la région avec des artistes comme Jacques Gamelin qui allait diriger, comme nous l’avons dit plus haut, les classes de dessin de la Société des Beaux-Arts à partir de 1780. De fait, il convient en considérant ces différents éléments de proposer les années 1779-1780 comme celles correspondant au premier contact entre les deux artistes.

A partir de 1780 Pillement est au Portugal et en Espagne mais ses œuvres sont exposées aux salons de 1786 et 1789 organisés par l’Académie de Toulouse : le premier présente un paysage au pastel appartenant à Joseph Daram, amateur de Subleyras, de Gamelin et d’art flamand 59. Plus intéressant, celui qui débute le 20 mai 1789 témoigne du succès de Pillement en Languedoc ; les noms des amateurs suffisent a nous en apporter la preuve. Le marquis de Fourqueveaux, académicien toulousain, y présente quatre dessins 60 alors qu’un certain Reboul, identifié par Robert Mesuret comme avocat toulousain et membre du comté du Musée de Toulouse, expose deux marines et deux paysages 61. Si les objectifs de ces expositions étaient multiples, la raison économique n’en était pas exclue et l’on retrouve à la vente l’ensemble des œuvres. Un autre amateur célèbre, le médecin et chimiste montpelliérain Chaptal 62, futur ministre de l’intérieur, expose deux paysages au pastel du peintre 63. Le seul nom de Chaptal n’est pas sans nous rappeler ses recherches dans l’industrie chimique dont les applications sur la coloration des indiennes contribuèrent à l’essor économique de la région à partir de 1780 64. Ses recherches l’auraient-elles mis en relation à la fin des années 1770 avec le peintre, alors à Avignon ? Le peintre aurait-il formé le projet d’exploiter les ressources offertes par « La verdette », ancienne fabrique de soie ? Rappelons que dès 1764 Pillement alors à Vienne avait fait part au marquis de Marigny de l’invention d’une « impression de dessein et de fleurs colorées sur les étoffes de soye » et de son désir d’être à la direction d’une manufacture royale 65.

Lorsque commence son séjour à Pézenas en 1789, Pillement pendant plus de vingt ans paraît s’être constitué depuis Avignon d’abord et la péninsule Ibérique ensuite, une clientèle d’amateurs languedociens. Les noms de ces derniers associés à des personnalités comme celle de Fontanel ou Gamelin expliqueraient, à défaut de documents, le succès de sa peinture de paysage dans l’Hérault à partir de 1789. Toutefois, à son arrivée, Pillement semble éprouver quelques difficultés d’ordre matériel comme le laisse transparaître la correspondance manuscrite, conservée au musée de Pézenas, échangée entre le peintre, Gamelin et un collectionneur audois, le chevalier de Fornier 66. Gamelin écrit à ce propos : « [Pillement] sera très flatté sur […] la manière obligeante avec laquelle vous [Fornier] vous êtes décidé pour le faire travailler » 67. Quelque peu isolé à Pézenas, il entreprend assez rapidement quelques voyages dans le sud de la France, liés, comme ils l’ont toujours été, à la vente de ses œuvres.

Fort d’une solide réputation de peintre de paysage et assuré de l’amitié de l’artiste languedocien, il est dans un premier temps attiré par le pittoresque de la foire Sainte- Madeleine de Beaucaire en Juillet 1789 où « la curiosité m’attire » comme il l’écrit dans sa première lettre de la correspondance de Pézenas 68 ; quelques jours plus tard, il est à Narbonne chez Gamelin. En marchand avisé, ce dernier profite de l’occasion pour présenter son ami au chevalier de Fornier et aux amateurs narbonnais. Chevalier d’honneur au bureau de la généralité de Montpellier, Fornier note : « Mr Pillement a parfaitement rempli l’idée que M. Gamelin, son digne ami, m’avait donné de lui, je ne doute pas que les deux tableaux qu’il se propose de faire pour moi ne soient excellents » 69. De retour à Pézenas où il passe l’hiver, il reprend la route durant l’été 1790 pour Toulouse 70 où Gamelin, malgré ses échecs dans le milieu académique, bénéficiait encore de nombreuses relations. De là, il gagne la seconde métropole du sud-ouest, Bordeaux, dans laquelle il séjourne quelques jours 71. Il y revient l’année suivante comme nous l’indique une annonce passée dans le journal de Bordeaux et du département de la Gironde en septembre 1791 : « M. Pillement, célèbre peintre paysagiste, actuellement à Bordeaux, demeure rue du Pont-de-la-Mousque n° 9, près de la rue Sainte-Catherine » 72. Certainement recommandé par Gamelin, il y rencontre l’ami des années romaines de l’artiste carcassonnais, le portraitiste de la société bordelaise, le peintre bruxellois François-Louis Lonsing 73.

Au-delà de l’année 1791, les départements de l’Hérault et de l’Aude commencent à ressentir les événements révolutionnaires. Gamelin devient « un personnage de premier rang » comme le note Olivier Michel 74. En tant que grand ordonnateur des fêtes républicaines de Narbonne et plus tard peintre des batailles de l’armée populaire des Pyrénées Orientales, Gamelin devient le type même de l’artiste qui met son art au service d’une institution et d’un pouvoir. S’il ressort de cet engagement l’épanouissement d’un art entièrement tourné vers la glorification des nouvelles valeurs idéologiques, il n’est pas sans éclairer le rôle éminemment politique joué par Gamelin durant cette période. Pillement a certainement tiré protection et profit d’une telle amitié et à l’exemple de Gamelin, l’artiste a bénéficié d’une nouvelle clientèle, moins fortunée, qui semble s’être superposée, à partir des années 1792-1793, à celle formée par la noblesse de la riche vallée de la Peyne 75. La fréquence des paysages datés de ces années et conservés dans les musées de l’Hérault témoignent du succès de son œuvre près des amateurs régionaux.

Durant les années 1793-1795, plusieurs dessins et gravures créditent Pillement d’une activité parisienne : la gravure du Tombeau de Jean Paul Marat tirée du dessin de Pillement en 1793 76 ou l’eau-forte de Pillement et Godefroy d’après La Forêt des Cèdres sur le Mont-Liban de Louis-Français Cassas 77 posent toutefois quelques interrogations sur l’éventuel voyage à Paris. C’est en effet autour de ces années, en 1794, que son fils Victor débute une carrière parisienne de graveur avec le Recueil gravé d’arbres et de feuilles. Premier, ou l’un des premiers, à publier un manuel didactique illustré d’estampes destiné aux artistes paysagistes, Victor Pillement appartient à une autre génération, celle des observateurs scientifiques de la nature. Plus proche de Pierre-Henri de Valenciennes ou du védutiste Antoine Ignace Melling, il semble donc plus juste de lui attribuer les œuvres en question, notamment celle d’après Cassas 78.

Qu’il se soit ou non rendu à Paris durant cette période, Pillement bénéficie d’une certaine renommée parisienne en septembre 1796, il est en relation avec la Société Philotechnique de Paris. Sollicité pour jouer le rôle d’agent provincial de la Société savante, il éprouve toutes les difficultés à promouvoir la souscription du journal de la Compagnie parisienne. Quelque peu isolé à Pézenas, il écrit : « Pézenas ne fourmille pas de Savants, il an et sepandant quelques uns […] je Ressevré avec Bien de la Reconaissance votre interessant journal et j’espère c’antre mes Meins il contribuera plus a vos Succais qun sinple Prospectus » 79. La Société Philotechnique, fondée en 1795, réunissait des hommes très différents comme l’architecte De Wailly, les savants Cuvier et Lacépède, le poète Guichard, le musicien Méhul ainsi que le maître du paysage historique Valenciennes ou les sculpteurs Leconte et Pajou 80. Le séjour de ce dernier à Montpellier entre 1792 et 1794, particulièrement remarqué par la place qu’il occupa dans la vie artistique montpelliéraine, serait-il à l’origine de cette demande de collaboration à la Société Philotechnique ? 81. Pillement aurait-il alors fréquenté comme on peut le supposer depuis sa participation au premier salon de la Société des Beaux-Arts en 1779, le milieu artistique montpelliérain dominé par Abraham Fontanel, l’ami de Gamelin ? Si sur cette question aucun document ne nous est parvenu, le choix de Pillement comme correspondant provincial de la Compagnie parisienne suffit à indiquer que le peintre bénéficiait d’un réseau social capable de l’apprécier et reconnaître dans son œuvre l’expression d’un véritable talent.

A près de soixante-dix ans et confronté à des difficultés financières, Pillement exécute des œuvres dont la maîtrise contraste avec l’idée du vieil homme fatigué à laquelle son correspondant parisien est renvoyé ; il lui écrit : « je suis vieu et paresseu, come le sont tous les veillard » 82. La scène du Naufrage du musée des Beaux-Arts de Béziers (fig. 1), datée de 1797-1798, manifeste encore un haut degré d’exécution même si le peintre signe dans cette œuvre l’un de ses derniers grands paysages maritimes dans lequel le geste, parfaitement rompu aux subtilités de l’exécution, traduit l’horreur sublime de la fureur marine.

Jusqu’à une date récente et malgré l’absence de documents écrits, l’on faisait interrompre son séjour dans l’Hérault autour des années 1795-1797. L’on admettait implicitement qu’éloigné de Gamelin en poste depuis le mois de juin 1796 à Carcassonne en tant que professeur à l’École centrale du département de l’Aude, Pillement retournait vivre à Lyon, sa ville natale. La découverte récente du mariage du peintre le 28 février 1799, à l’âge de soixante et onze ans, avec sa seconde épouse, Anne Allen, permet aujourd’hui d’étoffer de quelques années l’épisode héraultais du peintre et d’élargir à dix ans son séjour à Pézenas 83.

Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 13.
Fig. 5 Paysage, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 13.
Paysage au colombier, mine de plomb et pierre noire, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 471.
Fig. 6 Paysage au colombier, mine de plomb et pierre noire, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 471.
Paysage à la chaumière, mine de plomb et pierre noire, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 472.
Fig. 7 Paysage à la chaumière, mine de plomb et pierre noire, Musée Fabre de Montpellier. Inv. 864. 2. 472.
Naufrage, huile sur toile, Musée Vulliod Saint-Germain de Pézenas. Inv. 57. 1. 231.
Fig. 8 Naufrage, huile sur toile, Musée Vulliod Saint-Germain de Pézenas.
Inv. 57. 1. 231.

L'art du paysage

Nous l’avons dit, son séjour est peu documenté ; néanmoins, la correspondance entre Pillement, Gamelin et Fornier nous donne l’occasion d’analyser le regard contemporain porté par un des grands artistes du midi sur des œuvres que l’on jugea comme tardives autant dans la carrière de Pillement que dans le siècle sans que l’on retienne les éléments contextuels au travers desquels elles devaient être analysées. Ce document qui rend compte des différentes étapes comprises entre la conception, la réalisation et la réception de sa peinture de paysages constitue en cela un témoignage exceptionnel.

D’abord diffusé par le dessin, l’art du paysage de Pillement est soumis au goût, à la critique et aux disponibilités financières des amateurs. Gamelin écrit a son ami Fornier : « Je vous fait passer les 6 dessins que Mr Pillement m’a envoyé lorsque vous en aurez parcouru les beautés vous serai (sic) très obligé de les faire remettre […] on en fait ici de suite l’acquisition, et si vous désirez en avoir dans ce genre il [Pillement] doit m’en envoyer, et vous serez le premier qui ferez le choix que vous souhaiterez » 84. Plus pratiques à transporter, moins chers à l’achat et conçus comme de véritable tableaux pouvant être encadrés sous verre et accrochés aux murs comme ceux du musée Fabre (fig. 6, 7), les dessins de Pillement sont accueillis avec enthousiasme : « ces dessins sont délicieux, bien des gens m’en ont demandé le prix avec un empressement qui décelait l’envie d’en acheter » répond Fornier quelques jours plus tard 85. Séduit par ces paysages, Fornier se transforme, à son tour, en interprète de l’artiste auprès de ses amis « dans l’idée […] d’étendre sa réputation et d’augmenter le nombre de ses admirateurs » 86. Conçus comme des œuvres autonomes, pouvant éventuellement servir dans une version peinte, les dessins de paysages sont traités à la pierre noire, plus rarement rehaussés de crayons colorés, le plus souvent bleu assortie de tons brun-roux. Autant ces dessins finis, exécutés en atelier, sont laissés à la libre interprétation de l’artiste autant la réalisation des peintures qui leur succèdent ont pu être soumises à certaines exigences des amateurs ; la commande que le chevalier de Fornier passe à l’artiste en rapporte quelques modalités.

Selon la codification du genre, la peinture de paysage du XVIIIe siècle conçoit la représentation de la nature en termes de contrastes et de variations. De fait, un paysage ou une vue maritime ont, ou ont eu, pour pendant une version complémentaire. Le spectateur était alors incité à comparer les toiles entre elles et à rechercher les mouvements des éléments naturels selon les heures du jour. Fornier, en homme du XVIIIe siècle, ne déroge pas à la tradition lorsqu’il fait « l’acquisition de deux tableaux de l’aimable Mr Pille- ment » 87. D’autres commandes de paires passées par des amateurs narbonnais 88 illustrent le goût de la nature changeante recherché autant dans les effets du matin et du soir que dans les paysages calmes ou sous l’emprise des éléments déchaînés. Former, soucieux de l’emplacement qu’il leur réserve à l’intérieur de son cabinet, transmet à l’artiste les dimensions des toiles. Les lettres de Pillement formulées dans une écriture à la diable éclairent cette commande : « Je vien d’aprandre […] que vous désiré avoir quelquouvrage de moy », on « ma remi de votre par une mesure pour 2 tableaux » 89. Pour satisfaire à la commande, Pillement fait « préparer des toiles infiniment plus fines que sele don je me ser ordinairement » lui écrit-il quelques jours plus tard 90. Au-delà de ces considérations techniques, Fornier aurait-il suggéré quelques recommandations, celles-ci d’ordre esthétique ? Les tableaux terminés, l’artiste lui fait savoir : « Il y a 4 ou 5 jours que vos tableaux sont parti, je soite Monsieur que vous les trouvié tel que vous les désiré, je nay rien négligé » 91. Fornier, comme ses contemporains, attendait de cette peinture de paysage la représentation du pittoresque de la nature, où seule importe son exécution. Qu’il ait préconisé ou non, lors de la commande, ce qu’il attendait de ces peintures, son goût comme celui de Gamelin est satisfait dès réception des tableaux : « ces deux charmants morceaux nous ont étonné et enchantent tous ceux qui viennent y promener leurs regards » précise Gamelin 92. Par là-même, Gamelin et Fornier retrouvent le pittoresque qui avait présidé à la réalisation des œuvres ; « je me propose de doner tous mes soins pour les randre du fini le plus préssieux, de les randre intéressant par le picant du clair obscur et la cantité de figure et danimaux » avait souligné Pillement quelques semaines plus tôt 93. L’insistance sur l’effet pittoresque et la prédominance de ce dernier sur un quelconque prétexte topographique n’en sont pas moins soumises à la réalité et à l’idée d’une imitation fidèle de la nature. Gamelin qui a réceptionné les deux tableaux s’en explique à Fornier : « le site en est admirable, la fraîcheur du coloris enchante, et les figures y sont si bien placées qu’il semble les voir agir et se mouvoir » 94. Ces œuvres, aujourd’hui perdues mais contemporaines à celles des musées de l’Hérault, posent tout le problème de la peinture du paysage du XVIIIe siècle : le réalisme et l’invention.

Paysage au pont, pastel marouflé sur toile, Musée Fabre de Montpellier. Inv. D 66. 1. 4.
Fig. 9 Paysage au pont, pastel marouflé sur toile, Musée Fabre de Montpellier.
Inv. D 66. 1. 4.
Scène champêtre à la chaumière, crayon relevé de blanc sur papier bleu, Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 432.
Fig. 10 Scène champêtre à la chaumière, crayon relevé de blanc sur papier bleu,
Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 432.
Paysage, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 158.
Fig. 11 Paysage, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Béziers. Inv. 158.
Paysage aux lavandières, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. 10. Une des quatre scènes principales.
Fig. 12 Paysage aux lavandières, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. 10. Une des quatre scènes principales.

Les paysages de Pillement sont recomposés à partir d’une nature observée dans des albums ou carnets à dessins pris au cours de ses différents voyages 95. Cette pratique du dessin traduit ce souci d’exactitude contenu dans les motifs des ponts en ruine et passerelles de bois, des rochers isolés ou près d’un plan d’eau, des arbres grêles ou charnus et des petites fabriques. Souvent reprises à l’estompe avec le doigt, ces petites études confirment ce que, dès le début du siècle, Roger de Piles dans son Cours de peinture par principes avait théorisé : « Les études des paysagistes consistent donc dans les recherches des beaux effets de la nature, desquels il [le peintre] peut avoir besoin dans la composition de ses tableaux » 96. Il s’agit de rechercher dans la nature cette vérité que le peintre harmonise dans les paysages composés en atelier. En 1788, au plus près des paysages de Pillement réalisés dans l’Hérault, Claude-Henri Watelet écrit au chapitre « Paysage » de l’Encyclopédie méthodique : « On peut, en peignant un paysage, prendre pour base des aspects réels, mais auxquels on se permet de faire des changements tels, que ces représentations soient en partie imitées de la nature, et en partie idéales » 97. Entendons par « idéales » une nature telle qu’elle pourrait être. Les paysages de Pillement s’ancrent dans la théorie des « paysages mixtes » où seul compte le rendu des rochers et des cascades, des arbres et des fabriques, du ciel et des nuages, l’ensemble animé de figures pastorales (fig. 2, 3). En somme, la représentation d’une nature dans laquelle le spectateur s’évade, qu’elle soit agréable ou terrifiante comme les scènes de naufrages auxquelles Pillement sacrifie durant toute sa carrière (fig. 1, 8). Dès lors, l’on s’approche du caractère essentiel de la peinture de paysage du XVIIIe siècle : l’éveil au sentiment de la nature. Les observations de Gamelin sur les paysages de Pillement en précise les effets : « je puis vous dire qu’ils me font tous les jours un nouveau plaisir […] je les étudie et j’y découvre toujours de nouvelles choses qui m’en font connaître de nouveau l’admirable auteur » 98.

L’exaltation autour de ces paysages nous révèle un art apprécié par un amateur et un artiste, tous deux érudits et pétris de culture classique : Fornier, grand lecteur du biographe latin Suétone 99 et Gamelin, formé à Paris dans l’atelier de Deshays et gravitant à Rome dans l’entourage du peintre et théoricien Anton Raphaël Mengs à l’Académie de Saint-Luc. Mais l’association des noms de Gamelin et Pillement peut déconcerter les historiens qui voient chez l’artiste du Midi l’expression languedocienne du néoclassicisme et le représentant de la peinture historique édifiante, et chez le peintre lyonnais les manifestations d’un art tourné vers le décoratif. Faut-il, alors, mettre en doute la critique de Gamelin et ne voir dans l’amitié qui l’unit à Pillement que de simples motivations commerciales ? La période particulièrement éprouvante, les difficultés matérielles de Pillement comme celles de Gamelin suffiraient à expliquer ce commerce de tableaux, et les écrits qui nous sont parvenus ne doivent pas nous en faire oublier l’objectif. Mais les classifications de styles ne sont que des valeurs appliquées rétrospectivement aux artistes et à leurs œuvres. A la lecture des lettres échangées entre les deux peintres, l’on devine aisément la réelle admiration de Gamelin pour l’art de Pillement. L’estime dans laquelle il tient les paysages de ce dernier se confirmera à partir de 1796 lorsque Gamelin en poste à Carcassonne comme directeur de l’École centrale offrira en récompense à ses élèves les dessins de Pillement tirés de ses propres collections 100.

Durant ces années passées à Pézenas Pillement exécute dans le sillage de Joseph Vernet des paysages et des marines inspirés de ses nombreux voyages à travers l’Europe. Ces compositions répondent à la demande des collectionneurs avides du spectacle de la nature. Selon une formule bien rodée et mise au point autour des années 1760, Pillement reproduit des paysages de fantaisie. L’artiste du XVIIIe siècle ignore le renouvellement, et le cas de Vernet est à ce titre l’un des meilleurs exemples 101. La répétition des scènes représentées ne doit pas aujourd’hui déformer la réception des paysages du peintre et permettre au doute, sous un quelconque prétexte commercial, de se glisser dans le jugement positif de Gamelin. Artiste, marchand et expert, Gamelin connaît parfaitement l’art du paysage qu’il pratique dès son séjour romain entre 1765 et 1773 en reproduisant par le dessin trois paysages de Vernet 102. Dès son retour à Toulouse en 1774, il poursuit cette activité de paysagiste en exposant deux copies de marine du maître provençal 103. Bien plus tard, en 1800-1801, lorsque l’artiste carcassonnais exécute un Naufrage au soleil couchant 104 et une Matinée calme 105, il démontre encore une fois sa connaissance de l’art du paysage même s’il n’atteint pas dans ces compositions la puissance évocatrice des naufrages de Vernet ou de Pillement. S’il n’est plus permis de douter du contenu du jugement de Gamelin, la valeur de cette critique jusqu’alors inexploitée permet d’affiner la réception des œuvres de Pillement et de mieux saisir un art du paysage déprécié.

Paysage aux pêcheurs, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. 11. Une des quatre scènes principales.
Fig. 13 Paysage aux pêcheurs, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. 11. Une des quatre scènes principales.
Paysage aux pêcheurs, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. J. Une des six scènes secondaires.
Fig. 14 Paysage aux pêcheurs, papier peint en grisaille, Musée Atger de Montpellier. Inv. DA. J. Une des six scènes secondaires.

Dans cette dernière décennie du siècle, Pillement abandonne progressivement la représentation de la ruine et de l’architecture. Prisées par les artistes français séjournant en Italie et surtout à Rome, ruines et architectures s’étaient constituées en genre dans la peinture de paysage de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Après son séjour en Italie en 1762-1763, Pillement compose de nombreux paysages dans lesquels la ruine est intégrée à la composition, s’inspirant à l’occasion des planches de Piranèse 106. Mais dans sa période héraultaise alors que se constitue le paysage historique sous le pinceau de Pierre-Henri de Valenciennes, Pillement accorde aux ruines et aux architectures inspirées d’Italie, un rôle de plus en plus secondaire. Gamelin pourtant parfaitement italianisé comme le furent Vernet et plus tard Valenciennes, apprécie quand même dans les « productions d’un si habile artiste les qualités supérieures » 107. Car Pillement est surtout un peintre de la nature qu’il met en scène dans des paysages construits. Parfois motif principal du paysage (fig. 9), l’architecture tend à être rejetée dans le fond du tableau (fig. 3) ou à disparaître au profit d’une minéralité naturelle (fig. 5). Souvent, la fabrique prend la forme d’une chaumière pittoresque; l’importance qu’elle occupe dans le paysage est alors soumise au cadrage choisi (fig. 10). Aujourd’hui moins connus du grand public que la peinture de ruine, les paysages à la chaumière ont rencontré au XVIIIe siècle un réel succès consécutif à la diffusion de la peinture nordique et au sens philosophique attribué par l’homme éclairé du XVIIIe siècle à cet élément du paysage, synonyme de simplicité de mode de vie hors des contraintes citadines, idée chère à Rousseau 108. Les paysages de Pillement ne sont jamais que l’expression d’une nature libérée d’une quelconque emprise de l’homme sur elle ; quelle soit terrifiante comme dans les scènes de naufrages et elle devient plus indomptable encore. L’homme y aurait-il encore sa place ? Un de ses paysages nous montre une nature partout présente et dépourvue de toute architecture dans laquelle deux petits personnages réduits en proportion essaient d’animer de leur présence le paysage (fig. 5).

Les paysages de Pillement datés de cette période sont des espaces de lumière où les clair-obscur construisent les premiers plans alors que les plans médians et les fonds de paysages s’organisent sous une lumière diffusée par un ciel azuréen souvent teinté dans un des angles du tableau de rose ou d’orangé selon que le peintre s’attache à rendre le matin ou le soir : « Il faut, disait Vernet, que l’heure que l’on choisit pour peindre se fasse sentir partout » 109. Après lui, l’observation du ciel et l’étude systématique de ses mouvements ont guidé de nombreux paysagistes de la seconde partie du siècle. Pillement observe les nuées et plus généralement les effets atmosphériques avec la plus grande minutie ; les nuages clairsemés dans le ciel sont souvent posés en légères diagonales, leur contours coiffant l’arbre ou la colline du paysage (fig. 2, 3). Valenciennes écrit à la fin du siècle : « Il faut d’abord se borner à ne copier […] que les tons principaux de la Nature, dans l’effet qu’on choisit : commencer son étude par le ciel, qui donne le ton des fonds ; ceux-ci, celui des plans qui leur sont liés, et venir progressivement jusques sur les devants, qui se trouvent en conséquence toujours d’accord avec le ciel qui a servi à créer le ton local » 110. Pillement n’est pas Valenciennes mais le traité de ce dernier est le résultat des préoccupations des paysagistes du XVIIIe siècle. En artiste appliqué et soucieux du traitement des effets atmosphériques, Pillement observe et travaille un espace en mettant l’accent sur le ciel qui couvre parfois les trois quart de la composition.

Peintre de la nature, Pillement distribue dans les plans successifs du tableau l’ensemble du répertoire minéral, végétal et aquatique sur lequel se posent les reflets infinis de la lumière. Le premier plan souvent assombri, procédé fréquemment employé par les paysagistes du XVIIIe siècle, se détache souvent d’un « cadre » constitué par les masses géométriques des rochers et des lignes courbes des troncs, des branches et des feuillages. L’ensemble de ces motifs lui permet de construire un espace dans lequel le regard est guidé vers les lointains vaporeux que suggèrent les valeurs qui s’estompent dans les fonds de paysages (fig. 11). De ces lointains, l’on devine la source de l’eau, composante essentielle dans son œuvre, circulant entre les rochers moussus et qui se présente au spectateur au premier plan. Les dégradés de vert-bleu pour les rochers, de vert argenté pour l’eau ou de brun-doré pour la terre interprètent une nature en polychromie que viennent relever les accents rouges vifs, bleus et verts des personnages et les reflets argentés, dorés ou rosés des nuages. A la symphonie des couleurs répond la mélodie de l’eau qui serpente, la musique du vent dans les arbres, les conversations des lavandières et des bergers et parfois le bruit d’un tonnerre qui gronde sous un ciel d’orage. La poésie de la vie quotidienne et l’émotion devant l’éveil de la nature comble le regard du spectateur en cette fin du XVIIIe siècle.

Contrepoint à son art du paysage et application étonnante de sa manière de le peindre, la série de papiers peints conservés au Musée Atger de Montpellier 111 résume l’engouement que ses paysages ont suscité dans l’Hérault. Peu documenté, cet ensemble mis à jour en 1952, ornait les appartements de l’évêque de Montpellier, monseigneur de Malide, depuis la fin du XVIIIe siècle 112. L’on connaît le succès obtenu par les recueils d’ornements de Pillement, repris dans l’ensemble des arts décoratifs 113. Les emprunts à son œuvre gravé, jusqu’alors réservés aux fleurs en arabesques et scènes chinoises, trouve ici une manifestation cette fois directement lié au genre du paysage. L’art du papier peint s’était déjà emparé de quelques scènes chinoises 114, mais jamais l’on avait exploité la source paysagée de son œuvre et imaginé qu’elle puisse tapisser les murs des intérieurs bourgeois.

Au carrefour de l’art du paysage et des arts décoratifs, ces dix papiers peints reproduisent des scènes champêtres près d’une rivière où pêcheurs, lavandières et bergers s’activent à leurs travaux quotidiens. A partir d’une technique connue, le dessin est gravé sur bois et imprimé sur papier enduit. Traités en grisaille, ces paysages imitent la technique du lavis d’encre de chine dans une mise en page traditionnelle bien que chaque fois adaptée aux compartiments qui leurs sont destinés : la série est composée de quatre scènes principales (fig. 12, 13), assortie de six autres paysages reprenant les détails des paysages principaux selon la technique du dessin répété propre à leur impression (fig. 14). Pillement a-t-il été l’exécutant de ces papiers peints ? L’on croit reconnaître dans la mise en page ordonnée, dans le traitement de la nature et le savant dégradé des fonds, ou dans les physionomies typiques des personnages de Pillement, la multitude de détails propre à la main de l’artiste. De manufacture inconnue et malheureusement unique, le caractère éphémère du matériau en a certainement fait disparaître d’autres, les paysages en papiers peints de Pillement, comme d’ailleurs ceux de Vernet, attestent la popularité de ce type de paysages à la fin du XVIIIe siècle chez un public qui recherchait dans cette technique déjà industrielle le moyen d’orner leur intérieur d’images de la nature 115.

Pendant dix ans, Pillement a produit à Pézenas les nombreuses œuvres aujourd’hui dans les musées de l’Hérault et, plus généralement, dans ceux de la région Languedoc-Roussillon. Et si quelques collections privées régionales conservent également la trace de son passage en Languedoc 116, il n’est pas un musée français représentatif de l’art français du XVIIIe siècle qui ne conserve soit un dessin, un pastel ou une peinture de cette période 117. Longtemps assimilé à une retraite, son séjour est à l’inverse synonyme d’une intense production, liée à son intégration à la vie artistique languedocienne préparée bien avant son arrivée à Pézenas en 1789. Ses relations avec des personnalités régionales comme Abraham Fontanel en 1779 et celle de Gamelin, certainement à la même période, sont les instruments de la diffusion de son art dans la région à une époque où son nom est toujours apprécié à Paris comme le suggèrent les sollicitations de la Société Philotechnique de Paris.

Intégré à ce milieu provincial, Pillement propose ses paysages aux amateurs qui recherchent dans ces compositions imaginaires l’évocation de la nature et de ses changements. Ces paysages, considérés comme tardifs ou décoratifs par l’histoire de l’art, sont recherchés et appréciés par des collectionneurs qui, au même moment, recherchent dans les « tondi » de Gamelin, ces dessins ronds au lavis, la représentation des thèmes de l’histoire ancienne. Destinées au même cercle d’amateurs, les œuvres de Gamelin et de Pillement permettent de redéfinir un milieu et une époque trop souvent assimilée à une seule catégorie stylistique apparue voilà plus d’un demi-siècle : le néoclassicisme. Comprendre ces paysages et l’émotion qu’ils procurent à ceux qui s’en entourent demande de nuancer ces classements, voire d’en sortir, et de leur restituer les qualités qui expliquent leur succès.

De Roger de Piles au début du siècle, à Pierre-Henri de Valenciennes à l’aube du siècle suivant, l’étude de la nature est au centre du discours esthétique du XVIIIe siècle. Les paysagistes l’ont étudiée et en ont saisie les moindres détails. Armés de crayons et pinceaux, les peintres ont traqué, débusqué et décrit, avec parfois un sens presque scientifique, les différentes parties de la nature. De Desportes à Houasse, de Boucher à Vien, de Vernet à Valenciennes, rien n’échappe à leurs yeux de peintre 118. Artiste du XVIIIe siècle, Pillement regarde la même nature qu’il restitue dans ses fantaisies ornementales et ses paysages eux aussi apparemment fantaisistes mais composés à partir de sa capacité à s’imprégner de cette nature. Les carnets de dessins qu’il nous laisse et les études peintes, comme nous le pensons, en plein air 119 traduisent l’intérêt de ce retour à la nature et l’étude de ses effets. Victimes a posteriori de leur succès et tributaires de la vision préromantique des manuels scolaires, les paysages de Pillement traduisent un art du paysage propre au XVIIIe siècle dont l’ultime ou premier hommage sera rendu par l’un des plus grand peintre du XIXe siècle, Camille Corot, qui collectionne entre une marine du Lorrain et un paysage d’Italie de Poussin, un Paysage à la cascade et aux rochers de Jean-Baptiste Pillement 120.

Notes

1.Cf. A. Chastel, La grottesque, Paris, ed. Le Promeneur, 1988, p. 70.

2.Cf. cat. exp., Jean Pillement et le paysagisme au Portugal au XVIIIe siècle, Lisbonne, Fondation R.E. Santo Siva, 1997.

3.P.-J. Manette, Abecedario, t. IV, 1857-1858, p. 158.

4.Paris, Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Inv. 32 404-32 405.

5.J.-G. Wille. Mémoires et Journal de Jean-Georges Wille, Graveur du Roi, 2 vol., Paris, ed. G. Duplessis, préface E. et J. de Goncourt, 1857.

6.H.-T. Schulze Altcappenberg, « Quelques paysagistes allemands à Paris », Le paysage en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, actes du colloque du musée du Louvre, Paris, cd. R. M. N., 1994, p. 236.

7.A. N., O 1 1910, cf. également Nouvelles Archives de l’Art Français, Paris, ed. Furcy-Raynaud, t. I, 1903. pp. 301-302.

8.A. Raczynski, Dictionnaire Historico-Artistique de Portugal, Paris, ed. Renouard, 1847, p. 211.

9.E. de Goncourt, La maison d’un artiste, Paris, ed. Charpentier, vol. 1, 1881, p. 138.

10.  Ibid., p. 138

11.  E. et J. de Goncourt, L’art du XVIIIe siècle, Paris, 1880 (présenté par J.-P. Bouillon, Paris, ed. Hermann, 1967, p. 35).

12.  D. Guilmard, Les Maîtres Ornemanistes, 2 vol, Paris, 1880-1882, sur Pillement voir les pages 188-191.

13.  Ph. de Chennevières, cat. exp. Dessins de décoration et d’ornement de maîtres anciens, Paris, 1880, p. V. Voir également le descriptif des dessins de Pillement, pp. 78-79.

14.  L. Dusssieux. Les artistes français à l’étranger, Paris, 1876, p. 283.

15.  E. Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, Paris, 1876 (Œuvres Com-plètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p. 709).

16.  Cf. T. Couture, Paysage. Entretiens d’atelier, Paris, 1869.

17.  Cf. T. Lecrère, Hubert Robent et les paysagistes français au XVIIIe siècle, 1913, p. 11.

18.  A. Germain, « Les artistes lyonnais », Gazette des Beaux-Arts, 1907, p. 165.

19.  A. Germain, « Les collections de dessins du Musée de Lyon », Renaissance de l’Art Français, 1920. p. 132.

20.  H. Focillon, La peinture au XIXe siècle, 1927, p. 282.

21.  Le paysage français de Poussin à Corot, Paris, Musée du Petit Palais, 1925. pp. 35-36 et p. 94.

22.  Poitiers, Musée de la ville, Inv. 882 1 97.

23.  Louis Hourticq, « L’exposition du paysage français de Poussin à Corot », Revue de l’Art Ancien et Moderne, 1925, p. 110.

24.  G. Pillement, Jean Pillement, Paris, ed. Haumont, 1945.

25.  Ibid., p. 54.

26.  Ibid., p. 50.

27.  R. Jullian, cat. exp. La peinture lyonnaise du XVIe au XIXe siècle, Paris, 1948, p. 13.

28.  J. Camon Aznar, « Deux œuvres de Jean Pillement », Cahiers de Bordeaux, Journées internationales d’études d’art, 1956, p. 34.

29.  Ibid., t. 35,

30.  Ibid., p. 34.

31.  Ibid.

32.  J.-J. Luna, « Obras de Jean Pillement en colecciònes espa?olas» Archivo Espa?ol de Arte, n° 184, 1973, p, 427. Parmi les autres articles de Juan José Luna consacrés à Pillement, je citerai : J.-J. Luna, « Presencia de Jean Pillement en la Espa?a del siglo XVIII », Archivo Espa?ol de Arte, n° 218, 1982, pp. 143-149, et « Un nuevo paisaje de Jean Pillement en el Prado », Boletin del Museo del Prado, n° 20, 1986, pp. 100-102.

33.  Idem., 1973, p. 426.

34.  Ibid., pp. 426-427.

35.  R. de Piles, Cours de Peinture par principes, Paris, 1708 (présenté par J. Thuillier, Paris, ed. Gallimard, collection Tel, 1993).

36.  R. Mesuret, cat. exp. De Bellotti à Wallaert. Les peintres de marine à Toulouse, Toulouse, Musée Paul-Dupuy, 1957, p. 6.

37.  Romanticismo, il nuovo sentimento della natura, Trente, Castello del Buon Consiglio, 1993.

38.  V. Pomarède, « Il paesaggio romantico francese : metamorfosi del Classicismo e del Realismo a ttraverso la passione della natur », Romanticismo, il nuove sentimento della natura, catatogue de l’exposition, Milan, 1993, p. 200.

39.  Ibid., p. 200.

40.  C.-H. Watelet, P.-C. Lévesque, article, « Arabesque », Dictionnaire des arts de peinture, sculpture et gravure, tome 1er, Paris, 1792.

41.  R. Mesuret, « Le Musée Rigaud à Perpignan », supplément à la Revue Française, n° 87, 1957.

42.  Lors de la réfection du Musée Atger de Montpellier qui occasionna la découverte de papiers peints inspirés de ses paysages, Pillement est assimilé à un peintre de naissance languedocienne dans la presse régionale à grande diffusion, cf. Midi Libre, 19 nov. 1952. Bien avant, en 1893, le conservateur du musée de Béziers classait Pillement comme un peintre né en Languedoc, cf. C. Labor, Musée de la ville de Béziers. Explication des œuvres d’art qui y sont exposées, 1893, p. 51.

43.  Cf. L. Félix, Jean Pillement (1728-1808). Catalogue des œuvres dans les musées du Languedoc-Roussillon, mémoire de D.E.A. sous la direction de Mlle le professeur Laure Pellicer, Université Paul-Valéry, Montpellier, 1996.

44.  Le don le plus important fut celui de Bonnet-Mel, collectionneur de Pézenas, à la ville de Montpellier en 1864 sur le don Bonnet-Mel voir M. Hilaire, cat. exp. De la Nature. Paysages de Poussin à Courbet dans les collections du Musée Fabre, Montpellier, 1996, p. 9 et p. 171. En 1957, un autre collectionneur de Pézenas, le docteur Bastard, lègue à la ville de Pézenas l’ensemble de sa collection (Archives municipales de Pézenas, Délibération du conseil municipal, 13 déc. 1956, n° 34) dans laquelle l’on compte les paysages de Pillement aujourd’hui conservés au Musée Vulliod Saint-Germain. Sur les œuvres de Pézenas, cf. L. Félix, op. cit, supra note 43, p. 98 et pp. 114-121.

45.  Béziers, Musée des Beaux-Arts, Inv. 80. 9. 1, cf. La Revue du Louvre et des Musées de France, n° 1, 1981, p. 63.

46.  Vingt ans auparavant, le 11 mai 1768, le même groupe familial avait acquis à Avignon une fabrique de soie nommée « La Verdette ». Le domaine, d’abord propriété de Jean-François Séverac et Louise Pillement, semble passer ensuite dans le patrimoine de Pillement à partir de 1771. La propriété sera vendue à l’enchère publique le 13 septembre 1782 pour couvrir une créance du peintre, Archives personnelles des propriétaires du domaine, citées par A. Leclerc, Vielles Demeures entre Rhône et Durance, Avignon, cd. D.R.A.C., 1995, t. II, pp. 66-68. Sur la famille et la généalogie des Pillement voir M. Audin, E. Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art. Le lyonnais, Paris, 1919, pp. 121-124.

47.  Le seul plan de Pézenas du XVIIIe siècle donne à un certain Joseph Lauzet la propriété des parcelles sur lesquelles est située la maison de Pillement, cf. Archives de Pézenas, Plan de Pézenas, après 1750, planche n° 9, parcelles n° 36 et n° 61.

48.  Sur Jacques Gamelin voir O. Michel et l’exposition organisée à Carcassonne : Gamelin et les peintres de son temps, Carcassonne, Musée des Beaux-Arts, 1999.

49.  « N° 38. Un dessein de paysage à la pierre noire de Jean Pillemont (sic) représentant un agréable paysage, sous glace », cf. R. Mesuret, Les expositions de l’Académie royale de Toulouse de 1751 à 1791, Toulouse, ed. Espic, 1972, n° 1686, p. 182.

50.  Cette information est donnée par le constat d’abandon de Gabriel Pillement, fils du peintre, au capitaine du quartier Saint-Nizier de Lyon et à son enregistrement au bureau de l’hôpital général de la Charité de Lyon : « Nous soussignons Capitaine du quartier de St Nizier de la ville de Lyon certifions a tous ceux qu’il appartiendra que les Sieurs Severac se trouvent chargés de leur neveu Pillement, par l’abandon et délaissement du Sr Pillement son père peintre de la ville d’Avignon depuis environ cinq années […] le 11 juillet 1775 », Lyon, Archives hospitalières de la Charité, G 327, n° 146. Un mois plus tard, le 13 août 1775, Gabriel est admis à la Charité : « Messieurs les recteurs et administrateurs ont reçu dans cet hôpital au nombre des enfants délaissés et abandonnés Gabriel Pillement enfant légitime de Sr Pillement peintre de la ville d’Avignon », Lyon, Archives hospitalières de la Charité, G. 42, f. 69.

51.  Le musée du Prado conserve deux paysages datés de 1773 issus de la collection du prince des Asturies, futur Charles IV, Inv. 2302 et 2303. J.-J. Luna a localisé trois autres paysages des anciennes collections royales espagnoles aujourd’hui dans la collection privée du duc de Wellington à Strathfield Save House, cf. J.-J. Luna, op. cit. supra note 32, 1982, p. 148.

52.  La localisation des œuvres est aujourd’hui inconnue. L’unique document concernant les trois tableaux pour le petit Trianon de la reine à Versailles est le paiement retrouvé aux Archives Nationales : « Le nommé Pillement a fait trois tableaux pour le petit triainon (sic). Ils sont charmans. La Reine demande qu’il lui soit donné 1 200 livres de gratification sur la Conciergerie. Votre Majesté veut elle l’approuver. Bon. Arrêté par le Roy le 13 May 1778 », Paris, Archives Nationales, O1. 2877.

53.  Vente du 13 avril 1774, chez Christie, Manson et Woods, cf. F. Lugt, Répertoire des catalogues de vente, 1re période, 1600-1825, La Have, 1938 et P. Michell, « Jean Pillement revalued », Apollo, janvier, 1983, p. 46.

54.  Les quatre paysages à la pierre noire, groupés sous les nos 107, 108 et 109, respectivement intitulés « Un berger appuyé, se reposant sur un bâton », « Une bergère », et, « Deux petits desseins à la pierre noire représentant des paysages, ornés de figures » ne sont pas localisés. cf. H. Stem, « La Société des Beaux-Arts de Montpellier (1779-1787) », Mélanges offerts à M. Henri Lemonnier, Archives de l’Art Français, nouv. pér., t. VII, Paris, 1913, p. 397.

55.  Sur Abraham Fontanel (1750-1819) et la Société de Beaux-Arts de Montpellier, cf. F. Nicolas, Un exemple de la vie artistique en province à la fin du XVIIIe siècle la Société des Beaux-Arts de Montpellier (1779-1787), Mémoire de maîtrise, sous la direction de Mlle le professeur Laure Pellicer, Université Paul-Valéry, Montpellier, 1998.

56.  Cf. J. Claparède, « Houdon et la société de Beaux-Arts de Montpellier (1779-1787) », Études sur l’Hérault, nouv. série 9, 1993.

57.  H. Stem, op. cit. supra note 54, pp. 375-376.

58.  J. Claparède, op. cit, supra note 56, p. 42 et p. 47.

59.  Cf. R. Mesuret, op. cit. supra note 49, n° 5202, p. 462. Joseph Daram (1704-1789), écuyer, seigneur de Castilhon, possédait une grande collection de peinture qui sera vendue après sa mort au début de 1789, cf. J. Villain, La France moderne, t. 3, Montpellier, 1911, p. 9.

60.  R. Mesuret, op. cit. supra note 49, n° 6135, p. 538. Les quatre paysages sont groupés sous le numéro 67 du livret de 1789 : « Quatre paysages au crayon noir dont deux estompés au pastel par M. Pillement. A vendre ».

61.  Ibid., n° 6056 et 6054. p. 525 et respectivement sous les numéros 101 et 102 du livret de 1789 : « Deux marines » et « Deux paysages peints à l’huile ».

62.  Jean Antoine Chaptal (Nozaret, Lozère 1756-Paris 1832). Originaire du Gévaudan, il s’inscrit dès 1774 à l’École de Médecine de Montpellier. Docteur en médecine en 1776, les États du Languedoc créent pour lui la première chaire de chimie expérimentale en 1779. Il mit au point ou vulgarisa plusieurs applications de la science à l’industrie comme la diffusion de la culture de l’indigo. Cette réputation lui ouvre les portes d’une prestigieuse carrière politique notamment comme ministre de l’Intérieur sous le Consulat de 1800 à 1804, cf. R. Laurent et G. Gavignaud, La Révolution française dans le Languedoc méditerranéen, Toulouse, cd. Privat, 1987, p. 327.

63.  R. Mesuret, op. cit. supra note 49, n° 6053, p. 525 et sous le n° 100 du livret original : « Deux paysages sous le même numéro, peint au pastel par M. Pillement. Appartenant à M. Chaptal, chevalier de l’ordre du Roi, Professeur Royal de Chimie ».

64.  G. Cholvy (sous la direction de), L’Hérault, de la Préhistoire à nos jours, cd. Bordessoules, 1993, p. 279.

65.  G. Pillement, op. cit supra note 24, p. 22.

66.  Cette correspondance est conservée au Musée Vulliod Saint Germain de Pézenas, à qui M. Joseph Hahn l’a offerte en 1972. La partie comprise entre août 1784 et janvier 1790 est reproduite dans J. Hahn, « Correspondance entre Jacques Gamelin, Jean Pillement et le chevalier de Fornier », Art et Curiosité, nov. déc., 1971, pp. 29-39. La seconde partie est publiée par O. Michel, op. cit supra note 48, pp. 76-77.

67.  Cf. J. Hahn, op. cit supra note 66, p. 32. Lettre de Gamelin à Fornier, 14 juillet 1789, Musée de Pézenas.

68.  Ibid., p. 31. Lettre de Pillement à Fornier, 9 juillet 1789, Musée de Pézenas.

69.  Ibid., p. 34, Lettre de Fornier à un ami, M. Pomarède, fin juillet, Musée de Pézenas.

70.  Cf. O. Miche!, op. cit supra note 48, 1999, p. 77. Lettre de Pille-ment, de Toulouse le 30 juillet 1790, à Fornier, Musée de Pézenas.

71.  Cf. S. Duverdier, Recherches sur la peinture au XVIIIe siècle à Bordeaux, Mémoire de Maîtrise dactylographié, Bordeaux III, 1985, p. 112. D’après une annonce passée dans le Journal de Guienne le 29 août 1790, Pillement, à Bordeaux pour quelques jours, avertit le public de sa présence dans la ville en indiquant l’adresse de sa résidence, rue Royale.

72.  Annonce passée le 22 septembre 1791 dans le Journal de Bordeaux et du département de la Gironde. La suite de l’annonce évoque le portrait de Mirabeau peint par Lonsing, cf. S. Duverdier, op. cit. supra note 71, p. 112.

73.  Francois Louis Lonsing (Bruxelles, 1739-Leognan, 1799). A Rome à partir de 1761, il y restera dix-sept ans, Lonsing se lie d’amitié avec Gamelin lors de l’arrivée de ce dernier en 1765 et forment pour quelques années avec le sculpteur lyonnais François-Marie Poncet (1736-1797), compatriote de Pillement, un groupe très uni dans l’ancien quartier de la via Felice, aujourd’hui via Sistina, près de la piazza di Spagna. Bien avant leur rencontre à Bordeaux, Pillement et Lonsing ont pu se rencontrer d’abord à Rome lors du séjour romain de Pillement en 1762, les attaches lorraines de l’un et de l’autre auraient pu les rapprocher, ou à Lyon à partir de 1778 lorsque Lonsing, professeur à l’Académie, occupe la fonction de premier peintre de la municipalité alors que Pillement est auréolé d’un certain prestige parisien. Peintre et marchand comme Gamelin, Lonsing est introduit dans tous les milieux influents de Bordeaux, il est donc logique qu’en ces temps difficiles Pillement s’en remette à lui pour vendre ses paysages. Quelques années après, en 1798, Lonsing fera sien le genre du paysage en empruntant les thèmes favoris de Pillement : Bourrasque, Lever de l’aurore, Midi. Le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux conservent un bel ensemble de paysages de Pillement notamment la Marine par gros temps (Inv. Bx. E 832) attribuée à Vernet et rendue à Pillement par Ph. Conisbee en 1979. Sur Lonsing, cf. l’étude de B. de Boysson, « François-Louis Lonsing », cat. exp. Le Port des Lumières, vol. 1, Bordeaux, 1989, pp. 133-174. Voir également sur Lonsing, Gamelin et Poncet à Rome, l’article d’O. Michel, « François-Marie Poncet (1736-1797) et le retour à l’Antique », Lyon et l’Italie. Six études d’histoire de l’art, Paris, ed. C.N.R.S., 1984, pp. 115-180.

74.  O. Michel et J-F. Mozziconacci, « Jacques Gamelin », Les Collections du Musée des Beaux-Arts de Carcassonne, vol. 2, Carcassonne, Musée des Beaux-Arts, 1990, p. 19.

75.  Les œuvres de Pillement présentées lors de l’exposition de Pézenas de 1863 nous révèlent les noms de leur propriétaire issus du répertoire de la noblesse comprise entre Béziers et Pézenas parmi lesquels les Grasset, Latude, Juvenel et Arènes. Tout porte à croire que de leur date de création à 1863 ces paysages n’aient jamais quitté le patrimoine de ces riches familles provinciales. Des sept tableaux exposés, seul le n° 159 Paysage au Pic du Midi daté de 1790 a été localisé avec certitude : resté dans la même famille jusqu’en 1996 avant de passer à la Galerie Mitchell à Londres, il a été vendu la même année et exposé à Lisbonne en 1997. Je remercie M. Mitchell de me l’avoir très aimablement signalé. Concernant les autres tableaux et dessins de paysages de 1863, il semble probable comme le montre l’étude des paysages de Pézenas qu’une partie soit passée dans la collection Bastard et léguée à la ville de Pézenas en 1957. Cf. Exposition de Beaux-Arts, d’industrie et d’Horticulture, Pézenas, 1863, p. 15 et p. 19 et cat. exp., op. cit. supra note 2, n° 1, pp. 84-85.

76.  Au lendemain de l’assassinat de Marat, le sculpteur François Martin, élève de Pajou, fut chargé de la construction de son tombeau dans le jardin de l’ancien couvent des Cordeliers à Paris. L’eau-forte du tombeau de Marat, conservée au Musée Carnavalet, Inv. Topo 106 B, est reproduite dans le catalogue de l’exposition Les Architectes de la Liberté, Paris, E.N.S.B.A., 1989, p. 293. Sur François Martin voir : S. Lami, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française au dix-huitième siècle, Paris, 1911, t. 2, pp. 115-118.

77.  Cf. Annie Gilet, cat. exp. Louis-François Cassas, Tours, Musée des Beaux-Arts, 1994-1995, n° 91, pp. 174-175.

78.  Victor Pillement (Vienne, 1764 ou Bonn, 1767-Paris, 1814) élève de son père, obtient en 1801 le premier prix de gravure à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il grave d’après les paysages de Bourdon mais c’est surtout près des paysages de Melling, Valenciennes, Vivant Denon et Vernet que son œuvre gravé puise son inspiration. Dans le sillage de Valenciennes, il étudie l’anatomie végétale. Les diverses études d’arbres, d’arbustes, de plantes et de feuilles lui donne l’occasion de publier un recueil dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque Municipale de Montpellier, n° 299. La date de 1794 est proposée par Marianne Roland Michel, soit dix ans avant la publication des Principes raisonnés de paysages d’Alphonse-Nicolas Mandevare en 1804 et donné généralement comme le premier manuel didactique illustré d’arbres et de feuilles destiné aux jeunes artistes paysagistes. Cf. M. Roland Michel, « Le paysage au XVIIIe siècle », Le paysage en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, op. cit, supra note 6, p. 226.

79.  Sic dans le texte. Lettre du 27 septembre 1796 citée dans le catalogue de l’exposition de Lisbonne, op. cit. supra note 2, p. 61.

80.  La Société Philotechnique tenait des conférences sur des sujets très variés assorties de lectures de poésies ou de dîners très conviviaux. Le dénominateur commun à ces manifestations était la même admiration des membres de la société à l’égard de la nature. La première séance publique eut lieu au Louvre le 8 juin 1797 sous la présidence de Joseph Lavallée. Cf. Nantivel, « Chronique de la semaine XII », Les Semaines critiques, ou geste de l’an cinq, t. 2, Paris, An V (1797), p. 127. Voir également L’ami des Arts, Journal de la Société Philotechnique, Paris, 1796.

81.  Sur le séjour de Pajou à Montpellier, cf. J.D. Draper, « Révolution et Empire », cat. exp. Pajou Sculpteur du Roi (1730-1809), Paris, Musée du Louvre, ed. R.M.N., 1997-1998, pp. 347-351. Voir également l’article de A. Chevalier, « Pajou à Montpellier », actes du colloque Pajou et ses contemporains, Paris, ed. La documentation Française, 2000, pp. 141-159

82.  Sic dans le texte, op. cit. supra note 79.

83.  Archives Municipales de Pézenas, État civil, registre an VII, 1798, f. 16. Jusqu’alors dans l’ombre de Pillement, sa seconde épouse Anne Allen apparaît avec plus de netteté : « Anne Allen âgée de quarante neuf ans originaire de Londres en Angleterre aussi domiciliée de cette commune depuis plus de dix ans fille légitime de Jean Allen et de Jenni Lenan ». Née à Londres en 1750, elle semble rencontrer Pillement dans les années 1770 alors que se dernier est toujours marié à sa première épouse Marie Julien. Dès lors, elle parait ne plus le quitter ; elle gravait de nombreuses pièces d’après les dessins de fleurs et de chinoiseries, voir D. Guilmard, op. cit supra note 12.

84.  Op. cit. supra note 67.

85.  Op. cit. supra note 69.

86.  Ibid.

87.  Op. cit. supra note 67.

88.  Cf. J. Hahn, op. cit supra note 66, p. 37. Lettres de Gamelin à Fornier, le 7 octobre 1789, Musée de Pézenas : « Mr Natié en a commandé deux, et Mr Causse aussi ; plusieurs personnes de ma connaissance se proposent de lui en faire faire d’autres ».

89.  Sic dans le texte, ibid., p. 31. Lettre de Pillement à Former le 9 juillet 1789, Musée de Pézenas.

90.  Sic dans le texte, ibid., p. 33. Lettre de Pillement à Fornier le 17 juillet 1789, Musée de Pézenas.

91.  Sic dans le texte, ibid., p. 37. Lettre de Pillement à Fornier le 26 septembre 1789, Musée de Pézenas.

92.  Ibid., p. 36. Lettre de Gamelin à Fornier le 26 septembre 1789, Musée de Pézenas.

93.  Sic dans le texte, Op. cit supra note 89.

94.  Op. cit supra note 92.

95.  Les collections publiques languedociennes ne conservent pas de petites études. Les musées des Tissus et des Beaux-Arts de Lyon conservent par contre une série de petits croquis reproduits dans l’article de L. Florenne, « Pillement paysagiste en son temps » Médecine de France, n° 180. mars 1967, pp. 17-32.

96.  Op. cit. supra note 35, p. 120.

97.  C.-H. Watelet, « Paysage », Encyclopédie méthodique. Beaux-Arts, Paris, 1788, pp. 619-630.

98.  Op. cit supra note 92.

99.  Cf. J. Hahn, op. cit supra note 66, p. 30. Lettre de Gamelin à Fornier le 22 août 1784, Musée de Pézenas : « Le porteur n’a pas manqué ce matin […] de me remettre les trois livres qu’il vous a plu de m’envoyer […]. L’histoire des 12 Césars de Suetone me paraît un très bon ouvrage […] dès que je l’aurais lu je ne manquerai pas de vous le faire passe ». L’intérêt pour ces lectures est partagé par de nombreux artistes ; la même année, Louis-Jean Desprez puise dans « Tibère » des Vies des douze Césars, le sujet de l’un de ses dessins les plus oniriques : Les Victimes de Tibère à Capri.

100.  Registres du Bureau de l’École centrale, séances des 9 et 10 fructidor an VII (26 et 27 août 1799), liasse 1, n° 73, cité par J. Poux, « Jacques Gamelin professeur. Le cours de l’école centrale de l’Aude 1796-1803 », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements, t. 35, 1911, pp. 276-277.

101.  Cf. Ph. Conisbee, « La nature et le sublime dans l’art de Claude-Joseph Vernet », cat. exp. La marine à voile de 1650 à 1890, Rouen, Musée des Beaux-Arts, ed. Anthèse, 1999, p. 29.

102.  Cf. O. Michel, op. cit. supra note 48, p. 21.

103.  Ibid.,

104.  ibid., n° 47, p. 55, reproduit p. 14.

105.  Cf. O. Michel et J.-F. Mozziconacci, op. cit, supra note 74, n° 30, p. 59.

106.  Les paysages sont conservés au Musée National de Varsovie, Département des Peintures, Paysage avec les ruines de l’Aqua Julia, Inv. M. Ob. 911 (d. 183320) et Paysage avec le Temple de Minerva Medica, Inv. d. 129902.

107.  Op. cit supra note 67.

108.  Le motif de la chaumière est notamment étudié par un groupe d’artistes gravitant dans l’entourage de Wille à Paris comme Adrian Zingg ou Jakob Philip Hackert autour des années 1760-1770. Cf. H.-T. Schulze Altcappenberg, op. cit. supra note 6, pp. 231-254.

109.  Citation extraite de la lettre, sorte de bref traité, publiée au début du XIXe siècle par L.-J. Jay, Recueil de lettres sur la peinture… publiés ci Rome, par Bottari en 1754 ; traduites et augmentées de beaucoup de lettres…, 1817, pp. 622-625, republiée par Ph. Conisbee, cat. exp. Claude-Joseph Vernet, Londres, 1976, s. p.

110.  P.-H. de Valenciennes, Éléments de perspective pratique, à l’usage des artistes…, Paris, an VIII (1799-1800), p. 407.

111.  Montpellier, Musée Alger, Inv. (provisoire) DA. 1 à DA 4 et DA 6 à DA 1 1. Inédits.

112.  Voir l’article consacré à la découverte de ces papiers peints dans la presse régionale, cf. op. cit. supra note 42.

113.  Sur cette question, je tiens à remercier mon amie Maria Gordon-Smith pour m’avoir communiqué lors de la rédaction de cet article le résultat de ses recherches consigné dans deux articles de synthèse recemment parus, cf. M. Gordon-Smith, « The influence of Jean Pillement on French and English Decorative Arts », artibus et historiae, n° 41 et n° 42, Vienne-Cracovie, 2000, respectivement pp. 171-196 et pp. 119-163.

114.  Cf. B. Jacqué (sous la direction de), Les papiers peints en arabesques de la fin du XVIIIe siècle, Paris, ed. de La Martinière, 1995, n° IBI, p. 146 et n° 1VB42, p. 174.

115.  D’après Bernard Jacqué, conservateur du Musée du Papier Peint de Rixheim, ces papiers peints sont très courants à la fin du XVIIIe siècle, et précise : je ne crois pas que Pillement y soit directement pour quelque chose. On peut en dire autant de ceux que l’on attribue généralement à Vernet (comm. écrit 1997) ; toutefois pour les raisons évoquées dans l’article en plus des coïncidences de temps et de lieux, nous maintenons l’attribution à Pillement. Une étude plus approfondie devrait compléter cette attribution.

116.  Cf. J. Lugand, cat. ex. Collections privées de Béziers, Béziers, Musée des Beaux-Arts, 1967, n° 71 et n° 72 respectivement p. 86 et p. 87. Voir également J. Lugand, cat. exp. Collections privées de Béziers et sa région, Béziers, Musée des Beaux-Arts, 1969, n° 66, p. 36. D’autres collections privées héraultaises conservent des paysages datés des années comprises entre 1789 et 1796.

117.  Le Département des Peintures du Musée du Louvre conserve un Paysage avec troupeau daté de l’an VII (1798-1799), Inv. R. F. 1983-80. Le tableau est entré dans les collections du Musée lors de la donation Kaufmann et Schlageter en 1983. Jusqu’à cette date, le Musée du Louvre ne conservait pas de tableaux de Pillement.

118.  Étudier la nature impliquait de sortir de l’atelier et de la dessiner. Mieux encore, la peindre permettait de saisir par la couleur les nuances de la lumière sur le paysage ou le motif, observé et isolé sur la feuille. D’Alexandre-François Desportes signalons les études peintes de paysages et de plantes étudiées par M. Roland Michel, op. cit. supra note 78 ; De Michel-Ange Houasse, je citerai la Vue d’Ajuanrez qu’il peint d’après nature lors de son séjour en Espagne dans le premier tiers du XVIIIe siècle cf. cat. exp. L’Art européen è la Cour d’Espagne au XVIIIe siècle, Bordeaux, Paris, Madrid, cd. R. M. N, 1979-1980, p. 31. Les études de plantes de Joseph-Marie Vien ou d’arbres de Boucher traduisent par le dessin ce même souci de vérité qui anime les dessinateurs dans l’étude de la nature, cf. J. Lugand et T. Gaehtgens, Joseph-Marie Vien. Paris, ed. Arthéna, 1988, cat. dess. N° 14 et 15, p. 233 et pour Boucher l’Étude d’arbres dans cat. exp. Paysages, Grenoble, 1999, p. 3. Sur Vernet voir le tableau Vue de Tivoli, peint d’après nature, présenté et commenté par Ph. Conisbee dans « La peinture de plein air avant Corot », Corot, un artiste et son temps, actes du Colloque tenu au Musée du Louvre et à l’Académie de France à Rome en 1996, Paris, ed. Klincsieck, 1998, pp. 351-365. Quant à Valenciennes, la fonction des dessins et études peintes d’après nature est étudiée par L. Gallo, « Pierre-Henri de Valenciennes et la tradition du paysage historique », Imaginaire et création artistique à Paris sous l’Ancien Régime (XVIIe et XVIIIe siècle), sous la direction de D. Rabreau, Annales du Centre Ledoux, t. II, Paris, 1998, pp. 185-207.

119.  Les deux toiles, Paysage avec escarpements et Escarpement avec figures, présentées à l’exposition de Lisbonne sont conservées dans une collection particulière, cf. op. cit. supra note 2, n° 7 et n° 8, p. 90.

120.  Vente Paris, hôtel Drouot, Corot 26 mai-9 juin 1875, n° 609.