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Description

Les revues littéraires à Montpellier avant 1914

Les vingt-cinq années qui précèdent la Guerre de 1914 sont pour Montpellier une période de prospérité modérée que lui assure un secteur administratif et universitaire florissant. Moins touchée que ses voisines par la crise viticole, c’est pourtant dans ses rues que se déroule le 9 juin 1907 la plus imposante des manifestations viticoles.

Politiquement, la présence des deux grands quotidiens régionaux opposés, l’Éclair et le Petit Méridional, est à la fois un reflet des clivages qui agitent la société (affaire Dreyfus, séparation Église/État, opposition entre royalistes et radicaux) et l’image d’un sage équilibre général des forces.

La situation linguistique de la ville est elle aussi fort paisible. Le français est partout, c’est la langue « normale ». Mais on parle l’occitan en privé, et même souvent en public. La renaissance mistralienne a dédouané l’occitan de son image de patois sans lettres ni culture. Du coup, l’évêque, le maire, l’Université, le grand commerce s’amusent à ce félibrige de bon aloi qui leur assure les faveurs du petit peuple qui, lui, voit dans le bilinguisme imposé par l’école de Jules Ferry une promesse d’ascension sociale.

En définitive, à un siècle de distance, la ville nous laisse l’image de convivialités multiples fêtes, bals, carnavals, cafés, caveaux, commémorations et cérémonies diverses rassemblent tout le monde. Le cinéma s’installe, théâtre et opéra ont des représentations quasi quotidiennes, et la Schola Cantorum de Charles Bordes et Vincent d’Indy élève le niveau musical. Les félibrées, les cours d’amour, les troupes d’amateurs réunissent des hommes – et quelques femmes – que tout oppose par ailleurs.

Des feuilles si fragiles

Les revues littéraires qui prolifèrent durant cette période participent de la même convivialité. En effet, contrairement à la pratique courante des avant-gardes, les revues à Montpellier rassemblent plus qu’elles ne divisent ou séparent. Des mélanges surprenants, des passerelles inattendues, des transgressions bien curieuses témoignent du souci constant d’allier tradition et modernité.

Bon ou mauvais signe littéraire ? Fédératrice et rassembleuse, la revue semble parfois vouloir transcender les individus et les engagements personnels. Mais le plus souvent, elle se contente d’être un « magasin des choses possibles », une anthologie bien peu sélective. Son œcuménisme n’est que l’aveu d’une assise incertaine qui l’oblige à ratisser large dans un milieu où les vrais créateurs sont rares.

Cette obligation parfois déguisée en volonté délibérée de ne pas choisir est une des premières causes de la fragilité des revues. Il y en a d’autres.

Car les revues sont fragiles.

Leur réalisation tient à un tel concours de circonstances que, lorsque celles-ci se modifient un tant soit peu, tout languit et se meurt.

Un groupe, un jour, a décidé de créer la revue. Ayant par miracle trouvé un financement et quelques collaborateurs, chacun donne tout son temps. Mais que l’un ou l’autre ait l’impression d’être réduit au rôle ingrat d’intendant qu’il trouve que la gloire (et tant pis si ce n’est que ce si petit fragment que chaque fascicule met en jeu) tombe trop souvent à côté, et l’équipe se disloque, c’est fini.

Le plus souvent, c’est la vie qui se charge des séparations : le service militaire, les études, une mutation professionnelle, un changement familial, le simple attrait de la capitale ôtent à l’édifice un de ses piliers. Et même si alors la revue ne meurt pas tout de suite, elle boitille, s’essouffle et perd son âme avant même de disparaître.

Au mieux, c’est tout l’essaim qui gagne une autre ruche – Paris, toujours Paris – où le miel est plus doux. C’est le cas de Pan, qui continue un temps dans la capitale. Mais, alors qu’elle était la première ici, elle ne tarde pas à rejoindre, à Paris, les dernières places… La Coupe, elle, se saborde après le départ de ses fondateurs.

Encore heureux d’ailleurs quand ces problèmes se posent. C’est que la revue a trouvé son public… Le plus souvent, hélas, elle disparaît victime d’un budget déficitaire, dû à une audience trop faible. C’est le cas avoué de L’Aube méridionale, de La France d’Oc, des Annales méridionales

Voici pour ce que les théologiens appelleraient la fragilité actuelle des revues.

Mais nous, qui les regardons du haut de notre présent, nous savons que, même auréolées de gloire, leurs fascicules disparaissent par le simple effet du temps et d’inexorables Parques aux noms terrifiants : Déménagement, Débarras, Héritage, quand ce n’est pas simplement la petite Fragilité dans sa robe de mauvais papier, jaunie à toutes ses pliures, déchirée par l’absence de son corset protecteur : la reliure. Cendrillon des bibliothèques, la revue est la preuve mortelle que les bonnes fées sont rares.

Car ce qui frappe d’abord, c’est l’extraordinaire écart entre le nombre de revues, l’engouement qu’elles ont suscité et les très faibles traces qu’il en est resté.

Un siècle, qui irait de 1870 à 1970, a raffolé de ces revues littéraires. Montpellier a très honorablement participé à ce mouvement. Qui le sait ? […]

Informations complémentaires

Année de publication

2001

Nombre de pages

7

Auteur(s)

Guy BARRAL

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf