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Description

Charles Renouvier et l’Allemagne après 1871 :
l’annexion du criticisme, une revanche philosophique

Les considérations sur l’Allemagne du philosophe montpelliérain Charles Renouvier (1815-1903) développées au cours des trois décennies qui ont suivi la défaite de 1871, fournissent un exemple remarquable d’insertion du discours philosophique dans l’actualité, qu’il convient d’analyser sans parti-pris, mais avec le recul du temps. D’une manière générale, la pensée de cet auteur indépendant et plutôt solitaire, encore sous-estimée dans nos universités, mérite d’être étudiée dans ses multiples aspects, tant pour sa valeur conceptuelle que pour son intérêt historique.

Né à Montpellier en 1815, Charles Renouvier habite à La Verdette, près d’Avignon, au moment où éclate la Guerre de 1870. A cette date, il est en pleine possession d’une doctrine forte et cohérente, qui a mûri, au cours des vingt années précédentes, en dehors des cadres institutionnels. Cette philosophie, énoncée dans les Essais de Critique générale, se recommande de Kant pour ce qui concerne l’esprit du criticisme, mais rejette la partie « scolastique » du système kantien. Renouvier – qui, rappelons-le, ne maîtrise pas l’allemand – n’a jamais été fasciné par la philosophie allemande, à l’inverse des penseurs romantiques de la génération précédente. Aussi ne retient-il de Kant que les éléments d’une philosophie de la relation susceptible de nourrir une doctrine fondamentalement phénoméniste, présentée dès le départ comme française.

Renouvier et son collaborateur François Pillon avaient fondé en 1867 l’Année Philosophique. En 1872, les deux hommes créent une nouvelle revue, hebdomadaire, la Critique philosophique. Dans cette revue, organe de diffusion du « nouveau criticisme », ils proposent aux élites intellectuelles et politiques une doctrine républicaine précise, appliquée aux questions d’actualité, avec un programme de réformes sociales encourageant notamment le passage à l’enseignement laïque, conformément à la morale rationnelle que Renouvier avait exposée en 1869 dans La Science de la morale. L’avenir des réformes, compromis par le retour en force du cléricalisme, y tient la première place, devant la question allemande. Selon Marcel Méry : « C’est lui toujours (le cléricalisme) l’ennemi visé par ces quelques articles de politique extérieure. Par rapport à ceux de politique intérieure, leur proportion est d’ailleurs minime. Renouvier n’aime pas faire de la politique. Seule, l’incidence morale ou religieuse l’intéresse. »

On ne saurait oublier en effet que pour Renouvier la politique se fonde intégralement sur la morale. Mais il n’est pas moins incontestable que Renouvier a incarné pendant une trentaine d’années (il meurt en 1903) une figure de l’antigermanisme de la Troisième République.

Dans une étude sur Nisard, Hans-Jürgen Lüsebrink parle d’une « définition (de l’esprit français) dont le missionarisme culturel reste étroitement lié à la visée nationaliste d’opposer, face à l’Allemagne militairement victorieuse de 1871, une France triomphante en matière d’esprit, de civilisation et de culture ». Renouvier a participé à ce mouvement, mais d’une manière spécifique, en opposant une version « française » du criticisme à « l’esprit allemand ».

Sa position, moins connue que celle de Renan, et pourtant rayonnante auprès de la jeunesse intellectuelle de l’époque, présente un intérêt historique évident. Renouvier entrecroise, de façon cohérente du point de vue de sa philosophie, des thèses habituellement disjointes sur l’échiquier politique républicanisme et récusation de l’esprit de revanche (dans les années 1870), anti-nationalisme et critique de « l’esprit allemand » (des années 1870 aux années 1900).

L’intérêt historique se double d’un enjeu philosophique. En effet, la position de Renouvier exige d’être comprise à la lumière des grandes orientations de son œuvre, toujours présentes à l’arrière-plan de ses jugements sur l’actualité, mais ce qui permet, réciproquement, de spécifier ces orientations générales, d’en évaluer la fécondité et les limites, c’est l’articulation de la théorie à la pratique, telle que Renouvier prend le risque de l’assumer à propos de questions qui engagent l’avenir du pays, dans un contexte historique de crise de la conscience nationale. […]

Informations complémentaires

Année de publication

2001

Nombre de pages

8

Auteur(s)

Laurent FEDI

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf