Description
Les hommes de la passée : A propos des chasseurs d’étangs en Languedoc
* Ethnologue, président de l’Association pour la Recherche, l’Image et le Son.
La chasse chez nous c’est la vie,
alors laissez-nous vivre !
(Extrait du livre d’or de l’exposition du Musée de Bouzigues 1994)
Gaston Bazille à son fils Frédéric :
« J’avais été, le matin profitant d’un beau soleil, essayer de tuer quelques alouettes, j’ai tiré la ficelle pendant deux heures avec la constance digne d’un meilleur sort. Trois alouettes seulement se sont laissé séduire et les malheureuses ont payé de leur vie cette imprudence. Je ne sais à quoi tient cette rareté d’alouette cette année. Sigaud m’annonce pour la semaine prochaine une nouvelle chasse aux macreuses, il prétend qu’il est arrivé des masses de macreuses et de canards et m’engage beaucoup à ne pas manquer la prochaine battue… » (Méric, lundi 14 novembre 1864).
Chasseurs, siffleurs, sculpteurs, cabaniers…
Quel que soit le sujet, il est toujours délicat pour un observateur de rendre compte d’une pratique sociale dont il n’est pas familier, mais lorsque cette pratique suscite de surcroît un engouement extrême, « vital », l’observateur ne peut même plus compter réellement sur les usagers pour parler « raisonnablement » de leur passion et pour expliquer ce qui précisément ne s’explique pas. De l’aveu même d’un de ces possédés, la chasse, « c’est un grain qui nous tombe comme ça ; un grain qui vient de très loin, qui nous tombe dessus. C’est indescriptible », Reste alors à l’observateur la possibilité de cerner le phénomène à partir de critères qui sont extérieurs à cette inaccessible expérience vécue, à ces sensations éprouvées mais incommunicables. Il peut par exemple évoquer les règlements de chasse et les transformations qu’ils ont subies à travers l’histoire. Car ces critères, bien qu’apparemment étrangers à la situation toujours concrète et spécifique que vit tel chasseur à l’affût dans son gabion, n’en contribuent pas moins à la rendre possible et à l’organiser. Mais ils ne disent rien en revanche de l’indescriptible attachement de ce chasseur languedocien à cet étang qu’il va (sur)veiller toute la nuit. Même des approches moins lointaines, comme la description des techniques et des savoir-faire liés à la chasse – elles aussi déterminantes – laissent dans l’ombre le sens vécu qu’ils revêtent et l’univers d’émotions sur lequel ils débouchent.
Il sera effectivement question ici de règlements administratifs et de techniques de chasse. Quant à la passion, comme nous venons de le suggérer, ce serait manifestement passer à côté de la pleine réalité qu’est la chasse de ne pas essayer d’une façon ou d’une autre d’en rendre compte. A défaut d’en expliquer les mécanismes, au moins tentera-t-on d’en apprécier l’intensité ; intensité révélée parfois par la réelle complication des procédés et des rythmes mobilisés par la chasse, parfois par les idéalisations et les exagérations des récits. Mais, preuve de cette passion, il se trouvera bien dans ce dernier cas quelque lecteur-chasseur pour contester tout excès et juger après tout fort possible qu’à force de tirer depuis si longtemps des berges, « il y ait aujourd’hui des milliers de tonnes de plomb dans l’étang ! »
« La chasse (qui) fait vivre »
La chasse en Languedoc fait effectivement vivre, et même de plusieurs manières. Économiquement d’abord, bien que ce soit de moins en moins vrai aujourd’hui, où la chasse ne nourrit plus guère son chasseur (même si, avec 1,5 million de chasseurs en France, elle constitue nationalement une activité économique loin d’être négligeable), mais à certaines périodes de l’histoire, l’activité de chasse constituait une réelle source de revenu, comme l’atteste ce courrier adressé au Préfet de l’Hérault en 1858 : « L’importance de la pêche des oiseaux aquatiques est telle, cette année, que j’ai été appelé à adopter des mesures réglementaires pour l’exploitation d’une industrie qui n’a pas rapporté moins de cinquante mille francs déjà, dans l’étang de Thau seulement ». Lors de la dernière guerre également, la chasse en étang a représenté un complément alimentaire pour les populations du littoral et a encouragé une certaine professionnalisation de l’activité. Un chasseur se souvient d’une des figures les plus connues d’alors, un certain Plumier : « il vivait uniquement de la chasse. Il avait une cabane vers l’étang de l’Or, aux cabanes du Roc. Tout l’hiver, il chassait là-bas, puis il revenait au printemps dans le coin de Balaruc-le-vieux. Il ne faisait que ça. Quand venait un canard ou une fouc, il me le laissait tirer, mais quand il en venait un paquet, une frappe, c’est toujours lui qui voulait tirer, parce qu’il en faisait tout un commerce ». Durant la guerre toujours, la pêche au canard (il s’agit en fait d’une chasse au filet accordée par un droit prud’homal aux seuls inscrits maritimes) donnait lieu à une large commercialisation, au même titre que le poisson : « Pendant la guerre, se souvient un chasseur, mon père a toujours pêché des canards et les a toujours vendus. Il y avait un mareyeur de Sète qui passait les ramasser ; il prenait sans distinction les poissons et les canards. Les pêcheurs de l’époque se les faisaient décompter sur la pêche quand ils les portaient chez le poissonnier. 4 kg de poissons, ça équivalait à deux canards. Le mareyeur ramassait ainsi des milliers de canards, à Vic, sur l’étang de l’Or, de Thau… Le soir, c’était les revendeurs venant se ravitailler en poisson qui rachetaient les canards pour les revendre à leur tour dans les marchés de Montpellier et partout dans toute la région. Au milieu des étals de poissonniers, il y avait du gibier » […]
Informations complémentaires
Année de publication | 1996 |
---|---|
Nombre de pages | 16 |
Auteur(s) | Luc BAZIN |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |