L’atelier du sculpteur Petrus Brunus
Le sculpteur médiéval Petrus Brunus est connu pour ses œuvres du portail de Saint-Gilles-du-Gard. Il pourrait avoir travaillé aussi au cloître de l’abbaye de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) dans le dernier quart du XIIe siècle.
The medieval sculptor Petrus Brunus is known for his work on the portal of Saint-Gilles-du-Gard. He might also have worked on the cloister of the Abbey of Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) in the last quarter of the 12th century.
L’atelier du sculpteur Petrus Brunus :
de Saint-Gilles (Gard) à l’abbaye de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) ?
En 1934 Marcel Gouron, alors archiviste du Gard, avait publié un article sur la date des sculptures du portail de l’église de Saint-Gilles 1 qui mettait en lumière la présence dans cette ville en 1171 d’un certain Petrus Brunus et, surtout, en 1186 à Nîmes de Petrus Brunus « artifex in opere ligneo et lapideo » (fig. 1).
Bien entendu ce personnage était alors mis en relation avec les deux sculptures du grand portail, saint Mathieu et saint Barthélemy qui offrent, gravée, une inscription (complète pour la première, partielle et conjecturale pour la seconde) datée de la seconde moitié du XIIe siècle : BR/ VN/VS/ME/FE/CI/T (fig. 2) qui pouvait être, selon une hypothèse très plausible, le nom de l’artiste 2. Il semblait donc normal d’en conclure une exécution de ces œuvres dans le dernier tiers du XIIe siècle.
Sous la direction de A. Hartmann-Virnich et de H. Hansen, un groupe interdisciplinaire de chercheurs vient de publier une très importante étude sur Saint-Gilles-du-Gard qui renouvelle complètement la connaissance du monument et, en particulier, du portail, maintenant daté du dernier quart du XIIe siècle 3 (fig. 3).
En 1954, M. Gouron, devenu archiviste de l’Hérault, découvrit lors d’une tournée qu’il avait faite en tant que conservateur des Antiquités et objets d’art de l’Hérault, une sculpture dans l’église rurale de Saint-Geniès-de-Lédos à Saint-Jean-de-Fos, ancien prieuré de Gellone et distant de quatre kilomètres de l’abbaye 4. Cette statue, mutilée par la disparition de sa tête, (0 m 77 de haut et 0 m 32 de large) représente un personnage, debout, bénissant de la main droite sur un fond cannelé et tenant probablement une palme de la main gauche (fig. 4).
M. Gouron relève la diversité des plis ovales superposés de la tunique et rapproche cette œuvre du Christ d’Emmaüs du cloître de Saint-Trophime d’Arles et des sculptures de P. Brunus à Saint-Gilles-du-Gard. L’auteur ne manque pas de rapprocher cette sculpture de celles de personnages du cloître inférieur de Saint-Guilhem-le-Désert conservées sur place ou dans les collections du Musée languedocien de la Société Archéologique de Montpellier, dont les modules sont identiques et qui ornaient des faces des piliers pleins qui rythmaient les deux galeries Est et Sud. De plus, le matériau lui-même est celui qui a servi pour les autres sculptures, en provenance d’une carrière de Saint-Martin-de-Londres, comme l’ont montré les analyses réalisées il y a déjà vingt ans 5.
La datation des sculptures du cloître inférieur de Saint-Guilhem-le-Désert est généralement fixée à la seconde moitié ou au dernier tiers du XIIe siècle, d’après le style et les comparaisons mais aussi en relation avec la charte 568 du Cartulaire de Gellone 6 datée du 8 mars 1206 qui est passée « in claustro novo » considéré par tous les auteurs comme celui des galeries inférieures Est et Sud du cloître. Bien entendu cette date est un terminus ante quem qui marque seulement une réalité du début du XIIIe siècle sans informer sur la date même de la réalisation, ce qui n’est donc pas en contradiction avec les datations stylistiques qui sont proches de celles qui sont aujourd’hui données aux sculptures de Saint-Gilles. On a aussi fait remarquer qu’au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, l’abbaye de Gellone procède à des ventes de biens immobiliers et aussi en 1175 à un emprunt de 4 000 sous de Melgueil 7. S’agissait-il alors de financer le chantier du cloître ?
Nous ne disposons pas d’autre document qui nous éclairerait sur l’histoire des constructions au Moyen-Âge d’autant plus qu’il n’y a pas eu, à ce jour, de fouille archéologique sur la totalité de l’emplacement du cloître.
L’hypothèse d’une présence de l’atelier de P. Brunus à Gellone reste difficile à confirmer de façon définitive. Il faudrait maintenant un examen comparatif de l’ensemble des sculptures pour savoir si des éléments nouveaux et précis permettent de lier les deux chantiers. Ce qui reste certain, c’est bien que la seconde moitié du XIIe siècle et plus précisément le dernier quart correspond à une acmé de la sculpture dans ce Languedoc auquel les événements historiques et militaires du XIIIe siècle vont porter un coup fatal.
NOTES
1. Gouron, M., « Date des sculptures du portail de l’église de Saint-Gilles », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Nîmes et du Gard, 1933-1934, p. 44-50. En 1950, le même auteur avait publié un tympan dont il voyait la production du même atelier : « Découverte du tympan de l’église Saint-Martin à Saint-Gilles (Gard) », Annales du Midi, 62, 1950, p. 115-120. Voir, du même auteur : « Saint-Gilles-du-Gard », Congrès archéologique de France, Montpellier 1950, p. 104-119.
2. Nous remercions de sa collaboration Anne-Sophie Brun qui prépare un mémoire de master 2, La « pierre écrite » dans l’architecture romane : archéologie du bâti, Épigraphie et Glyptographie, sous la direction des Professeurs A. Hartmann-Virnich et C. Treffort.
3. Toute notre reconnaissance à A. Hartmann-Virnich et à H. Hansen pour leur collaboration très appréciée et pour la qualité de leur étude dont nous aimerions avoir l’équivalent : « Saint-Gilles-du-Gard, nouvelles recherches sur un monument majeur de l’art roman », Bulletin Monumental, 171-4, 2013, p. 291-406 avec une importante bibliographie.
4. Gouron, M., « L’atelier du sculpteur Petrus Brunus de Saint-Gilles à Saint-Guilhem-le-Désert », 27ème et 28ème Congrès de la Fédération Historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Perpignan-Saint-Gilles, 1953-1954, Montpellier, 1956, p. 19-22. Sur Saint-Trophime d’Arles : Rouquette, J.-M., Provence romane, I, La Pierre-qui-Vire, 1980, p. 265-346 : la conservation du cloître permet d’imaginer le cloître de Gellone.
5. Richard, J.-Cl. et alii, « Les cloîtres de l’abbaye de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert, Hérault) l », Études Héraultaises, 10, 1994, p. 19-52. On y trouvera, p. 49, fig. 5 (cliché D. Kuentz) une photographie de ce Christ Pèlerin et le résultat des analyses des matériaux du cloître, réalisées en France et aux États-Unis, par G. Vignard, S. Raynaud, M. Lopez, F. Colin, B. Sanche et L. L. Holmes, G. Harbottle, A. Blanc, D. Fillières. Ces questions ont aussi reçu les analyses de J.-Cl. Bessac qui avait reconnu, en particulier dans certains panneaux de chancel, la provenance des carrières du Bois de Lens (Bessac, J.-Cl., La pierre en Gaule Narbonnaise et les carrières du Bois des Lens (Nîmes) : histoire, archéologie, ethnographie et techniques, Ann Arbor, 1996), soit directement soit par prélèvement sur un site antique comme le site voisin de Murviel-les-Montpellier (Gassend, J.-M., Escalon, G., Soyris, P., « Un temple du début de l’Empire à Murviel-lès-Montpellier, hypothèse de restitution », Revue Archéologique de Narbonnaise, 27-28, 1994-1995, p. 57-120). Le matériau des sculptures de Saint-Gilles a été identifié comme provenant des carrières du Bois des Lens, probablement par réutilisation du démantèlement de monuments romains de Nîmes ou d’Arles : Blanc, A., Le portail de l’église de Saint-Gilles (Gard), essai de détermination, de la nature et de l’origine des pierres de construction et de sculpture, Lisboa-Pavia, 1988-1991, 3 pages.
6. Alaus, P., Cassan, L., et Meynial, E., Cartulaire de Gellone, Montpellier 1898-1905. En 1994 nous avons réalisé les Tables des noms de personnes et des noms de lieux, en collaboration avec Chr. Camps, F. R. Hamlin et E. Bonnet. Ce cartulaire mentionne un Petrus Brunus « écuyer » en 1152 (charte 488) et aussi en 1140 (charte 498) sans qu’il soit possible d’en savoir plus d’autant plus que ces actes ordinaires concernent Saint-Pargoire et le diocèse de Béziers.
7. Tisset, P., L’abbaye de Gellone des origines au XIIIe siècle, Paris, 1933 et Millau, 1992 (réimpression avec présentation de Cl. Latscha et de J.-Cl. Richard). L’auteur fait remarquer, p. 107-114, les difficultés financières de l’abbaye et les mesures de ventes ou d’emprunts, par les abbés Bernard de Mèze (1170-1189), Hugues de Fozières (1196-1204) et Pierre III Raimond (1204-1219). Nous avons publié les blasons sculptés de ces abbés qui ornaient les galeries du cloître : Richard, J.-Cl., « Armoiries et blasons de quelques abbés de Gellone », Saint-Guilhem-le-Désert au Moyen Âge, nouvelles contributions à la connaissance de l’abbaye de Gellone, 1995,1996, p. 253-264.