Description

In Memoriam Gérard Cholvy (1932-2017)

* Docteur en Sociologie.

La disparition de Gérard Cholvy en ce mois de juin 2017, à l’âge de 84 ans, touche particulièrement notre revue, dont il fut un fidèle collaborateur dès ses premiers numéros. Avec lui s’estompe un peu plus la figure de l’universitaire enraciné dans son terroir et défricheur infatigable de son histoire. Quarante ans d’enseignement à l’Université Paul Valéry, et une activité débordante, en ont fait une figure majeure de la vie intellectuelle régionale, dans trois domaines conjoints privilégiés : l’histoire religieuse, l’histoire régionale et locale, l’animation de la recherche enfin. Au-delà de la personne même de Gérard Cholvy, chaleureuse et attentive, ce sont ces trois domaines, qu’il a particulièrement illustrés, sur lesquels portera notre hommage.

Gérard CHOLVY

Gérard CHOLVY

De l’histoire de l’Église à l’histoire des croyances

Gérard Cholvy est de cette génération d’historiens qui a accompagné le développement de l’histoire religieuse particulièrement marqué depuis les années 1970. La naissance de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine en 1974, que les spécialistes donnent comme point de départ symbolique de cette nouvelle vitalité, coïncide assez exactement avec la soutenance de la thèse d’État sur le diocèse de Montpellier. C’est aussi le temps où l’histoire universitaire tente de larguer quelques amarres : celles d’une histoire institutionnelle de l’Église dominée par la monumentale construction collective de Fliche et Martin1 qui est aussi largement une histoire confessionnelle, chaque historien se cantonnant prudemment à son appartenance. L’élargissement progressif à l’histoire du Christianisme, puis à l’histoire religieuse, est corrélatif d’une attention nouvelle portée aux pratiques de la masse des croyants, au-delà de la focalisation sur la vie institutionnelle de l’Église.

Cette histoire des pratiques, initiée par Gabriel Le Bras dès avant-guerre, est surtout redevable au chanoine Fernand Boulard (1898-1977) dont la Carte religieuse de la France rurale (1947) marque les débuts d’une sociologie orientée vers les préoccupations pastorales. Gérard Cholvy s’inscrit immédiatement dans cette perspective, comme en font foi ses premiers articles, et surtout sa thèse de IIIe cycle sur la géographie religieuse de l’Hérault. Les maîtres-mots sont alors ‘histoire quantitative’, ‘objectivation des comportements religieux’, ‘analyse différentielle dans le temps et dans l’espace’.

Plus que de statistiques, Cholvy parle modestement de dénombrements, en phase avec les grandes opérations quantitatives d’histoire sérielle lancées dans les années 50-60. Ces rassemblements systématiques de données chiffrées le rapprochent – au moins superficiellement – de l’école des Annales dont il lui arrive de se réclamer, et des méthodes d’enquêtes sociologiques, par le primat accordé aux comportements objectifs du « peuple chrétien ». En même temps, toute sa formation le prédispose à se réaliser dans les habitus du métier d’historien, tel que défini par l’Université depuis la fin du XIXe siècle : idéal d’exhaustivité dans l’exploitation méthodique des sources archivistiques, attention minutieuse portée aux singularités, défiance vis-à-vis des généralisations toujours trop hâtives… Cette conception d’une « histoire historisante » façonne des perspectives ; elle peut limiter l’originalité en laissant la logique des dépôts d’archives déterminer les sujets de thèse : Cholvy s’inscrit dans la vogue des histoires diocésaines, aux côtés de nombre de ses collègues ou en labourant des genres de longtemps éprouvés et remis à l’honneur plus récemment, tels que la biographie. Mais la maîtrise du métier rigoureux ouvre aussi à de nouveaux espaces et suscite des interrogations pertinentes. C’est ainsi qu’il faut savoir gré à Gérard Cholvy d’avoir porté son attention et initié des recherches collectives foisonnantes sur les mouvements de jeunesse au long du XXe siècle : le scoutisme dans ses diverses variantes confessionnelles ou idéologiques, les patronages avec leurs activités sportives, les mouvements d’Action catholique (JOC, JAC, JEC, etc.), sont autant de chapitres neufs dans l’historiographie française2.

Surtout peut-être la quantification méticuleuse a-t-elle permis de scruter les variations des comportements et des mentalités dans le double axe spatial et temporel. La géographie religieuse de l’Hérault est à cet égard un modèle qui reste une référence toujours nécessaire, en fixant l’hétérogénéité des zones infrarégionales, en dessinant des lignes de fracture, en suggérant des causalités multiples. Cholvy se réclame alors de l’influence de la géographie humaine de Vidal de la Blache. Par ailleurs, la saisie des évolutions religieuses dans la longue durée – au moins trois siècles – permet-elle de remettre en question des idées trop vite acquises. Ainsi la controverse avec Michel Vovelle sur la « déchristianisation » de l’An II, et, plus largement, la remise en question du large courant des années 1960­-70, tout à la fois théologique et sociologique, jugeant inéluctable le processus continu de « désenchantement du monde », au profit d’une hypothèse moins linéaire, faite de flux et de reflux de religiosité. Ainsi également les réserves manifestées à plusieurs reprises vis-à-vis d’ethnologues et de folkloristes soupçonnés, non sans raison, de faire peu cas de la chronologie et de situer leurs objets d’étude dans un temps indéterminé. Qu’il s’agisse de comportements objectifs ou de faits mentaux, le rappel à l’ordre historique est certainement de bonne discipline.

Cette prudence historienne, fondée sur des constats factuels documentés, incite aussi Gérard Cholvy à se méfier des concepts, qu’ils soient forgés par des historiens ou importés des disciplines voisines. Le soupçon qui pèse sur eux, de renvoyer trop vite au général, sinon à l’universel, n’est pourtant pas sans inconvénients majeurs. Il y a d’ailleurs quelque paradoxe à vouloir pratiquer une histoire religieuse avare d’idées, réduite à des faits objectivés. Faute de concepts, l’historien se voit amené à utiliser pour son propre compte les « mots de la tribu », ce que Durkheim appelait les « prénotions » du langage commun en usage dans les milieux confessionnels : « religion », « vocation », « ferveur », « croyant », « indifférence », « superstition », sont autant de termes utilisés à la fois, et dans les mêmes conditions, par la société religieuse et au premier chef son Église, pour se penser elle-même, et par les historiens qui visent à analyse cette Eglise dans sa réalité objective. Il devient alors difficile de savoir si ces termes désignent le problème ou la solution, la question ou la réponse. Derrière le constat démographique implacable de l’extrême abondance des « vocations » sacerdotales dans les hautes terres aveyronnaises ou lozériennes tout au long du XIXe siècle et de leur spectaculaire tarissement depuis la dernière guerre, comment ne pas interroger la notion même de vocation ?

Il se pourrait que la prégnance du modèle professionnel d’historien résumé sous le qualificatif de méthodique, incline ses tenants à restreindre les frontières de la corporation, et à renvoyer vers les disciplines extérieures (sociologie au premier chef, mais aussi anthropologie, philosophie ou psychanalyse) tout « élargissement du questionnaire » 3 qui pourrait apparaître comme curiosités excédant les possibilités de la méthode historique canonique. Ce repli sur le métier d’historien est d’autant plus marqué, dès lors que l’histoire des religions aborde la période la plus immédiatement contemporaine. Il est alors tentant de s’abriter derrière le grand partage entre histoire du passé et sociologie du présent, et de laisser à cette dernière la charge d’analyser l’actualité. Pourtant cette prudente acceptation des cadres hérités, l’autolimitation imposée aux investigations se révèlent potentiellement contre-productives.

Cette conception d’une histoire religieuse restrictive se manifeste sur plusieurs plans. Ainsi, les manuels que Gérard Cholvy a publiés, seul ou en collaboration avec Yves-Marie Hilaire, sur l’histoire religieuse de la France, sont de fait des histoires de la France métropolitaine. De là l’absence de toute référence à l’islam avant la période la plus récente d’immigration massive en métropole, tenant pour nulle l’histoire de l’Algérie depuis 18304, et négligeant en conséquence les leçons possibles d’une coexistence religieuse de longue durée. Probablement pour les mêmes raisons de prudence disciplinaire, cette histoire religieuse fait bien peu de place à l’histoire comparée, malgré les ambitions initiales de scruter les différences perceptibles dans l’espace comme dans la durée. L’élargissement de l’histoire du christianisme à celle des religions se contente plutôt d’adjoindre aux évolutions du catholicisme des pages consacrées aux églises réformées ou au judaïsme, et tout dernièrement à l’islam. Le simple catalogue des organisations religieuses disponibles en France, même élargi aux sectes, ne permet guère d’accéder à l’analyse du jeu interconfessionnel dans une société pluraliste. Ainsi, le difficile équilibre obtenu par la loi de séparation de 1905 est fragilisé par l’intrusion de certaines formes d’islam dans ce jeu concurrentiel et ravive les tensions d’il y a un siècle5. Ne s’agit-il pas là d’un « objet d’histoire » essentiel à la compréhension de notre siècle ?

En dépit de ces réserves, on peut déceler dans la lecture de Gérard Cholvy une tension sous-jacente et continue entre d’une part les limitations propres à sa pratique héritée d’une tradition historienne, et d’autre part l’attirance pour un au-delà de ces limites, territoire fascinant mais inatteignable. Ce décalage n’est jamais aussi visible que dans le rapport ambigu aux « sciences sociales ». Dès sa thèse de géographie religieuse de l’Hérault, Cholvy revendique un travail sociologique appuyé sur une vaste enquête par questionnaires de pratique religieuse – c’est la référence à la méthodologie du chanoine Boulard -, mais l’exploitation de ce matériau empirique reste en-deçà de ce que l’on pourrait espérer, faute de l’appareil conceptuel qui permettrait de l’interpréter. C’est bien ce que pointe Emile Poulat dans sa recension parue en 1971, et par ailleurs fort élogieuse : « En bref, il me semble que la recherche, ici, plafonne comme si elle se heurtait à une sorte de mur sociologique qu’elle ne voit pas comment franchir, qu’elle ne paraît pas toujours soupçonner. » 6. Un autre exemple éclairant de la position de Gérard Cholvy se trouve dans un article paru, significativement, dans l’Année sociologique, la vieille revue fondée par Emile Durkheim, en 1988. Il s’agit de traiter de « la religiosité populaire dans la France méridionale », en posant des « jalons pour une sociologie historique ». Dans ce texte programmatique, le thème lancinant de la religiosité populaire, instaurant une « cohabitation tranquille » entre actes de foi chrétienne et croyances sous-jacentes des plus diverses, devrait conduire naturellement aux recherches anthropologiques sur ces croyances ; mais Gérard Cholvy nourrit son article des seules manifestations ultramontaines dans le Midi, ainsi que des degrés divers d’attachement au culte dans les populations migrantes particulièrement nombreuses sur le littoral méditerranéen dès le XIXe siècle. Ici comme ailleurs, ce sont les sources archivistiques (en particulier ecclésiastiques, mais tout aussi bien administratives ou privées) qui semblent commander le déroulement de l’enquête, et se révèlent inaptes à remplir le programme initial.

Le point d’arrivée de la réflexion de Gérard Cholvy s’exprime dans l’entretien avec ses deux collègues historiens de l’Université Paul Valéry, Pierre-Yves Kirschleger et Michel Fourcade, tenu en 20157. Plus peut-être qu’un bilan de son œuvre, Cholvy y dessine l’horizon qu’il visait et dont il se rapproche parfois ici ou là.

Son affirmation initiale que « le religieux » dépasse largement le monde des religions instituées et peut être compris comme une aspiration à l’absolu ou au sacré, s’inspire alors de l’œuvre de Mircea Eliade, forme d’anthropologie qui pourrait rapprocher Cholvy de l’œuvre d’Alphonse Dupront. Cette anthropologie tend les bras aux études folkloriques, et Cholvy affirme sa dette envers Arnold Van Gennep et son Manuel de Folklore français contemporain. La voie serait ainsi ouverte à une étude des croyances (et des pratiques qui les accompagnent) mêlant bribes de foi chrétienne ou monothéiste et commerce avec un au-delà de forces invisibles plus ou moins hétéroclites. L’anthropologie actuelle s’y attache, comme le montre la diversité de ses objets traités : la sorcellerie dans le bocage normand (Jeanne Favret-Saada), les apparitions (Elisabeth Claverie), les marabouts africains à Paris (Liliane Kuczynski), les vertus thérapeutiques des sources et fontaines (Brigitte Caulier), les cultes hagiographiques, des saints bretons aux stars médiatiques (Jean-Claude Schmitt), etc. Mais ces références n’apparaissent guère dans l’œuvre de Cholvy, et on ne peut s’empêcher de penser que les outils d’appréhension de ces phénomènes lui manquaient, plus que la reconnaissance de leur importance, dans sa quête d’une « religion populaire ».

A la question des « défis historiographiques » à venir, Gérard Cholvy fait un rapprochement entre foi religieuse et conviction, en récusant la fixation du terme de « croyant » au seul fidèle d’une religion. Ainsi amorce-t-il l’idée que la foi comme attitude générale peut s’exercer dans diverses directions, ce qui rejoindrait les « transferts de sacralité » proposés par Alphonse Dupront. On pourrait parler d’attitudes religieuses dans des domaines « laïcs » et chez des « incroyants » : peut-on alors envisager d’élargir l’étude de la religion comme fait culturel en une sociologie des croyances ? Gérard Cholvy n’a pas franchi ce cap, qu’explorent des auteurs tels que Henri Desroches, ou plus récemment Danièle Hervieu-Léger. Peut-être a-t-il craint de voir une spécificité de la foi chrétienne se dissoudre dans l’océan des croyances qui s’imposent aux individus du fait de leurs appartenances sociales et culturelles.

La religion en France de la fin du XVIIIe à nos jours

La religion en France
de la fin du XVIIIe à nos jours
Frédéric Ozanam (1813-1853). Le christianisme a besoin de passeurs, Artège Éditions

Frédéric Ozanam (1813-1853).
Le christianisme a besoin de passeurs,
Artège Éditions
Histoire de Montpellier (s. d. G. Cholvy), Privat, (1984, 438 p.)

Histoire de Montpellier
(s. d. G. Cholvy), Privat,
(1984, 438 p.)

L’histoire régionale

Au-delà de sa spécialité que nous venons d’évoquer, Gérard Cholvy a joué un rôle considérable dans le renouvellement de l’histoire régionale, abordée de manière collective par la recherche universitaire. Son enseignement d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry durant 40 ans lui a permis de creuser inlassablement le sillon de l’histoire régionale et locale, en lançant des programmes coordonnés de recherche avec ses générations d’étudiants. Les contacts étroits noués tant chez ses collègues historiens qu’à la Faculté de droit lui ont permis alors de piloter des ouvrages de synthèse, au gré des opportunités éditoriales.

Le point de départ de ces publications est, dans le milieu des années 60, la décision des éditions Edouard Privat, à Toulouse, de lancer une collection d’histoires des provinces et des villes de France. La conjoncture était favorable : à la même époque étaient publiées de nombreuses thèses inspirées par Ernest Labrousse, qui utilisaient un cadre régional ou urbain pour marier histoire économique, histoire politique et histoire sociale. En Languedoc, l’initiative de Privat comblait un vide particulièrement manifeste : le libraire toulousain avait, au temps de la IIIe République, réédité l’Histoire générale du Languedoc de Devic et Vaissète qui, même actualisée, faisait bien son âge (début du XVIIIe siècle), et depuis lors manquait une synthèse moderne faisant le point des connaissances accumulées tout au long du siècle. L’Histoire du Languedoc dirigée par le médiéviste Philippe Wolff parut en 1967, et parmi les contributeurs figuraient Hubert Gallet de Santerre, Emmanuel Leroy Ladurie et Louis Dermigny, en poste à Montpellier. La période contemporaine, confiée au géographe Roger Brunet, était réduite à la portion congrue.

C’est ce qui incita Gérard Cholvy à proposer une nouvelle synthèse de l’histoire contemporaine de la région languedocienne, que Privat publia dans une autre collection. « De 1900 à nos jours », il était difficile de se glisser dans le moule provincial de la très longue durée : les nouvelles régions administratives imposaient un tout autre découpage, et Cholvy, pragmatiquement, laissa chacun de ses collaborateurs inventer son propre Languedoc, qui toutefois tirait davantage vers Montpellier que vers Toulouse. Le panorama du XXe siècle qui nous est proposé s’écarte quelque peu du modèle labroussien à trois étages économie – politique – idéologie et mentalités, pour deux volets : société et culture, qui brassent démographie et politique, économie viticole et vie culturelle.

Ces jeux de découpages régionaux se sont poursuivis ultérieurement chez d’autres éditeurs. En 1982, les éditions Horvath, de Roanne, accueillaient Le Languedoc et le Roussillon, qui balayait l’ancienne province à laquelle s’adjoignait le pays catalan, soit un total de 12 départements, de la Haute-Loire à l’Ariège, et du Gard à la Haute-Garonne. Le sous-titre, qui était aussi le titre de la collection, précisait : « Civilisations populaires régionales », ce qui laissait augurer d’une attention particulière à l’histoire vue d’en bas. Gérard Cholvy d’ailleurs précisait dans son introduction l’ambition de ce livre : « Connaître les grandes dates qui jalonnent l’évolution de l’humanité, de la France ou d’une région, c’est bien, c’est indispensable. A ce squelette, il faut toutefois donner chair. Quel meilleur moyen que de faire revivre les générations dans leur existence quotidienne ? D’al brès a la tounbo pour la vie personnelle. Mais aussi le rythme des saisons, la peine des hommes, les relations sociales évoquées dans leur permanence et non seulement par l’incident qui crée l’événement – le « fait historique » cher aux historiens positivistes -justiciable du rapport des consuls, de l’enquête officielle, des considérations du « Procureur général. »8. Programme quasi-ethnographique qui était pris en charge par un groupe d’archéologues et d’historiens, de Jean Guilaine à Geneviève Gavignaud. Et le dernier chapitre, que Gérard Cholvy consacrait à « l’époque contemporaine : mentalités et croyances » ne débordait guère du cadre de compétence de l’auteur, à base de relations entre vie politique et convictions religieuses. De ce fait il laissait en friche le champ des enquêtes ethnographiques qui commençaient à documenter les aspects de la vie populaire, tant rurale qu’urbaine, et que l’introduction d’un ethnologue dans l’équipe de rédaction aurait pu présenter. Quelques années plus tard, en 1993, l’exercice est renouvelé pour le seul département de l’Hérault, « De la préhistoire à nos jours », chez l’éditeur charentais Bordessoules, avec une équipe renouvelée de collaborateurs, dont les géographes Robert Ferras et Jean-Paul Volle.

Entre temps, en 1984, Gérard Cholvy avait fait paraître, toujours chez Privat, son Histoire de Montpellier, qui connut un grand succès de librairie et plusieurs rééditions. La période contemporaine était abordée par une pléiade d’auteurs complémentaires qui permettait de traiter en profondeur l’évolution urbanistique de la ville. Gérard Cholvy pouvait, pour sa part, outre ses thématiques habituelles, s’appuyer sur les nombreux travaux d’étudiants qu’il avait pilotés pour présenter un tableau de la sociabilité et de la vie culturelle du Clapas. L’ensemble dressait un tableau solide de l’histoire de la capitale languedocienne, au point que la nouvelle Histoire sortie (toujours chez Privat) en 2015, sous une nouvelle direction, pouvait reprendre, presque à l’identique, des chapitres entiers signés Arlette Jouanna, Jean-Claude Gegot ou Michel Lacave.

L’animation de la recherche

40 ans d’enseignement à l’Université Paul Valéry ont certes été une condition favorable de la place centrale occupée par Gérard Cholvy dans l’organisation et l’animation de la recherche en histoire. Mais ne suffisent pas à expliquer la passion qui l’a animé de rassembler, transmettre, diffuser, former au-delà du cercle restreint de ses collègues et de ses étudiants. Institutionnellement, il a pris très vite une part majeure dans la bonne marche du Centre d’histoire contemporaine du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (CHCLMR) qu’avait créé Robert Laurent en 1972. Dès son origine, ce Centre s’était donné pour mission de recenser tous les travaux en cours ou publiés sur l’histoire de la période contemporaine, et d’organiser méthodiquement la recherche à fin de combler son retard par rapport aux autres périodes mieux pourvues. L’un des instruments de cette politique aura été l’organisation de colloques dont G. Cholvy fut la cheville ouvrière. Clôturant le premier d’entre eux, consacré à « Droite et Gauche », en juin 1973, G. Cholvy décelait, en ce temps de régionalisation, une véritable « faim d’histoire » qui provoquait les historiens professionnels, et de s’inquiéter : « Ne sommes-nous pas trop timides, parfois plus soucieux d’érudition et de recherches approfondies (…) que de communiquer nos connaissances ? Nous laissons ainsi le champ libre aux synthèses audacieuses autant que fragiles par lesquelles d’aucuns « expliquent » l’histoire régionale dans des publications de vulgarisation. (…) Si nous n’y prenons garde, notre histoire universitaire risque d’être marginalisée, ignorée du grand public, sinon même de nombre de nos étudiants. »

Cette inquiétude est assurément à l’origine de ces journées publiques de présentation de l’état de la recherche, devant des publics certes réduits, mais qui avaient le mérite de réunir universitaires, enseignants du secondaire et étudiants avancés. Outre un Bulletin, à la diffusion plus confidentielle et qui dura jusqu’au début des années 2000, le Centre d’histoire contemporaine publia ainsi plusieurs volumes : après Droite et Gauche en 1975, Économie et société de 1789 à nos jours (1978), La ville en pays languedocien et catalan (1982), ou encore Les pratiques politiques en province à l’époque de la Révolution française (1989). Les difficultés financières eurent probablement raison de cette entreprise, qui faisait en partie double emploi avec les rencontres annuelles de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon. Cette dernière, qui avait le grand mérite de faire se côtoyer chercheurs universitaires et sociétés savantes d’amateurs férus d’histoire locale, publiait également des Actes de ses congrès annuels, depuis 1937 jusqu’en 1997. Cholvy s’y investit fortement9, pour la partie d’histoire contemporaine qui le concernait, comme en témoigne son long rapport de 1977 sur « l’historiographie contemporaine du Languedoc-Roussillon : bilan et orientation de recherches », à l’occasion du 50e congrès tenu à Béziers, sur le thème de « la recherche historique et archéologique et les sociétés savantes »10.

La liaison, qu’il cherchait à renforcer entre les chercheurs et leur public, avait pour maillon ce milieu des amateurs férus d’histoire. La vulgarisation passait, pour lui, par l’initiation aux méthodes de recherche, de façon à transformer les simples lecteurs en apprentis capables de se lancer, eux aussi dans des investigations d’histoire locale bien menées. La responsabilité dont il se sentait investi envers ce public néophyte l’a conduit à s’occuper activement de l’Université du Tiers Temps de Montpellier, dont il fut président entre 1980 et 1992. Il y développa en particulier un atelier d’initiation à la recherche, le groupe d’études languedociennes, qui se continue aujourd’hui, avec beaucoup de dynamisme, sous le vocable de « Mémoire d’Oc », et qui donna lieu à près de 200 monographies depuis 1989.

Gérard Cholvy, qui était fier à juste titre, des quelques 300 mémoires de maîtrise qu’il avait dirigés tout au long de sa carrière, a illustré un certain état de la tradition universitaire aujourd’hui mise à mal par les bouleversements du monde de la recherche. Dans l’entretien évoqué plus haut, il regrettait de ne pas avoir de successeur dans l’étude de l’histoire régionale, et, faisant de nécessité vertu, invoquait l’épuisement du terrain tellement labouré et l’obligation de porter son attention vers des horizons plus lointains. Il n’est cependant pas interdit d’espérer que le renouvellement des questionnaires trouvera dans les archives locales de nouvelles réponses insoupçonnées, et que l’échelle régionale restera longtemps pertinente.

[Guy Laurans]

NOTES

  1. Histoire de l’Église, depuis les origines jusqu’à nos jours, fondée par Augustin Fliche et Victor Martin ; dirigée par la suite par Eugène Jarry et Jean-Baptiste Duroselle, 25 tomes publiés entre 1934 et 1964, Bloud et Gay éditeurs.
  2. Ces recherches étaient insérées dans un programme national du CNRS (GRECO 2) portant sur les organisations de jeunesse.
  3. Selon l’expression de Paul Veyne dans Comment on écrit l’histoire, selon qui il s’agit là de la principale utilité de la sociologie, servante d’une histoire discipline impériale.
  4. Cf. les deux pages consacrées à l’islam dans le dernier chapitre de La religion en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours (1ère édition 1991).
  5. Que pensait G. Cholvy, s’il en a eu connaissance, lui qui avait des attaches fortes en Corse, de la déclaration de l’évêque d’Ajaccio ? en 2015 : « La république est laïque, mais la France ne l’est pas, la Corse ne l’est pas ! » (dans le bulletin national de la maintenance des confréries de pénitents, Labarum 2016, page 6).
  6. Poulat, Emile, compte rendu de la Géographie religieuse de l’Hérault contemporain, L’Année sociologique, Vol. 22 (1971), pp. 442-444.
  7. Entretien filmé par Frédéric Lunel à l’occasion des 40 ans de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine (AFHRC) et disponible sur le site YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=kPRTN9NbVY8 ainsi que sur le site de l’Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme (IPRA) : http://ipra.eu/centre-ressources/fr/items/show/242 (consultés le 13-11-2017).
  8. Cholvy, Gérard, « Introduction », p. 6, Le Languedoc et le Roussillon. Civilisations populaires régionales, Roanne, Ed. Horvath, 1982.
  9. Il fut président de la Fédération de 1982 à 1994.
  10. FHLMR, La recherche historique et archéologique en Languedoc-Roussillon et les sociétés savantes et culturelles (1927-1977). Montpellier, 1979, pp. 43-85.

Bibliographie indicative de Gérard CHOLVY

Nous nous sommes efforcés de présenter un panorama représentatif de l’activité scientifique de Gérard Cholvy. Ses livres sont répertoriés sous deux rubriques, histoire religieuse et histoire régionale, et regroupent tant ses productions personnelles que l’essentiel des ouvrages en collaboration ou dont il a assuré la direction. De la masse considérable des articles publiés dans de nombreuses revues ou dans des actes de colloques, nous avons choisi de ne retenir que ceux qui traitent, totalement ou partiellement, de l’Hérault et de la région languedocienne : encore la liste obtenue est-elle certainement loin de l’exhaustivité. [La rédaction].

Histoire religieuse

Histoire régionale

Articles d’histoire locale et régionale

Hommage

Mentalités et croyances contemporaines. Mélanges offerts à Gérard Cholvy, (s. d. D. Avon et M. Fourcade), Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry, 2004, 643 p. A signaler qu’une bibliographie systématique figure dans ce volume, arrêtée à l’année de parution (2004).

Informations complémentaires

Année de publication

2017

Nombre de pages

7

Auteur(s)

Guy LAURANS

Disponibilité

Intégralement consultable en ligne, Produit téléchargeable au format pdf