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Description

Familles et communauté en Languedoc rhodanien
Saint-Victor-de-la-Coste (1661-1799)

* Chargé de recherche au C.N.R.S., docteur d’État ès Lettres.

Ceux qui ont étudié en détail l’histoire d’une communauté villageoise ont peut-être été frappés par la permanence d’un petit nombre de patronymes qui paraissent étroitement attachés à telle ou telle position institutionnelle, pour des durées qui excèdent largement le temps d’une génération. Il en est ainsi sous l’Ancien Régime pour la fonction élective de consul ou pour les charges vénales des divers officiers seigneuriaux ou royaux, qu’on voit souvent attribués à des homonymes à plus d’un siècle de distance. Les fonctions municipales, ou tout au moins une sorte d’habileté à les exercer, obéiraient-elles aux mêmes règles de succession que les patrimoines ? Pour en juger, il est tentant de suivre l’ensemble des familles d’un village sur la longue durée en examinant globalement les conditions d’existence de ce qu’on pourrait appeler une « reproduction sociale généralisée des fortunes, des statuts sociaux et du pouvoir politique ».

C’est à un projet de ce type que j’ai consacré une thèse d’État, soutenue en février 1995 à l’Université Paul Valéry de Montpellier, sous la direction du professeur Anne Blanchard. Le terrain de mon enquête était la communauté de Saint-Victor-de-la-Coste, dans le Languedoc rhodanien, et la période celle qui s’étend de 1661 à 1799. Les raisons de mon choix sont éminemment personnelles : plusieurs branches de ma famille ont vécu dans ce village depuis près de cinq cents ans, me laissant de nombreux documents qui portent surtout sur le XVIIe et le XVIIIe siècle.

Étudier conjointement les familles et la communauté, c’est toucher en même temps aux deux cellules les plus fondamentales du monde rural. Du coup, c’est à la société dans son ensemble que l’on a forcément affaire. On peut difficilement écarter d’une telle recherche le moindre aspect de l’activité humaine : l’ensemble des rapports familiaux, économiques, sociaux, politiques devient aussitôt objet d’étude. Pour couvrir un tel champ d’investigations, il est nécessaire de mettre en regard le plus grand nombre de documents provenant des sources les plus variées, de ne négliger aucune information susceptible d’apporter un élément de compréhension. La méthode généalogique, l’analyse exhaustive des actes notariés passés par les familles d’un large échantillon de la population et la mise en coupe réglée des registres de délibération communale ont été les trois outils fondamentaux de cette recherche. Mais en chemin, bien d’autres sources ont été utilisées et d’autres points abordés.

Chaque fois que c’était possible, des extensions ont été faites sur la longue durée, afin de situer l’évolution de telle institution ou de tel comportement social dans un mouvement pluriséculaire. Les documents disponibles ont permis de réaliser ce déploiement temporel dans nombre de domaines, parmi lesquels figurent l’étude des structures foncières, les comportements successoraux, les attitudes devant la mort, l’habitat, les usages des bois, l’institution communale et l’investissement des habitants dans la vie de la cité. Dans d’autres domaines où ce prolongement aurait été tout aussi utile, l’absence de documents a interdit toute investigation en amont. C’est le cas pour la démographie.

La plupart des données recueillies ont été passées au crible de trois filtres principaux. Le premier est social : il repose sur la hiérarchie des bourgeois, ménagers, laboureurs, artisans, gens du textile et travailleurs. Le second est chronologique : il est basé sur un découpage en générations indexé sur les dates de mariage. Le troisième filtre est familial : il est construit sur les généalogies, réparties en patronymes et en branches familiales. La plus grande partie des documents a été analysée au travers de ces trois filtres. Il est possible d’obtenir de cette façon plusieurs angles d’attaque du même objet. Ainsi, dans l’analyse des successions, on s’est placé d’abord d’un point de vue individuel (situation de l’héritier, des parents, des exclus de l’héritage) puis d’un point de vue chronologique et social (analyse des contrats de mariage, des testaments).

Dans bien des cas, cette double méthode (mise en regard des sources/filtrage selon un point de vue particulier) a donné des résultats qui sans elle seraient restés hors de portée. De ce point de vue, les surprises ont été nombreuses. Elles concernent surtout le rythme de l’évolution numérique de la population, les mutations du système successoral et du mode de transmission de l’autorité familiale, le processus de l’alliance, la circulation des dots et ses conséquences sur la hiérarchie sociale, le sort des couples fondateurs, la répartition sociale de l’endettement, les innovations en matière de mobilier, les legs pieux, la pérennité des positions politiques et des effets de clientèle.

Au fur et à mesure que tel ou tel aspect de la vie familiale et villageoise était traité, une certaine familiarité s’est installée avec quelques lignées ou personnages clés de la communauté, qui ont servi de guides et d’exemples. Une image de l’espace villageois sous tous ses aspects, bois, garrigues, terres, maisons, s’est également constituée progressivement. Reste le problème inhérent à tout travail historique établi, comme celui-ci, à partir de documents fiscaux, juridiques ou comptables : rien ne transparaît des rapports intimes entre les êtres, de leurs sentiments, ou même de leurs paroles, si l’on excepte les propos les plus extrêmes cités dans les témoignages judiciaires. Cette lacune fondamentale ne peut malheureusement pas être comblée, à moins que l’historien ne projette ses propres sentiments sur son objet. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1996

Nombre de pages

5

Auteur(s)

Élie PELAQUIER

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf