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Description

Malades, maladies et médecins :
étude d’une correspondance bretonne (1783-1830)

Est-il possible d’écrire en même temps que l’histoire des maladies, celle de la relation thérapeutique, de ce « colloque singulier » à jamais oral à partir des traces écrites que le passé nous en a laissés ?

C’est à ce problème qu’un historien entend aujourd’hui apporter sa contribution. La documentation analysée comprend 87 lettres écrites entre 1783 et 1830 fournies par l’exploitation de documents issus d’un fonds privé. Nous ne possédons, hélas, que les lettres rédigées par les patients car les réponses du docteur Louis-Marie Lavergne (1756-1831) ne nous sont pas parvenues, pour des raisons évidentes, à quelques exceptions près lorsque Lavergne a conservé des brouillons de ses lettres ou bien quand il ne les a pas envoyées.

La composition de cette clientèle qui manie la plume ne surprend guère. D’après une analyse cursive du style, de l’orthographe, des concepts, des noms de famille et des lieux de résidence et en fonction des événements rapportés par les patients, ces lettres émanent de personnes, principalement issues du beau sexe (pour les deux tiers) et qui appartiennent toutes aux classes aisées du Penthièvre et résident pour leur grande majorité en ville, malades ou porte-parole (plume) de malades.

Ces épitres émanent en effet pour partie non pas du patient concerné mais d’un parent qui retrace la maladie éprouvée et en fixe le portrait à l’intention du médecin. Ce tableau permet de deviner sinon toujours d’identifier les maladies ordinaires de l’époque : la kyrielle des rhumes, des bronchites et des affections pleuro-pulmonaires durant la saison froide, augmentée de quelques épidémies aux flamboiements rougeoleux et scarlatineux ; mais aussi, durant l’été, la montée des typhoïdes, des dysenteries et des shigelles, le retour en force du paludisme avec l’éclosion des anophèles ; enfin, piqués çà et là au gré du hasard, les mille et un maux de vie quotidienne. Cependant, au-delà de ces truismes, parce que la clientèle du docteur Lavergne comprend deux tiers de femmes, les « affections vaporeuses », les règles douloureuses, supprimées ou pléthoriques, les troubles de la ménopause se taillent la part du lion. Au total, les maladies apparaissent dans leur banalité quotidienne, seulement rendues plus sensibles par la souffrance, physique et morale, qu’elles engendrent dans les lettres de cette clientèle bretonne et francophone.

De façon générale ces lettres débutent par un appel au secours. Témoin, celle-ci, écrite par un client malouin le 23 septembre 1783 : « … c’en est fait de moi si vous ne m’aidez de vos conseils que je ferai exécuter par un apothicaire instruit… Je tombe en lambeaux si vous ne m’apportez un prompt secours à mes douleurs… » De c fait, le soumission au savoir du médecin apparaît souvent totale : « … Simplifiez le traitement.., ne craignez pas la force de la dose. Je me soumets à tout… » Toutefois, il arrive qu’elle ne soit pas aussi complète.. Non seulement certains patients n’apprécient guère la forme et le goût particuliers à certains remèdes et régimes prescrits, mais aussi quelques-uns pensent se débarrasser plus vite de leur maladie en se livrant à une manière de surenchère thérapeutique. Ainsi, M. du Guillier écrit à Lavergne en 1818 : « … La dernière fois que j’eus le plaisir de vous voir, j’avais pris onze doses du remède que vous m’avez prescrit j’en ai pris deux autres depuis, et compte en prendre une autre aujourd’hui, ce qui fera 14. Mais j’ai tant d’envie qu’il ne me reste plus rien de cette désagréable indisposition que j’aime mieux faire plus que moins pour m’en défaire pour toujours… »

En fait, il est rare que les patients qui ont correspondu avec Lavergne n’aient pas pratiqué l’automédication ou bien ils ont commencé de se soigner en attendant l’ordonnance d’un médecin.., qui ne possède ni une voiture ni un téléphone pour assurer les « urgences » ! Ainsi Mme de Lorgeril écrit de Saint-Brieuc en août 1826 : « … je vous prie de me dire si je ne ferai pas bien de me mettre un vésicatoire au bras comme j’en ai depuis longtemps le désir. Peut-être aussi quelques sangsues me débarrassaient-elles la tête… »

Aussi il faut bien en conclure qu’au moins dans ses élites intellectuelles et sans doute aussi dans le peuple, la société de l’époque est – déjà – sensiblement médicalisée. Pour elle, le médecin personnifie une instance supérieure capable de dire la maladie et de l’apprivoiser, sinon de l’éliminer. Ainsi J.-L. Hervé, desservant de la paroisse de Noyal écrit en 1818 : « … J’ai commencé par cracher des morceaux de sang caillé et d’autres fois du blanc et du rouge comme réduit au mortier. Je ne souffre pas beaucoup. Quoi qu’il en soit, je suis inquiet… » Il y avait de quoi, à cette époque, pour un tuberculeux ! […]

Informations complémentaires

Année de publication

1984

Nombre de pages

4

Auteur(s)

Jean-Pierre GOUBERT

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf