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Description

Compte rendu d'ouvrage :
Claire-Anne de Chazelles, Émilie Léal,
Agnès Bergeret, Isabelle Rémy (sous la direction de),

Maisons et fortifications en terre du Moyen-Âge dans le Midi méditerranéen,
Presses universitaires de la Méditerranée,
2020, 460 pages, 30 euros.

De nombreuses données nouvelles sur l’architecture de terre, inédites ou dispersées dans diverses publications ou rapports sont présentées dans ce gros ouvrage de qualité. Trente-huit auteurs au total y ont participé pour traiter de l’Aude, des Pyrénées orientales, de l’Hérault, du Gard, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Ce n’était pas aisé d’y parvenir et c’est une réussite. Passons tout de suite sur les quelques problèmes de forme, ils sont si peu nombreux que l’on ne s’y arrêtera pas, les PULM ont réalisé une belle édition. Attachons-nous au fond.

L’ouvrage, préfacé par Hubert Guillaud, qui rappelle le cheminement depuis les années 80 de ces chercheurs « de la terre », est construit en deux grandes parties. Une synthèse générale et des notices de sites au nombre de quatre-vingt-cinq.

Maisons et fortifications en terre du Moyen-Âge dans le Midi méditerranéen, Presses universitaires de la Méditerranée
Maisons et fortifications en terre du Moyen-Âge dans le Midi méditerranéen, Presses universitaires de la Méditerranée

La première partie doit beaucoup ? c’est peu dire ? à Claire-Anne de Chazelles, chercheur au CNRS, spécialiste de l’architecture de terre, qui est auteur ou co-auteur de tous les chapitres.

L’ambition est importante : traiter synthétiquement toutes les informations issues des travaux récents sur l’architecture de terre à l’époque médiévale dans le Midi. Les auteurs traitent successivement le contexte social et historique de l’habitat en terre, les sources, les enceintes en terre ou les techniques et la difficulté du vocabulaire. Un dernier chapitre d’une cinquantaine de pages aborde la question de la restitution architecturale de la maison médiévale en terre : les aménagements, les finitions, les réparations, etc. Tous les éléments de notre connaissance pour tenter de comprendre.

La renaissance de la recherche sur le bâti en terre remonte aux années 70 du siècle dernier. On n’a jamais cessé cependant de s’intéresser à ces constructions mais davantage dans l’idée de bâtir que pour en étudier l’histoire. Un des intérêts de ce livre est de montrer à quel point le croisement des sources issues de la connaissance du terrain et celles provenant des recherches en archives est propice et permet de progresser efficacement. Aujourd’hui l’un ne peut aller sans l’autre même si les sources archivistiques sont parfois si abondantes que seuls des sondages peuvent y être pratiqués parmi les prix-faits et autres actes notariés.

L’effort typologique, la recherche de classement et /ou de hiérarchie entre ces usages et ces constructions est notable mais bien difficile à organiser. Les classements s’effectuant à la fois selon la technique de mise en œuvre et selon le traitement du matériau. On finit par se perdre. C’est un des mérites de l’ouvrage que de reprendre toutes les définitions, d’y ajouter des glossaires français et occitan, et de tenter de clarifier les choses. Car la terre est utilisée de diverses manières finalement peu standardisées. La bauge (terre modelée sans coffrage), le pisé (terre et végétaux banchés), l’adobe (brique cuite ou crue) et le torchis (terre + fibres sur armature) forment l’essentiel d’un vocabulaire peu assuré encore. Mais dans la pratique le torchis désigne souvent la terre de base pour divers usages (comme la bauge) et le « tapy » occitan aussi bien la bauge que le pisé. Ce n’est pas si simple.

La bauge est la technique la plus fréquente historiquement, utilisant la terre plastique sans coffrage ni armature pour une construction en lits mais qui peut être également informelle et on parle alors de « bauge massive ». À l’examen du terrain, ces définitions sont discutables. À Perpignan, les auteurs nous parlent d’une bauge coffrée rendant la différence avec le pisé plus minime. Aux XIIIe et XIVe siècles on constate un pic dans l’utilisation de la bauge aussi bien dans les murs porteurs que dans les cloisons, avec ou sans solins. Les façades ainsi traitées sont enduites et bien malin qui sans intervention destructrice, distinguera le composant. La façade en pierre ne s’installe vraiment que plus tardivement dans le Midi et pas avant les XVe-XVIe siècles. Pour cette période à Montpellier, Béziers, Clermont l’Hérault ou Montagnac en l’état des connaissances, cette technique de la bauge domine aux XIIIe-XVe siècles. À Marseille, on utilise du pisé dès la deuxième moitié du XIIe siècle, c’est là qu’il semble plus précoce. Les nuances diverses existent. Le pisé apparaît fin XIIe /début XIIIe siècles, la bauge est utilisée de la fin XIIe jusqu’au XVe siècle, puis perdurera. Ces deux techniques peuvent être utilisées concomitamment dans les mêmes lieux et on s’interroge sur les raisons ? Pourquoi choisir la bauge plutôt que le pisé et inversement ?

La terre est également utilisée pour les fortifications. On en connaît sept exemples dans l’Aude, un dans les Pyrénées orientales. Les textes en montrent la fréquence ? alors que beaucoup ont disparu ? dès le XIIe siècle entre Narbonne et Toulouse ou d’Albi à Limoux. Résultat du manque de pierres ? Ailleurs on n’en a pas traces, mais ne s’agit-il pas de disparité de travaux de recherches plus que d’implantations ? Voyez pour une période plus tardive, les mentions retrouvées pour le sud Vaucluse du côté de Pertuis et Cadenet.

La brique est plus fréquente dans l’Hérault (Capestang, Agde, Sérignan, etc.) mais assez peu représentée dans l’ensemble. Celle-ci est cuite ou non, ajustée avec un mortier de liaison. Le mot « adobe » pour la caractériser est maintenant généralement retenu par les chercheurs. L’adobe est employée couramment dans l’antiquité : pourquoi une éclipse de plusieurs siècles ? Les auteurs imaginent pour cette technique l’influence de l’Espagne ou du Maroc, celle des régions voisines est peu probable et l’essor de la technique date du XVIIIe siècle seulement.

Plus curieuses au Moyen Âge dans nos régions, sont les constructions de pans de bois et de torchis. Il y a peu encore on n’imaginait pas ce genre de technique aussi communément utilisée dans le Midi méditerranéen. Béziers, Lodève, Magalas en portent le témoignage mais de datation incertaine. Clermont-l’Hérault et Montagnac connaissent des maisons à pans de bois de la période XIIIe-XVe siècles et au XVIIIe siècle également. La technique est multiple sur poteaux plantés ou pans de bois, mais toujours avec du torchis.

Résurgence au Haut Moyen Âge des techniques de construction en terre ? Peut-on avancer cette hypothèse ? Il est curieux de noter que dès le néolithique des exemples nombreux de constructions en terre sont connus, on utilise toujours la terre durant l’Âge du fer et les romains mêmes, contrairement à une idée reçue, ont construit en terre. Désormais « vus » en fouilles grâce aux alertes maintes fois énoncées depuis trente ans, on sait repérer les murs de terre que l’on voit fréquents. Pouvons-nous croire que cette technique se serait perdue ? On a du mal à justifier cette hypothèse. L’exploitation archéologique et celle des sources textuelles probablement selon l’avancée des travaux, nous montrera un continuum avec des variantes régionales dans le traitement et la mise en œuvre de la terre.

On a voulu voir dans la terre un matériau du pauvre, facilement prélevable à proximité de la construction, sans de couteux transports et que le faible coût aurait remis à la mode. Les zones limoneuses sont plus propices, par définition, aux constructions de terre et la géologie des lieux tient son rôle. En pays de pierre, il y a moins d’utilisation de la terre.

Certainement, la construction en terre est meilleur marché, 2 à 3 fois moins que celle de blocage de pierres, pas de doute non. Mais pourquoi l’aurait-on abandonnée ? Personne ne peut invoquer sérieusement ici l’ignorance, la perte du savoir-faire. Les techniques de la bauge sont faciles et de bon sens, elles s’acquièrent assez vite au moins empiriquement, les hommes savent cela depuis longtemps au point que la spécialisation des métiers des constructeurs en terre est bien moins marquée qu’elle ne l’est pour la pierre.

Mais tout cela n’explique pas pourquoi on ne trouve pas de constructions en terre en milieu urbain ? du moins pas de témoignages ? avant la fin du XIIe siècle : hasard de la recherche, conservation moindre de constructions par ailleurs souvent incluses dans des bâtiments plus récents et donc invisibles ? D’autant que des maisons en terre que nous connaissons ne sont pas toujours modestes et ne manquent pas d’éclat parfois, voir à Béziers ou à Clermont l’Hérault ? Ce ne sont donc pas un matériau des très petites gens. Les témoignages paraissent indiquer que ces constructions correspondent à des extensions urbaines nouvelles. Faut-il alors reconsidérer la proximité, le faible coût, la technicité plutôt réduite et la plus grande rapidité de construction : la terre un matériau de l’urgence ?

L’exercice typologique est prématuré. Impossible de relier localisation et matériaux, l’importance de la construction et matériaux, il y a trop peu d’informations. Et la tentative des auteurs pour distinguer les petits habitats en terre de lotissements, de plus vastes avec cours et dépendances et des grandes maisons de gens aisés (page 137) paraît bien peu assurée.

La deuxième partie de l’ouvrage présente 85 fiches. Toutes ne sont pas de même niveau documentaire et on pourrait même s’interroger sur la nécessité de présenter les témoignages ténus de certaines fiches (ex : 63 et 64 à Lunel), mais les auteurs ont voulu tendre vers l’exhaustivité.

Attachons-nous au département de l’Hérault où sont données seize fiches pour les villes d’Agde, Béziers, Montagnac, Clermont-l’Hérault, Mauguio, Lunel et Montpellier.

La « bauge massive », aux assises indistinctes, formée de mottes agglomérées y est bien présente dès le Haut Moyen Âge mais pas de traces avant la fin du XIIe siècle ou le début du XIIIe à Montpellier. Parallèlement à des constructions en pierres, la terre est utilisée aux XIIIe et XIVe siècles pour autant que les datations soient assurées.

Quelques villes sont mieux documentées, mais il s’agit d’état de la recherche, pas des connaissances. Citons Béziers et les travaux de restructuration autour de l’amphithéâtre où le service municipal d’archéologie est intervenu et étudie le patrimoine où encore Montagnac qui a fait l’objet d’un inventaire systématique sur l’initiative de la Communauté de communes en convention avec la Direction régionale des affaires culturelles. L’étude de Montagnac a permis des découvertes remarquables comme le mettent en évidence les notices qui lui sont consacrées. On pourrait déplorer le manque d’homogénéité de ces notices, leur disparité mais on aurait tort. Elles montrent au contraire ce que la prévention, les travaux d’inventaire, de surveillance et les interventions archéologiques préalables aux aménagements, parfois avec trop d’urgence, apportent et renouvellent les connaissances.

Nous n’avons rien dit des autres départements tout aussi intéressants. Il faut inviter le chercheur mais aussi le curieux du patrimoine à feuilleter ce beau travail éditorial et de recherche, ce formidable bilan plein d’enseignements dont nous n’avons ici livré que l’écume.

Michel-Édouard BELLET

Informations complémentaires

Année de publication

2021

Nombre de pages

2

Auteur(s)

Michel-Édouard BELLET

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf