L’Héméralopie nougarienne de Vendémian.
Développement historique et aspects actuels

* Docteur Thierry REBOUL, ophtalmologue, attaché au C.H.U de Montpellier,
bibliothécaire du service d’ophtalmologie,
membre du groupement francophone d’histoire de l’ophtalmologie.

[ Texte intégral ]

Aux environs de 1660, Jean Nougaret, un Provençal des environs de Toulon, qui était boucher de son métier (1637-1719), émigra dans la région de Montpellier et vint s’installer dans le petit village languedocien de Vendémian, en y épousant une fille du pays, Élisabeth Faucilhon. En fondant ce foyer, Jean Nougaret ne se doutait pas que trois siècles plus tard, les savants du monde entier se pencheraient sur sa descendance, qui constitue le plus bel exemple mondial d’hérédité dominante dans la génétique humaine, et qu’il laisserait son nom à la postérité associé à une maladie unique et mal connue. (Fig. 1)

Vendémian vue générale (carte ancienne - 1907).
Fig. 1 - Vendémian vue générale (carte ancienne - 1907).

Jean Nougaret, en effet, était atteint d’héméralopie ou cécité crépusculaire (du grec : jour et vision), terme mal formé, prêtant à confusion, que l’on devrait plutôt remplacer par hespéranopie 1 (du grec : soir, a privatif, vision). C’est l’amblyopie crépusculaire, maladie congénitale et héréditaire dominante, qui n’autorise la vision qu’en ambiance lumineuse photopique. En deçà d’un certain seuil lumineux, variable selon les individus, les sujets atteints sont incapables de se diriger, ni de distinguer les objets qui les entourent. Seul l’individu qui présente ce caractère à la naissance peut le transmettre à ses descendants. Cette héméralopie héréditaire est à différencier des héméralopies par carences vitaminiques A, classiques dans l’histoire des armées en campagnes et des navigateurs au long cours.

Jean Nougaret a eu une descendance nombreuse (2137 personnes en 1908 dont 134 héméralopes) qui a fait tache d’huile autour du village originel de Vendémian, tout en restant relativement bien localisée jusqu’au XXème siècle dans cette région viticole où les mariages dans le même village et entre voisins et cousins étaient choses courantes pour protéger le patrimoine foncier. A l’heure actuelle, les descendants du Provençal constituent les seuls cas génétiques au monde dont l’arbre généalogique soit tenu à jour depuis 1637.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’ouvrir les 22 feuillets de ce gigantesque tableau synoptique affectant de nos jours 17 générations successives. Cet arbre généalogique est visible à la Faculté de Médecine de Montpellier, et au service d’Ophtalmologie. Déroulé, il a plus de 10 mètres de longueur. C’est certainement le plus formidable pedigree que l’on possède en génétique humaine, tant par le nombre d’individus que par celui des générations. Ce travail de romain a été réalisé en 1907 par le Professeur Truc et l’Abbé Alphonse Capion de Vendémian, qui ont recensé dans la région même, les 2137 descendants grâce aux registres paroissiaux et aux documents d’état civil. (Fig. 2)

L’étude scientifique de la famille Nougaret débute en fait vers 1838. Or à l’époque, des cas sporadiques d’héméralopies familiales étaient décrits dans les publications académiques ; la science du début du XIXème siècle ne considérait pas cette affection comme héréditaire. Seul un cas de la famille Nougaret était décrit dans les actes de l’Académie des Curieux de la Nature 2.

L’abbé Capion, curé de Vendémian et auteur de l’arbre généalogique.
Fig. 2 - L’abbé Capion, curé de Vendémian et auteur de l’arbre généalogique.

Cependant, de longue date, les curés de Vendémian, selon la tradition, avaient des difficultés à faire venir leurs paroissiens aux offices du soir : ceux-ci avaient beaucoup de mal à regagner leur foyer au soleil couchant. Aux XVIIIème et XIXème siècles, l’éclairage urbain n’existait pas encore dans les villages. Les héméralopes étaient condamnés à rentrer chez eux bien avant la nuit tombante, le nez en l’air et trébuchant, ne pouvant se guider que sur le rebord des toits de tuiles se détachant encore sur le ciel. Les habitants du village connaissaient l’ancestralité de la tare, et de sa transmission qui était honteusement cachée dans les familles.

En 1838, un médecin militaire de Montpellier, Florent Cunier, fut donc intéressé par le cas d’un jeune conscrit, Pierre Mirebague, qui en 1831 avait demandé à être exempté du service militaire pour cause d’héméralopie. Il était né en 1815 et donc âgé de 16 ans. Les médecins militaires de Montpellier, constatant qu’il voyait à la lueur d’une chandelle, le considérèrent comme un simulateur et le déclarèrent apte au service. Le jeune homme fut incorporé pour 7 ans. Pendant cette période, il fut réexaminé avec grand soin par les médecins-majors de l’Hôpital. On reconnut alors vraiment son handicap et son hérédité, en raison surtout de l’attestation d’un trouble semblable chez ses père, grand-père et arrière-grand-père, et on l’exempta de tout service ultérieur. L’héméralopie entrait pour la première fois dans la liste des affections donnant lieu à exemption du service national, bien qu’elle ne fût pas encore scientifiquement étudiée. Cunier étudia ce cas, et recensa 7 générations de la famille, avec 629 membres dont 86 héméralopes. Cunier constata qu’il s’agissait bien d’une héméralopie héréditaire, « transmise par les femmes », dit-il (ce qui est faux), se transmettant dans la proportion de 1/9 à la 6ème génération. Il ne découvrira aucun trouble oculaire ou général associé.

En 1906, le docteur Edward Nettleship de Londres contacta le Professeur Truc créateur de la clinique ophtalmologique de Montpellier, lui demandant son concours pour une nouvelle étude de la famille Nougaret. Hermantaire Truc s’adressa alors au médecin généraliste et au curé Capion de Vendémian passionné d’histoire et d’archéologie, pour compléter l’arbre généalogique de 1508 personnes dont 49 héméralopes. Il en réalisa l’édition originale, dont un exemplaire destiné à la paroisse de Vendémian devait éviter les mariages consanguins ultérieurs (il fut subtilisé par les familles !). (Fig. 3)

Page de couverture de l’arbre généalogique original (de 1637 à 1908).
Fig. 3 - Page de couverture de l’arbre généalogique original (de 1637 à 1908).

Le Professeur Truc put conclure dans son article de 1907 que cette héméralopie est héréditaire et essentielle. Les sujets en sont inégalement affectés ; l’acuité visuelle, le champ visuel, la vision chromatique étant intacts, ainsi que le fond d’œil réalisé sous mydriatique jamais encore exploré, et qui montrait des rétines et nerfs optiques normaux (familles Barral, Noualhac, Virenque, Faucilhon, Lassalvy, Calvet, Vaillé…). Les intéressés, dit-il, connaissent de tradition l’existence de cette tare familiale. Les mères la redoutent et s’en préoccupent spécialement chez leurs nouveau-nés qu’elles testent dans une relative obscurité. D’autre part, les femmes surtout, cachent aussi soigneusement leur infirmité pour contracter plus aisément mariage. Enfin, observation capitale bien établie, les sujets sains nés de parents héméralopes, ne transmettent plus jamais la maladie, ni leur descendance. Le Professeur Truc émettait déjà en 1907 l’hypothèse d’une insuffisance anatomique ou physiologique fonctionnelle du pourpre, pigment des bâtonnets, cellules rétiniennes responsables de la sensibilité à basse luminance. (Fig. 4) (Fig. 5)

Ancien institut d’ophtalmologie de Montpellier - milieu du bâtiment, bloc opératoire.
Fig. 4 - Ancien institut d’ophtalmologie de Montpellier - milieu du bâtiment, bloc opératoire.
Professeur Hermentaire Truc, éditeur de l’arbre généalogique des héméralopes de 1907.
Fig. 5 - Professeur Hermentaire Truc, éditeur de l’arbre généalogique des héméralopes de 1907. Fondateur de la clinique ophtalmologique.
Professeur Charles Dejean, titulaire de la chaire d’ophtalmologie de Montpellier (1938 - 1959)
Fig. 6 - Professeur Charles Dejean, titulaire de la chaire d’ophtalmologie de Montpellier (1938 - 1959).

L’héméralopie des Nougaret sera à nouveau étudiée en 1949 par le Professeur Charles Dejean et le Docteur Gasseng de Montpellier, dans un article du Bulletin de la Société Française d’Ophtalmologie. Il y confirme le caractère mendélien dominant de l’affection, le rôle du chromosome sexuel étant nul, l’héméralopie frappe indistinctement hommes ou femmes et se transmet dans la même proportion aux uns et aux autres. Il conclut en ces termes : « à Montpellier, nous continuons à observer des descendants de la famille Nougaret et à noter les héritiers de la tare. Cet arbre généalogique représente déjà un joli tour de force et de patience, et constitue un document incomparable à l’appui de la doctrine génétique de Mendel. »L’adaptométrie caractéristique du trouble, examen nouveau pour l’époque, fut initiée. (Fig. 6)

Dans un article de 1951 publié dans la presse parisienne 3, l’Abbé Laurent, troisième successeur de l’Abbé Capion, curé de la paroisse de Vendémian depuis 1948, déclare : « lorsque je suis arrivé ici, j’ai trouvé déchirées certaines pages du tableau synoptique de l’Abbé Capion, ces pages qui avaient trait aux descendants actuels des premiers Nougaret. Il faut vous dire qu’ici, beaucoup d’héméralopes cachent leur maladie comme une tare honteuse, et pourtant ces personnes ne présentent pas plus de signes de dégénérescence que vous et moi ! »

Il y a encore plusieurs famille Nougaret à Vendémian ; devant la vieille église que connut l’ancêtre, elles déclarent maintenant (depuis 1951) : « personne de chez nous n’est plus aveugle la nuit ! ». Un cousin éloigné, Monsieur Louis Vaillé, marié en 1906 à Emilienne Unal, né lui-même en 1881, pouvait se flatter d’être le dernier héméralope du village. Il avait les yeux bleus et limpides. Il déclarait en 1956 : « le Professeur Truc m’a examiné en 1908 ; ma mère était héméralope, dès la nuit tombée, elle était comme sotte, elle tenait toujours une lampe à la main. Quant à moi, cette infirmité ne m’a pas empêché de faire la guerre de Syrie en 1914-18. J’étais simplement exempt de service de nuit. Ma fille Denise est normale. Depuis que la lumière électrique a été installée au village en 1923, j’ai pu sortir plus facilement le soir. Du reste, je me conduisais mieux sur les routes blanches de jadis, que sur les routes goudronnées actuelles. Durant ma jeunesse, je me souviens d’avoir entendu les vieux qui disaient : « je ne sors jamais la nuit, je n’y vois rien ! », c’est à cet aveu que se trahissaient les héméralopes ». Louis Vaillé est décédé en 1961, dernier héméralope légendaire de Vendémian, laissant une fille et un fils indemnes de la maladie. (Fig. 7)

Mairie de Vendémian qui a vu défiler mariages et naissances d’héméralopes
Fig. 7 - Mairie de Vendémian qui a vu défiler mariages et naissances d’héméralopes.

Au village du Pouget, devant un verre de capiteuse Carthagène, René Virenque, qui joint à ses qualités de vigneron, celles d’un homme instruit, explique bien franchement son cas : « Mon infirmité ne m’a pas empêché de faire le service militaire comme tout le monde. Peu de médecins de l’armée connaissent l’héméralopie. Pendant la guerre de 39-40, je servais dans un bataillon d’infanterie alpine. Comme je faisais valoir mon infirmité, on m’a exempté de service de nuit, pas plus. Cependant le Pr. Dejean, gendre du Pr. Truc et son successeur, intervint en ma faveur et finit par obtenir ma réforme… à la fin de la guerre ! Mon fils Jacques, lui, a été réformé par le conseil de révision sur présentation d’un certificat. »

Jacques Virenque, solide gaillard aux cheveux ailes de corbeau, précise : « C’est gênant d’être héméralope pour reculer une voiture dans la nuit, pour sortir en campagne. Je ne distingue pas les étoiles dans le ciel et me dirige en me guidant sur la ligne des toits. Quel contraste avec la journée où j’ai une vue perçante. Lorsque la nuit tombe, j’ai l’impression de débarquer dans un monde nouveau. J’essaie de trouer les ténèbres en regardant de côté, mais rien n’y fait. Comme les vrais aveugles, nous devons avoir les autres sens plus développés. Par exemple, un arbre en pleine nuit dans la campagne, je ne le distingue pas, mais je sens sa présence à trois ou quatre mètres. Et puis, voulez-vous que je vous dise ce qui m’ennuie de plus quand je sors le soir ? C’est de ne pas voir la main qu’un ami me tend. » 4

René Roux de Campagnan a épousé Georgette Bussac, héméralope de Tressan, autre foyer proche de Vendémian. Elle lui a donné deux enfants : une fille indemne, et un fils Michel, atteint. L’héméralopie du arçon est apparue nettement lorsque le patronage du village organisa des séances de cinéma le soir. Son père est allé trouver le curé : « le petit ne pourra pas venir tout seul aux séances de projection, il n’y voit pas la nuit, sa sœur l’accompagnera. » C’est ainsi que le village a appris que le jeune Roux « tirait » de sa mère son héméralopie.

Georgette Roux-Bussac et Jacques Virenque, héméralopes et consanguins par leurs pères (ancêtre commun à la 4ème génération Nougaret), sont aussi parents par leurs mères : Céline Bussac née Chauvet, mère de Georgette Roux était sœur de Marthe Chauver-Virenque, mère de René Virenque, formant ainsi une consanguinité double.

Un autre cas de mariage consanguin eut lieu entre Valérie Bro (n°163, 7ème génération) non héméralope, descendante d’Etienne Nougaret, avec Firmin Gontier, héméralope (n°329, 6ème génération) descendant de Pierre Nougaret. Ils eurent quatre fils non héméralopes. Si le mode de transmission était récessif, la consanguinité en aurait alors augmenté le risque, ce qui n’est pas ici le cas.

En 1956, l’équipe belge de l’Université de Gand du Professeur François (les docteurs Verriest et De Rouck), collaborant avec le Pr. Dejean de Montpellier, publiait une nouvelle étude des « Fonctions visuelles dans l’héméralopie essentielle nougarienne ». Les chercheurs purent examiner trois sujets héméralopes volontaires et bénévoles : Madame Roux, son fils Michel, et M. Virenque, ayant tous un ancêtre commun à la 4e génération. L’anecdote me fut confiée que le jour des examens, en février 1956, veille de la Chandeleur, fut ce jour si froid, catastrophe naturelle dans le Midi, où gelèrent tous les oliviers du Languedoc. Saluons ici le courage de ces héméralopes n’hésitant pas à se déplacer de leurs villages, pour le « service de la science », dans de telles circonstances. L’électroencéphalogramme se révéla normal, sans les perturbations typiques des dégénérescences tapéto-rétiniennes. L’acuité visuelle, le champ visuel photopique étaient normaux. Adaptométrie caractéristique avec un seuil descendant rapidement pendant 3 minutes puis se stabilisant dès la 5e mn à un niveau trop élevé, sans point anguleux Alpha jusqu’à la 25e mn. Vision chromatique normale, Electro-oculogramme avec valeur de base normale (500 microvolts) et chute physiologique à l’adaptation. L’électro-rétinogramme montrait une absence de l’onde b scotopique, le reste normal. (H. carencielle = réponses absentes ; rétinite pigmentaire = réponses absentes ou onde a isolée.)

Ils purent conclure de ces tests que l’activité des cônes était normale chez l’héméralope, même en mésopique ; que les bâtonnets n’interviennent que de manière négligeable dans la vision diurne (AV et vision des couleurs périphériques normales; champ visuel photopique normal) ; que l’ERG de l’héméralopie héréditaire était spécifique avec une absence de l’onde b scotopique.

Dieter en 1929 a montré que la courbe de luminosité spectrale photopique est identique chez l’héméralope, mais qu’en scotopique il ne se produit pas de translation du maximum de visibilité dans le spectre comme chez le sujet normal vers les courtes longueurs d’onde : d’où chez l’héméralope l’absence de phénomène de Purkinje ni de post-image.

En 1958, le professeur Franceschetti de Genève invita des héméralopes à un congrès où ils furent réexaminés en détail. De même en 1970, un voyage-congrès fut organisé à Heidelberg où ces mêmes héméralopes furent étudiés, mais ils en revinrent frustrés car aucun résultat ni article ne leur fut communiqué ; la dilatation intense à l’atropine, les électrodes des rétinogrammes, et la froideur des chercheurs étant restés dans la mémoire de certains qui m’en firent part lorsque j’essayai en 1989 de les réunir à nouveau. En effet le 16 mars 1989, Irène Maumenee, professeur de Génétique et Ophtalmopédiatrie à Baltimore, vint à Montpellier sur invitation du Pr. Boudet et du Dr. Amalric son ami, dans le but de prélever des échantillons sanguins pour recherches génétiques chez les descendants actuels des Nougaret. Il fallait obtenir le sang de plusieurs générations, afin de comparer le locus du chromosome III, combinaison décryptée récemment du gène commandant la synthèse de la rhodopsine, pigment visuel de la vision nocturne. Je recherchai et pris donc contact avec des familles cousines d’héméralope, me basant sur l’arbre historique du service tout à fait incomplet à l’époque (arrêté en 1958). Cette enquête policière me fit connaître des familles viticoles, fort sympathiques répondant toujours tout de suite, de manière bénévole et spontanée, à nos exigences scientifiques contraignantes, comme les prises de sang chez les bébés et les personnes âgées.

Le chromosome III se révélant tout à fait normal chez les héméralopes, les recherches se tournèrent en quelques années vers les enzymes et molécules des chaines complexes de la réaction photochimique et synapto­neuronale de la vision, compliquant cette étude à l’infini.

Je n’ai pu dénombrer de nos jours, dans la région, que 5 familles ou l’héméralopie persistait, avec seulement 15 héméralopes vivants et connus (certains bébés étant encore incertains), et 2 branches seulement encore vivantes pour l’héméralopie, avec des petits enfants atteints qui transmettront peut être le patrimoine génétique déficient de l’aïeul Jean Nougaret. Il s’agit des familles Virenque du Pouget, et Phalippou de Narbonne, la branche Benoit de Clermont-l’Hérault étant éteinte pour la maladie. (Fig. 8)

D’autres arbres d’héméralopies différentes furent décrits 5, tous sur peu de générations et mal recensés. Une forme de transmission récessive pure (Nettleship, 1907), une autre forme récessive liée au sexe, où l’héméralopie est associée à une myopie forte. (Donders, Riddel, 1940). Celui de Néoules dans le Var, patrie du Pr Truc et étudié par lui sur 3 générations à l’époque, serait l’origine du notre, Jean Nougaret étant natif de Néoules.

Répartition géographique de l’héméralopie familiale des Nougaret.
Fig. 8 - Répartition géographique de l’héméralopie familiale des Nougaret.
Société Française d’Ophtalmologie - 1909.

Cette rencontre avec le terroir nougarien de ce petit coin du Languedoc, nécessitée par la recherche génétique à la pointe de l’avenir et du progrès, m’a laissé une impression très forte, me faisant prendre conscience du poids de la Terre, du Sang familial, et du souffle de l’Histoire. Je n’en veux pour exemple que cette dernière anecdote : les Phalippou me fournirent différents certificats d’exemption au service national de leur famille, terrible raccourci du temps de l’histoire de notre pays, en 4 feuilles de papier juxtaposées. Celui de 1827, d’Auguste Barral demandant son exemption à Monsieur le Vicomte d’Armagnac, Lieutenant Général des Armées du Roi commandant la 9e division, en son Hôtel de Montpellier. (Fig. 9) Celui de René Phalippou, établi par Charles Dejean en 1944, pendant la seconde guerre mondiale, celui de son fils Marc, établi par le Professeur Ch. Boudet en 1966 pour ce jeune homme de 18 ans, et ceux réalisés ce 16 mars 1989, lors de notre réunion de Montpellier, pour les petits fils Olivier et Gilles de 18 et 20 ans.

En 1995, le Pr. Thaddeus Dryja de Boston, Ophtalmogénéticien de l’Université d’Harvard, demanda au Pr. Arnaud de lui envoyer des échantillons de ces sangs que nous conservions si précieusement, pour avancer l’étude, et il fit la découverte, en 1996, d’une mutation sur le gène codant l’alpha sous unité de la transducine des bâtonnets rétiniens, véritable cause de l’héméralopie nougarienne. Ceci constitua la première publication du Service dans Nature Genetics en 1996 et je pus offrir au Pr. Dryja, lors de son passage mémorable à Montpellier et dans notre service, un fac-simile de l’Arbre généalogique historique de notre bibliothèque reproduit par mes soins et relié cuir, symbole de sa recherche.

La roue de la Vie tourne toujours, mariages, baptêmes, décès, et aux alentours de Vendémian, au Pouget, à Tressan ou Narbonne, dans quelques yeux admirant le soleil couchant sur les vignes, coule toujours pour quelques années encore, le sang des Nougaret, au rythme calme de la campagne. Les héméralopes des jeunes générations auront eux, à affronter le monde moderne urbanisé, scientifique et technique, où le nom de Nougaret, s’il n’est pas donné en code chiffré informatisé et en code barre, n’évoquera plus rien.

Premier certificat d’exemption au service militaire de Matthieu Barral (1826) au vicomte Darmagnac
Fig. 9 - Premier certificat d’exemption au service militaire de Matthieu Barral (1826) au vicomte Darmagnac, lieutenant général commandant la 9e Division à Montpellier.

BIBLIOGRAPHIE

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Capion, Abbé A., Généalogie de la famille Nougaret de Vendémian 1637-1908, tableau synoptique des 135 cas d’une Héméralopie congénitale stationnaire affectant neuf générations successives, 1908.

Cunier, F., « Histoire d’une héméralopie héréditaire depuis deux siècles dans une famille de la commune de Vendémian prés Montpellier », Annuaire de la Société Médicale de Gand, 1838. – id, Ann.Ocul.Paris, 1,32,1838.

Dejean, Charles, Gasseng, R., « Notes sur la généalogie de l’Héméralopie Nougarienne », Bull. Soc. Ophtal. Franc. 1, 96, 1949.

Dryja Thaddeus P., Hahn Lauri B., Reboul Th., Arnaud B., “Missense mutation in the gene encoding the alpha subunit of rod transducin in the Nougaret form of congenital stationary night blindness”, Nature Genetics, july 1996, volume 13.

François, J., Verriest, G., De Rouck, A., « Les fonctions visuelles dans l’Héméralopie Nougarienne Essentielle », Ophtalmologica, 1956, pp. 132-250.

Nettleship, E., « On some Hereditary diseases of the eye », The Ophthalmoscope; 23.7.1906. Nettleship, E.,« a history of congenital stationary night blindness in nine consecutive generations », Ophthalmological Society’s transactions, Vol. XXVII, 1907, pp. 269-293. Id : traduction par l’abbé F.Corcoral, 1907b.

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Truc H.A., « Un ancien foyer provençal d’Héméralopie Nougarienne », Bull. et Mém. Soc. Franc. d’Oph., 1925, Vol. 38, pp. 1-8.

Reboul T., Arnaud B.,« L’Héméralopie Héréditaire Essentielle Nougarienne de Vendémian », Bull. Soc. Opht. France, 1994, 6-7,XCIV.

NOTES

1. Selon A. Terson 1918.

2. Tome VII, p. 76, Obs. XVIII.

3. Ici-Paris Hebdo, 25 juin/11 juillet 1951, p. 7.

4. Interview de 1951.

5. Sedan, 1885 ; Sinclair, 1905 ; Bordly, 1908 ; Raubusch, 1909…