Les structures du ministère de l’Information
en Languedoc-Roussillon à la Libération
La direction régionale de Montpellier (1944–1947)

* Docteur en Sciences de la Communication (Section Histoire) de l’Université Paris II Panthéon-Assas :
Presse et pouvoir de 1944 à 1958. Contribution à l’histoire de la presse sous la IVe République, 1993, 1390 p.

[ Texte intégral ]

Les derniers mois de l’Occupation, alors que les perspectives d’une victoire militaire sur les Allemands commençaient à se dessiner, le Gouvernement d’Alger commença à se préoccuper de ce qui allait se passer dans le pays, une fois la libération acquise. Il lui fallait notamment mettre en place une nouvelle administration, sous peine de se faire voler la victoire. Car, dans ce contexte de fin des hostilités, il n’était nullement assuré que le Général de Gaulle puisse, avec son gouvernement, faire partie de la tête de pont lancée au moment du débarquement et commencer à diriger le pays, comme si l’on était en temps de paix. Il était facile d’imaginer que les Allemands combattraient jusqu’au bout pour empêcher la renaissance des institutions démocratiques dans le pays. Il fallait aussi faire obstacle aux projets des Alliés sur ce point. A partir de 1943, les États-Unis avaient commencé à réfléchir à un gouvernement militaire des territoires occupés, l’Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT), qu’ils souhaitaient mettre en place au fur et à mesure de la libération des départements et qui devait occuper le terrain jusqu’à la tenue d’élections libres. Dans leur communication au colloque de Caen, Michèle et Jean-Paul Cointet ont également montré que « Vichy, sur sa fin, a bel et bien tenté une ultime opération de continuité et de transmission du pouvoir » 1. Restait enfin l’inconnue de la Résistance intérieure, noyautée par le Parti communiste et le Front National 2.

C’était là une perspective dont ne voulait à aucun prix le général de Gaulle. Il entendait prendre en main l’administration de la France dès la Libération. Un point de vue qui était d’autant plus partagé par la Résistance intérieure qu’elle avait réfléchi, de son côté, aux modalités de sa mise en œuvre bien avant le débarquement. Dans un rapport daté du 10 octobre 1943 qu’il avait adressé à Alger, Claude Bouchinet-Serreulles, alors délégué civil pour la Zone Nord, avait déjà fait savoir à Alger que « d’accord avec le Comité Général d’Études (CGE), nous pensons que dès à présent des administrateurs provisoires doivent se préparer à la prise en main des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Économie (y compris Ravitaillement et Transports), du Travail et de l’Information. Si là encore, les événements nous surprennent avant que soient parvenues les décisions d’Alger, ces “administrateurs provisoires” doivent être en mesure d’assurer, sur-le-champ, la direction de ces départements » 3.

Leur désignation ne fut cependant pas facile à opérer. La Résistance avait été décapitée par l’arrestation à Caluire, le 21 juin 1943, de Jean Moulin, représentant du chef de la France libre à la tête de la Délégation générale qu’il avait créée en août 1942 pour servir d’intermédiaire entre la Résistance intérieure et la France combattante. Le poste connut ensuite plusieurs titulaires successifs : Claude Bouchinet-Serreulles, Jacques Bingen, alors délégué du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) pour la Zone Sud, et le préfet Emile Bollaert le 1er septembre 1943. Arrêté le 3 février 1944, celui-ci fut de nouveau remplacé par Jacques Bingen auquel succéda Alexandre Parodi, nommé par le général de Gaulle le 10 mars 1944.

Ces « administrateurs provisoires », connus ensuite sous le nom de « secrétaires généraux provisoires » étaient, pour la plupart, des « techniciens » issus de la Résistance intérieure et ils s’étaient déjà fait connaître comme auteurs d’études et de rapports destinés à préparer les lendemains de la fin de la guerre 4. Selon l’un d’entre eux, les trois objectifs suivants leur avaient été assignés : « Préparer les mesures immédiates à prendre dès la libération du territoire ; prévoir les changements de personnels administratifs qui s’imposeront ; dégager l’orientation générale du nouveau régime » 5.

Leur travail ne fut jamais facile, non seulement en raison de la situation clandestine dans laquelle ils devaient travailler, mais encore à cause du refus des chefs des Mouvements de Résistance « d’abdiquer leurs pouvoirs entre les mains de fonctionnaires irresponsables vis-à-vis d’eux et de leurs groupes » 6. Il y avait aussi les arrière-pensées que ces Mouvements nourrissaient pour l’après-Libération. « Chacun d’eux et plus spécialement chacun de leurs chefs gardait en tête son rêve d’avenir, sa vision personnelle de ce que devrait être la France nouvelle, renaissant de sa défaite de 1940 et de ses humiliations. Et comme les rêves différaient, quelques-uns voulaient dès à présent mener et orienter le combat de telle sorte qu’il finisse, le jour venu, par imposer – et à De Gaulle lui-même – les lendemains qu’ils souhaitaient » 7. Au-delà de cette explication de la tension entre la Résistance intérieure et le CGE, apparaît aussi une différence de nature et de perspective entre les deux, comme l’a souligné Michel Debré. « D’un côté, c’est la Résistance politique qui se veut révolutionnaire ; de l’autre, la Résistance gouvernementale qui se veut d’Etat. D’un côté, les grands et vastes projets de réorganisation politique et sociale ; de l’autre, des textes précis et des nominations » 8.

Malgré la difficulté de leurs missions, ces « secrétaires généraux provisoires » réussirent à mener à bien le travail qui leur avait été demandé et, avant la fin de la période clandestine, ils purent désigner les responsables qui devaient prendre en charge chaque région au moment de l’insurrection finale, et leur indiquer la mission pour laquelle ils avaient été désignés. Il s’agissait, en province, d’un côté, des commissaires régionaux de la République dont les attributions avaient été définies par l’ordonnance du 10 janvier 1944 ; de l’autre, des commissaires régionaux à l’information dont l’appellation deviendra bien vite les délégués régionaux à l’Information et que Pierre-Henri Teitgen aura le temps de désigner avant son arrestation le 6 juin 1944.

L’histoire des commissaires de la République est assez bien connue, grâce notamment à la thèse pionnière de Charles-Louis Foulon 9, mais aussi aux témoignages de ceux qui ont occupé ces postes 10. En revanche, celle des directions régionales de l’Information n’a fait, à notre connaissance, l’objet d’aucune étude d’ensemble 11. Nous nous proposons d’évoquer ici la vie de la délégation régionale de Montpellier.

Le siège de la DRI, 16, place de la Comédie (photo 1929).
Le siège de la DRI, 16, place de la Comédie
(photo 1929).

La mise en place de la délégation

Malgré le choix du commissaire régional à l’Information durant la période clandestine, on peut facilement imaginer que la mise en place de la délégation régionale ne s’est pas faite sans quelques ajustements ou réglages au fur et à mesure qu’elle se mettait au travail. Si, dans le Cahier bleu, Pierre Henri Teitgen avait bien pris soin de préciser les deux opérations à effectuer concernant la presse dès la prise de pouvoir, l’interdiction des journaux qui avaient continué de paraître durant la guerre et leur remplacement immédiat par de nouveaux titres, cette circulaire est en revanche muette sur la mise en place d’une délégation. Au cours de nos recherches, nous n’avons rencontré aucune pièce d’archive établissant que leur création, en particulier concernant le personnel à recruter, ait fait l’objet d’une réflexion spécifique avant la fin de la guerre. Chaque responsable régional a dû créer son équipe, en lien avec le commissaire de la République, seul représentant de l’État dans chaque région immédiatement après la Libération et l’on sait que celui-ci a disposé des pouvoirs les plus étendus jusqu’à ce que les relations avec Paris aient pu être rétablies, date fixée au 13 octobre 1944, selon une décision du conseil des ministres 12.

Les délégués régionaux à l’Information

Georges Sadoul

Dans la clandestinité, Pierre-Henri Teitgen avait fait nommer Henri Noguères pour occuper le poste de délégué régional à l’Information à Montpellier, mais, peu de temps avant la libération du département, il est fait prisonnier par les Allemands à Bédarieux 13. A son arrivée à Montpellier le 9 juin 1944 14, Jacques Bounin, désigné le 3 octobre 1943 pour occuper les fonctions de commissaire régional de la République dans la région Languedoc-Roussillon, s’installe à la préfecture le 22 août, en même temps que le nouveau préfet, André Weiss 15. Devant l’absence d’Henri Noguères et sous l’influence d’Alphonse Denis, chef régional du Front national, il confie l’intérim de la délégation à l’Information à Georges Sadoul, communiste, connu dans la clandestinité sous le pseudonyme de Gautherot 16.

Né le 4 février 1904 à Nancy où son père, ami de Maurice Barrès et de Louis Madelin, fut conservateur du Musée lorrain et conseiller général des Vosges pour le canton de Raon-L’Étape, il créa à 19 ans, alors qu’il était encore étudiant, le « Comité Nancy-Paris » dont l’objectif était de permettre à la population nancéienne de rencontrer les artistes parisiens et de voir leurs productions. L’année précédente, en 1922, il avait fait la connaissance d’André Thirion, futur responsable du parti communiste à Nancy, puis à Paris, après avoir été journaliste à l’hebdomadaire communiste local, La Lorraine ouvrière et paysanne (4 décembre 1926-23 juillet 1932).

Georges Sadoul
Georges Sadoul

Tous les deux s’installèrent à Paris en 1928 et, pendant que son ami consacrait son temps au parti communiste, Georges Sadoul se laissa attirer par le Mouvement surréaliste, avant de commencer une carrière de journaliste dans la presse communiste et de réunir une importante documentation pour sa monumentale Histoire générale du Cinéma et une Histoire du cinéma mondial, qu’il publia après la Libération. Après sa démobilisation le 18 juillet 1940, il se replia à Toulouse et fut engagé dans les services administratifs des chemins de fer. Il y retrouva Louis Aragon dont il avait fait la connaissance au Mouvement surréaliste en 1925 17 et participa avec lui et d’autres écrivains, comme Paul Éluard, Stanislas Fumet, Pierre Seghers, Auguste Anglès, premier directeur régional de l’Information à Lyon à la Libération, au lancement et à la rédaction des Etoiles, journal de combat contre les occupants et Vichy diffusé dans la zone Sud. Il servit aussi d’agent de liaison dans l’organisation de la résistance intellectuelle durant les derniers mois de l’Occupation. Ce qui lui permit de nouer des contacts qu’il saura utiliser dans le Languedoc et dont profiteront les nouvelles autorités de la Libération pour établir un équilibre entre les différentes tendances politiques du moment, comme l’indique Roger Bourderon. « Sadoul avait eu pas mal de contacts avec le FN des intellectuels à Montpellier et était tout à fait qualifié pour ce poste [de directeur à l’Information].

D’autre part, sa nomination permettait de réparer une injustice : à l’exception du sous-préfet d’Alès, Laurent Spadale, aucun communiste ne se trouvait à un poste responsable important » 18.

Pendant son intérim, Georges Sadoul a été à l’origine d’un quotidien éphémère, L’Information du Languedoc, qui a paru pendant quatre jours à Montpellier entre le 21 et le 26 août 19. La population ne disposait plus d’aucun journal depuis la cessation des deux quotidiens interdits, Le Petit Méridional et L’Éclair, qui avaient été supprimés pour avoir paru durant la guerre. « Les circonstances présentes imposent pour un délai très court la publication d’un bulletin d’informations unique, notre journal », peut-on lire dans le premier numéro. L’analyse de ce type de publication, quelle que soit sa périodicité 20, montre que partout où elle a vu le jour, elle avait un même objectif : apporter les informations indispensables à la population concernant la nouvelle période qui s’ouvrait au département, au canton ou à la ville où elle était lancée. A Montpellier, avant leur départ, les troupes ennemies avaient fait sauter le central téléphonique, détruit le poste de radio et détérioré les machines dans les imprimeries, condamnant ainsi la ville à un certain isolement par rapport au reste du département et au pays en voie de libération. Il fallait donc apporter à la population un moyen de lien social, indispensable pour reprendre une vie normale. « Nous faisons une édition du soir de L’Information du Languedoc pour annoncer la prise de Paris, édition qui sera distribuée gratuitement dans la soirée. Pour l’ensemble, nous reproduisons la radio anglaise », fait savoir Georges Sadoul à Jacques Bounin 21. D’un format modeste, le journal parut sur deux pages. La première était consacrée aux informations nationales et internationales et fournit en particulier des informations sur le déroulement des opérations militaires. Au verso, les lecteurs trouvèrent les informations locales. Dans son premier numéro, le journal relatait la libération de Montpellier et donna, dans les trois numéros suivants, les informations utiles pour la vie quotidienne de chacun, en particulier le ravitaillement.

Après avoir indiqué à la « une » du premier numéro que le journal était publié sous la responsabilité du Comité Régional de Libération et qu’il était rédigé par une équipe de patriotes, membres du Comité national des journalistes, ses promoteurs annonçaient déjà aux lecteurs que sa durée de vie serait très courte. En prenant congé d’eux dans le quatrième et dernier numéro, ils expliquaient ainsi les raisons de cette parution éphémère : « L’Information du Languedoc disparaît après son quatrième numéro. Nous avons rempli notre tâche, qui était de donner à la population, avide de nouvelles, toutes celles qui pouvaient nous parvenir. Mais il était souhaitable, de l’avis unanime, que, dans le plus bref délai, les deux grandes tendances de la Résistance aient chacune leur organe. La IVe République ne veut ni du parti unique, ni du journal unique et obligatoire […] Nous cédons donc la place à deux journaux, ce qui est un premier pas vers le retour complet à la liberté de la presse. Demain dimanche, car le public est trop avide de nouvelles actuellement pour que nous puissions l’en priver un seul jour, vous demanderez à nos vendeurs le journal de votre choix : Le Midi libre, organe du Comité régional du Mouvement de Libération Nationale (MLN) ou La Voix de la Patrie, organe du Comité régional du Front National dans la lutte pour l’indépendance et la liberté de la France (F. N.). »

Tandis que Georges Sadoul retournait rapidement à Paris où il fut membre de la Commission de contrôle des films jusqu’en 1947 et professeur à l’Institut des Hautes Études cinématographiques, tout en écrivant livres et articles sur le cinéma 22, l’arrêt de L’Information du Languedoc coïncida avec le retour d’Henri Noguères à Montpellier où il prit la fonction qui lui avait été attribuée dans la clandestinité.

Henri Noguères

Il est né le 13 novembre 1916 à Bages, dans les Pyrénées-Orientales. Son père, Louis Noguères, avocat au barreau de Paris à partir de 1903, fut conseiller municipal et maire d’une commune du département, Thuir, à partir de 1930. Après quelques tentatives infructueuses pour se faire élire député, d’abord en 1931, lors d’une élection partielle, puis au renouvellement législatif de 1932 et de 1936, il représenta le département au Palais-Bourbon en 1938, à la suite de l’élection au Sénat de Joseph Parayre. Malgré l’enracinement politique de son père dans ce département, Henri Noguères passa sa jeunesse à Paris. Il fut l’élève du lycée Jeanson-de-Sailly, puis s’inscrivit à la Faculté de Droit et à la Sorbonne pour devenir avocat comme son père et son grand-père.

Henri Noguères

Également militant socialiste, il intégra la rédaction du Populaire de Paris à l’âge de vingt ans, au moment du Front populaire. Mobilisé en 1940, à la fin de son service militaire, il fut blessé dans les Ardennes et fait prisonnier par les Allemands, avant d’être rapatrié sanitaire en juillet 1941. Il acheva alors ses études de droit, s’inscrivit au barreau de Paris, puis s’engagea dans la Résistance, d’abord comme membre de l’antenne parisienne du mouvement Libération-Sud, puis comme chef régional du mouvement Franc-Tireur à Montpellier et adjoint au chef régional du parti socialiste clandestin. Sous le pseudonyme de « Mathias », il sillonna la région en vélo jusqu’à son arrestation à la veille du débarquement des troupes alliées en Provence.

Dès son arrivée à son poste, le nouveau directeur de l’Information eut à constituer son équipe de collaborateurs. Dans chaque direction régionale, ils se répartissaient en trois catégories principales : les délégués, les correspondants dans les départements rattachés à la région et le personnel de service.

Collaborateurs directs du directeur régional, les délégués, dont le nombre a varié de trois à cinq selon la taille de la direction régionale, étaient spécialisés pour s’occuper de secteurs bien déterminés comme la presse, le cinéma, l’information et la propagande ou les questions juridiques. Les correspondants, qui ont été dénommés « délégués départementaux » jusqu’au 1er décembre 1944 et dont l’appellation a été modifiée pour des raisons budgétaires, étaient l’interface sur le plan départemental pour tout ce qui concernait l’information et la propagande entre le préfet, les directeurs de journaux et de salles de cinéma. Dans les rapports qu’ils ont adressés régulièrement au ministère de l’Information, les directeurs régionaux ont insisté sur leur rôle irremplaçable. Toute la correspondance concernant le département passait par le délégué départemental et celui-ci pouvait, le cas échéant, être conduit à régler des questions d’ordre technique sur le plan local, suivant les instructions reçues de la direction régionale. Leur connaissance des situations concrètes a permis d’éviter bien des erreurs dans l’appréciation des journaux qui avaient paru sous l’Occupation, et de ceux qu’il fallait autoriser pour les remplacer. Leur rôle fut des plus importants lorsque la crise du papier, à partir de janvier 1945, obligea à suivre de très près le tirage et la vente de chaque titre et d’effectuer mensuellement les réajustements nécessaires pour l’attribution de papier à chacun.

Au moment de sa prise de fonction, chaque directeur régional s’attacha à recruter les collaborateurs qu’il jugeait nécessaires. Mais, bientôt, le ministère de l’Information voulut imposer une certaine uniformité pour des raisons économiques. Il avait fixé à douze le nombre des membres de chaque direction qui, outre le directeur régional, pourrait comprendre quatre délégués travaillant au siège central ou au chef-lieu des départements qui lui étaient rattachés, un rédacteur, un secrétaire administratif, quatre dactylos et un garçon de bureau. Lors de leur première rencontre à Paris les 17 et 18 novembre 1944, certains directeurs contestèrent le bien-fondé de cette prévision en faisant valoir que ce chiffre était nettement insuffisant, en particulier en cette période de mise en route des services où il fallait notamment analyser rapidement les journaux qui avaient continué de paraître sous l’Occupation afin de constituer les dossiers à soumettre à la Justice en vue de leur interdiction. Pour des raisons budgétaires, le ministère resta ferme sur ses positions et exigea que tous les recrutements soient soumis à son agrément. Pour le personnel administratif et de service les salaires étaient basés sur les barèmes régionaux tandis que le traitement des autres collaborateurs étaient déterminés selon la loi de Finances sur la base d’une grille d’avancement comprenant quatre échelons où les salaires variaient de 45 000 francs pour le premier échelon à 80 000 francs pour le 2e échelon 23.

La direction de Montpellier n’eut guère à souffrir de l’arbitrage ministériel. La liste qu’elle adressa le 2 décembre 1944 au ministère pour lui permettre de prendre les arrêtés de nomination, comportait treize noms. Celle qu’elle reçut en retour et qui fixait l’effectif pour le 1er janvier 1945, n’en comportait plus que douze, mais il lui était accordé des correspondants pour certains départements 24. Leurs fonctions se répartissaient comme suit : Quatre délégués : Louis Knaff qui remplacera Henri Noguères après sa démission (voir ci-dessous) ; Marcel Causse, né le 26 octobre 1906 à Fabrègues (Hérault), licencié ès-lettres et ès-sciences, professeur au lycée de Montpellier avant la guerre, chef du service des réfugiés à Montpellier à partir du 1er août 1942 et recruté le 1er novembre 1944 ; Émile Raynaud, né le 20 juin 1907 à Saint-Pons (Hérault), licencié ès-sciences (mathématiques), professeur au lycée de Bergerac (Dordogne) avant la guerre et recruté le 1er janvier 1945 ; Henri Fargue, né le 20 novembre 1920 à Laluille (Dordogne), ingénieur, chef d’atelier et directeur d’école artisanale, recruté le 20 août 1944.

Quatre correspondants : Jean Candeau pour l’Aude 25, Georges Rucheton, né à Bourges le 25 juillet 1920 et directeur du quotidien Le Rouergue républicain à la Libération, pour l’Aveyron 26, M. Martin pour le Gard 27 et Joseph Philippe pour les Pyrénées-Orientales.

Le personnel administratif comprenait une secrétaire administrative (Marie-Louise Roudil), deux sténos dactylos (Josée Vernet et Odette Pallier), un garçon de bureau (Pierre Vigouroux) et un chauffeur (Pierre Obeda).

Dans l’esprit de ceux qui avaient procédé à leur nomination, il était souhaité que le commissaire de la République et le délégué à l’Information travaillent de concert pour le plus grand bien de la région qui leur était confiée. Mais, comme en d’autres lieux, ce ne fut pas le cas en Languedoc-Roussillon. « Henri Noguères, socialiste, a été désigné, en dehors de moi, délégué à l’Information », écrit Jacques Bounin dans ses Mémoires, avec une certaine amertume 28. De son côté, Henri Noguères, après avoir rappelé qu’il était « le représentant direct pour la région du secrétaire général provisoire à l’Information » et que sa fonction était « de réaliser dès que ce serait matériellement faisable, c’est-à-dire, si possible, en pleine insurrection, la substitution d’une presse nouvelle, issue de la Résistance, à la presse de collaboration, le remplacement des équipes rédactionnelles, la mise en service d’un émetteur radio couvrant la région, la création d’un bureau de l’Agence France-Presse et l’organisation, dans la région, de la propagande », expliquait ainsi l’existence de divergences entre les deux fonctions. « Il est indéniable que certains commissaires de la République, par ailleurs si libres de leurs choix, n’ont apprécié que très modérément – en raison justement du caractère très politique de la fonction, et peut-être aussi en pensant aux perspectives d’avenir offertes aux dirigeants de la future presse – que le choix du responsable régional de la presse, de l’information et de la propagande leur soit ainsi imposé. D’autant que ce choix ne tenait aucun compte des orientations politiques du commissaire de la République et que ces représentants directs du secrétaire général à l’Information avaient reçu de celui-ci des directives impératives, précises et détaillées qu’ils entendaient bien appliquer, que cela plaise ou non… 29 »

Cette mésentente entre les deux représentants du gouvernement dans la région Languedoc-Roussillon eut évidemment des conséquences fâcheuses sur le fonctionnement de la direction régionale à l’Information. Tout se passait comme si le commissaire de la République voulait refuser toute collaboration avec Henri Noguères et prendre ses décisions sans tenir compte de l’existence de ses services, comme le montrent quelques événements.

Il y eut d’abord l’affaire des quotidiens marseillais diffusant des éditions dans la zone d’influence des quotidiens de l’Hérault. Dans une circulaire datée du 5 octobre 1944 et adressée aux délégués régionaux de l’Information, la direction de la presse au ministère de l’Information avait indiqué qu’en raison de la pénurie de papier, les journaux de province étaient invités à ne paraître provisoirement que sur une demi-page. Les quotidiens marseillais refusèrent d’obtempérer et continuèrent à paraître sur grand format sur toute leur zone de diffusion, provoquant ainsi une concurrence déloyale avec les deux quotidiens héraultais, Midi libre et La Voix de la Patrie. Afin de faire valoir leurs droits, ils provoquèrent le 21 octobre 1944 à Marseille une réunion des directeurs de quotidiens de la région Provence-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon et, au terme de la rencontre, ils publièrent un communiqué commun dans lequel ils affirmaient notamment : « Les représentants de la presse quotidienne de la région de Marseille (sept départements) et du Languedoc-Roussillon (six départements), après avoir examiné la question du format de la presse de province, déclarent qu’il ne s’agit pas d’une question de petit ou de grand format, mais uniquement d’un principe de la liberté d’expression de la Résistance française. Ils soulignent que les patriotes ont montré pendant quatre ans, en risquant leur vie pour assurer la diffusion de tracts et de journaux clandestins, le prix qu’ils attachent à la liberté de l’esprit français. » Devant cette situation, Jacques Bounin riposta en menaçant de faire saisir tous les journaux vendus dans les départements relevant de l’autorité de son commissariat qui ne se conformeraient pas à la décision ministérielle, en informa le commissaire de la République et le directeur de l’Information à Marseille, mais semble avoir tenu Henri Noguères dans l’ignorance de ses projets.

Autre illustration des mauvaises relations entre les deux hommes, les arrêtés portant réquisition des biens de L’Éclair et du Petit Méridional qui avaient été interdits quelques jours après la libération de Montpellier par l’arrêté du commissariat en date du 31 août 1944 30. L’ordonnance du 22 juin 1944 prescrivait en son article premier deux mesures à l’égard de tous les journaux et périodiques qui avaient appliqué les consignes des Allemands ou du gouvernement de Vichy : leur suspension et leur mise sous séquestre. Mais la fin du deuxième alinéa de cet article prévoyait aussi que « le commissaire à l’Information pouvait demander toute mesure de réquisition à l’égard de toute imprimerie de presse ou autre […] ayant servi à l’impression […] des journaux et périodiques visés au 1er alinéa ». C’est la mesure qui frappa les deux quotidiens montpelliérains, L’Éclair, le quotidien conservateur publié du 10 décembre 1881 au 20 août 1944, et le Petit Méridional, son concurrent de gauche, qui a paru du 19 mars 1876 au 21 août 1944. Le 23 août, un journaliste lyonnais, Fernand Nugue 31, se présenta à L’Éclair, assisté d’un agent de police et muni d’un ordre de réquisition cosigné du commissaire de la République et du délégué à l’Information à titre provisoire 32. Mais, deux mois plus tard, lorsque furent publiés les deux arrêtés stipulant en leur article premier la réquisition des deux journaux interdits pour être mis à la disposition de Midi libre et de La Voix de la Patrie, ce n’est pas Henri Noguères qui fut chargé de l’application des deux arrêtés, mais le préfet 33.

En présence de telles conditions de travail, Noguères préféra démissionner pour laisser la place à l’un de ses collaborateurs, Louis Knaff, et il retourna à Paris 34.

Louis Knaff

Les archives consultées sont muettes sur la date exacte de la nomination de Louis Knaff, mais la correspondance d’Henri Noguères permet de la situer de manière assez précise. Dans une lettre datée du 24 octobre 1944, il rappelle au ministre de l’Information que, lors de son dernier voyage à Paris, il lui avait fait part de sa décision de se démettre de ses fonctions de délégué régional, mais qu’il attendrait pour quitter Montpellier d’avoir trouvé un successeur. Son choix se porta sur son collaborateur direct, Louis Knaff, qui, jusque-là, avait en charge les questions de presse. Suivant les instructions de Michel de Boissieu, chef de cabinet du ministre à Paris, et avec l’accord de Jacques Bounin à Montpellier, celui-ci avait déjà été installé provisoirement comme délégué régional et n’attendait plus que l’agrément du ministre. Le 1er novembre, il était installé dans ses nouvelles fonctions et l’invitation qui lui fut adressée début novembre à se rendre à Paris eut pour objet de le confirmer officiellement à ce poste 35.

Né le 7 mars 1910 à Luxembourg, Louis Knaff avait dirigé avant la guerre le quotidien de langue française Luxembourg et avait collaboré régulièrement à d’autres titres comme Marianne et L’Europe nouvelle, tout en apportant son concours à des organes canadiens, américains et belges. Engagé volontaire pendant la guerre, il refusa de reprendre son activité journalistique à sa démobilisation et s’engagea dans la résistance active. Il fut alors arrêté par la Gestapo et incarcéré durant onze mois à la prison de Fresnes 36. A sa libération, il se replia sur Montpellier où il fut chargé du service des Réfugiés et rejoignit le Corps franc de la Montagne noire. Il y servit, selon le témoignage d’Henri Noguères, « avec le grade de lieutenant jusqu’à la Libération ». Ce qui lui valut d’être décoré, à la fin des hostilités, de la croix de guerre avec palme pour son action dans le maquis 37. C’est également durant l’Occupation qu’il fut naturalisé français par décret du 22 avril 1941 38.

La situation qu’il connut à sa prise de fonction n’était guère brillante. Déjà, dès son entrée en fonction, Henri Noguères avait dû réquisitionner les locaux de l’ancienne Agence Havas, si exigus que l’on dut chercher très vite un autre local. Celui-ci fut trouvé, début janvier, place de la Comédie. Il était vaste et bien situé, mais il fallut le réaménager et le meubler entièrement pour répondre aux attentes du service de l’Information. La démission d’Henri Noguères, après seulement quelques semaines, le désorganisa totalement dans la mesure où la plupart de ses collaborateurs quittèrent également leurs postes.

Le changement de titulaire à la direction de l’Information ne semble guère avoir eu d’influence sur les prétentions de Jacques Bounin de continuer à vouloir tout diriger. Après le départ d’Henri Noguères et deux mois après avoir été informé que les autorisations de paraître des journaux n’étaient plus de sa responsabilité, mais de celle du ministère de l’Information en lien avec le directeur de l’information chargé d’instruire le dossier de chaque titre, il s’étonnait encore que Béziers Républicain ait pu recevoir une autorisation de paraître de la part du ministère sans qu’il ait été consulté 39. Dans la même lettre, il demandait aux services locaux de l’Information de « laisser paraître les journaux pour lesquels une demande était en cours jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur cas » alors que la direction de l’Information à Paris exigeait qu’ils soient interdits jusqu’à ce qu’ils aient reçu une autorisation régulière, sous peine d’être poursuivis au regard de l’article 15 de l’ordonnance du 30 septembre 1944 selon lequel « est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 10 000 francs, ou de l’une de ces deux peines seulement, toute publication d’un journal ou écrit périodique suspendu ou qui n’aurait pas obtenu l’autorisation de paraître ».

Trois mois après la Libération, la situation juridique des journaux qui avaient bénéficié d’une autorisation provisoire de la part du Comité régional de presse était toujours aussi floue. Ce Comité, dont la compétence s’étendait sur les cinq départements de la région Languedoc-Roussillon et sur l’Aveyron, avait été institué par un décret de Jacques Bounin, en date du 27 septembre 1944 40. La création de ces comités dans chaque région était stipulée par l’article 3 de l’ordonnance du 22 juin 1944 et, durant la période insurrectionnelle, il leur appartenait, en lien avec les pouvoirs régionaux, d’autoriser la publication des quotidiens et des périodiques souhaités par chaque département. Mais lorsque les stocks de papier qui leur avaient été alloués commencèrent à s’épuiser, les directeurs de journaux s’adressèrent aux autorités en place pour qu’il leur soit attribué un nouveau contingent. Or, le ministère de l’Information ne pouvait répartir aux journaux régulièrement autorisés que la quantité qui était mise à sa disposition par le ministère de la Production industrielle. Pour une répartition aussi juste que possible, il lui fallait donc connaître les autorisations délivrées dans chaque département.

Le 10 mars 1945, le nouveau directeur régional alertait le commissaire de la République pour l’informer qu’au moins treize publications paraissaient dans la région dont la demande avait été rejetée ou qui n’avaient sollicité aucune demande de parution : L’Écho de l’Hérault41 à Pézenas, L’Avenir agathois42 et Saint-Pons libre43 dans l’Hérault ; L’Aveyron libre à Rodez et La Renaissance du Peuple à Millau dans l’Aveyron ; Le Journal des Travailleurs de Saint-Ambroix et Relèvement à Nîmes, dans le Gard ; L’Écho de Narbonne, La Basoche, Le Midi commercial et industriel et La Tribune sociale à Narbonne, La Gazette de l’Aude à Carcassonne et Le Limouxin à Limoux, dans l’Aude 44. La réaction de Jacques Bounin ne se fit pas attendre. Dans sa réponse, quatre jours plus tard, il indiquait qu’il venait d’écrire à ces journaux en leur demandant de cesser immédiatement de paraître, sous peine d’être saisis s’ils n’obtempéraient pas à cet ordre. Le même jour, il écrivait aux préfets de ces quatre départements pour leur faire part de sa décision 45.

Saint-Pons libre, 1er septembre 1945
Saint-Pons libre, 1er septembre 1945

Par ailleurs, l’occupation des anciens locaux de L’Éclair par les deux quotidiens autorisés à Montpellier suscitait également des inquiétudes telles que Jean Lecanuet, alors inspecteur au ministère de l’Information, se résolut à alerter son nouveau ministre – « Les irrégularités d’ordre juridiques interfèrent avec les difficultés d’ordre politique et mettent en péril l’existence et la validité des deux principaux journaux de Montpellier » – et de lui proposer de s’y déplacer « afin d’étudier sur place cette situation complexe et d’être en mesure d’apporter les éléments possibles de solution » 46.

Après quelques mois à la tête de la direction régionale, Louis Knaff souhaita se démettre de ses fonctions. Il en avait fait part au ministre, en même temps qu’à Jean Lecanuet, par lettre du 5 juillet 1945, souhaitant qu’elle soit effective à partir du 1er août, mais, en même temps, qu’on lui accordât quinze jours de congé à partir du 15 juillet 47. Il voulait revenir en Alsace où il s’était vu proposer la direction administrative du Journal d’Alsace48. Malgré toutes les difficultés rencontrées, il pouvait néanmoins établir un bilan assez positif de son action. Les chiffres indiqués dans le rapport qu’il a adressé au ministère de l’Information le 14 juillet 1945, permettent d’évaluer le travail accompli. « Pendant les mois de novembre et décembre 1944, 56 dossiers ont été constitués, soumis au Comité régional de presse et transmis au ministère ; 39 pendant le premier trimestre 1945. Pendant le deuxième trimestre, toutes les autorisations accordées antérieurement ont fait l’objet de révisions. Actuellement, 112 dossiers sont en instance : 17 refusés par la Commission de la presse ; 15 ajournés en raison des circonstances ; 17 en suspens devant la Commission ; 12 font l’objet d’enquêtes et 51 ont été transmis au ministère. 49 »

Avant de quitter son poste, il conseilla au ministère de le remplacer par Marcel Causse, qu’il se proposait de préparer plus spécialement à sa future responsabilité si sa candidature était agréée par le ministère. Mais les socialistes avaient un autre candidat, Jean Bène.

L’hypothèse Jean Bène et l’intérim de Marcel Causse

Fils d’un petit courtier et propriétaire viticole, Jean Bène est né le 12 juillet 1901 à Pézenas. Après ses études secondaires au lycée de Béziers, il s’inscrivit à la faculté de droit à Montpellier où il obtint sa licence qu’il prolongea par deux DES, l’un en droit public et l’autre en droit privé. Il s’inscrivit ensuite au barreau de Béziers en 1932, ouvrit un cabinet dans sa ville natale, tout en continuant à s’occuper du vignoble familial.

Il fit son entrée en politique en 1929 sur une liste socialiste à l’occasion des élections municipales des 5 et 12 mai où il fut élu avec trois autres colistiers. À l’intérieur du conseil municipal, il mena un travail de sape contre la gestion du maire radical, en particulier par ses articles dans Le Devoir socialiste, l’organe bimensuel, puis hebdomadaire du parti socialiste créé à Nézignan-l’Évêque le 6 juin 1909. Il ambitionna de devenir maire à l’occasion de l’élection partielle des 21 et 28 juin 1931 où les candidats socialistes connurent quelques succès, mais il fut sévèrement battu par le candidat radical et il dut attendre le 3 août 1932 pour accéder à la charge suprême à l’intérieur du conseil municipal, profondément transformé à l’occasion d’une nouvelle élection complémentaire le 10 juillet. Il fut de nouveau élu en 1935 et conserva son siège jusqu’en 1941, avant d’être révoqué par Vichy. Il le retrouva en mai 1945, fut battu en 1947, mais de nouveau régulièrement élu aux consultations qui eurent lieu entre 1953 et 1971, avant de se retirer de la vie municipale en 1977. Les électeurs héraultais lui confièrent encore d’autres mandats. Il fut conseiller d’arrondissement à partir de 1931, conseiller général de 1945 à 1979 et en présida l’assemblée durant toute cette période. Il eut, en revanche, moins de chance aux élections législatives où il fut battu en octobre 1945, en juin et en novembre 1946. Il devint cependant conseiller de la République à l’occasion de la consultation du 27 décembre 1946 et il fut régulièrement élu à la deuxième Chambre jusqu’au 24 septembre 1962.

Jean Bène, Midi Libre.
Jean Bène, Midi Libre.

Il fut mobilisé au début de la guerre dans un régiment de l’infanterie coloniale. À sa démobilisation en août 1940, il reprit son poste de maire, avant de rejoindre les rangs de la Résistance dans les rangs de Combat, puis dans le Mouvement Libération. En 1943, il devint responsable du Noyautage des Administrations Publiques (NAP), tout en assumant la direction départementale du parti socialiste clandestin et du Comité Départemental de Libération, constitué le 28 juin 1944. A la fin de l’Occupation, il commanda le maquis de la Tourette, implanté dans la zone montagneuse au nord-ouest de Béziers, qui désorganisa les forces allemandes lors de leur repli vers le nord, entre le débarquement de Normandie, le 6 juin, et la fin août 1944. Au lendemain de la Libération, il se distingua sur le plan local par son attitude politique, n’étant pas un partisan sans conditions de l’unité des partis.

Au cours de leurs différents congrès, à la fin de l’année 1944 et au début de 1945, la plupart des Mouvements et des partis politiques manifestaient une tendance à l’union pour entreprendre la reconstruction du pays. Le 27 octobre 1944, lors d’une assemblée à Paris, de nombreux délégués du Mouvement de Libération Nationale (MLN) avaient proposé, en accord avec le Front National (FN), la création d’un « Front de la Libération Nationale » afin de continuer à manifester devant le pays cette unité qui avait prévalu durant l’Occupation pour chasser le gouvernement de Vichy et les occupants allemands. Au début de janvier 1945, la section du MLN de la région lyonnaise était encore allée plus loin en proposant de réaliser une fusion organique avec le FN. Ses adhérents entrevoyaient la possibilité de solliciter les grands partis et les Mouvements spirituels tels que les partis communiste, socialiste et radical, les organisations chrétiennes et les grandes centrales syndicales pour qu’ils s’unissent autour du « Front de la Libération nationale » pour réaliser un programme sur lequel ils se seraient mis d’accord. Par ailleurs, le parti communiste et le parti socialiste étaient aussi arrivés à une entente pour travailler ensemble, en particulier pour hâter l’épuration, lors d’un comité d’entente le 8 janvier 1945 à Paris.

Ce désir d’union, qui se manifestait un peu partout dans le pays, connut cependant un arrêt brutal lors du premier congrès national du MLN tenu à Paris du 23 au 28 janvier 1945. Déjà dans un congrès régional tenu la veille, les 21 et 22 janvier, Robert Salmon, membre du Mouvement Défense de la France durant l’Occupation sous le pseudonyme de « Tenaille » et, à la Libération, directeur du quotidien du même nom que le Mouvement avant de se transformer en France-Soir avec Pierre Lazareff, avait fait adopter une motion qui excluait toute fusion entre le MLN et le FN. Il préconisait seulement une simple fédération de certains Mouvements de Résistance, de partis politiques et de centrales syndicales. Le 26 janvier, avec le concours d’André Malraux, de Jacques Baumel, d’André Philip et de Philippe Viannay, il fit triompher sa motion fédéraliste contre la tendance fusionniste voulue par le FN. Cependant, si le comité national comporta dès lors des majoritaires et des minoritaires, ce choix ne fut pas suivi dans tous les départements, en particulier dans le sud, où, bien souvent, les minoritaires fusionnistes furent majoritaires par rapport aux fédéralistes. Jean Bène fit partie de ces derniers et resta fidèle à la majorité du parti socialiste qui commençait aussi à prendre ses distances par rapport au parti communiste. Cette position n’échappa pas à Jules Moch, figure éminente du parti de Léon Blum dans le département de l’Hérault qu’il avait représenté à la Chambre des Députés à la suite d’une élection partielle en mai 1937, avant d’être membre de l’Assemblée consultative et d’être réélu député après la Libération. Il voyait dans le maire de Pézenas une personnalité capable de contrebalancer l’influence des communistes et de leurs alliés s’il était nommé à la tête des services de l’Information. Dès la démission de Louis Knaff connue, Jean Bène semble avoir immédiatement fait savoir qu’il était candidat à sa succession, selon une lettre de François Missa, également datée du 5 juillet et adressée à René Thibault, chef de Cabinet dans le ministère de Jacques Soustelle (30 mai-21 novembre 1945) auprès duquel il appuya sa candidature 50. D’ailleurs, celle-ci semblait faire l’unanimité. Jean Lecanuet, qui l’avait rencontré lors de sa visite à Montpellier déclarait qu’il « lui avait fait la meilleure impression ». De son côté, Jacques Bounin était catégorique, lorsqu’on lui objectait que l’appartenance du maire de Pézenas au parti socialiste pourrait manifester quelque partialité dans un service officiel à vocation régionale. Il estimait « que cette objection ne pouvait être retenue et que M. Bène était à tous points de vue le candidat inespéré qu’il y avait lieu de retenir » 51. L’ancien titulaire du poste, Henri Noguères, plaidait également en sa faveur en faisant valoir qu’il « était le seul candidat capable à la fois de tenir ce poste avec efficacité et de faire l’unanimité sur son nom » 52. Dans ce concert unanime d’avis favorables pour que Jean Bène soit nommé à la tête des services de l’Information, Jules Moch demanda d’attendre un peu pour rendre officielle cette nomination, le temps de régler une autre affaire que la fédération départementale du parti socialiste suivait avec la plus grande attention et pour laquelle le nom de Jean Bène était également cité, l’affaire de Midi libre. Celle-ci trouva son dénouement le 11 octobre 1945 avec la constitution d’une société anonyme et la nomination du maire de Pézenas comme directeur politique du journal 53.Comme l’avait demandé Jules Moch, le nom de Jean Bène ne fut pas évoqué comme candidat à la succession de Louis Knaff tant que l’affaire de la création de la société éditrice de Midi libre n‘avait pas trouvé une solution et, durant trois mois, Marcel Causse assura l’intérim. Il avait l’avantage d’être originaire de Montpellier et d’être bien introduit dans tous les milieux de la région. Vincent Auriol avait plaidé sa cause auprès des services de l’Information. Son épouse était par ailleurs rédactrice au Populaire du Languedoc, l’organe hebdomadaire de la fédération socialiste. Bien que titulaire de deux licences, il n’avait cependant aucune compétence juridique. Son intérim ne se fit pas sans difficultés dont on peut mesurer l’étendue à travers la lettre qu’il adressa le 15 septembre 1945 au cabinet du ministre de l’Information 54. Le départ de Louis Knaff avait créé un vide qui n’avait pas été comblé et ses responsabilités venaient s’ajouter à celles que Marcel Causse avaient assumées depuis son entrée à la direction régionale. Il lui fallait désormais assurer l’administration générale de la direction régionale, coordonner le travail des délégués départementaux et des correspondants, maintenir des contacts réguliers avec les directeurs des différents services de l’administration et les directeurs de journaux, se tenir au courant des diverses activités politiques, économiques et culturelles de la région. Enfin, lors de sa visite d’inspection à Montpellier, Jean Lecanuet s’était rendu compte que les locaux de la direction de l’Information n’étaient pas adaptés pour le travail qui lui était demandé et, sur ses conseils, Marcel Causse avait fait dresser des plans et établir les devis nécessaires pour effectuer les transformations souhaitées. Mais, pour leur réalisation, il fallait la signature de l’administration centrale. Or celle-ci tardait à venir et s’expliquait tant que le ministre n’avait pas arrêté sa décision sur le nombre et la répartition des directions régionales 55.

La suppression de la direction de Montpellier et son rattachement à Toulouse

Au début du deuxième semestre de 1945, la nécessité de faire des économies s’imposait à l’ensemble du gouvernement. Fin juillet, le ministère de l’Information s’était mis d’accord avec le ministère des Finances pour une réorganisation de son département. S’il demandait la création d’une cinquième direction à l’intérieur du ministère, il était prêt, en revanche, à ramener les dix-neuf directions régionales créées à la Libération à treize, qui porteraient désormais le titre de directions interrégionales 56. La proposition prit effet avec la publication de l’arrêté du 19 novembre 1945. En même temps que les directions d’Angers, Châlons-sur-Marne, Laon, Metz et Orléans, celle de Montpellier se trouva aussi supprimée. Quatre des six départements qui la composaient, l’Hérault, l’Aude, l’Aveyron et les Pyrénées-Orientales, furent rattachés à la direction de Toulouse, et la Lozère à celle de Clermont-Ferrand. L’un d’entre eux, le Gard avait été oublié dans la nouvelle répartition publiée dans l’arrêté du 19 novembre. Ce qui n’échappa pas aux services du commissaire de la République lorsqu’ils reçurent notification des changements intervenus. L’omission fut vite corrigée par le rattachement de ce département à la direction de Marseille. Pour la formation de ces nouvelles régions, le ministère avait tenu compte des zones de diffusion de la presse et des axes ferroviaires, comme devait le révéler Jacques Chaban-Delmas, alors secrétaire général au ministère de l’Information, affirmant aux directeurs régionaux réunis à Paris les 14 et décembre 1945 sur « un ton cassant et presque méprisant » : « Si vous arrivez à plusieurs à vous mettre d’accord et à présenter des raisons valables et convaincantes en vue de la modification, de la rectification d’une frontière, je ne suis pas du tout opposé à tenir compte de vos observations de la manière la plus complète et la plus rapide. Mais je vous le dis nettement : c’est la première et la dernière fois 57. »

Au moment de la réduction du nombre des directions régionales, la direction de Toulouse était assurée par Jean Peyrade. Comme celle de Montpellier, elle avait également connu auparavant deux titulaires, Etienne Borne et René Laporte, dont leur successeur, à partir du 1er décembre 1944, a établi ainsi des portraits contrastés : « Etienne Borne m’annonça le 1er octobre qu’il allait reprendre son enseignement à la khâgne du lycée car il estimait avoir rempli sa mission, et que René Laporte lui succéderait. J’aurais donc travaillé à l’Information avec deux hommes très différents. D’abord, le philosophe, puis le romancier. Né dans une famille d’industriels toulousains, René Laporte, « monté » à Paris à vingt ans pour tenter une carrière littéraire, avait nagé dans les eaux du surréalisme, publié des recueils de poèmes et des romans, dont Les chasses de novembre, prix Interallié 1936,et Où passent des anges. À Toulouse, pendant la guerre, il avait composé L’an quarante et diffusé des plaquettes des Éditions de Minuit, tandis que Borne, auteur d’un ouvrage sur Le travail et l’homme, écrivait Pour le temps de la douleur et diffusait les Cahiers ou le Courrier du Témoignage chrétien. Borne, homme de devoir, de rigueur, de courage, était foncièrement désintéressé. Laporte, homme de fantaisie, d’improvisation, aimait l’argent et savait le faire fructifier. 58 »

Chef routier des scouts de France auxquels il a consacré une quinzaine d’ouvrages, l’auteur de ces lignes est né le 27 décembre 1913 à Bordeaux où son père était employé des postes, et il s’est marié le 23 octobre 1940 avec Marguerite Marie Odette Le Duff à Brive (Corrèze) 59. Proche du jésuite Paul Doncoeur, rédacteur à la revue Les Études et « mentor d’une jeunesse catholique » 60, il fut, avant la guerre, journaliste à La Liberté du Sud-Ouest, le quotidien catholique que Paul Duché, fondateur de L’Express du Midi à Toulouse, puis directeur du Nouvelliste de Bordeaux, fit paraître dans la capitale aquitaine du 3 mars 1909 au 28 août 1944. Il y a publié, de 1936 à 1938, une série d’articles très critiques à l’égard du régime national-socialiste allemand 61. Durant la guerre, il fit partie du bureau toulousain des Chantiers de Jeunesse dont il démissionna pour protester contre la décision prise par le gouvernement de Vichy de mettre les jeunes des Chantiers à la disposition de l’organisation Todt. Porté sur les listes de fonctionnaires à envoyer en Allemagne, il entra dans la clandestinité et assura, sous le commandement du capitaine Join-Lambert, de l’État-Major clandestin R4, des liaisons avec les maquis de la région. Il collabora aussi à Demain, l’hebdomadaire que Jean de Fabrègues, rédacteur en chef, puis directeur de La France catholique après la guerre, a fait paraître à Lyon du 1er février 1942 au 2/9 juillet 1944 62. Dès sa prise de fonction, Etienne Borne avait réussi à obtenir son détachement du commissariat régional à la jeunesse à Toulouse pour en faire son directeur adjoint. Il devait ensuite faire une brillante carrière dans les services du ministère de l’Information, puis dans les services du gouvernement 63.

Les modifications apportées par l’arrêté du 19 novembre 1945 au nombre des directions régionales de l’Information eurent pour conséquence de rendre immédiatement sans objet la question de la nomination de Jean Bène et de mettre fin à l’intérim exercé par Marcel Causse à la tête de cette direction. Sa suppression eut également des conséquences douloureuses pour le personnel qui y était employé et qui se trouva désormais réduit à un délégué, Julien Tardieu, assisté d’une auxiliaire de bureau. Marcel Causse et Émile Raynaud furent remis à la disposition de leur ministère d’origine, l’Éducation nationale, à partir du 1er janvier 1946. Ce qui ne manqua de susciter de vives tensions entre eux et le ministère de l’Information. Ils firent remarquer que, dans une note laconique les informant qu’ils allaient être de nouveau rattachés à l’Éducation nationale, « le secrétaire général [du ministère de l’Information] n’avait pas cru devoir leur exprimer à cette occasion ni regrets pour une collaboration interrompue, ni un mot de remerciements pour les services rendus » 64. Émile Raynaud signala aussi qu’à la suite de sa nomination de Bergerac à Montpellier, son épouse, employée à la SNCF, avait réussi à obtenir sa mutation à Béziers et que la fin de son engagement à la direction de Montpellier allait mettre un terme à ce rapprochement familial difficilement obtenu un an plus tôt. Mais ce fut Marcel Causse qui fut le plus touché par l’évolution de la situation et qui manifesta le plus sa mauvaise humeur.

La fermeture de la direction de Montpellier lui enlevait tout espoir de succéder à Louis Knaff, avec le titre de directeur régional. Jusqu’à son retour au ministère de l’Éducation nationale à partir du 1er janvier 1946, ses responsabilités se trouvèrent immédiatement amputées de son autorité sur le délégué des Pyrénées-Orientales, désormais directement rattaché à la direction interrégionale de Toulouse. Son salaire, qui continua de lui être réglé par le ministère de l’Information jusqu’au 31 décembre 1945, se trouva aussi diminué de la prime de 1 000 francs qui était allouée mensuellement au directeur régional pour frais de représentation. Il essaya de s’élever contre la décision prise en manifestant sa mauvaise humeur dans l’exercice de ses fonctions jusqu’à la fin de l’année. Dans une note au ministre de l’Information pour lui demander de l’exclure à tout jamais des cadres du ministère, Jean Lecanuet lui faisait sept griefs, parmi lesquels son refus de transmettre au directeur régional de Clermont-Ferrand les archives de la Lozère qui lui était désormais rattaché, et le développement d’une campagne de presse contre le ministère de l’Information dans le quotidien Midi libre et l’hebdomadaire satirique Le Tigre où il avait publié un article virulent sous le titre « La politique de l’artichaut ». Il y écrivait notamment : « On a, sans préavis ni indemnité, licencié le personnel directorial ; on dirait bien qu’on l’a “ remercié ” si on avait pensé en haut lieu à lui témoigner quelque gratitude pour les services rendus. Mais on n’y a pas pensé. Il ne reste plus qu’un directeur départemental et une dactylo dans les deux pièces qui demeurent des anciens locaux de la Place de la Comédie… Oh ! la bien nommée… ! 65 » Jules Moch, alors ministre des Travaux publics et des Transports dans le Deuxième Ministère du Général de Gaulle, essaya, mais en vain, de plaider sa cause auprès de son collègue de l’Information, André Malraux. A partir du 1er janvier 1946, il reprit ses cours au lycée de Montpellier et, pour arrondir ses fins de mois, chercha des appoints au Tigre, à l’Agence France-Presse et à l’Agence de presse de La Liberté, dirigée par les socialistes.

En proposant de réduire à treize le nombre des directions de l’Information, le ministère de Jacques Soustelle entendait rester dans les limites des crédits budgétaires qui lui avaient été accordés, tout en répondant à des développements de ses services en France et à l’étranger, notamment par la création de deux nouvelles directions : celle des services étrangers d’information et celle de la documentation et de la diffusion 66.

Pour le personnel dans son ensemble, la loi de finances du 31 décembre 1945 ne faisait plus ressortir qu’un effectif budgétaire, pour l’année 1946, de 74 délégués au lieu de 80, 14 rédacteurs au lieu de 20 et 120 auxiliaires au lieu de 140 prévus par l’ordonnance du 31 décembre 1944. En outre, en application des instructions émanant du ministère des Finances, le ministère de l’Information se proposait de faire des compressions budgétaires d’un montant de 11 423 000 francs sur les crédits de fonctionnement des directions interrégionales. Ce qui ramenait le budget annuel de ces services de 34 787 000 francs à 23 362 000 francs 67. A Montpellier, la réduction du personnel à un délégué et à une auxiliaire de bureau nécessita des locaux moins importants. La délégation ne conserva plus que deux bureaux et un débarras, soit un tiers de la superficie précédemment occupée. Ce qui permit de ramener les charges locatives annuelles de 28 500 francs à 9 500 francs 68. A la suite de la décision du ministère de supprimer tous les centres d’information et de documentation sur le sol national 69, celui de Montpellier, situé 26, rue de la Loge, fut fermé à partir du 21 mars 1946 et contribua encore à augmenter les économies réalisées dans l’ancienne direction régionale.

***

La loi du 29 juillet 1881 a consacré en France la liberté de la presse et, jusqu’en 1939, le pays n’avait jamais estimé nécessaire de se doter d’un ministère de l’Information. Dans leur rôle d’information, les journaux pouvaient rendre compte de l’action des gouvernements et des débats du Parlement et, le cas échéant, publier les communiqués que le gouvernement leur adressait. « Il y a une incompatibilité fondamentale et absolue entre propagande et démocratie, déclarait en 1938 Camille Chautemps, alors vice-président du Conseil des Ministres. La meilleure propagande, la seule dont puisse s’accommoder un peuple libre, consiste à bien gouverner. » A l’approche de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement Daladier se dota cependant dans un premier temps d’un Commissariat général à l’Information, dirigé par Jean Giraudoux, qui fut supprimé lorsque Paul Reynaud devint président du Conseil, le 21 mars 1940. Son cabinet comporta un ministère de l’Information, confié dans un premier temps à Ludovic-Oscar Frossard, puis à Jean Prouvost le 6 juin suivant, avant que le poste de ce dernier ne soit supprimé à son tour par le maréchal Pétain lorsqu’il accéda au pouvoir le 17 juin. Il le remplaça, deux jours plus tard, par un haut-commissariat à la Propagande qui fut d’abord placé sous l’autorité du chef du gouvernement, avant de connaître différentes évolutions durant l’Occupation, comme l’a montré Philippe Amaury dans sa thèse de doctorat 70.

Bien entendu, la Résistance et les nouvelles autorités de la Libération ne voulaient à aucun prix reconduire ce régime basé sur une propagande dont elles n’avaient cessé de combattre l’influence par les papillons, les tracts, la presse clandestine ou la radio. Mais, dans le même temps, il fallait résoudre les problèmes du moment et, concernant l’Information, empêcher la presse collaboratrice de continuer à paraître, la remplacer par de nouveaux titres et mettre en place de nouvelles structures pour la radio, le cinéma et la publicité. Ce fut le rôle du ministère de l’Information, heureusement secondé par les directions régionales de l’Information où personne n’eut jamais le statut de fonctionnaires, mais seulement celui de contractuels. Elles couvraient l’ensemble du pays de leur autorité et, par la compétence et l’abnégation de leurs responsables, elles ont permis de répondre aux besoins d’information de la population, malgré les difficultés de la tâche dues notamment à la pénurie du papier presse et à la vétusté de la plus grande partie du matériel contenu dans les entreprises. Durant l’exercice de leur mission, elles ont été davantage les témoins que les responsables de l’échec de la Résistance à se doter d’une presse puissante qui aurait défendu les idéaux pour lesquels elle s’était battue durant l’Occupation dans sa lutte contre le gouvernement de Vichy et l’occupant allemand. La vie reprit très vite son cours normal et, au gré des premières consultations électorales, les partis reprirent leur place à l’intérieur du pays, marginalisant progressivement les structures mises en place à la Libération. Les commissariats de la République furent supprimés par la loi du 26 mars 1946. La fin des directions régionales à l’Information fut également programmée par le décret du 13 novembre 1947 qui fixa au 30 juin 1948 leur suppression définitive. Désormais, ce furent les préfectures qui se chargèrent de régler toutes les questions concernant l’information, en lien avec les services des différents ministères. Celui de l’Information perdit aussi progressivement de son importance, devenant bientôt un simple secrétariat d’État dépendant de la présidence du Conseil avant d’être rattaché au ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres pendant quelques mois en 1947 et, plus tard, au ministère de l’Industrie.

NOTES

1. Cointet, Michèle, Cointet, Jean-Paul, « L’hypothèque de Vichy », Le rétablissement de la légalité républicaine (1944). Actes du colloque organisé par la Fondation Charles de Gaulle, la Fondation nationale des Sciences politiques, l’Association française des constitutionnalistes (et la participation de l’Université de Caen), Bruxelles, Ed. Complexe, 1996, p. 279.

2. Berstein, Serge, « L’arrivée de De Gaulle à Paris », Le rétablissement de la légalité républicaine…, Id., p. 357-372 ; voir aussi Buton Philippe, Les lendemains qui déchantent. Le parti communiste à la Libération, Paris, Presses de la Fondation Nationales des Sciences Politiques, 1993, p. 36-166.

3. Cité dans Hostache, René, Le Conseil National de la Résistance. Les institutions de la clandestinité, Paris, PUF, 1958, p. 202-203.

4. Cf. Bellescize, Diane de, « Intervention au sujet de la communication de M. Hostache », Comité d’Histoire de la 2e Guerre Mondiale, La Libération de la France. Actes du colloque international tenu à Paris du 28 au 31 octobre 1974, Paris, Ed. du CNRS, 1976, p. 419-420.

5. Teitgen, Pierre-Henri, « Faites entrer le témoin suivant ». 1940-1958 : de la Résistance à la Ve République, Rennes, Ed. Ouest-France, 1988, p. 52.

6. Rapport de Simon à André Philip, cité dans Hostache, René, Op. cit, p. 225.

7. Op. cit., p. 63-64.

8. Debré, Michel, Trois Républiques pour une France. Mémoires. Tome 1 : Combattre, Paris, Albin Michel, 1984, p. 199.

9. Le pouvoir en province à la Libération. Les commissaires de la République 1943-1946, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques/Armand Colin, 1975, 301 p.

10. Deux d’entre eux, Pierre Bertaux et Henry Ingrand, ont raconté la libération de leur région dans la collection « La Libération de la France » dirigée par Henri Michel : Libération de Toulouse et de sa région, 1974, 283 p. ; Libération de l’Auvergne, 1974, 206 p. Un troisième volume, Libération de la Bourgogne, devait être écrit par Jean Mairey, mais ne semble avoir jamais vu le jour. Pour la région Poitou-Charentes, voir Jean Schuhler, Je m’étais réservé l’espérance, 1938-1959, Paris, Ed. Lanore, 1979, 304 p. ; pour la région Pays de Loire, cf. Michel Debré, Op. cit., p. 307-347 ; pour le Languedoc-Roussillon, cf. Jacques Bounin, Beaucoup d’imprudences, Paris, Stock, 1974, 254 p.

11. On lira cependant avec profit le livre d’Henri Fréville, qui fut, pendant un temps, délégué à l’Information à Rennes, La presse bretonne dans la tourmente, 1940-1946, Paris, Plon, 1979, 379 p., et la contribution de Maurice Le Nan : « Les directions régionales de l’Information et l’épuration de la presse française, 1944-1948 », Godechot, Jacques (dir.), Regards sur l’histoire de la presse et de l’information. Mélanges offerts à Jean Prinet, conservateur en chef honoraire du Département des Périodiques de la Bibliothèque Nationale, Saint-Julien-du-Sault, Les Presses saltusiennes, 1980, p. 159-167.

12. Circulaire n° 41 du ministère de l’Intérieur aux commissaires de la République, AD Ille-et-Vilaine, 43 W 123.

13. « Arrêté à Bédarieux et utilisé comme otage – ou plutôt comme bouclier – j’ai été contraint d’“éclairer ”la marche d’une colonne SS de la Luftwaffe entre Bédarieux et Béziers, avec, sur la tan-sad de ma “500 culbutée”, comme on disait alors, un Feldwebel dont le parabellum restait braqué sur mon dos » (Noguères, Henri, Degliame-Fouché, Marcel, Histoire de la Résistance en France, tome 5 : juin 1944-mai 1945, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 604, note.

14. Bounin, Jacques, Op. cit., p. 138.

15. Polytechnicien et docteur en droit, André Weiss est né à Paris XVIe le 4 juillet 1899. Il est remplacé à son poste de préfet de l’Hérault le 23 décembre 1947, puis nommé directeur de l’administration générale au Ministère de l’Éducation Nationale. Il est décédé à Paris le 19 juillet 1950.

16. Pour l’ensemble de sa biographie, voir Racine, Nicole, « Sadoul Georges », Maitron en ligne.

17. Cf. Thirion, André, Révolutionnaires sans révolution, Paris, Actes Sud, 1999, p. 118-144.

18. Bourderon, Roger, Libération du Languedoc méditerranéen, Paris, Hachette, 1974, p. 197.

19. Les quatre numéros du journal ont été numérisés par les Archives départementales de l’Hérault et sont consultables sur Internet.

20. Sur les caractéristiques de cette presse éphémère, voir nos deux articles : « Les quotidiens de transition à la Libération », Le Temps des Medias, automne 2007, p. 193-206 ; « La presse périodique de transition à la Libération », Revue de la Bibliothèque Nationale de France, n° 25, 2007, p. 36-43.

21. Lettre reproduite dans Jacques Bounin, Op. cit., p. 152.

22. « A sa mort le 13 octobre 1967 à Paris, le parti communiste lui organisa des obsèques solennelles, au siège des Lettres françaises où un hommage lui fut rendu : le Tout-Cinéma y côtoya les instances officielles » (Racine, Nicole, Op. cit.).

23. AN, F 41 2687. Cela représentait en euros, valeur en 2016, de 5 644 à 10€033 .

24. Lettre du 27 décembre 1944 du ministère de l’Information au directeur régional, AN, F 41 374.

25. Lettre du directeur régional de l’Information à Montpellier au directeur de Midi libre, AD Hérault (AD 34) 524 W 4.

26. AN – CAC, 1986 0510/45.

27. Nous n’avons pu établir avec précision s’il s’agit de Georges Martin, bijoutier, directeur de La Chronique nîmoise, hebdomadaire d’annonces légales et judiciaires, artistique et littéraire, et futur membre du « syndicat professionnel des directeurs de journaux de la presse hebdomadaire du département du Gard », fondé en 1951 (AN – CAC 1986 0510/52).

28. Id., p. 141.

29. Noguères, Henri, Degliame-Fouché, Marcel, Op. cit, p. 218-219.

30. Bulletin officiel du Commissariat régional de la République à Montpellier, n° 2, 12 septembre 1944, p. 15.

31. Les annuaires de la presse d’avant-guerre le signalent comme journaliste au quotidien Lyon républicain.

32. AD 34, 999 W 234.

33. Article 3 des deux arrêtés datés du 25 octobre 1944 (AD 34, 1000 W 323).

34. A partir de 1946, il fut directeur du journal parlé à la radio, puis rédacteur en chef au Populaire de Paris jusqu’en 1949. A cette date, il fit partie de l’équipe fondatrice de l’Agence Centrale de Presse Parisienne dont il fut le rédacteur en chef, et participa aussi à la création d’Europe n° 1 en 1954. En 1959, il devint rédacteur en chef de la revue Aux Carrefours de l’Histoire (1960-1964) avant d’intégrer les Éditions Robert Laffont où il fut directeur administratif et directeur des collections historiques de 1962 à 1966, puis secrétaire général des Éditions Flammarion, de 1966 à 1976. A côté d’autres travaux historiques, il devait lui-même, en collaboration avec Jean-Louis Vigier et Marcel Degliame-Fouché, publier en cinq tomes aux Éditions Robert Laffont entre 1967 et 1981 une monumentale Histoire de la Résistance en France. En 1977, il se réinscrivit au barreau de Paris et, du 1er mai 1975 au 31 décembre 1983, où il ne souhaita pas renouveler son mandat, il remplaça Daniel Mayer à la présidence de la Ligue des droits de l’homme. Le 9 avril 1988, il devint vice-président du conseil de surveillance de la société éditrice de Politis-Le Citoyen, un hebdomadaire de gauche que Bernard Langlois, ancien éditorialiste au Matin de Paris, a commencé à faire paraître à partir du 21 janvier 1988. En mai 1990, il entra au Conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur avant de décéder quelques mois plus tard, le 14 décembre 1990.

35. Lettre du 6 novembre 1944 – Courrier départ du bureau du cabinet, AN F 41 2726.

36. Il eut plus de chance que son futur beau-frère, Marcel Galot, décédé au camp de Flossenburg. Cf. Midi libre, 26 juin 1945.

37. Note du 24 octobre 1944 d’Henri Noguères au ministre de l’Information, AN, F 41 359.

38. Journal officiel de l’État français. Lois et décrets, n° 117, 27 avril 1941, p. 1804.

39. Lettre du 12 décembre 1944 au directeur de l’Information, AD 34, 999 W 235.

40. Décret n° 251, Bulletin officiel du Commissariat régional de la République à Montpellier, n° 17, 5 octobre 1944, p. 85.

41. Lancé le 14 décembre 1884 par L. Pioch, L’Écho de l’Hérault a arrêté sa parution le 21 octobre 1944. Depuis 1942, il était dirigé par A. Déro qui avait succédé à M. Fortunet. Pour remplacer le journal interdit, son directeur voulut publier L’Écho de Pézenas qui, semble-t-il, n’a jamais vu le jour.

42. Sur ce titre, voir notre article « De L’Avenir agathois à L’Agathois. Une exception à la “ table rase ” de la presse à la Libération », Études héraultaises, n° 44/2, 2014, p. 43-53.

43. Le début de la parution de Saint Pons libre, successeur de L’Echo de Saint-Pons créé en 1871 (3 septembre 1871, 1ère année, n° 19), ne peut être établi avec précision en raison du caractère lacunaire des collections connues. Le premier numéro conservé aux Archives départementales de l’Hérault est daté du 1er septembre 1945 (2e année, sans indication de numérotation). La collection de la BNF commence avec le numéro du 19 juillet 1947 (2e année, n° 54). Les renseignements fournis par la direction du journal dans le questionnaire rempli à l’occasion de la demande d’autorisation de paraître datent sa création du 11 novembre 1944, sous la responsabilité du Mouvement de Libération local (AD 34 8 W 6 ; AN F 41 1600). Selon le directeur de la presse au ministère de l’Information, une lettre d’autorisation de paraître envoyée à la signature du ministre en juillet 1945 revint dans ses services sans la signature demandée (Note du 16 novembre 1945). D’autre part, dans une correspondance du 11 mars 1946 avec le ministère de l’Information, le bureau de presse du MLN national indique que « depuis la libération, Saint-Pons libre sort régulièrement sans que jamais l’autorisation de paraître qui a été demandée pour lui, lui ait été accordée officiellement. En conséquence, il paraît par suite d’une autorisation orale et d’une tolérance » (AN F 41 1600).

44. AD 34, 999 W 35.

45. AD 34, Id.

46. AN, F 41 359. A partir du 30 mai 1945, Pierre-Henri Teitgen, nommé ministre de la Justice à la place de François de Menthon, avait cédé sa place à Jacques Soustelle au ministère de l’Information.

47. AN, F 41 359.

48. Pour une brève présentation de ce quotidien, cf. Lorentz, Claude, La presse alsacienne du XXe siècle. Répertoire des journaux parus depuis 1918, Strasbourg, Bibliothèque Nationale et Universitaire, 1997, p. 197-203.

49. AN, F 41 385.

50. AN, F 41 359. « Un coup de téléphone de mon ami Jean Bène, président du CDL, maire de Pézenas, résistant de la première heure, attaché au BCRA, me fait connaître qu’il pose sa candidature à la succession de Knaff. Je me permets d’appuyer chaleureusement cette candidature car il n’en est pas de plus sympathique dans la région. Jean Bène est avocat, parfait administrateur et est une des figures les plus attachantes de la Résistance languedocienne ».

51. Opinion de Jean Lecanuet dans une note du 19 juillet 1945 au secrétaire général des services de l’Information (AN, F 41 2882, Courrier départ du bureau du cabinet 30 mai 1945-3 août 1945).

52. Note du 21 juillet 1945 de M. Laurent, chargé de mission, pour le secrétaire général, AN, F 41 2882, id.)

53. Sur cette affaire, nous renvoyons à l’article très fouillé de Pierre Mazier, « Midi libre : naissance d’un quotidien régional à la Libération », Études héraultaises, n° 45, 2015, p. 125-147.

54. AN, F 41 359.

55. Cf. Lettre du 24 septembre 1945 de Jean Lecanuet à la direction régionale de Montpellier, AN, F 41 2731, Courrier départ du bureau du Cabinet (22 septembre-18 octobre 1945).

56. Ordonnance du 23 octobre 1944, JO, 24 octobre 1944, p. 1072-1073. En son article 2, cette ordonnance ne mentionne que dix-huit directions régionales. La dix-neuvième, celle de Metz, fut créée en mars 1945, mais M. Ducrot ne rejoignit jamais son poste de directeur régional. Henri Maire, ancien rédacteur au Progrès de la Somme et membre de l’Organisation Civile et Militaire durant l’Occupation, pressenti pour le remplacer, refusa également le poste. C’est finalement Raymond Reitter qui y fut nommé à partir du 1er septembre 1945.

57. Confidence et archives de Maurice Le Nan, ancien directeur interrégional à Rennes, à l’auteur à l’occasion de la rédaction de sa thèse.

58. Peyrade, Jean, Sur fond de laine. Témoignage sur le vécu quotidien des années quarante, Paris, Ed. Editic, 1994, p. 80.

59. État civil de Bordeaux.

60. Avon, Dominique, Paul Doncoeur s.j. (1880-1961) : un croisé dans le siècle, Paris, Ed. du Cerf, 2001, 393 p.

61. « La race », « L’État totalitaire », « Impressions d’Europe centrale », « La personne humaine en péril », « Le calvaire de la jeunesse catholique allemande », « L’éducation raciste » (Cholvy, Gérard, Histoire des organisations et mouvements chrétiens de jeunesse en France (XIXe-XXe siècle), Paris, Ed. du Cerf, 1999, p. 280).

62. Cf. Auzépy-Chavagnac, Véronique, Jean de Fabrègues et la jeune droite catholique. Aux sources de la Révolution nationale, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, p. 370.

63. Il fut nommé inspecteur général, lorsque les services extérieurs de l’Information furent supprimés à partir 30 juin 1948 (décret du 13 novembre 1947), puis chef de bureau des études à la Direction de la Documentation du Secrétariat général du Gouvernement. Il est décédé à Carcassonne (Aude) le 16 mars 2003.

64. Lettre du 17 décembre 1945 de M. Causse au ministre de l’Information, AN, F 41 2688/2.

65. Midi libre, 28 décembre 1945.

66. JO, 22-23 octobre 1945, p. 6833.

67. Courrier aux directions interrégionales (1er septembre 1945-15 janvier 1946), AN, F 41 376.

68. Lettre du 8 janvier 1946 du délégué départemental à l’Information au commissaire de la République, AD 34, 999 W 233.

69. Ce fut l’une des mesures prises pour effectuer des économies supplémentaires à la suite du télégramme du 8 février 1946 adressé par M. Crepey, directeur de l’administration générale, à tous les directeurs interrégionaux  (Courrier aux directions interrégionales (15 janvier-31 mai 1946, AN, F 41 377).

70. Amaury, Philippe, De l’Information à la Propagande d’État. Les deux premières expériences d’un « ministère de l’Information » en France, Paris, LGDJ, 1969, 875 p.