Midi Libre : Naissance d’un quotidien régional à la Libération

* Historien

Avant-propos

Pierre Mazier prépara, durant les années d’Occupation, une licence d’histoire et de géographie à la Faculté des Lettres de Montpellier où il eut des maîtres prestigieux, tels qu’Augustin Fliche ou Henri-Irénée Marrou. Beaucoup plus tard, il travailla dans un des services de Midi Libre, et sa formation initiale amena le directeur du journal, Maurice Bujon, à le mandater pour écrire une histoire de Midi Libre. Pour des raisons de circonstances, l’étude réalisée en 1988 par Pierre Mazier ne fut pas publiée. Un historique du journal fut rédigé et publié en 1995 sous la direction de Félix Torres à l’occasion des 50 ans du quotidien.

L’étude de Pierre Mazier ne fait cependant pas double emploi avec le livre de Torres. A mi-chemin entre la distanciation de l’étude historique et l’engagement du chroniqueur happé par la dynamique et le romanesque de la saga journalistique, elle bénéficia de l’accès aux archives et de la collaboration de tout le personnel en activité ou retraité dans les années 1980 ; elle propose un récit très vivant, mais également précis et détaillé, des premières années du journal. C’est pourquoi, il a paru intéressant d’en extraire la substance d’un article relatant les péripéties de la naissance du nouveau quotidien montpelliérain, travail de réécriture et de mise à jour que Pierre Mazier a bien voulu effectuer pour notre revue. [La Rédaction.]

Introduction

Comment Midi Libre devient-il, fin 1944, le premier journal régional, au détriment de parutions diverses qui ont pour la plupart disparu ? Quelles influences politiques, quelles ambitions professionnelles expliquent cette émergence ? Dans quel contexte ?

Durant toute la IIIe République, Montpelliérains et Héraultais ont eu à leur disposition deux quotidiens rivaux, Le Petit Méridional et L’Éclair. Le premier représentait les courants républicains et radical-socialiste partisans d’un progrès social modéré ; le second était l’expression des milieux conservateurs et plus précisément royalistes, très présents dans la région. Ces deux journaux avaient su étendre leur zone d’influence sur une dizaine de départements et pouvaient atteindre jusqu’à l’Ariège, le Tarn ou la Haute-Provence. Leur succès avait réduit à la portion congrue les autres organes de presse, locaux ou diffusés depuis l’extérieur de la région, comme La Dépêche de Toulouse.

La période de l’Occupation, du fait des contraintes de la censure, et de l’acceptation du régime de Vichy par les administrateurs, a sinon rapproché du moins conduit à des positions assez communes, les deux journaux concurrents, ce qui les a entraînés dans la même chute. Leur disparition à la Libération a donné naissance à de nouveaux titres de presse, tout à la fois en rupture et pourtant aussi en continuité avec eux. C’est sur la base logistique de l’Éclair que se construit, non sans péripéties, son successeur, Midi Libre, paru le 27 août 1944 pour la première fois. Né à la Libération, Midi Libre ne cessera de progresser et deviendra le plus grand quotidien de la Région.

En voici les acteurs, et le récit de leur entreprise.

Surgis de l’ombre

La fondation de Midi Libre est l’œuvre d’une équipe ; d’une équipe solide, aux compétences complémentaires, très vite devenue une équipe d’amis. Les hommes qui l’ont constituée, peu nombreux, ont joué un tel rôle dans la genèse de ce journal qu’il convient, à notre avis, de faire, dès maintenant, connaissance avec eux.

Mais présentons-les déjà !

Jacques Bellon, politique, visionnaire, professionnel, le patron charismatique ;

Maurice Bujon, professionnel, gestionnaire, le patron opérationnel ;

Albert Marsal, journaliste expérimenté, formé à L’Éclair ;

Emmanuel Gambardella, écrivain, journaliste, très bon diplomate ;

Madeleine Rochette, subtile scientifique, qui règle les cas difficiles ;

Georges Campredon, linotypiste, formé à L’Éclair, connaît le monde ouvrier ;

Ernest de Varenne, journaliste, apporte son expérience de L’Éclair

Jean Connillière, journaliste, vient lui du Petit Méridional.

Comme au théâtre antique où l’on ne s’embarrasse pas de subtilités, faisons les venir, à tour de rôle, sur le devant de la scène.

Jacques Bellon

De son véritable nom Armand Labin, est né à Bucarest le 20 janvier 1906. Non sans humour, il avançait quelquefois qu’un certain légionnaire romain Labinus, dont le nom est fixé à tout jamais sur la colonne Trajane et qui avait fait partie des troupes envoyées par Trajan pour coloniser la Roumanie pouvait fort bien être son lointain ancêtre 1. Ce qui est sûr, c’est que son père, Saniel Labin, bourgeois aisé, dirigeait, à Bucarest, avant 1914, deux journaux libéraux et francophiles. Comme il était, de plus, président fondateur de la Ligue des droits de l’homme, il devint rapidement la cible d’une droite nationaliste et antisémite. Condamné à mort par les Allemands en 1916, il avait été sauvé grâce à l’intervention de l’ambassadeur des USA, mais avait dû s’exiler avec sa famille. Accueilli par la Suisse puis par la France, il fut à nouveau traqué par la police allemande après l’armistice de juin 1940 et s’embarqua pour les États-Unis où il devint le conseiller très écouté du président Roosevelt pour les problèmes terriblement compliqués d’Europe Centrale.

Le jeune Armand Labin commence ses études au Lycée de Lucerne puis, à partir de 1919, les poursuit en France au Lycée Condorcet et au Lycée Janson de Sailly. Après quoi, son baccalauréat en poche, il s’installe au quartier latin et s’inscrit à la Sorbonne où il obtient plusieurs certificats d’histoire et de philosophie. Cet éclectisme inquiète son père qui demande à Albert Bayet : « En ferons-nous un historien, un philosophe ou un journaliste ? » Rassurant, le futur fondateur de la Fédération Nationale de la presse clandestine, répond : « Je ne sais quelle voie il choisira mais on en fera quelqu’un » 2. La vocation d’Armand Labin va, en fait, s’affirmer très rapidement. En 1927 – il a 21 ans –, il abandonne l’université et devient journaliste. Entré à l’Agence économique et financière, il est rapidement distingué par son directeur qui lui confie d’importants reportages d’abord en Allemagne où, dans des articles clairvoyants et courageux, il dénonce la montée du nazisme, ensuite en Angleterre et en Europe Centrale.

En 1935, il se débarrasse d’un encombrant service militaire effectué en Roumanie comme 2e classe, au 11e régiment d’artillerie de campagne 3. A son retour en France, en 1936, il reprend ses activités journalistiques : mission à Ankara où il se fait un ami de l’ambassadeur de France, Henri Ponsot, qui admire son dynamisme ; collaboration, outre l’Agence économique et financière avec le Petit Parisien, l’Agence Fournier et l’hebdomadaire Paris-Balkan. Son intelligence et son entregent lui permettent de s’introduire dans les milieux parisiens de la politique et de la presse. Il se fait un nom.

La guerre de 1939 arrive. Il formule immédiatement une demande d’engagement et sollicite le bénéfice de la loi prévoyant la naturalisation française en faveur des engagés des pays limitrophes. Mais les blindés allemands vont plus vite que son dossier. Persuadé à juste titre qu’il est fiché par la Gestapo en raison de son action antihitlérienne de 1933 et antimunichoise de 1938, il quitte la capitale le 13 juin 1940 pour Limoges. Au cours d’un voyage à Nantes, il est repéré et arrêté par les Allemands mais leur fausse compagnie au bout de cinq jours 4. Le 23 août 1940, il trouve le temps de se marier avec Denise Hulmann, dont le divorce avec un magistrat, Jacques Bellon, remonte à 1932 et qui, en décembre 1941, lui donne un fils. Le ménage s’installe d’abord à Vichy où Armand qui est membre professionnel de la presse étrangère collabore avec le périodique américain Of commerce, puis, toujours menacé, à Lyon, où il arrive au début de 1941. (Fig. 1)

Armand Labin dit Jacques Bellon
Fig. 1 - Armand Labin dit Jacques Bellon

C’est à Lyon qu’Armand Labin entre en contact avec la Résistance, particulièrement active dans la région. Il change de nom et, comme sa femme lui avait fourni une carte d’identité de son ancien mari, il devient, sans le moindre complexe, Jacques Bellon et, par la force des choses, le restera jusqu’à sa mort. Le magistrat ne semble d’ailleurs pas s’en être offusqué outre mesure. Plus tard, les deux hommes se rencontrent à Paris dans une exposition. Et, à Maurice Bujon qui se trouve là, le directeur présente son homonyme : « Voici Jacques Bellon… le vrai ! » 5 Jacques Bellon – le faux – mène donc, en 1942 et 1943, une existence de militant actif : il collabore au journal clandestin La Marseillaise, organise des filières, participe à la fabrication de faux papiers.

A Lyon aussi, il rencontre Madeleine Rochette qui, sous les ordres du grand historien Marc Bloch (dit Narbonne) milite avec courage et intelligence au mouvement Franc-Tireur. Mais la « capitale de la Résistance » ne pouvait échapper longtemps aux investigations de la milice et de la Gestapo. Bellon doit mettre sa famille à l’abri à Bourg en Bresse. Le 12 mars 1944, Marc Bloch est arrêté ; il est exécuté le 16 juin. Une nouvelle fois, Bellon doit s’enfuir. Il se réfugie à Carcassonne chez Lucien Roubaud, professeur de lycée et chef régional du MLN 6. Il y retrouve Madeleine Rochette qui, elle aussi, a échappé de justesse à la Gestapo et qui devient la collaboratrice de Roubaud. Le trio Roubaud, Bellon, Rochette va jouer un rôle très important dans la mise en place de la presse régionale libérée.

En août 1944, Jacques Bellon, à 38 ans, est au mieux de sa forme. Il connaît à fond son métier de journaliste ; il a voyagé, souffert, vécu, établi de nombreux contacts et se sait armé pour poursuivre dans la presse une grand carrière. De taille moyenne, avec une légère tendance à l’embonpoint, les yeux d’un bleu clair, les cheveux blonds attaqués par une calvitie naissante, il séduit par la subtilité de son expression, peut-être aussi par un accent roumain prononcé qui pimente ses propos. Son dynamisme est contagieux ; c’est un entraîneur d’hommes. Séduisant mais tenace, ouvert à la discussion mais inébranlable dans ses décisions, tel est l’homme dont Albert Bayet dira, à l’heure des adieux, le 6 juillet 1956 : « il employait toutes les caresses de l’esprit jusque dans les rigueurs de la controverse. » 7

Maurice Bujon

Maurice Bujon est, lui aussi, un journaliste professionnel. Il est né à Narbonne d’un père originaire de la Loire, officier d’active tombé sur le front de Verdun en septembre 1916, et d’une mère issue d’une vieille famille narbonnaise. Orphelin très jeune, il est élevé par sa grand-mère jusqu’à la fin des hostilités avant d’être pris en mains par un tuteur énergique, son oncle, le général Audema qui veille sur ses études. Après le collège Beauséjour à Narbonne, c’est le collège Saint François Régis à Montpellier, l’Institut Marcadier Bayrou, le Lycée de Montpellier. Bachelier mathématiques élémentaires et philosophie, il prépare l’École Navale au Lycée Saint-Louis. Il décroche une licence en mathématiques et son diplôme de lieutenant au long cours. Mais la crise de la marine l’oblige à chercher ailleurs son avenir.

Son cousin Robert Audema, le fils du général, rédacteur en chef au Petit Méridional, le prend comme rédacteur : il sera journaliste. Tout à son nouveau métier qui le passionne très rapidement, notre jeune journaliste trouve toutefois le temps de fréquenter les cours des Facultés de lettres et de droit et d’acquérir les diplômes de licencié ès lettres et licencié en droit. Il est également correspondant du journal Lyon Républicain, du Petit Journal, de l’Agence Havas et de l’Agence Fournier. Mobilisé en 1939, dans la marine de guerre où il avait fait son service militaire, il embarque immédiatement sur un cuirassé pour Gibraltar et Mers El Kébir. C’est la drôle de guerre. Démobilisé, il retrouve son poste au Petit Méridional. Le climat y est pesant. Il en souffre et commence par adopter une attitude de résistance passive, refusant d’assister à des manifestations germanophiles et d’en assumer le compte rendu. Mais, rapidement, il passe à l’action directe.

A l’université de Montpellier, des professeurs réputés comme Teitgen, Marres, Antonelli, Bouvier entretiennent la flamme de la Résistance. Une poignée d’étudiants et de bénévoles suit leur exemple. Maurice Bujon distribue des tracts, ces tracts ronéotypés des premiers temps où l’on pouvait lire : « à copier vingt fois et à faire circuler », puis des journaux clandestins ; traque de trop célèbres « collaborationnistes » ; participe à l’organisation de filières pour le maquis et pour l’Angleterre, et à la fabrication de fausses cartes d’identité pour jeunes gens en rupture de STO, et pour des résistants recherchés par la milice ou la Gestapo. Devenu chef départemental adjoint des MUR, il a pris le nom de guerre de Bucard, pied de nez au trop célèbre fondateur du Francisme. Dans le cadre du plan insurrectionnel, il est désigné, en 1943, pour s’emparer à la Libération du Petit Méridional, Ferdinand Paloc devant parallèlement s’emparer de L’Eclair 8.

En février 1944, de nombreux résistants sont « vendus ». La Gestapo vient l’arrêter. Il parvient à s’enfuir. Cet épisode est si caractéristique de l’époque que nous ne pouvons nous empêcher, dût sa modestie en souffrir, de citer l’intéressé : « C’était un soir de février 1944. On frappa à la porte de l’immeuble de la rue de Verdun où j’habitais. J’avais entrouvert la fenêtre. La rue était déserte. Une traction avant était arrêtée devant la porte mais son moteur tournait au ralenti. J’ai compris. En quelques minutes, j’ai révélé à ma femme médusée que j’étais « de la Résistance » et que je devais partir sur le champ. Je descends l’escalier obscur. J’ouvre la porte. La rue était normale. Deux hommes armés de torches me demandent : « Est-ce là qu’habite Maurice Bujon ? » Je leur «réponds : « oui, au 5e étage, mais ne vous trompez pas, ne prenez pas le couloir de gauche. C’est à droite, après quelques marches. » « Où-allez-vous ? », me demandent-ils. « J’ai un ausweis. Je vais à la pharmacie pour mon enfant malade ». Ils s’en contentent ; ils s’engouffrent dans l’escalier. Quant à moi, je descends dans la rue de Verdun aussi naturellement que possible. Je n’en vois pas le bout mais toute précipitation pourrait m’être fatale. J’arrive, enfin, au coin. Je prends mes jambes à mon cou. Je passe dans un appartement de la rue Frédéric Mistral. Je brûle des papiers et je vais à la gare prendre un train, le premier qui passe est le bon. Il va vers « le Nord ». J’avais un point de chute dans un maquis mais une trahison a fait le vide. Il va me falloir renouer des liens ».

Maurice Bujon se cache pendant quelques temps à Charlieu près de Roanne puis reprend contact avec un maquis de la région. C’est là qu’on ira le chercher, à la Libération, pour prendre le poste de rédacteur en chef de Midi Libre. (Fig. 2)

Maurice Bujon
Fig. 2 - Maurice Bujon

Il est prêt. Servi par un physique de charmeur, ce grand jeune homme brun de 34 ans qui a déjà derrière lui 10 ans de métier doit à sa formation polyvalente esprit de finesse, esprit de géométrie et sens du commandement. D’une grande probité intellectuelle, il ne craindra pas, le 13 décembre 1944, – l’heure est encore aux jugements expéditifs –, de témoigner en faveur de son ancien directeur du Petit Méridional, Georges Soustelle, traduit devant la Cour de Justice de Montpellier : « J’ai toujours considéré M. Soustelle comme un bon républicain. Parvenu au faîte de sa carrière, il tenait à rester le président de la Presse française, afin, disait-il, de faire contrepoids à Luchaire. Il n’a rien fait « pour imposer à ses collaborateurs une politique collaborationniste ». Il savait même que certains d’entre eux faisaient partie de la Résistance et ne les a nullement découragés. Quand j’ai été obligé, en février 1944, de quitter Montpellier, poursuivi par la police allemande et la police de M. Marty, il a fait en sorte que mon mois soit payé à ma famille » 9. Tel est Maurice Bujon.

Albert Marsal

Albert Marsal a vu le jour le 5 février 1910, au sein d’une vieille famille montpelliéraine où le culte de la tradition se marie avec une vive sensibilité artistique transmise de génération en génération. Son grand-père, Édouard Marsal, artiste peintre et majoral du Félibrige, a donné son nom à une rue de Montpellier. Son père, Louis Marsal, entré au Journal L’Éclair en 1903, y a poursuivi, pendant cinquante ans, une carrière de rédacteur. Lui-même, attiré à son tour par le dessin a été élève des Beaux-Arts avant son service militaire. Affecté à un régiment de génie, au Maroc, il est séduit par le miroitement de nouveaux paysages et la splendeur des nuits marocaines. Il veut être peintre. Mais au retour, son père préféra lui voir prendre une orientation moins aléatoire. C’est ainsi qu’Albert Marsal débuta dans le journalisme comme dessinateur de publicité à l’Echo de Paris avant d’entrer à L’Éclair, en 1932, en qualité de photograveur.

Mobilisé en 1939, le sergent Marsal est fait prisonnier en juin 1940 dans la Somme, et emmené en Allemagne. En juillet 1941, il s’évade une première fois de l’Oflag VI-D à Munster (Westphalie). Il est repris quatre jours auprès en Hollande et, ramené au camp, subit les traditionnelles représailles. Cela ne l’empêche pas de récidiver le 19 août 1942. Après un périple de 16 jours à travers l’Allemagne, la Belgique, la Hollande et la France occupée, il arrive enfin à Bourg-en-Bresse où il est démobilisé. Il reprend son service à L’Éclair mais ce n’est pas, sa journée accomplie, pour rester dans ses pantoufles. Dès le mois de novembre 1942, il entre au réseau de résistance NAP à Montpellier. De mai 1943 à mai 1944, il est agent de liaison du chef départemental des MUR et accomplit, sous le nom de guerre de Marceau un certain nombre de missions aussi dangereuses les unes que les autres mais qui le mettent en contact avec quelques grands noms de la résistance, tels que le chef régional des MUR, de Chambrun. Ce n’est pas tout : de novembre 1942 à juillet 1944, il appartient à un réseau de renseignements allié. (Fig. 3)

Albert Marsal
Fig. 3 - Albert Marsal

En mars 1944, la Résistance régionale, plusieurs fois décapitée, mais toujours renaissante, a besoin, à l’approche des heures décisives, d’un solide réseau de liaisons pour préparer l’insurrection nationale. Le 7 mars, Marsal – devenu Amiot pour brouiller les pistes –, est nommé par le chef régional, Jacquemin, responsable des bureaux de liaison et de transmission des MUR. Pendant les six mois qui précèdent la Libération, il va régler l’acheminement du courrier, recevoir et redistribuer des tracts, subsides et journaux clandestins en collaboration avec la résistance des PTT, et surtout ventiler du haut en bas de la hiérarchie des ordres d’action de plus en plus fréquents. Il est un des rares à connaître le plan insurrectionnel établi par le COMAC.

Albert Marsal est un enfant de la balle. Depuis 1903, la famille est à L’Éclair. Nourri dans le sérail, il en connaît les détours ; ainsi, au jour J, il sera le plus qualifié pour séparer le bon grain de l’ivraie et assurer un passage en souplesse des anciennes aux nouvelles structures. C’est, par tradition familiale, un homme de droite. Mais, de cette fraction de la droite qui n’a jamais accepté l’occupation allemande et pour qui seule comptait la libération du territoire national. Pour ce patriote rigoureux, il ne pouvait y avoir de plus grande priorité.

Emmanuel Gambardella

Emmanuel Gambardella est né à Sète, le 3 juillet 1888. Sa famille est d’origine génoise. Au collège de la ville, il se distingue par de brillants résultats scolaires, mais surtout par un goût prononcé pour les activités sportives ; il excelle dans l’équipe de l’établissement et, dès 1904, crée l’Association sportive cettoise où il joue en équipe première. Très vite, il participe avec Georges Bayrou à l’organisation naissante du football régional. Parallèlement, il se met à écrire, dans d’amusantes revues locales, des articles légers et pleins d’humour où il met en scène les personnalités du cru. Il taquine la muse, et s’essaie au théâtre. Enfin, il se lance dans le journalisme dans la presse régionale qui s’ouvre aux chroniques sportives. Seuls, le service militaire de 1910 au 38e RA de Nîmes et la mobilisation de 1914 interrompront cette triple carrière naissante d’homme de lettres, de journaliste et de dirigeant sportif.

Il écrit comme il respire. Sa production littéraire est très variée. Comédies représentées en séances privées, comme Le mariage de Mimi, Un congrès international, Cinq à sept ; vaudevilles comme Heures d’été ; voire opérettes du style de Le prince de par là-bas qui, en 1923, triomphe à la Scala de Bordeaux. Il produit au total 18 œuvres en 5 ans ; il fait partie de la Société des auteurs et compositeurs lyriques. Il ravitaille en contes de nombreuses publications parisiennes, mais s’essaie aussi à la poésie et à la chanson.

Journaliste confirmé, il écrit dans l’Information méridionale et participe à la création, dans les années 30, d’un troisième quotidien à Montpellier, le Sud, crée par le célèbre abbé Trochu qui veut développer en Languedoc l’idéal de la démocratie chrétienne. Mais, bien entendu, il se produit surtout dans des publications sportives telles que le Languedoc sportif ou France football. Il s’est fait un nom dans le monde du football où il culminera de 1948 à 1953, année de sa mort, comme Président de la Fédération française du football. En 1939, Gambardella, installé à Montpellier, occupait un poste important chez le concessionnaire Peugeot, avenue de Toulouse. (Fig. 4)

Emmanuel Gambardella
Fig. 4 - Emmanuel Gambardella

En 1944, à 56 ans, ce spécialiste du football a conservé son allure sportive. « Sa tête est énergique, droite et bien posée. Son regard, à la fois noble et sincère, doux au coin de l’orbite abritée derrière ses bésicles, vous étudie, vous transperce, vous dissèque avec toute la puissance d’un psychologue avisé » 10. Cet homme cultivé – il lisait deux ou trois livres par semaine –, travailleur, habile et prudent, préfère la diplomatie aux affrontements. C’est un conciliateur né. Il sera, pour la jeune équipe de Midi Libre, le journaliste d’expérience et de bons sens qui saura, quand il le faudra, rapprocher les extrêmes.

Madeleine Rochette

Nina Morguleff, alias Madeleine Rochette, est née le 14 mars 1915 à Leningrad. En 1920, elle doit quitter la Russie avec sa mère et se réfugier à Berlin, puis à Baden-Baden. En 1933, elle arrive en France. Étudiante à Grenoble puis à Lyon, elle obtient une licence ès sciences et un diplôme d’ingénieur chimiste de l’École de chimie de Lyon. Boursière particulièrement douée du Centre national de la recherche scientifique, elle prépare une thèse de doctorat-es-sciences au laboratoire d’astrophysique de l’Observatoire de Paris. En septembre 1939, cette brillante scientifique travaille dans les laboratoires de physique de l’École normale supérieure réquisitionnés par la défense nationale. Après l’armistice de 1940, elle abandonne la zone occupée et vient s’installer à Lyon où elle trouve un poste de chimiste dans une usine de Villeurbanne.

En 1942, elle entre dans la résistance et fait partie du Mouvement Franc-Tireur. Comme toujours, cela commence par la diffusion de journaux clandestins et l’établissement de faux papiers. Mais, sa vive intelligence, son inépuisable dévouement vont s’imposer ; au fil des ans, son importance grandit. Devenue permanente du mouvement et collaboratrice de Marc Bloch -dit Narbonne, chef du réseau, elle prend une part active à l’organisation d’ensemble de la résistance lyonnaise sous le pseudonyme de Nathalie. Le 12 mars 1944, Marc Bloch est arrêté par les Allemands. Il est exécuté le 12 juin. Le réseau est démantelé. Traquée par les Allemands, Madeleine Rochette leur échappe de justesse. Mais, avant de quitter Lyon, elle a mis à l’abri les archives et les fonds du mouvement. Elle se réfugie en Languedoc, où elle devient l’agent de liaison permanent de Lucien Roubaud – dit Astier –, qui, comme nous l’avons vu plus haut, est le chef régional du MLN. Elle y retrouve Georges Morguleff, son propre frère, devenu l’adjoint de Roubaud. (Fig. 5)

Madeleine Rochette
Fig. 5 - Madeleine Rochette

En 1944, la forme de Madeleine Rochette est éblouissante. Son cerveau, véritable scalpel, lui permet de débrouiller rapidement les problèmes les plus compliqués. Elle possède le rare don de jauger vite et bien les gens qu’elle rencontre. Elle est servie par un remarquable pouvoir d’adaptation. Toutes ces qualités jointes, ce qui ne gâte rien, à un physique des plus agréables, vont en faire, dans le Montpellier de la Libération, une auxiliaire indispensable pour les missions délicates et les contacts difficiles.

Georges Campredon

Né à Montpellier le 22 juin 1904, Georges Campredon poursuivait à L’Éclair, depuis le mois de septembre 1933, une tranquille carrière d’ouvrier linotypiste. Mobilisé en septembre 1939 comme sergent-chef au 250e RI, il reprend, après sa démobilisation intervenue le 19 juillet 1940, son service à l’atelier de composition. (Fig. 6)

Sa parfaite connaissance du monde ouvrier et les nombreuses amitiés qu’il y compte lui permettent de regrouper les quelques camarades qui, révoltés par l’attitude ultra-conformiste du journal, sont prêts à résister. Il apporte, dans ce domaine, une aide précieuse à Marsal dont il devient l’adjoint. Mais, moins heureux que son camarade de combat, il est arrêté le 2 août 1944 – trois semaines avant la Libération –, et déporté à Buchenwald. Il avait 40 ans. La Direction de L’Éclair, – rendons lui cette justice –, continuera à verser son salaire à sa famille. Il ne rentrera en France qu’en juin 1945, amaigri, diminué, un peu désabusé malgré la sollicitude de ses camarades qui lui avaient réservé la place de chef de l’atelier de composition.

Georges Campredon
Fig. 6 - Georges Campredon

Ernest de Varenne

Né à Meillonas, dans l’Ain, le 30 janvier 1902, descendant d’une vieille famille bressanne, Ernest de Varenne, après ses études de droit, avait travaillé quelques temps dans une banque. Réalisant rapidement que sa vocation était ailleurs, il débute à L’Éclair le 1er juillet 1936 comme journaliste stagiaire. Dès lors, tout va pour le mieux. Au bout de quatre mois, il reçoit une lettre de félicitations de sa direction pour avoir réussi à pénétrer dans un hôtel assiégé par une foule hurlante afin d’interviewer un leader politique d’extrême droite. Trois ans plus tard, il est nommé rédacteur, chargé du secrétariat de la direction avec rang de sous-chef de service. C’est une belle carrière qui commence. Comme Ferdinand Paloc, Georges Campredon et Albert Marsal, il s’oppose par la parole puis par l’action aux excès d’une entreprise de presse qui appuyait sans réserve les options du gouvernement de Vichy. Tant et si bien qu’il est arrêté par la Gestapo en février 1944 mais aucune preuve n’ayant pu être relevée contre lui, il est relâché au bout de quelques jours. (Fig. 7)

Au physique, il est de taille légèrement supérieure à la moyenne. Avec son nez en coupe-vent, il paraît plus maigre qu’il ne l’est. Se cheveux blonds tirent sur le roux ; ses yeux sont enfoncés dans leur orbite. Très travailleur, méticuleux, il aime le travail fignolé et ne supporte pas la médiocrité. D’une nature profondément religieuse, il n’aime pas blesser les gens et, quand il lui arrive de le faire, il s’en trouve très affecté. Très fidèle en amitié et très susceptible, il sera profondément peiné par le comportement de ses anciens amis « bien-pensants » d’une certaine droite montpelliéraine, qui lui pardonneront difficilement d’avoir, à la Libération, eu raison contre eux.

Ernest de Varenne
Fig. 7 - Ernest de Varenne

Jean Connillière

Jean Connillière est le dernier rejeton d’une famille protestante gardoise. Il est né à Fourques le 11 juillet 1913. Son père, d’abord régisseur dans la région d’Arles, vient, après la première guerre mondiale, monter à Nîmes une affaire de vins. Après l’école primaire de la rue Saint-Charles, le jeune garçon poursuit, au Lycée de Nîmes, des études secondaires jusqu’au baccalauréat exclu : en effet, le jour même de l’oral, il préfère répondre à une convocation de la direction du Petit Méridional qui lui propose une place de reporter-photographe à Nîmes. Nous sommes en 1930. Peu après, il part faire son service dans l’infanterie alpine et, comme il est musicien – il pratique depuis longtemps le cor d’harmonie –, il sert dans la musique de son unité.

Rendu à la vie civile, Jean Connillière retrouve avec joie son poste de journaliste ainsi que les bureaux de l’agence locale du Petit Méridional qui baignent, place Questel, dans une atmosphère provinciale aujourd’hui disparue. Son chef d’agence, Féline, le fait nommer rédacteur en 1934 : il est enchanté des services de ce jeune journaliste débordant d’activité qui sait fourrer son nez partout dans une ville où il est de plus en plus connu. Et puis, tout l’intéresse : la tauromachie, les boules, le théâtre lyrique, la politique et aussi le sport, notamment le football qu’il pratique avec brio. Pourtant, peu avant la guerre, notre jeune rédacteur est muté à Montpellier où il va s’occuper de l’édition sportive du journal : il s’était fait remarquer par sa direction comme responsable de l’équipe junior du Sporting Club de Nîmes. Mobilisé en 1939 sur le front d’Italie, il rentre à Montpellier après la défaite de 1940. Lui aussi fera de la Résistance, d’abord au Mouvement National des prisonniers de guerre, puis au MLN. (Fig. 8)

Jean Connillière
Fig. 8 - Jean Connillière

En 1986, au lendemain de son décès, l’éditorialiste de Midi Libre donne de lui un portrait plein de vérité : « Son aspect débonnaire cachait une très profonde personnalité et ceux qui le jugeaient sur l’apparence commettaient de graves erreurs. Sa lourde silhouette ne laissait pas deviner son dynamisme ; ses silences et ses yeux mi-clos masquaient l’intérêt, réel pourtant, qu’il portait à une discussion ; son ton bourru dissimulait une bonté profonde et sa modestie cachait une intelligence assez exceptionnelle » 11. Tout cela, bien sûr, était déjà vrai en 1944. A 31 ans, sa grande expérience du métier mais aussi sa parfaite connaissance des gens et des choses de Nîmes et du Gard s’avèrent très utiles aux fondateurs d’un journal à vocation régionale.

Si l’équipe des fondateurs de Midi Libre est aussi soudée, si rien n’a pu rompre une cohésion née des circonstances et consolidée par le temps, c’est que les hommes qui la composent ont plus d’un trait commun. En 1944, ils sont jeunes. Certes Gambardella, avec ses 56 ans, fait figure de doyen ; mais ce sportif a conservé le dynamisme des jeunes années. Tous les autres ont moins de quarante ans. Ils ont passé l’âge où l’on se cherche et atteint celui où l’on se réalise. Tous ont été volontaires de « l’armée des ombres ». La Résistance, avec son sang et ses larmes, ses dangers et ses espoirs, les a marqués pour toujours. Mais ils n’en parleront jamais. Il y a une pudeur des vrais combattants. Et puis, ce sont avant tout des journalistes, venus au métier par vocation plus que par nécessité. La paix revenue, c’est vers l’avenir qu’ils tournent leurs regards. L’heure est arrivée, ils le sentent bien, de créer une presse nouvelle, plus libre que celle d’avant-guerre, à l’image de cette Libération qui se voulait rénovatrice et porteuse d’espoir.

Un été décisif

Vers une nouvelle politique de presse

Dégoûtés par la veulerie des journaux de Vichy, résistants et journalistes clandestins entrevoient, dès 1942, une « presse nouvelle », jaillie toute vierge des élans de la Libération. Leurs feuilles en définissent le contour. « Franc-Tireur », par exemple, dans son numéro 36 d’août 1944 – un des derniers parus sous l’occupation –, appelle « une presse patriote, honnête et libre ».

En 1943, en zone Sud, Francisque Gay rédige pour la  «commission de presse » présidée par Alexandre Parodi, un mémoire, Les éléments d’une politique de presse où il apparaît que l’objectif essentiel est de ne pas laisser l’argent prendre en tutelle la presse de la France rénovée 12. En novembre de la même année les responsables des journaux clandestins créent la FNPC (Fédération nationale de la presse clandestine) dont le premier président est Albert Bayet (Dumont) et dont le Bureau permanent se réunit chaque semaine à partir de mars 1944. Pierre Henri Teitgen (Tristan) assiste à plusieurs séances de ce bureau en qualité de secrétaire général à l’information et ministre clandestin du gouvernement provisoire d’Alger. Après son arrestation par la Gestapo, son successeur, Jean Guignebert, continue de préparer « la libération de la presse » en liaison étroite avec la FNPC et, parallèlement, avec la commission de l’Information constituée par le CNR (Conseil National de la Résistance) et présidée par Pierre Hervé. C’est dans ces réunions que vont se cristalliser les aspirations nobles mais vagues des journalistes clandestins qui veulent, avec un angélisme touchant, « tourner le dos à une presse inféodée à des oligarchies financières ou politiques ». Il ne faudrait surtout pas, craignent-ils, qu’une subtile dialectique juridique permît le retour de certains journaux compromis par leur assujettissement au régime de Vichy. Sur ce dernier point, ils sont rassurés a posteriori par un discours célèbre prononcé par Teitgen, en octobre 1944, à l’occasion du premier congrès de la Fédération Nationale de la presse française (FNPF) qui a pris naturellement, le 25 août, la suite de la FNPC.

Le représentant du Gouvernement consacre la disparition non pas temporaire mais définitive des « journaux de trahison enfouis dans la fosse commune de nos déshonneurs nationaux ». En cet été, plein de promesse, FNPC, CNR et gouvernement travaillent en liaison étroite pour traduire dans des textes les aspirations de tous ces journalistes, avides de liberté. A la veille de la Libération, tout est prêt. Du 6 mai au 25 novembre 1944 pas moins de 6 textes de référence sont publiés :

— L’Ordonnance du 6 mai 1944 ;

— L’Ordonnance du 9 aout 1944, sur le rétablissement de la légalité républicaine ;

— L’Ordonnance du 22 juin 1944, dite « Ordonnance de débarquement » ;

— « Le cahier bleu » ;

— L’Ordonnance du 30 septembre 1944 ;

— Le Décret du 25 novembre 1944.

L’arsenal de ces textes va permettre au Commissaire de la République en région, aux mouvements de résistance régionaux et aux directeurs des nouveaux journaux d’exercer leur action, à la Libération, dans le cadre d’une indiscutable légalité.

Les dernières réunions clandestines

Quelques mois avant la Libération, des contacts de plus en plus nombreux, s’établissent entre les futures autorités administratives, les dirigeants des mouvements de résistance – essentiellement, en Languedoc, le MLN et le FN (Front National) –, et les représentants qualifiés du CNR. C’est dans le climat de méfiance et d’angoisse propre à l’époque que se sont déroulées les réunions qui ont préludé aux grandes mutations de la presse régionale. C’est sur un banc du Peyrou qu’à la fin du mois de mai 1944, Albert Marsal, accompagné d’Ernest de Varenne, est contacté par un chef de la résistance, Noguères (Mathias) qui avait été désigné par le GPRF comme délégué régional à l’information 13. A ce titre, il désirait savoir si, à la Libération, la mentalité du personnel de L’Éclair faciliterait ou non l’action des commandos de la résistance chargés, dans le cadre du « plan insurrectionnel » de prendre possession du journal. Dans ce quotidien de droite ne risquait-on pas de se heurter à un noyau dur qui transformerait les lieux en citadelle ?

Marsal fut rassurant : « Certes, affirma-t-il, il y a quelques irréductibles mais ils seront d’autant plus faciles à neutraliser que la grande majorité des employés, plutôt attentiste, a senti tourner le vent et se montrera bienveillante au moment de l’intervention. De plus, vous pouvez compter sur quelques hommes sûrs : Bodonnat, chef des services techniques ; Girard qui entraînera derrière lui plusieurs ouvriers de l’atelier de composition ; Bose qui, depuis des mois, distribue Combat et Marco qui travaille à la clicherie. Tous ceux-là se rangeront de notre côté ».

Noguères ayant compris que Marsal était l’homme de la situation lui demanda quel poste il désirait occuper dans la nouvelle organisation. L’intéressé répondit qu’il souhaitait diriger la chronique locale de Montpellier. Également sollicité, de Varenne émit le vœu d’être secrétaire général de la Rédaction. Qui sera Rédacteur en Chef ? demanda alors Noguères. Maurice Bujon, répondit sans hésitation Marsal.

Bien entendu, des places furent réservées à deux résistants de L’Éclair qui venaient d’être arrêtés : Georges Campredon et Ferdinand Paloc. Comme nous l’avons vu plus haut, il avait été question de ce dernier, quelques mois auparavant, pour le poste de Directeur. Les circonstances de son arrestation en février 1944 à Saint-Affrique, avaient fait évoluer la question. De toute façon, le choix du directeur ne fut pas examiné ce jour-là.

En juin 1944 se tient en Lozère – à Marvejols croit se souvenir Madeleine Rochette qui y assistait –, une réunion décisive pour Midi Libre. Lucien Roubaud qui l’avait organisée était accompagné de Gilbert de Chambrun, commandant F.F.I. régional, et de quelques chefs de la résistance. En application du « cahier bleu » et en sa qualité de chef régional du MLN, il devait désigner le directeur de celui des deux quotidiens régionaux – en l’occurrence L’Éclair –, qui était affecté à son mouvement. Il fit part de son choix porté sur Bellon qu’il connaissait depuis leurs études communes à l’Université et dont il appréciait la sureté de jugement. Il venait d’ailleurs de le retrouver à Carcassonne où les deux hommes avaient eu le temps de confronter leurs points de vue et de préparer l’avenir.

L’intéressé, que l’on avait pu joindre, dut, à son tour, désigner le futur rédacteur en chef. Il avait le choix entre Émile Bouvier, professeur à la Faculté des Lettres de Montpellier, et Maurice Bujon : « Je préfère prendre Bujon qui, à ce qu’on m’a dit, est un bon journaliste professionnel ». Ce fut donc Maurice Bujon, journaliste de métier, qui fut désigné. Ajoutons qu’Émile Bouvier, d’entrée, allait donner, sous son pseudonyme de Maurice Charny, des articles remarquables qui contribuèrent au succès du nouveau journal. Il fut également question du recrutement des actionnaires de la future société dont la forme juridique serait à déterminer ultérieurement. On pensa donner la majorité aux journalistes résistants – ou, à la rigueur, à ceux qui auraient refusé toute collaboration –, et à faire une large part à des personnalités du MLN.

Au grand soleil du mois d’août

18 Août 1944 : la 19e armée allemande qui occupe l’Hérault et les départements voisins reçoit l’ordre de repli général et immédiat vers Châlons-sur-Saône à la suite du débarquement allié en Provence le 15 août. Au courant de l’évènement, Jacques Bounin (Maigret), commissaire de la République désigné, a, dès la veille, donné l’ordre de harceler les troupes allemandes en retraite. Le Comité Départemental de Libération de l’Hérault fait de même. Aussitôt sont mis en application « le plan tortue » qui paralyse le réseau routier, « le plan vert » qui interrompt les liaisons ferroviaires, « le plan violet » qui désorganise le système de transmission des PTT ; « le plan bleu » qui déclenche la guérilla. Le Comité régional de libération, réuni à Béziers, lance le mot d’ordre de grève générale.

19 août 1944 : Montpellier commence à se vider de ses occupants. Les unités allemandes qui quittent la ville utilisent les véhicules les plus hétéroclites ; elles « réquisitionnent » même des bicyclettes. A un jeune naïf qui réclame un bon de réquisition, un soldat allemand plus subtil et plus cultivé que ses camarades produit un certificat ainsi rédigé : « Dieu vous rende votre vélo ».

La Gestapo et les services auxiliaires ont pris les devants. La milice a disparu depuis quelques jours. Marsal sent que l’heure est venue. A 8 heures du matin, il arrive au journal. Les bureaux de la censure allemande, situés juste en face, sont vides : les officiers allemands qui les dirigeaient sont partis depuis quelques heures. Porteur d’une croix de Lorraine en tissu, décorée avec des rubans bleus et confectionnée par sa femme, il pénètre dans la cour et, accompagné du concierge Sardou suivi de sa femme Albanie, se rend à l’économat où il se fait remettre par François Pacull le drapeau des jours de fête. Il fixe la croix de Lorraine sur le blanc de l’emblème national, puis, aidé du concierge, le hisse sur le mât qui domine la majestueuse porte d’entrée 14. A 9 heures arrive le gros du personnel, suivi de près par Michel Azaïs, Président Directeur Général, et Lionel Coye de Brunelis, rédacteur en chef. Les deux patrons gagnent leur bureau sans prononcer un seul mot. Quant aux employés, ils manifestent, pour la plupart, une certaine satisfaction en découvrant le drapeau. Quelques-uns, inquiets, craignent un retour intempestif suivi de représailles. Depuis quatre ans, ces hommes avaient pris l’habitude de trembler…

« Qu’ils viennent, s’ils le veulent », rétorque Marsal. Ce dernier se dirige alors vers le bureau directorial où Azaïs et Coye de Brunelis sont réunis. Leur visage est blême. Que va-t-il se passer ? Azaïs se souvient qu’un an auparavant, il avait réuni tous les jeunes des classes 40, 41 et 42 – parmi lesquels se trouvait Henri Cais –, et les avait exhortés à partir faire le STO en Allemagne, « parce que c’était le vœu du Maréchal » 15. Marceau 16 prend la parole : « Je prends possession du journal au nom de la Résistance. Je vous prie de quitter les lieux et de regagner votre domicile où vous vous tiendrez à la disposition des autorités. » Le vrai style militaire : bref, net, précis. Les deux dirigeants qui s’attendaient à être arrêtés voire molestés, abandonnent les lieux apparemment satisfaits de s’en tirer à si bon compte. L’opération « prise de pouvoir » s’est déroulée sans coup de feu, – Marceau n’était pas armé –, sans contrainte par corps et dans l’ordre. Marsal tient la place. Il a envoyé les couleurs. Tout le monde est à son poste. Discipliné, il attend les ordres. L’Éclair ne paraîtra pas le lendemain. Un dernier numéro, limité à la seule édition de « Montpellier ville » et tiré à 8 135 exemplaires, sortira des presses dans la nuit du 20 août.

21 août 1944 : la retraite allemande se poursuit, sous le bombardement en piqué des avions alliés et le harcèlement des FFI qui opèrent principalement à la périphérie, dans la région de Montferrier, traversée par des colonnes blindées venues du sud-ouest. Au soir du 21 août, il n’y a plus à Montpellier un seul soldat allemand en armes.

22 août 1944 : la joie populaire éclate. Des centaines de drapeaux apparaissent aux fenêtres. Les rues désertes la veille sont pleines d’hommes et de femmes qui arborent des rubans tricolores, à la manche, sur la chemisette, dans les cheveux. On s’embrasse sans se connaître et des farandoles envahissent les places. Les Allemands ont été obligés d’abandonner quelques stocks que l’on pille allègrement. Les FFI sont arrivés. Beaucoup n’ont qu’un brassard tricolore marqué du sigle de leur mouvement mais il y a une grande variété d’uniformes : verts pour les anciens des chantiers de jeunesse qui ont pris le maquis pour fuir le STO, kakis pour d’anciens militaires, bleus pour d’anciens « chasseurs », mais toujours, pour montrer qu’on s’est battu, une arme apparente, mitraillette ou révolver. Les nouvelles autorités se mettent en place. Au journal, où toute activité est suspendue, Marsal attend toujours de pied ferme.

23 août 1944 : L’Information Languedocienne, tirée sur les presses du Petit Méridional paraît ce jour-là sur l’instigation du Mouvement local de Libération. Sa seule mission est de remplacer provisoirement les deux quotidiens suspendus et de fournir à la population des informations indispensables. Son existence durera cinq jours.

Un groupe de trois personnes se présente au 12, rue d’Alger : Pierre Montcouquiol, journaliste résistant du Petit Méridional ; Paleirac, libraire à Montpellier, résistant également, ancien chef de la censure en 1939, ancien officier du deuxième bureau ; Nugues, dit Chanac, dont on sait seulement que c’est un journaliste lyonnais. Ce dernier présente à Marsal un ordre de mission ainsi conçu :

« IVème République

Le Commissaire de la République donne tous pouvoirs à M. Chanac pour réquisitionner l’ensemble des installations de L’Éclair. L’intendant de police mettra à sa disposition les forces dont il aura besoin.

Signé Maigret » 17

Les intentions de Chanac sont vite définies. Paleirac sera directeur et lui rédacteur en chef. Marsal reste « de bois ». La situation l’inquiète mais il n’en laisse rien voir. Certes, il sait que Maigret n’est autre que Bounin, le nouveau commissaire de la République. Bien que rédigé en termes peu administratifs, le communiqué peut être considéré comme valable. Mais ce Chanac ne lui dit pas grand-chose ; par contre, il sait qu’avec Paleirac, homme de droite, on risque de voir le nouveau journal retrouver la ligne de L’Éclair et que, par contre, Montcouquiol, considéré comme communisant, est fort capable de « noyauter » le quotidien. Il juge urgent d’attendre. Il laisse Paleirac haranguer les journalistes. En août 1944, on n’en est pas à une harangue près ! Il admet qu’on affiche sur la porte d’entrée la liste des exclus et qu’on donne une « carte d’entrée » à tous les autres 18. Tôt ou tard, il aurait bien fallu le faire. Nugues peut bien, mais seulement à titre provisoire, jouer au rédacteur en chef et Paleirac se draper dans sa nouvelle dignité de directeur. Il faut surtout éviter qu’un refus de sa part entraîne l’invasion des locaux par des hommes armés, venus on ne sait d’où. Il pense que tout cela n’est que feu de paille. Il a raison.

24 Août 1944 : Les responsables du MLN, Bellon, Roubaud, Madeleine Rochette arrivent à Montpellier. Ils se dirigent vers la Préfecture, entrent avec précaution car ils ne savent qui ils vont rencontrer 19. Ils sont vite rassurés. Les nouvelles autorités sont en place. Ils peuvent faire officialiser leur mission.

25 août 1944 : Ce même trio se présente au 12, rue d’Alger. Il est reçu par Marsal. Paleirac comprend qu’il doit s’effacer. Bellon est en poste : ses décisions sont immédiates, ses instructions précises. Tout le personnel doit être présent à 14 heures. Ernest de Varenne est confirmé dans la fonction de secrétaire général, et Albert Marsal dans celle de chef des reportages. Ce dernier vient pourtant d’être sollicité par Barthès, adjoint à l’intendant de police, pour venir s’installer à la préfecture où un bureau lui est réservé. Il a répondu avec une simplicité digne de l’antique : « La Résistance est terminée ; je retourne à mon journal » 20. Nugues, après avoir assuré l’intérim du rédacteur en chef, se retire sans difficulté dès l’arrivée de Bujon. Dans sa nouvelle équipe, Bellon prend les journalistes de l’ex-Éclair qui n’ont pas fait l’objet d’une interdiction.

C’est ce même jour, qu’au cœur d’une ardente réunion, a jailli le nom du nouveau journal. Toute l’équipe était rassemblée : Jacques Bellon, Madeleine Rochette, Lucien Roubaud, Albert Marsal, Ernest de Varenne ; et aussi Francis Vals, Pizard et Jules Véran, ancien journaliste parlementaire de L’Éclair dont le talent et la faconde méridionale avaient conquis le nouveau directeur. Plusieurs titres furent suggérés, notamment Le Midi Libéré qui était trop long. Ce fut finalement Midi Libre qui fut choisi 21. C’était un trait de génie. Non à cause du mot Libre qui fleurissait sur toutes les lèvres en ces jours de liesse et qui vint s’accoler à une bonne douzaine de régionaux, comme Le Havre Libre ou La Dordogne Libre ; mais en raison de l’absence de l’article, forte originalité qui donne au titre une dynamique particulière. Madeleine Rochette ne peut pas personnaliser l’auteur de ce titre lumineux. Francis Vals en a, plus tard, revendiqué la paternité au cours d’une réunion d’amis.

26 août 1944 : La journée est consacrée à la préparation du nouveau journal. (Fig. 9)

Midi Libre, le premier numéro
Fig. 9 - Midi Libre, le premier numéro

Le premier numéro

Le n° 1 de Midi Libre sort le dimanche 27 Août 1944. Il est tiré à 35 760 exemplaires. Avec 1798 gâchés, il reste un net de 32 962 journaux. Ils sont ventilés à raison de 24 680 pour Montpellier et 11 080 pour Béziers. La composition, où l’on sent la main de Marsal, est remarquable. Le journal se présente comme « l’organe du Comité Régional du Mouvement de Libération Nationale ». Il ne comporte qu’une seule page, recto verso, demi-format. A la Une, sous la croix de Lorraine qui précède le titre, les populations languedociennes vont, pour la plupart, découvrir enfin la photo du Général de Gaulle, celle des journaux clandestins de l’occupation. Midi Libre titre sur quatre colonnes : « Nous voilà parmi les vainqueurs, déclare le Général de Gaulle à Paris qui lui fait un accueil délirant ». L’éditorialiste promet aux lecteurs : « des informations exactes, des renseignements précis, une libre critique ». Au verso, on trouve d’indispensables renseignements d’ordre pratique ou administratif. La célébrité de ce premier numéro a dépassé le cadre de Midi Libre. Plusieurs auteurs l’ont reproduit, notamment Jean Sagnes, dans son livre sur L’Hérault en guerre. Il est affiché, plusieurs années plus tard, dans les locaux de la rue d’Alger. Il l’est toujours au Mas de Grille, près de la porte du bureau du Président.

A travers les départements de la région

A Nîmes

Dès le mois de juin, Jean Connillière savait qu’il serait responsable du journal MLN à Nîmes. Il n’attend pas la Libération pour agir. Pour faire place nette, il va, dès le milieu du mois d’août 1944, réceptionner, en gare de Nîmes, au petit matin, les derniers exemplaires de L’Éclair imprimés dans la nuit ; ce n’est certes pas pour assurer leur distribution : on ne les retrouvera jamais. Et puis, il constitue son équipe : d’abord Jean Volpillière, auxiliaire de rédaction qui deviendra par la suite le talentueux reporter photographe bien connu dans le Gard ; un peu plus tard Mireille Disset, chargée de la partie administrative, et Roger Didry, ancien prisonnier de guerre et écrivain de talent. Au jour J, le local de la nouvelle agence nîmoise est tout trouvé. Des officiers allemands viennent d’abandonner un appartement bourgeois, boulevard Victor Hugo, à l’emplacement actuel de la banque Chaix. Connillière s’y installe avec son équipier. Il voisine avec les représentants du MLN départemental qui occupent le rez-de-chaussée, ce qui facilite les contacts. Infatigable, Connillière, au volant de sa petite Fiat décapotable, va aller chaque nuit à Montpellier chercher son lot de journaux ; puis, dès potron-minet, il assure lui-même la distribution de Midi Libre chez tous les dépositaires 22. La première édition du Gard est datée du 30 août 1944. Elle est tirée à 5 280 exemplaires. Les premières photos apparaissent dès le mois d’octobre ; elles montrent les ponts détruits sur le Rhône, les ateliers et le triage de Courbessac endommagés par les bombardements et constituent de véritables documents historiques. Elles sont l’œuvre d’un photographe amateur, Roger Roux, que Connillière est allé dénicher au théâtre de Nîmes où il exerce les fonctions de concierge et se produit parfois comme baryton.

Dans la capitale gardoise, le Républicain du Gard, journal du soir, essaye de survivre. Dès le 22 août, avant même la Libération, il cesse de parler des « hors la loi » ou des « terroristes » qui « assassinent et pillent » ; il n’est plus question que des FFI qui harcèlent l’ennemi. Le 24 août, la manchette du journal est énorme : « Ce matin, à l’aube, les FFI ont libéré Nîmes » et, dans un article intitulé « Il y a de la joie », le Rachalan 23 exprime la liesse populaire. Le 25 août, le quotidien porte en sous-titre : « Quotidien régional du Front National ». Peine perdue ; le Républicain du Gard est remplacé le 28 août par La Renaissance républicaine du Gard.

A Alès

C’est Marcel Cassagne qui va lancer Midi Libre. Ce solide alésien, né en 1906 dans la capitale cévenole, avait, après des études primaires supérieures couronnées par le brevet élémentaire et le brevet d’études commerciales, fait carrière dans le commerce local comme représentant en maroquinerie. En 1939, on le rencontrait encore sur toutes les routes de la région avec ses Marmottes. Il ne savait rien de la presse, sinon qu’aucun des trois grands quotidiens vendus à Alès : L’Éclair, Le Petit Méridional et Le Provençal n’y avait installé de bureau local.

Résistant de la première heure, Cassagne qui avait pris le nom de guerre de Signoret avait milité au mouvement Combat et, au titre de l’AS (Armée Secrète) avait fondé en mai 1944 les maquis CFL (Corps Francs de la Libération) de la Vallée française et de la Vallée Borgne en liaison avec Michel Bruguier (Audibert), Combarmond (Capitaine Mistral) et Marcel Lapierre 24. A la Libération, il était devenu vice-président du CLL, présidé par le Docteur Fontaine. Ce dernier avait accompagné à Montpellier, vers le 25 août, un certain Robert Taves, candidat au poste de dépositaire du Midi Libre à Alès. « D’accord, avait répondu Bellon à Fontaine qui appuyait la demande, mais ce qu’il me faut là-bas, c’est un journaliste ». « Prenez donc Cassagne. Ses titres de résistants sont éclatants ; il représente le MLN au comité local de Libération ; de plus, il est secrétaire des MUR : il doit savoir écrire ! ». « Va pour Cassagne », avait acquiescé Bellon. L’affaire ainsi ficelée, il ne restait plus à Fontaine qu’à obtenir l’accord de l’intéressé qui, après un baroud d’honneur, prit son nouveau poste le 27 août 1944. Il n’eut pas grand chemin à faire ; comme il était président de la commission de ravitaillement du Gard et disposait, pour exercer cette activité d’un bureau de service place Saint-Jean et d’une secrétaire, il lui suffit d’un mot pour mettre l’un et l’autre au service de Midi Libre 25.

Dans l’Aude

Jean Graille va assurer avec brio la transition entre L’Éclair et Midi Libre 26. Il avait reçu ses consignes au cours d’une réunion organisée en juin 1944 dans un café de Limoux. Il y avait rencontré Jacques Bellon, Francis Vals, Madeleine Rochette, Georges Morguleff, frère de cette dernière. Ses titres universitaires et son action dans la Résistance le rendaient digne du poste. Peu après la libération de Carcassonne, intervenue le 21 août, Graille se présente à l’agence de L’Éclair et y trouve Ferdinand Pic qui la dirigeait depuis plus de 20 ans. Il est accompagné de quelques résistants, presque tous courtois. Pic n’est pas autrement surpris ; il vient de recevoir du siège une lettre recommandée qui lui annonce que L’Éclair a vécu. Après un inventaire bâclé en moins d’une demi-heure, suivi du départ de vieux journalistes, nos jeunes gens occupent les lieux et forment un « comité provisoire de rédaction ». L’équipe de Graille est composée de trois journalistes en herbe : Charles Fourès, Jean Delpech qui deviendra plus tard secrétaire général de la mairie, et Guy Candeau futur chef de l’agence. Dès le 1er septembre 1944, Midi Libre donnait des nouvelles locales aux Carcassonnais dans une édition commune à l’Aude et aux Pyrénées Orientales. Ajoutons que Jean Graille fera par la suite carrière dans l’Administration préfectorale. A sa retraite, il est directeur général du Bureau national interprofessionnel du Cognac.

Pour leur part, les Narbonnais avaient pu bénéficier deux jours auparavant d’informations concernant leur ville. C’est là que, quelques semaines plus tard, un garçon originaire de Valence d’Agen, jeune et dynamique, Émile Bessières, devait faire ses débuts dans le journalisme avant de prendre en main la direction du service des Ventes.

A Perpignan

Le 21 août 1944, le Républicain du Midi organe du CDL, remplace L’Indépendant mis sous séquestre. L’équipe nouvelle qui animait le journal avait été mise en place par Pierre Henri Teitgen. Il y avait là Jougla, un ancien correspondant du Petit Méridional, Jacques Douel, ancien journaliste lorrain et Glory.

A Béziers

Bellon, pris de court, avait désigné pour prendre possession de L’Éclair un compagnon de clandestinité, Irénée Combes, que ses fonctions de manipulateur en radiologie au service médical de la SNCF ne prédisposaient guère à ce genre d’activité. Pour rendre service, il s’installa néanmoins au siège du journal conservateur. Combes a pris comme assistante sa femme Yvette, résistante comme lui. Ils sont acceptés sans difficulté par la Résistance locale, pourtant particulièrement musclée. Mais leur vocation pour la presse ne s’étant pas affirmée, ils laisseront leur place, dès la fin de 1944 à André Collin 27, un journaliste lyonnais de très grande qualité mais à l’équilibre instable. Midi Libre est diffusé à Béziers dès le 27 août 1944.

Dans l’Aveyron et la Lozère

Midi Libre devait hériter du solide réseau d’informateurs de L’Éclair qui, comme les sœurs Ginesty à Rodez ou Augustin Graille (alias A. Genor) à Millau permirent à la rédaction de lancer, dès le 2 septembre 1944 une édition commune à l’ensemble du département 28.

C’est un hebdomadaire, la Lozère Libre qui, à partir du 10 septembre 1944, ouvre à Mende l’ère de la presse nouvelle. Midi Libre ne fait son apparition dans la région que le 12 septembre. Son premier correspondant est Jean Pagès, menuisier de son état, mais aussi gardien de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Lozère 29. Dans ce département où L’Éclair ne dispose que d’un nombre réduit d’informateurs, tout reste à faire. (Fig. 10)

Première équipe de rédaction
Fig. 10 - Première équipe de rédaction

La constitution de la société Midi Libre

La réquisition

Deux arrêtés, publiés au Bulletin officiel du commissariat régional de la République (Ière année – n°49 – mercredi 23 novembre 1944) régularisent la prise de possession, à la Libération, de l’immeuble et du matériel d’imprimerie de L’Éclair. Notons également que, dès le 15 septembre 1944, le commissaire de la République a désigné un administrateur provisoire, Andoque de Seriège, administrateur de L’Éclair (arrêté n° 412 du 15 septembre 1944). Les biens réquisitionnés étaient estimés en août 1944 à plus de vingt millions de francs, les éléments incorporels du fonds à douze millions. Une somme de un million prélevée « sur les réserves financières de la Société L’Éclair » fut mise à la disposition de la direction de Midi Libre à titre d’avance remboursable. Andoque de Seriège ne devait pas conserver longtemps le bureau mis à sa disposition par Midi Libre. Après quatre mois de services distingués et effacés, il dut laisser son fauteuil à un conseiller technique, Vollaeys, nommé par le commissaire de la République (arrêté du 2/01/1945) pour assister l’administration des domaines et l’inspecteur principal Carrière, désigné dans les fonctions d’administrateur séquestre par ordonnance du président du tribunal civil de Montpellier en date du 2 janvier 1945. Ceci en application du décret du 25 novembre 1944.

Les rapports entre Bellon et Vollaeys ne sont pas des plus amènes. Comprenant que ce dernier, à pied d’œuvre le 27 janvier, va fourrer son nez partout, le directeur de Midi Libre met les choses au point, ce même jour, dans une note de service largement distribuée :

« Toute communication des chefs de service et du personnel avec M. Vollaeys ne doit comporter qu’un échange de civilités. Les chefs de service et le personnel de Midi Libre, ayant été payés par moi depuis le ler septembre sont sous ma seule dépendance ». Et il conclut, très subtilement : « Il est évident que, cette note n’implique aucune méfiance à l’égard de M. Vollaeys » 30.

Particulièrement agressif – mais, après tout, il fait son travail –, le nouveau conseiller technique, constatant qu’aucun inventaire descriptif contradictoire préalable à la prise de possession des biens réquisitionnés de L’Éclair n’a été établi, provoque cet inventaire par le biais d’une assignation à comparaître, le 3 mars 1945, devant le Tribunal de première instance de Montpellier signifiée à Bellon. Puis il pousse à la roue pour tenter de fixer le montant d’une redevance honorable que le propriétaire du titre du nouveau journal devrait payer au séquestre avec effet rétroactif du 23 août 1944 pour usage des installations de L’Éclair. Dans une note du 14 février 1945, il montre le bout de l’oreille en soulignant la chance extraordinaire qu’ont eue les nouveaux journaux de trouver, pour leur lancement, des entreprises édifiées depuis 50 ou 60 ans et représentant chacune un capital de 30 à 40 millions 31. Le 1er janvier 1946, Vollaeys est remplacé par Servent (arrêté du 21 février 1946 du Commissaire de la République). Les fondateurs de Midi Libre mesurent les inconvénients que présente le caractère provisoire de leur situation. Il faut insister sur le fait que l’arrêté du 15 novembre 1944, précise, dans sa brièveté, que Bellon n’est pas seulement le représentant du MLN mais aussi celui d’une « société en formation ». Dès la fin de l’année 1944, la nouvelle équipe de Midi Libre envisage l’élaboration d’un statut.

A la recherche d’un statut

Il est généralement reconnu qu’au lendemain de la Libération, les communistes dont le rôle dans la résistance, depuis l’attaque de l’URSS par l’Allemagne, a été important, ont cherché à avancer des pions dans toutes les directions ; non pour prendre le pouvoir, car les accords de Yalta écartaient cette possibilité ; mais pour être en mesure de le faire le jour où l’occasion s’en présenterait. Ce mécanisme a été admirablement démonté par Pierre Bertaux dans son livre La Libération de Toulouse et de sa région.

Certes, Roger Bourderon, dont il faut accueillir les informations avec prudence (n’assure-t-il pas que Noguères s’était vu proposer dans la clandestinité la direction de Midi Libre, ce que l’intéressé dément avec la plus vive énergie) 32 se montre, sur ce sujet beaucoup plus discret. Pourtant, à Montpellier comme à Nîmes ou à Toulouse, les communistes ont cherché, suivant la technique éprouvée du noyautage, à s’infiltrer dans le plus grand nombre possible d’organismes et de formations. Non contents d’être maîtres du Front National, ils sont présents dans le MLN. Pour créer une dynamique propre à faciliter leurs desseins, ils proposent même, à grand tapage, l’organisation d’un « vaste mouvement unitaire » où se retrouveraient, pour une application intégrale du programme du CNR, les militants des deux plus importants mouvements de résistance : le FN et le MLN.

En Languedoc-Roussillon, certains membres de ce dernier mouvement ne sont pas restés insensibles à cette musique. C’est le cas de Lucien Roubaud qui, dès la fin d’octobre 1944, s’est prononcé pour la fusion et a soutenu les délégués de la région venus défendre cette thèse au congrès du MLN ouvert à Paris le 23 janvier 1945. Cependant, le 26 janvier, la majorité du congrès repousse cette fusion. Bien entendu, Roubaud s’incline. Mais, dans ses éditoriaux de Midi Libre des 28, 29 janvier, 1er et 2 février, il consacre de nombreuses lignes au point de vue des minoritaires et laisse percer un certain regret. Aussi restera-t-il affublé d’une étiquette de « communisant », notamment aux yeux des personnalités socialistes du cru, telles que Jean Bène, Henri Noguères qui avait dû lui céder sa place au directoire du MLN à la veille de la Libération, ou Francis Missa. Ce procès d’intention englobera tout naturellement Jacques Bellon, ce vieil ami dont il avait fait le directeur de Midi Libre. La plaie n’étant pas cicatrisée, les divisions du MLN vont se retrouver au niveau des dirigeants locaux du mouvement intéressé de près ou de loin par la constitution de la nouvelle société du Midi Libre.

Plusieurs projets vont se succéder :

Le projet Dijol 33

Nous n’évoquons ce projet, pratiquement mort-né, qu’en raison d’une curieuse particularité : il associait Gilbert de Chambrun, gendre de Dijol, à Jacques Bellon.

Le projet Galtier

C’est au cours d’une réunion tenue le 8 janvier 1945 à Montpellier que Galtier, trésorier régional du M.L.N., jette les bases d’une Société Midi Libre. Une quinzaine de membres du mouvement sont présents ; Jean Bène, partie prenante, s’est fait représenter. Les statuts, élaborés avec l’aide de la Fiduciaire de France sont exposés aux participants :

— S.A.R.L. à capital variable,

— part de chaque associé limitée à 10 % du capital,

— possibilité de rémunérer les promoteurs du journal,

— prépondérance du conseil de gérance sur le gérant,

— parts de 1 000 F et capital social de 150 000 F.

Un comité de direction est prévu où siègeront Jean Bène, maire de Pézenas, président du Comité départemental de la libération, Barderon et Castagnier. Il y aura également un comité de surveillance de cinq membres où se retrouveront notamment Chambeyron et Raymond Chauliac, ingénieur de son état, colonel dans la résistance et commandant militaire adjoint de la région, ancien conseiller municipal socialiste de Montpellier. La plupart des nouveaux associés – ils seront 24 au total –, appartiennent à la tendance modérée du MLN (MRP, CFTC, Jeune République, Chrétiens sociaux et membres de la SFIO locale).

A la suite de cette réunion, des contacts sont pris avec la Direction de Midi Libre :

— Galtier rend visite à Bellon pour l’informer de la constitution de la Société,

— Chambeyron de son côté rencontre Bujon.

Ce dernier avait déjà été contacté successivement par Galtier et Bène qui lui avaient proposé le poste directorial de Bellon, cet « étranger communisant », eux-mêmes devant être directeurs politiques. Le jeune rédacteur en chef avait refusé net : « Bellon, avait-il affirmé, n’est pas marqué politiquement. C’est un excellent journaliste, et, au fil des évènements, il est devenu mon ami ».

Chambeyron se heurte à la même opposition. En plus, Bujon critique vivement les conditions d’élaboration du projet. Le 2 février, Galtier obtient l’approbation de principe du ministre de l’information, Pierre-Henri Teitgen. Il ne lui reste plus qu’à déposer les statuts et faire son entrée à Midi Libre. Il a toutefois commis une erreur magistrale ; en négligeant de solliciter l’aval du comité régional du MLN, il va déclencher une contre-offensive de tout l’appareil du mouvement, orchestrée par Émile Bouvier.

Ce dernier, méthodique et précis, s’appuie sur une argumentation de plomb :

— la procédure suivie est inadmissible ;

— le Ministre de l’Information, en donnant son accord sur la composition d’une société sans mandat, a couvert de son autorité la possibilité d’effectuer une manœuvre délictueuse à l’encontre des organismes de la Résistance et crée ainsi un dangereux précédent ;

— le Directeur actuel du journal, régulièrement nommé par arrêté du Commissaire de la République, n’a pas été dessaisi ;

— les 24 membres de la société Galtier ne représentent qu’une partie seulement de la tendance MLN ; aucun des créateurs du journal, ni aucune personnalité des cinq autres départements de la région n’y figure : on a oublié que Midi Libre a vocation d’être un quotidien régional ;

— les statuts, strictement commerciaux, ne répondent que très imparfaitement aux intentions démocratiques et sociales définies par les ordonnances d’Alger.

Dès lors, les protestations vont fuser de toutes parts :

— le Comité directeur régional, auprès du délégué régional à l’information,

— le personnel syndiqué du journal, auprès du Commissaire de la République,

— le Comité régional de Libération, saisi pour avis par le Préfet de l’Hérault sur la demande d’autorisation de commerce à Montpellier déposée par Galtier pour la Société à responsabilité limitée créée pour l’exploitation du Midi Libre, émet, dans sa séance du 14 février 1945, à l’unanimité, un avis défavorable, transmis au Commissaire de la République et au délégué à l’information.

Entre temps, un congrès régional du MLN a été convoqué pour le 9 février 1945. Trois membres du Comité central, dont Raynal et Valrimont, y assistent. A l’issue de ce congrès, les délégués MLN, régulièrement mandatés par les départements de la région, informés contradictoirement du conflit, d’une part par le comité directeur régional, d’autre part par Bène et Galtier, confirment à l’unanimité dans leurs fonctions les membres dudit comité directeur régional ; ils lui confient le soin « de constituer la Société qui gèrera Midi Libre, avec la participation régionale, départementale, et des journalistes qui ont créé le journal de façon à ce que celle-ci représente le MLN régional tout entier ». C’est mal écrit mais c’est très net. Galtier n’a plus qu’à se soumettre ou se démettre. Dans un premier temps, il va se soumettre : il renonce à déposer les statuts de sa SARL et accepte d’en modifier la structure en tenant compte des directives du congrès régional. Mais c’est Bouvier qui sera le maître d’œuvre du nouveau projet.

Le projet Bouvier 34

C’est au congrès extraordinaire régional du 9 mars 1945 que Bouvier fait approuver les statuts d’une nouvelle société. Il s’agit d’une SARL à capital et personnel variables, régie par la loi du 7 mars 1925. Elle ne s’éloigne pas sensiblement du projet Galtier, approuvé, rappelons-le, par la Direction de la Presse du Ministère de l’Information.

Les modifications qui y ont été toutefois apportées s’inspirent du statut de deux autres journaux régionaux du même type : La République du Sud-Ouest et La Marseillaise de Lyon qui ont reçu l’agrément du ministre.

Elles répondent à trois préoccupations essentielles :

1 — assurer l’indépendance complète du journal à l’égard des puissances d’argent,

2 — rapprocher cette société de presse du type « coopérative de production »,

3 — empêcher toute prédominance d’une opinion politique sur les autres de façon à conserver au journal son caractère d’information régionale et d’impartialité.

Pour ce faire, les dispositions suivantes sont adoptées :

1 — extension à 100 personnes du nombre primitif de 24 associés, et une seule part de 2 2000 F. par personne,

2 — nécessité d’une majorité des trois-quarts pour toute modification aux statuts et pour toute exclusion de membres de la Société,

3 — limitation rigoureuse des bénéfices des associés,

4 — interdiction de cession ou transfert des parts sans décision de l’assemblée générale, chaque associé ne pouvant posséder plus d’une part,

5 — participation du personnel aux bénéfices,

6 — institution d’un comité de gestion et d’un comité de rédaction.

Le choix des associés s’inspire des mêmes principes : il est décidé d’adjoindre au noyau initial des 24 associés de la Société Galtier :

— les membres élus du comité directeur régional du MLN,

— des représentants du parti radical socialiste,

— des journalistes professionnels et des ouvriers de la composition,

— six représentants de chacun des six départements de la région. Ces représentants sont désignés par les comités directeurs départementaux du Mouvement.

Dans chaque département, un associé doit représenter la CGT.

L’article 20 précise : « La Société est administrée par un ou plusieurs gérants. M. A. Labin (M. Bellon) investi depuis la libération du droit de gérance de Midi Libre par arrêté du commissariat de la République est nommé premier et unique gérant de la Société ».

Cette dernière disposition assied la société sur une base juridique solide. Elle n’en constitue pas moins un obstacle dans la recherche de l’amalgame.

On trouve sans difficulté de nouveaux souscripteurs : 55 à la date du 30 mai. Les six membres fondateurs de Midi Libre ont adhéré et, avec eux, Ferdinand Paloc, ex-rédacteur de L’Éclair et déporté politique. Parmi les membres du comité régional figurent Gilbert de Chambrun, Robert Dupuy, Lucien Roubaud et Jacques Pizard. Paul Bernard, Vincent Badie et Albert Astruc, doyen de la faculté de pharmacie apportent le poids de leur personnalité.

Mais le groupe des 24 se montre réticent : on n’a pas digéré les critiques de Bouvier et on accepte mal que Bellon conserve son poste. Initialement, c’est Galtier qui devait présenter le nouveau projet à ses amis et obtenir leur accord global. Après plusieurs jours d’hésitation, il finit par avouer son échec : ces derniers ne voulant pas adhérer en bloc, il démissionne de ses fonctions au MLN et le 31 mars quitte Montpellier.

Patiemment, Bouvier entreprend d’écrire, le 4 avril 1945, à chaque membre de ce groupe d’irréductibles dont la figure de proue est Jean Bène. N’ayant reçu aucune réponse le 17 avril, il récidive sans plus de succès. L’affaire va traîner en longueur jusqu’au mois de juin.

Bellon tranche dans le vif

Voyant que la tentative de Bouvier n’aboutissait pas, le Comité Régional de Libération charge Bellon, au début de l’été 1945, de constituer une équipe composée de sept journalistes et de six déportés politiques. C’est le MLN de Paris qui, cette fois, contrecarre le projet. Au cours de pourparlers interminables, il essaye de composer avec les journalistes en place, allant même jusqu’à proposer 800 000 francs à Bellon pour qu’il cède sa place à Bène qui, devenu directeur politique, serait flanqué d’un directeur administratif 35. Ce n’est un secret pour personne que les éléments socialistes du MLN veulent avoir Midi Libre en main pour préparer les électeurs au référendum du 21 octobre 1945, référendum où les Français doivent se prononcer sur l’opportunité de conserver ou non la constitution de 1875. Bellon et ses amis qui ne l’entendent pas de cette oreille vont couper court à toutes ces tergiversations en déposant les statuts de leur nouvelle société. Cette action va se mener en trois temps :

Le 7 août 1945, Bellon, Bujon, Marsal, Gambardella, Connillière, de Varenne et Campredon se réunissent ; leur réunion fait l’objet d’un procès-verbal 36. Considérant que, depuis un an, leur équipe détient sa légalité de l’autorisation donnée à Bellon par le Commissaire de la République et que, par ailleurs, ils sont rédacteurs d’un quotidien régional, officiellement mandatés par le comité régional du MLN pour créer une société, les intéressés estiment qu’il est nécessaire « d’aller vite ». Ils déclarent rester fidèles aux idées et tendances du MLN et affirment avec vigueur « qu’un journal libre ne saurait être sous la dépendance directe de formations politiques qui ne sont point d’ailleurs autorisées par la loi à gérer des entreprises dont la forme est nécessairement commerciale ». Ils précisent que la nouvelle société sera ouverte à tous ceux qui se réclameront des idées du MLN. Bellon et Bujon sont chargés d’effectuer toutes les démarches nécessaires.

— Les signataires sont : Bellon, Marsal, Bujon, Gambardella et Campredon.

— Il s’agit d’une société anonyme à capital et personnel variables. Le capital social est de cent mille francs.

Il est rappelé que :

— la publication et l’exploitation du quotidien Midi Libre par Bellon ont été autorisées avec effet rétroactif du 27 août 1944 par arrêté du commissaire de la République en date du 15 novembre 1944.

— Bellon apporte à la Société le titre et la propriété du journal, la clientèle d’abonnement, la collection de journaux et tous les droits attachés à l’exploitation de ce journal. En représentation de cet apport évalué à mille francs, il lui est attribué une action de mille francs.

— le capital social est divisé en cent actions de mille francs chacune et chaque actionnaire ne peut posséder un nombre d’actions supérieur à quinze.

— le capital social peut être porté à un million de francs soit par versements successifs faits par les associés, soit par l’admission d’associés nouveaux qui doivent être abonnés au journal et, de plus, avoir fait partie des MUR ou avoir été déporté politiquement ou faire partie du MLN.

— les actions librement cessibles entre associés ne le sont à d’autres personnes qu’après autorisation du Conseil d’administration. En cas de décès d’un associé, ses héritiers sont remboursés.

— la Société est administrée par un conseil composé de six membres au moins et de douze au plus, pris parmi les actionnaires et nommés par l’assemblée générale ordinaire. La durée de fonction des administrateurs est de trois ans.

— le Président du Conseil d’administration est choisi par le Conseil parmi ses membres. Il assure la Direction générale de la Société ; un Directeur Général Adjoint peut l’assister.

— un ou plusieurs commissaires aux comptes ont pour mandat de contrôler la gestion financière de la Société.

Ainsi, pour être admis comme sociétaire, il faut montrer patte blanche – si l’on peut dire. Des verrous sont disposés qui évitent de trop brutales intrusions de capitaux et les mécanismes mis en place vont permettre de conserver à la Société son caractère quasi amical.

Les 4 et 6 septembre 1945, Me Domergue authentifie les apports des nouveaux sociétaires. Il est rappelé que, sur le capital social de 100 000 francs, une action de mille francs a été attribuée à Bellon en représentation de son apport au journal Midi Libre.

Les 99 actions qui restaient à souscrire en numéraire sont réparties de la manière suivante :

— 15 actions pour Armand Labin qui verse 15 000 F.

— Ernest de Varenne, Albert Marsal, Georges Campredon, Emmanuel Gambardella, Jean Connillière et Maurice Bujon versent chacun 14 000 F pour 14 actions.

Les fonds sont déposés au Comptoir National d’Escompte de Paris, agence de Montpellier.

Le 25 septembre 1945, Me Domergue authentifie les procès-verbaux des deux premières assemblées générales (18 et 24 septembre 1945) où ont été prises les décisions suivantes :

— nominations comme premiers administrateurs pour une durée de trois ans de : Armand Labin, Georges Campredon, Albert Marsal, Jean Connillière, Maurice Bujon, Ernest de Varenne, Emmanuel Gambardella,

— approbation des statuts,

— nomination à l’unanimité et pour un an de Bellon comme président du Conseil d’Administration,

— nomination pour trois ans comme commissaire aux comptes de M. Germain Pernaud.

Il n’est pas inutile de rapporter les termes flatteurs par lesquels René Bastide, commissaire aux apports, conclut son intervention à l’Assemblée générale du 24 septembre 1945 : « Le journal est bien assis ; tous ses services fonctionnent normalement et régulièrement ; le nombre des lecteurs est des plus imposants. Votre société n’est pas seulement bénéficiaire de ses apports mais aussi des bénéfices d’exploitation réalisés depuis le 27 août 1944 ; ils sont importants pour une affaire qui débute. Le tirage actuel est celui des grands quotidiens régionaux ; les abonnements augmentent journellement et les annonces parviennent en si grand nombre qu’elles ne peuvent être publiées que sous format réduit. Ces diverses causes m’ont permis de m’assurer que la valeur donnée aux apports faits par Monsieur Labin était simplement et purement symbolique ; en effet chiffrer à mille francs de tels apports signifie faire don à la société de tout un travail laborieux d’une année qui, à l’heure actuelle porte ses fruits ».

La crise de l’automne 1945

Le Comité directeur national MLN ne désarme pas. Arguant du fait que l’équipe du Midi Libre appartient à la fraction minoritaire du mouvement mais incontestablement animé par des arrière-pensées politiques, il intervient auprès de Soustelle, ministre de l’information pour obtenir le remplacement de Bellon par Bène, responsable départemental du mouvement. Cette mesure, différée pendant quelques jours du fait d’Alexandre Stirn, chargé de fonction au commissariat de la République, qui propose en vain des mesures transactionnelles, devient effective le 27 septembre 1945. Un arrêté à cette date du Commissaire de la République Jacques Bounin, agissant sur instructions reçues du Ministre de l’information, transfère à Jean Bène, président du CDL et mandataire MLN désigné par Raynal en accord avec ledit ministre, l’autorisation donnée par arrêté du 15 novembre 1944 à Bellon, tendance minoritaire, de publier le journal Midi Libre en tant que mandataire MLN.

Mais, quelques jours auparavant, le 23 septembre 1945, Bellon ayant réuni le Conseil avait demandé aux administrateurs d’être remplacé par Bujon, pour des raisons de santé, jusqu’au 1er novembre 1945, délai qui, après consultation de médecins, était reporté dans l’après-midi du même jour au 15 décembre. Bellon, fatigué, a dû quitter Montpellier pour prendre quelques jours de repos dans une clinique des environs de Paris. Il devait finalement y rester plus de deux mois. C’est donc à Maurice Bujon que va revenir la charge de diriger l’équipe des fondateurs pendant la crise qui va se déclencher.

Sitôt en possession de l’arrêté, Jean Bène se présente ce même jeudi 27 septembre au 12 de la rue d’Alger. Il est flanqué de Cabanettes, directeur des Domaines, et de Carrière, séquestre 37. Il est reçu par Bujon qui oppose un refus catégorique à sa demande de prendre possession de l’administration du journal en attendant qu’un modus vivendi soit établi entre la Société Midi Libre qui vient d’être créée et le Comité national du MLN. Jean Bène voit ensuite les délégués du personnel qui se déclarent totalement solidaires de la direction.

Dans un message du 28 septembre 1945 au Ministre de l’Intérieur, le Commissaire de la République affirme même que Bène avait promis, sans succès, de maintenir chacun à son poste technique, « y compris Bellon, directeur, et Bujon, rédacteur en chef » 38. Éconduit, le président du CDL n’avait plus qu’à rendre compte à ses instances supérieures.

Le vendredi 28 septembre 1945, la riposte de Midi Libre est très vive 39. Le journal titre sur deux colonnes : « Les Pouvoirs publics contre la presse libre ». L’éditorialiste dénonce l’abus de pouvoir du Gouvernement et appelle le personnel à combattre « pour maintenir dans notre région la liberté totale de la presse et l’indépendance absolue des journaux vis à vis du gouvernement ». Il stigmatise également un coup bas : par le biais de l’administration des Domaines, le Pouvoir « avec un arbitraire digne de Vichy » vient de faire bloquer, juste à la veille de la paye, le compte de Midi Libre à la Société Générale ; cela « afin de dissocier les journalistes, ouvriers, employés et leurs cadres de direction ». En vain d’ailleurs, car des mesures ont été prises en temps opportun. Jean Bène n’est pas oublié. Dans un entrefilet malicieux, il est fait référence au Petit Méridional du 16 mars 1941 qui relate un discours du maire de Pézenas, lequel, dans une magnifique envolée, demande à la jeunesse de suivre l’exemple « du grand vieillard qui, de ses mains, ressoude toute les forces de la nation ». Bène encensant Pétain, de nos jours, cela fait sourire. Mais en 1945, c’était très dur. En lisant son journal, le matin du 28 septembre, le commissaire de la République, qui a sans doute mal dormi, voit rouge ; c’est le cas de le dire ; il ordonne illico l’occupation par la police des locaux du Midi Libre 40. Dès 8 heures, les CRS sont à pied d’œuvre. Le journal ne paraîtra pas le samedi 29 septembre. On ne le retrouvera dans les kiosques que le jeudi 11 octobre 41. Entre temps, c’est de La Voix de la Patrie, le quotidien du FN de la rue Henry Guinier, que va venir la riposte. Beau joueur, ce quotidien publie, le 30 septembre, un communiqué du comité régional du MLN qui raconte dans le détail les évènements de la veille. Ce même jour, il titre sur trois colonnes « contre la politique gouvernementale d’asservissement, défendons la presse libre ».

C’est par lui que nous sommes renseignés sur l’imposante manifestation qui s’est déroulée dans l’après-midi du 29 septembre : 10 000 personnes – chiffre sans doute exagéré, bien qu’à l’époque on aime défiler – se pressent autour du kiosque Bosc où ont pris place les ténors de la politique et de la Résistance. Après plusieurs discours, ponctués par celui de Labat-Leroy, responsable régional du MLN, représentant des fameux minoritaires, aujourd’hui en nombre, un long cortège se dirige vers la Préfecture où l’on dépose une motion demandant le retrait immédiat des forces de police qui occupent Midi Libre.

Il y aura plus grave : Dans une résolution publiée dans La Voix de la Patrie du 2 octobre 1945, le syndicat de la police de Montpellier, où se retrouvent gardiens de la paix et CRS, « considérant que le conflit existant entre le comité directeur du Midi Libre et le ministre de l’information est d’ordre purement privé ; considérant que ce conflit ne justifie pas l’emploi des forces de police dont le rôle est uniquement de protéger la République et les institutions démocratiques ; considérant qu’aucun désordre ni manifestation violente, susceptible de mettre en danger la sécurité publique, ne se sont produits, ni menacent de se produire ;

— demande le retrait immédiat des formations déjà employées dans les locaux de Midi Libre,

— se déclare, enfin, par discipline syndicale, solidaire des ouvriers du Midi Libre ». (Fig. 11)

L’atelier des linotypes
Fig. 11 - L’atelier des linotypes

La crise atteint son paroxysme. Devant toutes ces réactions qu’il aurait pu prévoir, le Commissaire de la République va amorcer un mouvement de retraite. Bujon, Marsal et Cassagne essayent de forcer la porte de son bureau. Le dernier est intercepté in extremis mais les deux autres réussissent leur entreprise. L’explication est orageuse. Elle aboutit toutefois à un accord. Le 1er octobre, au matin, les CRS évacuent les locaux du journal. L’imprimerie neutralisée ne rouvrira qu’en accord avec le personnel. Me Jean Zuccarelli, avocat bien connu du quotidien, ancien et futur maire de Montpellier, fait assurer, sous sa responsabilité, la garde des rotatives et est habilité à délivrer une vingtaine de laissez-passer, contresignés par le préfet et délivrés au personnel d’entretien. L’entrée des locaux est surveillée par deux gardiens de la paix. Cependant, l’indécision règne encore sur l’avenir de la Société. Il faut en sortir d’autant plus qu’un nouveau candidat vient de se manifester en la personne de Ferdinand Paloc, ancien déporté qui soutient, non sans raison, qu’il a autant de droits que beaucoup d’autres à diriger le journal.

Un compromis acceptable

Ce nouveau candidat au poste directorial, rédacteur à L’Éclair et résistant méritoire, devait s’emparer de son journal dans le cadre du plan insurrectionnel. Mais il avait été arrêté, puis déporté. Maintenant, appuyé par le MLN, il revendique le poste de directeur technique et administratif. La majorité du personnel de Midi Libre s’y opposant, Jean Bène propose à Bujon de s’en remettre à l’arbitrage du commissaire de la République. Mais, ce dernier n’est pas chaud sur le principe de confier à un représentant des pouvoirs publics, le choix d’un directeur de journal ; Jacques Bounin non plus qui, rendu prudent par les évènements, estime aussi que c’est au Conseil d’Administration de la nouvelle société, quand elle sera créée, qu’il appartiendra de trancher cette question 42. Jacques Bellon absent, c’est Maurice Bujon qui a la responsabilité de la nouvelle société. C’est à lui que l’équipe demande de dénouer un conflit qui risque, s’il se poursuit trop longtemps, d’être fatal à un journal qui n’a, somme toute, qu’un an d’existence.

C’est dans ce but qu’un entretien a lieu à la Préfecture avec Jules Moch qui est de passage à Montpellier. L’ancien (et futur) Ministre n’est en rien mêlé au conflit mais il craint qu’avec Bellon, le journal ne passe sous influence communiste. C’est ce qu’il déclare d’entrée de jeu. Bujon lui donne tous apaisements : « nous faisons un journal d’information et si nous refusons d’être sous la houlette socialiste, ce n’est pas pour supporter celle des communistes. Comprenez-nous bien. Nous n’avons rien contre la personne de Jean Bène qui est un homme de grande qualité, mais c’est actuellement la personnalité politique la plus importante de l’Hérault. Ce n’est pas sous sa direction que nous pourrons faire un journal de stricte information. Au contraire, Bellon est un journaliste professionnel, indépendant de tous les partis malgré les ragots colportés contre lui. »

Jules Moch précise qu’il n’est pas dans les intentions des socialistes de faire de Midi Libre l’organe de leur parti : « Ce serait suicidaire. Midi Libre ne vivrait pas longtemps. »

« Nous sommes bien d’accord, répond le rédacteur en chef. Mais si les socialistes du département et le MLN national pensent comme vous, pourquoi donc prolonger un conflit ? Nous sommes dans un état de fait : une société est constituée. Cette société détient l’autorisation de paraître que lui a apportée Jacques Bellon lors de sa constitution. Juridiquement, nous avons le bon droit mais si la grève persiste nous n’aurons plus de lecteurs, ni socialistes, ni autres ».

« Accepteriez-vous que votre société s’élargisse et admette, dans son sein, avec des représentants nationaux du MLN, des hommes représentant les nuances de l’opinion ? »

« Je pense que l’équipe des journalistes n’y verrait aucun inconvénient ; encore faut-il la consulter. Mais de toute façon, s’il doit y avoir des hommes politiques à l’intérieur de la société, il faut qu’ils viennent de tous les partis, notamment du parti radical et du MRP. »

Revenu au Journal, Bujon convoque l’équipe qui lui donne son accord sur le principe mais à condition que les journalistes représentent la fraction la plus importante des participants. Le lendemain, il est proposé de faire le partage suivant : 30 % au MLN ; 30 % aux journalistes ; 30 % au parti socialiste et 10 % aux radicaux. Les journalistes trouvent que ce n’est pas suffisant et Paul Bernard accepte de céder 3 % des actions pour que les fondateurs puissent avoir le tiers du capital.

C’est sur ces bases que sera signé le 10 octobre 1945 un accord, entre le MLN et le personnel de la Rédaction et de l’imprimerie de Midi Libre, mettant fin au conflit 43. Il stipule :

Midi Libre reparaît à dater du 11 octobre,

— une société anonyme est constituée suivant les principes exposés antérieurement (protocole du 3 octobre) avec participation de 24 % du capital aux journalistes et « étant précisé que Bène est directeur politique et Bellon – et Bujon, par intérim – directeurs technique et administratif »,

— Bène prend la direction politique de Midi Libre dès le 11 octobre 1945 mais jusqu’à la constitution définitive des sociétés et la conclusion des accords nécessaires au fonctionnement du protocole ci-dessus, l’imprimerie et le journal Midi Libre seront gérés comme précédemment sous la direction de Bellon (dont Maurice Bujon assume l’intérim).

Les signataires de l’accord sont, pour Midi Libre : Bujon, de Varenne, Aimé Volle, Marsal, Connillière, Campredon ; pour le MLN : Paul Bernard et Jean Bène.

Les fondateurs du Journal ont gagné sur un point essentiel : Bellon reste en place. Midi Libre reparaît effectivement le 11 octobre 1945. Dans leur rapport avec les pouvoirs publics, Bujon et Madeleine Rochette ont pu compter sur l’intelligente souplesse d’Alexandre Stirn, chargé de mission au Commissariat de la République, et dont nous avons déjà parlé 44. Un accord est signé le 11 octobre avec les représentants parisiens du MLN.

L’application de l’accord

Dès son retour à Montpellier, en décembre 1945, Bellon est mis au courant des évènements. Le Conseil d’administration le charge de prendre contact avec Jean Bène pour traduire dans les textes les accords d’octobre. Les pourparlers seront d’autant plus longs que le statu quo satisfait l’équipe dirigeante qui attend par ailleurs qu’un statut de la Presse soit institué (il ne le sera jamais). Les amis politiques de Jean Bène poussent à la roue. On vote beaucoup à cette époque et ils estiment préférable d’être à l’intérieur d’un journal qui est en train de devenir le premier quotidien de la région. Bellon sait faire preuve de souplesse. Au Conseil d’administration du 23 mai 1946, il fait part de sa décision de rémunérer Bène qui accepte. Non sans rechigner, les administrateurs donnent leur aval tout en soulignant que « les fonctions de Directeur politique, résultant du protocole du 19 octobre 1945 ne correspondent à aucune utilité et sont même de nature à gêner la position d’un journal de large information tel que Midi Libre. Il est bien entendu que cette décision est prise intuitu personae à l’égard de Bène et qu’elle ne saurait constituer un précédent ». (Fig. 12)

Il va falloir encore un an avant que les assemblées générales extraordinaires des 19 avril et 24 mai 1947 entérinent les protocoles d’accord signés le 24 octobre 1946 et approuvés par le Conseil d’Administration du 24 janvier 1947. Les statuts d’août 1945 qui restent le texte de base sont modifiés comme suit :

Photo de groupe - 1er janvier 1946
Fig. 12 - Photo de groupe - 1er janvier 1946. 1er rang (assis) : Reinard, Bujon, Mlle Rochette, Mme Linette Pous (secrét.), Chaillot, Germaine Comte (stén. presse), Mme Bosc (téléph.), Mme Bonnaure (sténo). 2ème rang : Proumen, Vérune, Le Coroller, Rollier de Varenne, Marsal Louis, Mascou, Mlle Barailla (sténo), M. Bellon (Directeur), Rollat. 3ème rang : Blain, Aymard, Véran, Mlle Chaussade, J. André, Mlle Courtiol (téléph.), Annie Kavemann. Absents : MM. Sernin, de Vichet, Autès, Pansanel, Vianès, Marsal Albert, Gambardella et l’auteur Perrier. (1/1/46)

1 — Le capital de 100 000 francs, augmenté de 320 000 francs par l’émission au pair de 320 actions de 1 000 francs chacune, est ainsi porté à 420 000 francs. Ces actions nouvelles sont souscrites :

— d’une part, par les anciens actionnaires : Labin (4 actions), Bujon (5), Gambardella (6), De Varenne (6), Marsal (6), Campredon (6) et Connillière (6).

— d’autre part, par les personnalités suivantes : Alliès (28 actions), Béchard (27), Bène (29), Hickel (18), Bernard (29), La Jonchère (28), Lanet (28), Moch (29), Pannoux (27), Raynal (28).

Compte tenu des apports de septembre 1945, la répartition des actions entre les anciens et les nouveaux venus est donc de 138 pour les premiers et de 281 pour les seconds.

2 — Chaque actionnaire ne peut posséder un nombre d’action supérieur à 30.

3 — La société est administrée par un conseil composé de trois membres au moins et de douze au plus pris par les actionnaires et nommés par l’Assemblée Générale ordinaire.

L’immatriculation au registre de commerce intervient le 25 mars 1947 sous le n° 172 28 B après autorisation préfectorale du 18 janvier 1947. Les modifications au statut sont déposées chez Me Domergue le 2 juin 1947.

Trois nouvelles augmentations de capital auront lieu au cours des années suivantes :

— le 30 juin 1949, le capital social est fixé à un million de francs, divisé en mille actions de mille francs chacune. Une décision du 30 juin 1948 de l’Assemblée générale extraordinaire a limité à cent le nombre d’actions possédé par chaque actionnaire.

— le 17 avril 1950, le capital social est fixé à dix millions de francs divisé en dix mille actions de mille francs chacune. Chaque actionnaire ne pourra posséder un nombre d’actions supérieur au douze pour cent du nombre d’actions composant le capital social. Chaque administrateur doit, pendant toute la durée de son mandat être propriétaire d’un nombre d’actions représentant au moins 2,50 % du nombre d’action composant le capital social.

— le 27 mai 1952, le capital social est porté à vingt millions de francs par création de dix mille actions nouvelles à mille francs réservées aux anciens actionnaires à raison d’une action nouvelle pour une action ancienne.

Le 20 septembre 1946, Labin a dû donner sa démission. En effet, l’ordonnance du 26 Août 1944 exige que les patrons des entreprises de presse soient de nationalité française. Or, Jacques Bellon, bien qu’ayant fait la plus grande partie de ses études en France est roumain. Il a demandé sa naturalisation à la Libération mais ses adversaires font le siège du Ministère de l’Intérieur et l’acte de naturalisation, sur le point de sortir, ne paraît pas (il faudra attendre le décret n° 35 208 X 45 du 12 mars 1947). Le Ministre de l’Information vient de le mettre dans l’obligation de résilier ses fonctions. Le Conseil d’Administration s’est élevé contre ce procédé oblique employé pour déstabiliser un journal de la Résistance et renouvelle sa confiance à Bellon (qui est toujours en convalescence) dont l’effacement ne peut être que provisoire. Le 22 septembre 1946, le Conseil confie la présidence à son doyen Emmanuel Gambardella et nomme Jacques Bellon directeur général adjoint.

Il faut rappeler qu’à cette époque, les présidents des Conseils d’Administration sont très souvent des personnalités essentiellement représentatives et que le pouvoir véritable est exercé par leur second (si l’on peut dire), le directeur général adjoint. Le même Conseil d’Administration avait décidé que, pendant ses absences, le directeur général adjoint serait remplacé par Bujon. Le 20 juin 1947, Bène et Bernard sont entrés au Conseil d’Administration. Il ne reste plus à la Société du Journal Midi Libre qu’à entrer dans ses meubles. C’est une très longue affaire que nous allons maintenant examiner.

La dévolution des biens de L’Éclair

Dès 1945, les pouvoirs publics sont convaincus de la nécessité de mettre fin au régime provisoire des entreprises de presse. Mais il va falloir deux lois – celle du 11 mai 1946 et celle du 2 août 1954 – pour que, selon l’expression d’Albert Bayet, les journaux cessent de vivre « en garni ». Nous allons examiner les répercussions de ces lois sur la constitution du patrimoine immobilier de Midi Libre.

La loi du 11 mai 1946

Le législateur prévoit le transfert à l’État de la propriété des biens corporels et incorporels des entreprises de presse ayant fonctionné sous l’occupation. Mais ces biens sont dévolus immédiatement à une société nationale, la SNEP (Société Nationale des Entreprises de Presse), établissement public de caractère industriel et commercial. Celle-ci, composée pour un tiers des représentants de l’État, pour un tiers des représentants de la FNPF et pour un tiers des représentants des journalistes, cadres, employés et ouvriers de la presse, est chargée de gérer les biens confisqués et, éventuellement de les attribuer, après indemnisation, en accordant la priorité aux journaux installés dans l’entreprise dans un délai d’un an après la libération locale. Malheureusement, cette attribution ne pouvait intervenir avant le vote du nouveau statut de l’Entreprise de Presse, lequel restait dans les limbes.

L’article 17 de la loi stipulait : « En attendant la promulgation de la loi réglant le statut des entreprises de presse, il ne pourra être procédé à aucune aliénation ni à des locations d’une durée supérieure à six mois ». Cette restriction explique la conclusion de 17 contrats de location d’un fonds de commerce d’imprimerie, de six mois chacun, entre la SNEP et la Société Midi Libre. Le premier – du 9 janvier 1947 au 9 juillet 1947 – prévoyait une redevance mensuelle de 229 882 F. Cette dernière était passée à 624 592 F pour le dernier contrat allant du 1er janvier au 30 juin 1955.

C’était le règne du provisoire. Les directeurs de journaux l’admettaient d’autant plus difficilement qu’ils ne voyaient d’autre solution pour affermir leur entreprise que le retour à un système commercial classique. De plus, au fil des mois, les pressions exercées par les anciens propriétaires et leurs soutiens s’aggravaient. Enfin, l’impossibilité de l’attribution entraînait celle de l’indemnisation aux journaux confisqués puisque la loi avait subordonné la seconde à la première. Les actionnaires de bonne foi étaient pénalisés. Attaquée de toute part, la loi du 11 mai 1946 allait, après d’interminables débats, être enfin révisée.

La loi du 2 août 1954 (loi de Moustiers)

Elle permet de liquider le régime provisoire. Les biens de presse sont répartis entre les entreprises qui, constituées avant le 1er janvier 1953, les utilisent à la date de promulgation de la nouvelle loi. La répartition est faite conformément à un plan établi par une commission nationale et publié au journal officiel.

S’agissant d’entreprises ayant fait l’objet d’une même confiscation, l’attribution peut se faire soit par un contrat de vente au comptant, soit par un contrat de vente sous condition suspensive de paiement ; dans ce dernier cas, les attributaires peuvent obtenir l’échelonnement des versements sur une durée qui ne peut être supérieure à 15 ans. Une indemnité quinquennale des annuités est alors prévue. Le prix de vente est fixé d’après la valeur vénale des biens à l’époque du contrat par accord ou par arbitrage. Il n’est plus question d’attendre la promulgation de la loi réglant le statut des entreprises de presse. Il faudra encore patienter plus d’un an pour que la dévolution des biens de L’Éclair soit acquise. Pourtant, Bellon, très introduit dans les milieux de la presse, est bien placé pour négocier. Il est, en effet secrétaire général du bureau de la Fédération Nationale de la Presse française 45. Mais les négociations, d’une grande complexité juridique, sont longues et ardues. De plus, Bellon, atteint par la maladie qui doit l’emporter, a cessé ses fonctions à dater du mois de mai 1955. C’est Jean Bène, avocat de son métier et parlementaire, qui représente le journal à la dernière discussion. Toutefois, c’est Jacques Bellon qui, le 31 août 1955, signe l’acte de vente en l’étude de Maître Thion de la Chaume, notaire à Paris.

La Société du Journal Midi Libre devient propriétaire, non seulement des biens de la Société L’Éclair mais encore d’une rotative Marioni ayant appartenu au Petit Méridional et de divers matériels d’imprimerie provenant d’autres sociétés. Il s’agit d’une vente sous conditions suspensive de paiement. Le prix est de 97 779 000 francs. Il doit être payé en quinze annuités de 6 518 600 francs, sans intérêt.

Il a fallu onze ans, presque jour pour jour, pour apaiser les esprits, réduire les antagonismes, assurer une solide base juridique au journal et lui donner pignon sur rue. Débarrassé des contraintes du provisoire, Midi Libre peut désormais envisager l’avenir avec sérénité.

Annexes

Principaux sigles utilisés

AML Archives de MIDI LIBRE
ADH Archives Départementales de l’Hérault
CDL, CLL Comité départemental, local de libération
CNR Conseil National de la Résistance
COMAC Commission d’action
FFI Forces Françaises de l’Intérieur
FFL Forces Françaises Libres
FN Front National
FNPC Fédération Nationale de la Presse Clandestine
GPRF Gouvernement Provisoire de la République Française
MLN Mouvement de Libération Nationale
MUR Mouvements Unis de la Résistance (au début de l’année 1943 en zone sud de résistance : Combat, Libération et Franc-Tireur)
NAP Noyautage des Administrations Publiques.

Arrêté N° 535 du 15 novembre 1944 portant autorisation de publication

Le Commissaire de la République,
Vu l’ordonnance du 10 janvier 1944 portant division du territoire de la métropole en commissariats régionaux de la République,
Vu l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental,
Arrête :

Article 1 – M. Bellon, pris en sa qualité de représentant du Mouvement de Libération Nationale et de la société en formation pour l’exploitation du journal Midi Libre, est autorisé à publier ledit journal au nom de l’organisation dont il est mandataire.

Article 2 – L’autorisation ci-dessus est accordée sous réserve des décisions du Comité régional de presse et d’information prévu à l’article 3 de l’ordonnance du 22 juin 1944 sur l’organisation de la presse.

Article 3 – Le présent arrêté a effet rétroactif du 1er septembre 1944.

Article 4 – M. le délégué régional à l’information et M. le Préfet de l’Hérault sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Montpellier, le 15 novembre 1944
Le Commissaire de la République
Jacques Bounin.

Arrêté n° 537 du 25 octobre 1944 portant réquisition de biens

Le Commissaire de la République,
Vu l’ordonnance du 10 janvier 1944 portant division du territoire de la métropole en commissariats régionaux de la République, et
Vu l’ordonnance du 9 août relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental,
Vu l’arrêté du 31 août 1944 fixant le régime de la presse et notamment l’article 13 dudit arrêté,
Arrête :

Article premier – Les biens meubles et immeubles appartenant ou en possession de la Société anonyme L’Éclair 13, rue d’Alger, à Montpellier, sont réquisitionnés et mis à la disposition de l’exploitation du journal Midi Libre.

Article 2 – La redevance afférente à cette utilisation sera fixée ultérieurement.

Article 3 – Le Préfet de l’Hérault est chargé de l’application du présent arrêté.

Montpellier, le 15 octobre 1944
Le Commissaire de la République
Jacques Bounin.

Sources et bibliographie

— Archives départementales de l’Hérault (21 W 7 – 19 W 40 – 320 W 47 – 406 W 194 – 406 W 202).

— Archives du journal MIDI LIBRE (non répertoriées).

— Multiples entretiens avec des personnels du Midi Libre.

— Collection du journal Midi Libre (depuis le 27 août 1944 – sérié microfilmée depuis le 1er janvier 1961)

— Collection du journal La Voix de la Patrie (du 27 août 1944 au 12 février 1953 (archives Midi Libre))

— Collection du journal L’Éclair – Collection du journal Le Petit Méridional

Midi Libre Spécial 40e anniversaire 22 août 1984

Bibliographie de la presse française politique et d’information générale

Andréani Roland et François Poggi, 34 Hérault, BNF 1970
Debant, Robert, 30 Gard, BNF 1985.

— Andréani, Roland, La presse quotidienne de Montpellier des origines à 1944, Thèse Université de Toulouse – Le Mirail, 1989, 3 tomes

— Bellanger, Claude (dir), Histoire Générale de la Presse Française, tome 3 de 1871 à 1940 – tome 4 de 1940 à 1958, PUF, 1971-1975

— Bertaux, Pierre, La libération de Toulouse et de sa région, Hachette 1973

— Bounin, Jacques, Beaucoup d’imprudences, Stock 1974

— Bourderon, Roger, Libération du Languedoc Méditerranéen, Hachette 1974

— Ciretti, Pierre, Les grands quotidiens français et le Général de Gaulle, DES histoire, Université Paul Valéry, Montpellier III – 1979

— Dumas, Pierre, « MIDI LIBRE – Le quotidien de Montpellier », Presse-actualité n° 19, juin-juillet-août 1965

— Mathien, Michel, La presse quotidienne régionale, P.U.F., Collection « Que sais-je ? » n° 2074 – 1986

— Noguères, Henri, Histoire de la Résistance en France, Laffon 1981, Tome V (juin 44-mai 45)

— Noguères, Henri, « De la Résistance à la Libération », Midi Libre du 27 août 1969 – 25e anniversaire

— Sagnes, Jean, Maurin, Jules, L’Hérault dans la guerre (1939-1945) Éditions Horvath 1986.

— Sportès-Bujon, Marie-France, Les grandes consultations nationales d’octobre 1962 à avril 1969 et le MIDI LIBRE, thèse de droit, Faculté de Droit, Montpellier mars 1971.

— Torrès, Félix et alii, Midi Libre : un journal dans sa région : 50 ans – Albin Michel, 1995

— Vaton, Bernard, L’Éclair (1881-1944), thèse de droit, Montpellier Juin 1967

— Vielzeuf, Aimé, La Résistance dans le Gard, Imprimerie Bène Nîmes, 1979

Les illustrations sont issues de la collection privée de l’auteur.

NOTES

1. Propos rapporté par Maurice Bujon.

2. Midi Libre 7 juillet 1956.

3. En France, la durée effective du service militaire est de deux ans. C’est sans doute ce qui a poussé Labin – qui avait envisagé sa naturalisation dès 1935 – à faire en Roumanie un service militaire d’un an seulement.

4. A.D.H. 406 W 202.

5. Propos rapporté par Maurice Bujon.

6. Voir en annexe la liste des sigles utilisés.

7. Midi Libre 7 juillet 1956.

8. AML. Ministère des Affaires étrangères. Note de Gilbert de Chambrun du 11 août 1945.

9. ADH. Dossier de la Cour de Justice – affaire Georges Soustelle. Jean Luchaire, directeur avant la guerre de Notre temps, puis des Temps nouveaux pendant l’occupation, était sous le régime de Vichy président de l’association de la presse parisienne. Collaborateur notoire, – il devait être fusillé à la Libération.

10. Yves Dupont, La Mecque du football, imp. Bène, Nîmes, 1973, page 299.

11. Midi Libre du 30 juillet 1986.

12. Histoire générale de la presse française (P.U.F.), tome 4, page 175.

13. Témoignage de Maurice Bujon.

14. Témoignage de Maurice Bujon.

15. Témoignage d’Henri Cais.

16. C’est, rappelons-le, le nom de guerre de Marsal.

17. A.D.H. Hérault – 406 W 202 – Note au sujet de la réquisition des entreprises de journaux rédigée par M. Vollaeys, le 14 février 1945.

18. Idem.

19. Témoignage de Madeleine Rochette.

20. Témoignage de Maurice Bujon.

21. Témoignage de Madeleine Rochette.

22. Témoignage de Jean Volpillière.

23. En dialecte occitan, le rachalan est un type d’ouvrier agricole, qui travaille à l’entretien des mazets dans la garrigue nîmoise. Par extension, il s’agit du représentant typique du petit peuple local.

24. Vielzeuf Aimé, La Résistance dans le Gard et la Cévenne, Nîmes, Lacour, 1991, page 16.

25. Témoignage de Marcel Cassagne.

26. Midi Libre 27 août 1984 – Supplément spécial au n° 14260.

27. Témoignage de Justin Banastier.

28. Midi Libre du 27 août 1984 – Supplément spécial au n° 14 26-0.

29. Témoignage de Gérard Ménatory.

30. A.M.L.

31. A.D.H. 406 W 202.

32. Midi Libre 28 novembre 1974.

33. A.D.H. 406 W 202 ; Id. pour le projet Galtier.

34. A.D.H. 21 W 7.

35. Communiqué du comité régional du M.L.N. publié par La Voix de la Patrie du 30 septembre 1945.

36. A.M.L.

37. La Voix de la Patrie du 30 septembre 1945 – communiqué du Comité régional du M.L.N.

38. A.D.H. 21 W7.

39. Midi Libre du 28 septembre 1945.

40. A.D.M 21 W7. Télégramme officiel n° 011247 du 28/9/1945 du commissaire de la République du Languedoc-Roussillon au Ministre de l’Intérieur-Cabinet Paris.

41. Pour être sûr que l’imprimerie ne serait pas utilisée à son insu, Maurice Bujon en a retiré une pièce essentielle confiée à Me Jean Zuccarelli, avocat du journal.

42. Par la suite, Ferdinand Paloc devait porter l’affaire en justice mais il fut débouté par le Tribunal Civil de Montpellier, le 20 novembre 1951.

43. A.M.L.

44. Témoignage de Madeleine Rochette.

45. Mais aussi vice-président du Syndicat des quotidiens régionaux ; membre du Conseil d’administration de la S.N.E.P. au titre de représentant patronal ; membre directeur suppléant de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels ; et membre suppléant du Bureau central des papiers de presse.