Les Confréries de Pénitents aujourd’hui :
culture, religion, politique

* Docteur en Sociologie

Nice 2015 Maintenance des confréries de pénitents (cathédrale)
Fig. 1 - Nice 2015 Maintenance des confréries de pénitents (cathédrale)

Études héraultaises a déjà eu l’occasion de publier plusieurs articles consacrés aux confréries de pénitents de notre région. Maurice Agulhon dès 1985 (« Les Confréries de Pénitents au XIXe siècle » 1) envisageait les causes multiples du dépérissement et de la quasi disparition des confréries à la fin du XIXe siècle, en s’appuyant essentiellement sur son terrain provençal. Par la suite, Catherine Reboul (les pénitents blancs de Montpellier à la fin du XVIIIe siècle) 2 ; Louis Secondy (les pénitents blancs de Mèze, 1588-1918) 3 ; Catherine Papini (les pénitents blancs de Castelnau-de-Guers sur le long XIXe siècle) 4, immédiatement suivie de Guilhem Secondy (les pénitents bleus de Montpellier au siècle des Lumières) 5, allongeaient la liste des monographies locales.

Tous ces articles sont à replacer dans le mouvement actuel de la recherche historique qui multiplie les inventaires à partir des archives privées, de plus en plus souvent déposées aux Archives départementales. Ils s’attachant aux caractéristiques structurelles et aux lignes d’évolution de ces associations, depuis leur apogée sous l’Ancien Régime jusqu’à leur progressive extinction tout au long du XIXe siècle. On pouvait croire ainsi que l’institution pénitente n’existait plus que comme trace résiduelle, et que l’attention des historiens relevait de l’hommage dû à la « beauté du mort », selon l’expression de Michel de Certeau.

Pourtant, les confréries de pénitents ne sont pas mortes. Aujourd’hui elles vivent, et d’une présence que l’on pouvait difficilement prévoir il y a cinquante ans. C’est que le XXIe siècle est religieux, selon la prophétie prêtée à Malraux, et le manifeste de tant de façons diverses que les confréries ont trouvé leur place, modeste et réduite certes, mais bien vivace dans le panorama religieux de ce début de millénaire. Il suffit de solliciter les moteurs de recherche sur Internet pour voir défiler des dizaines de pages qui leur sont consacrées, et le plus souvent qu’elles affichent elles-mêmes comme autant de fenêtres ouvertes sur une réalité méconnue.

Il convient donc de passer à une histoire du temps présent, et de se risquer à dégager quelques lignes de force de l’institution pénitente aujourd’hui. L’entreprise n’aurait aucun sens de la restreindre aux seules confréries montpelliéraines, ou même languedociennes : des monographies, à supposer qu’elles fussent possibles tant le « terrain » peut se révéler sensible 6, n’éclaireraient guère sur la dynamique actuelle qui touche un territoire plus vaste. Cependant, l’Hérault a joué au XXe siècle, et joue peut-être encore aujourd’hui, un rôle déterminant pour fédérer et organiser les confréries contemporaines. Ceci suffirait à justifier la place de cet article au sein des Études héraultaises.

Le sous-titre choisi veut mettre l’accent sur les trois dimensions qu’il convient de prendre en considération dans l’étude de l’institution pénitente. Phénomène culturel, les confréries de pénitents le sont, ne serait-ce que par leur diffusion géographique au cours des siècles, et aujourd’hui encore. Leur implantation est spectaculaire en Italie et en Espagne. Cet arc méditerranéen est confirmé en France, où elles relèvent du domaine occitan et apparenté (en incluant pays catalan, comté de Nice, Corse) ; au XIXe siècle, on disait plus simplement : le Midi. Au Nord, les traces de telles confréries ne se distinguaient-elles guère que dans des provinces soumises aux influences hispaniques : la Franche-Comté des Habsbourg, la Lorraine, les Flandres. Quoi qu’il en fût, le Nord n’a pas connu, et de loin, la densité de confréries que l’on trouve en Provence et en Languedoc. Mieux, il faut peut-être, sous bénéfice d’inventaire, relever la notation d’Agulhon : la belle époque (XVIe-XVIIe siècles) des confréries pénitentes « voit surtout se produire un fait très important, et inexpliqué : la disparition de ce genre de confréries dans la France du Nord, de l’Est, de l’Ouest, et sa prolifération dans le Centre, et surtout dans le Midi » 7. Le double mouvement – disparition au nord, prolifération au sud –, est confirmé par la cartographie que présente Michel Vovelle, sur des sources certes partielles, en 1983 8. On peut donc parler d’une géographie culturelle des pénitents, qui met en évidence une certaine forme de religiosité catholique latine 9.

Mais les confréries de pénitents se distinguent de l’ensemble du phénomène confraternel par la liaison plus étroite qu’elles entretiennent entre affirmation religieuse et convictions politiques. Ce fut particulièrement visible durant les périodes d’intensité militante : lors des guerres de religion, qui les virent actives du côté des Ligueurs, ce qui pourrait expliquer leur présence dans le grand bassin parisien avant 1600 ; et pendant une grande part du XIXe siècle, attachées à leur fidélité monarchique contre la Révolution et la République. Et c’est très manifestement le cas au XXe siècle, lorsqu’elles décident d’entrer en résistance contre la République libérale, moderniste, laïque, anticléricale, sous l’impulsion de l’évêque de Montpellier, le cardinal de Cabrières. L’étude des confréries de pénitents s’inscrit donc au sein de cet ensemble complexe, tout à la fois culturel, religieux et politique, qui répond au vocable de Midi blanc.

Bibliographie de la spécificité pénitente

Rappelons en quoi consistent, de façon aussi générale que floue, les confréries de pénitents. Elles participent des associations, nées dès le Moyen-Âge, de laïcs désireux de manifester leur foi au sein de l’Église. Ce mouvement associatif général regroupe une grande variété de formes, de dénominations, de fonctions, qui vont des confréries de métiers avec leur culte au saint patron, aux confréries paroissiales de dévotion à la Vierge ou au Saint-Esprit, en passant par les confréries charitables de secours aux indigents ou aux condamnés. André Vauchez, après Gabriel Le Bras 10, insiste sur des confréries « à la charnière des exigences des clercs et des aspirations des laïcs » 11, ce qui laisse entrevoir toutes les figures possibles du rapport entre l’autorité cléricale (du curé, de l’évêque) et l’autonomie des laïcs. C’est sur cette question-là que les pénitents se distinguent peut-être le mieux des autres types de confréries. A la différence de la plupart des associations pieuses qui restent sous la coupe du curé, dans le cadre et l’espace de l’église paroissiale, les confréries de pénitents revendiquent une autonomie de fonctionnement qui se manifeste, autant que faire se peut, par le choix de posséder leur propre chapelle, et la liberté de choisir leur aumônier. Il se peut que cette particularité pénitente trouve son origine dans une généalogie remontant aux tiers-ordres mendiants – avec des dates repères symboliques : 1226 en Avignon, 1306 à Gênes 12. Mais le phénomène pénitent se diffuse massivement dans la seconde moitié du XVIe siècle, dans la dynamique du Concile de Trente, et se présente comme une contre-offensive à la Réforme, proche de la Sainte Ligue. Dans ce combat militant, les pénitents engagent l’ardeur d’une secte naissante, à tout le moins semblent bien se vivre comme « société à part », ou « communauté idéale » 13.

Au-delà de cette première vague de la fin du XVIe siècle, les créations continues de confréries tout au long de l’Ancien Régime et même dans la première moitié du XIXe siècle, ne peuvent que brouiller le type pur initial, et complexifier la réalité du modèle pénitent. Reste comme point fixe, du moins pour le Languedoc et la Provence, une double spécificité : celle qui est reconnue par les autorités d’Église (lors des visites pastorales, les Évêques traitent des pénitents à part de l’ensemble des confréries de la communauté) ; et, plus visiblement, le port du « sac » et de sa cagoule lors des processions, pèlerinages et cérémonies publiques, qui fait une bonne part de leur prestige social.

La forte structuration interne des pénitents a favorisé la constitution d’un patrimoine, tant immobilier que mobilier. Les chapelles, souvent modestes dans les villages, peuvent être des temples richement ornés et décorés lorsque les confréries sont investies par les élites urbaines. La fonction muséale de la chapelle est évidente dans des confréries comme celles des pénitents gris d’Avignon ou d’Aigues-Mortes, des blancs de Montpellier ou du Puy-en-Velay, et dans bien des chapelles baroques de la région niçoise. Mais les pénitents ont aussi constitué des archives plus ou moins continues, au gré des aléas de leur histoire, et les statuts, registres, livres d’heures, tableaux d’officiers sont à la source de monographies historiques nombreuses. Ces sources documentaires ont fortement contribué à l’intérêt que les historiens leur portent aujourd’hui.

Longtemps, les recherches sur les confréries de pénitents se sont inscrites dans le champ de l’histoire religieuse. Les monographies de la fin du XIXe siècle, qu’elles soient dues à des clercs ou à des érudits locaux, entraient dans le domaine d’étude des relations, mouvantes et complexes, entre clercs et laïcs. Selon les préoccupations de leurs auteurs, elles oscillaient entre histoire institutionnelle de l’Église et ethnographie de la religion populaire.

Un tournant majeur de l’historiographie s’est opéré en Provence avec Maurice Agulhon dès la fin des années 1950, suivi de Michel Vovelle. Les confréries furent alors moins vues comme un relais entre clercs et laïcs au sein de l’Église, qu’insérées dans un riche tissu associatif où elles interféraient, à partir du XVIIIe siècle avec d’autres formes de sociabilité telles que les loges maçonniques, les clubs politiques ou les cercles bourgeois. L’hypothèse dominante était de chercher à rendre compte de la raréfaction et de la quasi disparition des pénitents à partir de la Révolution et au long du XIXe siècle, par un double transfert, de leurs fonctions religieuses vers des institutions modernes mieux adaptées, et de leur sociabilité interne vers des associations délibérément laïques. Ce modèle avait été construit à partir de l’évolution des nombreuses confréries varoises, et prétendait révéler l’originalité d’une sociabilité méridionale, donc d’un particularisme culturel. Les recherches multipliées dans les trente dernières années se sont engouffrées à la suite d’Agulhon, en testant les limites de sa thèse. Michel Vovelle, Marie-Thérèse Froeschlé-Chopard 14, Régis Bertrand 15, Maurice Bordes 16, Guy Laurans 17, entre autres, ont repris les propositions initiales en les sortant de la zone géographique réduite et de la chronologie pour lesquelles elles avaient été énoncées. A partir du laboratoire provençal, il convenait de s’interroger sur la pertinence d’un modèle qui semblait se heurter à des contre-épreuves multiples. L’institution pénitente bien caractérisée en basse-Provence se brouillait au sein d’une nébuleuse confraternelle plus haut dans les Alpes 18. Les multiples confréries du comté de Nice, tournées vers la Ligurie, relevaient-elles de la même histoire que celles des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse ? La société d’hommes varoise s’opposait aux confréries montpelliéraines accueillant pêle-mêle femmes et enfants. Désertion des élites dès avant la Révolution d’un côté, de l’autre engagement jusque en plein XIXe siècle, et parfois très au-delà. La littérature récente sur les pénitents a ainsi été amenée à jouer sur tout un faisceau de variations et de différences, institutionnelles au sein de l’univers confraternel, temporelles dans les chronologies propres à chaque région, sociales dans les recrutements des frères.

Si le tableau des confréries s’est considérablement enrichi, deux limitations subsistent pourtant. L’effort collectif considérable, qu’avait stimulé Maurice Agulhon depuis Aix, s’est pour l’essentiel concentré sur la Provence et le sud-est, abandonnant l’autre moitié du territoire occitan aux monographies dispersées, au risque de méconnaître d’éventuels particularismes 19. Et par ailleurs, les historiens ont répugné à franchir la barrière du XXe siècle, trop conscients peut-être de ce qui les attendait : « …les problèmes passionnants mais complexes que pose la nouvelle phase historique qui paraît s’être ouverte pour eux [les pénitents] vers le milieu du siècle présent » avec « le délicat problème du rapport à poser entre survivances naturelles et « maintenances » organisées » 20.

Le Midi blanc des pénitents : trois étapes

Tout au long du XIXe siècle, ou presque, les confréries languedociennes se sont maintenues, et ont même parfois prospéré, en s’arc-boutant sur le refus d’un monde moderne né de la Révolution. Si cette résistance de longue durée a été possible, c’est moins grâce à l’appui des autorités religieuses de tutelle – appui qui a manqué dans l’Hérault lors des épiscopats successifs de Mgr Thibault et Mgr Le Courtier entre 1835 et 1873 – que du fait d’un environnement idéologique favorable, l’alliance d’une aristocratie foncière socialement influente et d’un petit peuple légitimiste qui constituaient un terreau fait d’attachement aux traditions tant régionales que catholiques romaines. Ce sont ces deux composantes de la société languedocienne qui se retrouvaient dans les confréries, du moins dans les zones géographiques où elles subsistaient. Ce « Midi blanc » concentré autour de Montpellier a été analysé par Gérard Cholvy 21, et de façon particulièrement détaillée dans la thèse de Philippe Secondy publiée en 2006 22. En première analyse, et pour comprendre le destin des pénitents du XXe siècle, il faut certainement retenir trois grands événements confluents : le Syllabus de Pie IX publié en 1864, « Recueil renfermant les principales erreurs de notre temps » qui vient appuyer et cautionner les positions anti-modernes des confréries ; la naissance de l’Action Française en 1898 et sa prise en main par Charles Maurras dans les années suivantes, qui apporte à un mouvement royaliste somnolent un regain de vitalité et de nouvelles ambitions politiques ; enfin, la présence de Mgr de Cabrières sur le siège épiscopal de Montpellier durant près de 50 ans (1874-1921), qui d’une certaine façon personnifie le lien entre traditionalisme religieux et ordre politique en faisant des confréries un instrument au service de ce complexe idéologique.

Montpellier

Si à l’aube du XXe siècle les confréries de pénitents subsistent dans un certain nombre de régions méridionales, le mouvement historique qui va les animer nait à Montpellier. Durant le premier quart de ce siècle, c’est dans la cité languedocienne que se situent les leviers de commande et les forces d’impulsion. L’Annuaire des pénitents blancs de Montpellier, publié en 1902, permet de repérer parmi les quelques 150 noms répertoriés, nombre de notables du mouvement royaliste, dont certains ont joué un rôle particulièrement déterminant. Plusieurs des familles de la noblesse montpelliéraine de tradition monarchiste sont représentées, parfois en nombre comme les d’Albenas ; mais on retrouve aussi les noms de Ginestous, de Girard, de Surville, de Lunaret, ou encore le marquis Charles de Cadolle, qui quelques années plus tôt préside le groupe de la Jeunesse royaliste. Figurent également l’avocat Louis Vallat, le docteur Edmond Batigne, ou le papetier François Dezeuze, qui signe l’Escoutaïre des chroniques félibréennes dans la presse locale. Mais quelques personnalités ont joué un rôle essentiel au sein de la confrérie, au premier plan ou de façon plus discrète, et se sont efforcés de rassembler les pénitents méridionaux en un mouvement organisé.

La première est le marquis Jean de Forton, qui cumule plusieurs fonctions déterminantes : président du Conseil d’administration de L’Éclair, le quotidien conservateur et monarchiste dont l’influence rayonne sur tout le Midi ; politiquement, il est le représentant local du prétendant à la couronne, puis s’engage au sein de l’Action Française dont il sera un fidèle jusqu’à sa mort en 1932 ; il est aussi un proche de Mgr de Cabrières, au point que l’évêque de Montpellier le présentait volontiers comme son « vicaire général laïque » 23 ; enfin, il est prieur des Pénitents blancs de Montpellier, où il succède à Jean de Solignac, décédé en 1908 24. (Fig. 2)

A ses côtés, l’avocat Pierre Roussel, d’une famille de juristes montpelliérains 25, occupe durant plusieurs années les fonctions qui vont se révéler décisives de secrétaire de la confrérie, avant d’en devenir le prieur dans l’entre-deux guerres. Notons dès maintenant que la famille Roussel est, depuis les années 1880, propriétaire du château de Roussan, à Saint-Rémy de Provence, c’est-à-dire en plein cœur de la « Vendée provençale » mistralienne.

Chapelle des pénitents blancs de Montpellier. Au premier plan, entrée de l’hôtel de Forton
Fig. 2 - Chapelle des pénitents blancs de Montpellier.
Au premier plan, entrée de l’hôtel de Forton
(Coll. Guy Laurans)

Autant Forton et Roussel occupent le devant de la scène pénitente durant leurs mandats au sein de leur confrérie, autant deux avocats, figures majeures régionales, y sont – très probablement – des acteurs de l’ombre. Louis Guibal et André Vincent, activistes, organisateurs infatigables du mouvement monarchiste, préoccupés de stratégie politique au sein de l’Action Française 26, ont été, aussi, pénitents blancs. Ils figurent en 1902 dans le Tableau des officiers, Guibal comme conseiller et Vincent en tant qu’archiviste. Plus tard, à la veille de la Grande Guerre, ils comptent tous les deux parmi les 16 conseillers que le bureau de direction « doit consulter sur toutes les questions importantes intéressant la Confrérie » (art. 19 du Règlement intérieur).

Il est bien établi que la confrérie montpelliéraine est, avant-guerre, et très certainement jusqu’en 1928, fortement noyautée par les militants d’Action Française, et que la question à se poser est celle de la stratégie des Pénitents, partie religieuse, partie politique, tout au long de l’épiscopat de Mgr de Cabrières.

A partir de janvier 1911, les pénitents de Montpellier prirent l’initiative de publier un Bulletin mensuel « organe de la confrérie des pénitents blancs de Montpellier, de la société de secours mutuels Sainte-Foy et de l’union des confréries de pénitents blancs du diocèse de Montpellier », tiré sur les presses de l’imprimerie de la manufacture de la Charité, imprimeur de l’Évêché. Ce bulletin parut régulièrement jusqu’à la guerre, le dernier numéro étant daté de septembre 1914 27. C’est une source de grand intérêt pour l’histoire des confréries héraultaises au tout début du XXe siècle.

Malgré ce, nous prendrons comme point de départ de notre analyse le Congrès des Œuvres diocésaines de novembre 1907, au cours duquel fut présenté un rapport, établi par son secrétaire, sur la Confrérie des pénitents blancs de Montpellier 28. Il n’est pas sans intérêt de mettre l’accent sur la perspective d’ensemble que dessine ce document. Après avoir noté que, de toutes les Œuvres présentes à ce congrès, les Pénitents sont à coup sûr la plus ancienne, l’auteur s’inscrit en faux contre l’idée que cette institution « ne répond plus à aucun besoin, qu’elle a comme on dit définitivement « fait son temps » ou que les moyens de la faire vivre et prospérer (lui) font totalement défaut […] Si la Confrérie des Pénitents blancs tient aujourd’hui moins de place dans la vie de la Cité qu’elle n’en tenait jadis, ce serait une erreur historique de croire que c’est la conséquence d’une sorte de désaffection populaire et d’un abandon spontané des traditions religieuses. Au cours de sa longue histoire jamais la Confrérie des Pénitents blancs n’a été plus brillante que dans la période qui s’étend de 1860 à 1880 ».

Et l’auteur de détailler l’ampleur et la puissance de la confrérie montpelliéraine, à la tête d’une union de près de 80 compagnies affiliées dans tout le diocèse et au-delà : c’était le temps d’un pèlerinage à ND du Grau d’Agde, conduit par le Prieur le docteur Batigne, qui réunissait plus de 1 500 pénitents ; ou d’une « adresse de dévouement au Saint-Siège » recueillant plus de 2 000 signatures ; c’étaient surtout les processions en ville « dans les rues les plus étroites du vieux Montpellier, dans les quartiers les plus populeux », qui faisaient naître « deux sentiments bien chrétiens, bien français et pouvons-nous ajouter bien méridionaux : l’allégresse des cœurs et l’union des âmes. »

Ce tableau est globalement exact. Il est vrai que des confréries villageoises ont continué à s’agréger à la compagnie-mère montpelliéraine jusqu’au milieu des années 1870. Encore notre auteur ne parle-t-il que des pénitents blancs, certes de loin les plus nombreux : il ne dit pas un mot des pénitents bleus de la ville, et il ne décompte pas les quelques confréries de couleur qui existaient ici et là. Et si les effectifs des blancs montpelliérains (il en dénombre quelque 500 pour la période évoquée) ne sont plus comparables à ceux du XVIIIe siècle (plus de 1 200 vers 1765) ou même de l’Empire, lors de la reprise du culte, (en 1804, la compagnie dénombre 1 230 confrères et 690 confrèresses [sic]), ils manifestent une étonnante vitalité qui contraste avec le déclin et la disparition des confréries varoises observées par Maurice Agulhon. En bas-Languedoc, nulle « désaffection populaire », ainsi que se plait à le souligner l’auteur du rapport.

Si donc la fin du siècle se révèle plus difficile pour les pénitents, c’est en raison de contraintes extérieures faciles à identifier : « En 1880, vous le savez, un Arrêté municipal interdit les processions sur la voie publique 29. Depuis lors, nos pieux cortèges n’ont plus paru dans les rues de la ville. […] Quoi qu’il en soit au point de vue général, l’interdiction des processions par l’autorité municipale fut pour notre Confrérie la mesure arbitraire et violente qui mit un terme à sa prospérité croissante. La période qui suivit fut pour elle une période de silence forcé et il faut bien le dire d’affaiblissement et de désagrégation. »

Cherchant à mesurer ce degré d’affaiblissement de l’institution pénitente, les Montpelliérains lancèrent en 1906 une enquête auprès de ce qui subsistait des confréries affiliées. Le résultat est mesuré : le diocèse de Montpellier compterait encore 25 confréries, totalisant 1 107 frères 30. C’est une situation exceptionnelle, qui fait du diocèse de Montpellier l’épicentre du phénomène pénitent dans le Midi méditerranéen ; nulle part ailleurs on ne trouve à cette date une telle densité de confréries 31.

Une autre date repère est celle de la réunion des pénitents tenue à Pomérols le 12 juin 1910 32. Lors de cette rencontre, l’évêque de Montpellier qui la présidait « daigna nous conseiller de créer un Bulletin. Ce vœu fut considéré par le Bureau de direction des Pénitents blancs de Montpellier comme un ordre qu’il devait exécuter. C’est chose faite. » Ainsi naquit ce bulletin de liaison évoqué plus haut, qui formalisait et mettait au goût du jour le réseau de correspondance et d’entraide que les pénitents blancs montpelliérains entretenaient depuis toujours avec les confréries rurales affiliées. Au fil des numéros, se dessinent les contours de l’aire d’influence montpelliéraine : les échanges sont fréquents avec les confréries proches : Villeneuve-lès-Maguelone, Villeveyrac, Grabels, mais deviennent vite plus rares dès que les distances s’accroissent. (Fig. 3)

Le dernier Bulletin avant la guerre
Fig. 3 - Le dernier Bulletin avant la guerre
(Coll. Guy Laurans)

En décembre 1911, le retour de Rome de Mgr de Cabrières, promu cardinal, est l’occasion d’une manifestation monstre sur tout le trajet du cortège processionnel entre la gare et la cathédrale. Les Pénitents sont au premier rang pour assurer le service d’honneur dans la cathédrale. Les Montpelliérains ont battu le rappel des confréries lointaines, et des délégations garnissent les rangs, qui sont venues d’une vingtaine de localités du département. L’organisation méticuleuse mise en place par les Montpelliérains permet de connaître le détail de ces délégations, et par là la vitalité et la capacité de mobilisation de chaque confrérie.

Étaient également fortement représentées les deux confréries d’Aigues-Mortes, ainsi que celles d’Avignon.

Si cette cérémonie d’accueil du cardinal de Cabrières ne concernait au premier chef que les pénitents du diocèse, elle fut l’occasion de voir plus loin. Lors de la collation offerte dans les salles du Cercle Montalembert 33 des étudiants catholiques, « on a même parlé de fonder par la suite une vaste fédération qui comprendrait toutes les Unions de Confréries de la région méridionale et qui formerait ainsi une Fraternité chrétienne inspirée d’un même esprit de foi, de piété, de charité et de solidarité catholiques. Pourquoi un tel projet ne se réaliserait-il pas dans un avenir proche ? » 34

Dans l’esprit des Montpelliérains, poser la question était déjà y répondre. La première occasion fut la bonne, qui se présenta en 1913, pour le dernier grand événement pénitentiel avant la guerre. Le pèlerinage à St Trophime d’Arles, organisé autour de Frédéric Mistral, est bien connu mais il mérite de s’y arrêter, par son ampleur et ses multiples répercussions 35. Le premier véritable contact entre les pénitents montpelliérains et Mistral date de l’été 1912, avec le déplacement d’un représentant (anonyme 36) de la confrérie à Maillane. Le visiteur vient proposer au poète la charge de Prieur honoraire, continuant ainsi la coutume ancienne de faire appel à des personnages illustres à même de rehausser le prestige de la confrérie 37. L’acceptation de Mistral tient probablement à des raisons que le bulletin développe : « L’un des traits caractéristiques de la Compagnie des Pénitents blancs de Montpellier, c’est son traditionalisme religieux et local. Elle est une sorte de conservatoire des pieuses coutumes d’autrefois, des pratiques de dévotion des ancêtres (…) Il en est de même de nos confréries unies… Elles sont donc, elles ne peuvent pas ne pas être imbues de ce que l’on appelle aujourd’hui l’esprit du félibrige. Tout Pénitent, qu’il soit de Montpellier, d’Aigues-Mortes, d’Avignon, de Villeveyrac, de Montagnac, de Pignan ou de Grabels, est au fond un félibre catholique. » 38

L’enrôlement de Mistral sous la bannière pénitente semble bien avoir été mené depuis l’Évêché de Montpellier, à l’initiative de Mgr de Cabrières. Les liens étroits, de véritable complicité, entre l’Évêque et le prieur Jean de Forton, laissent penser à une opération concertée de captation de la figure hautement symbolique du poète au service d’une entreprise qui le dépassait, et dont il n’a pas su se libérer 39. C’est ce que laisse supposer la lettre du cardinal adressée au poète en mars 1913, et qui s’ouvre ainsi : « Mon cher et illustre contemporain, je n’en veux pas du tout aux Pénitents blancs de ma ville épiscopale de vous avoir si bien enrôlé parmi eux qu’ils veulent maintenant se grouper autour de vous, à Arles même, dans une grande manifestation religieuse, et se glorifier là de votre fraternité, qui les rend si fiers. Je serai là, avec eux, le 1er juin, avec la permission expresse de Mgr l’Archevêque et dans le but de célébrer, à Saint-Trophime, ou lou Bon Dieou disiè la Messe, le seizième centenaire de la pacification de l’Église par Constantin… » 40

Il faudra revenir sur la signification religieuse et politique de cette journée à Saint-Trophime, dont la portée symbolique est évidente : c’est là que fut brandi le labarum romain qui sert encore aujourd’hui d’emblème à la fédération des confréries. Pour l’immédiat, retenons de cette manifestation, présentée comme un « pèlerinage constantinien », qu’elle fut l’occasion d’un élargissement décisif de l’organisation pénitente. (Fig. 4)

Le labarum constantinien
Fig. 4 - Le Labarum constantinien

La plaquette-souvenir publiée par les pénitents blancs à la suite du pèlerinage s’étend longuement sur les lendemains de la manifestation, et le rassemblement des confréries en une Fédération des Pénitents du midi. Ce qui n’avait été qu’une idée en 1911 fut repris définitivement en Arles, avec l’accord des confréries vauclusiennes présentes. Sont représentées les confréries d’Avignon, Valréas, Monteux, Mazan, Pernes, Mornas, Carpentras… Un banquet tenu le lendemain des cérémonies de Saint-Trophime dans un hôtel avignonais confirma la création de la fédération méridionale. Celle-ci se compose du regroupement de quatre unions diocésaines : Montpellier, Avignon (le Comtat), Nîmes et Aix. Chacune de ces unions désigne une confrérie-mère : Pénitents blancs de Montpellier, Pénitents blancs d’Avignon, Pénitents blancs d’Aigues-Mortes et Pénitents gris d’Aix.

Sous l’intitulé « Mot d’ordre », l’organisation de la nouvelle fédération est prise en mains dès le bulletin du mois d’août 1913, par les Montpelliérains qui très vite lancent des directives pour dresser la liste des confréries en activité.

« Messieurs les Prieurs des Confréries désignées sous le nom de Confréries-mères sont instamment priés de se mettre à l’œuvre sans tarder pour compléter dans le plus bref délai possible l’organisation de leur Union diocésaine. A cet effet, ils devront saisir leur Conseil de la question et ouvrir immédiatement une enquête sur les Confréries de Pénitents du Diocèse. Ils se renseigneront sur l’existence des Confréries, les noms de leurs Officiers, le nombre de leurs Membres, les conditions de fonctionnement de l’œuvre. La première chose à faire, c’est en effet de se connaître. Lorsqu’ils auront accompli ce premier travail, MM les Prieurs sont priés d’en communiquer les résultats à l’Administration du Bulletin des Pénitents blancs de Montpellier qui de cette façon les centralisera. Dès que ces renseignements nous auront été fournis, la Confrérie de Montpellier adressera aux Confréries-mères les nouvelles instructions destinées à compléter et à parfaire l’œuvre d’union que nous poursuivons d’un commun accord. Les Confréries des divers Diocèses sont priées de ne pas attendre les demandes des Prieurs des Confréries-mères pour se faire connaître à eux. De leur propre initiative elles doivent se mettre en relations avec la Confrérie-mère de leurs Diocèse respectifs, de façon à faciliter autant que possible le travail préalable de statistique que nous entreprenons » 41.

Cette organisation à la discipline quasi militaire, et plus encore peut-être l’urgence qui transpire de l’avalanche des consignes, ont certainement bouleversé le rythme paisible des confréries brusquement arrachées à leurs habitudes. Elles ne me semblent pas correspondre au ton du marquis de Forton, tel qu’on peut le saisir dans plusieurs de ses interventions dans le Bulletin, ni à celui, mesuré, de Pierre Roussel. Par contre, ce mouvement tendu vers un but et balayant les obstacles correspondrait assez bien à ce que l’on peut imaginer de la part de militants politiques habitués à entraîner les foules et en particulier de jeunes étudiants enthousiastes, militants que sont alors aussi bien Louis Guibal que, surtout, André Vincent.

Il se peut aussi que la maladresse des Montpelliérains dans leur prise de commandement ait été mal reçue au-delà du Rhône. Toujours est-il que « l’enthousiasme » manifesté en Arles et le lendemain en Avignon paraît être retombé immédiatement. Le fait est que le Bulletin qui devait se faire le porte-voix du mouvement resta à peu près muet sur l’organisation naissante. La rubrique consacrée à la nouvelle fédération se fit l’écho de quelques rares notes (à caractère souvent historique) sur des confréries telles que Saint-Rémy de Provence 42 ou Valréas, et le bulletin se recentra très vite sur l’actualité héraultaise. Août 1914 sauva la fédération mort-née d’un avis de décès en bonne et due forme.

Avignon

Ce premier moment de l’organisation collective des pénitents, impulsé de façon probablement trop volontariste depuis Montpellier, déboucha sur une longue période de silence, bien au-delà de la fin du conflit européen. Ce n’est en effet qu’en 1926 que se manifestent de nouvelles velléités de fédération. Pour rendre compte de cette coupure, il faudrait plonger dans les archives privées des confréries, dans leurs correspondances, si elles ont été conservées. A défaut, l’explication officielle est des plus succinctes : « Les années 1919 à 1926 se passèrent à panser les plaies de la France et à reconstituer les Compagnies de Pénitents éprouvées par le fléau. » 43 L’argument n’est pas infondé, même si les confréries ont été moins directement touchées par la guerre, en raison de l’âge moyen des frères, que les troupes souvent plus jeunes des mouvements politiques tels que l’Action Française 44. Mais il semble bien que les confréries rurales de l’Hérault se soient mises en sommeil durant le conflit, et ne se soient pas réveillées après 1918. Localement, à l’échelle du diocèse de Montpellier, la disparition de Mgr de Cabrières en 1921 laisse les pénitents sans protecteur, et son successeur, Mgr Mignen ne fait rien pour pallier leur désarroi. Montpellier cesse donc d’être un sanctuaire pour les confréries, et une période de léthargie s’empare de celles-ci.

C’est assez naturellement que les pénitents vont trouver secours en Avignon, dont l’archevêque, le Catalan Gabriel de Llobet est un fidèle disciple de Cabrières 45. De la même façon que la fédération de 1913 avait été lancée à l’occasion du XVIe centenaire de l’Édit de Milan accordant la liberté de culte aux chrétiens de l’Empire romain, 1926 marquait, plus modestement, le VIIe centenaire des Pénitents gris d’Avignon. « A cette occasion, de nombreuses Compagnies du Comtat Venaissin, de Provence et de Languedoc avaient envoyé des délégations à cette fête qui se déroula le 20 juin 1926. (Fig. 5)

Procession en 1926 en Avignon
Fig. 5 - Procession en 1926 en Avignon

Dans la matinée qui précéda la grande procession jubilaire, fut tenue dans une dépendance du collège St Joseph l’assemblée générale de toutes ces délégations. Me Joseph Amic, Premier Maître des Pénitents gris d’Avignon (… lança) un appel pressant à l’union de toutes les Compagnies du Midi en vue de poursuivre en commun le maintien de leurs traditions et l’orientation de leurs efforts vers des œuvres adaptées aux conditions de la vie moderne. » Il fut décidé à l’unanimité de fonder une « Fédération des Confréries de Pénitents du Midi, Maintenance et Frairie générale des Pénitents de Langue d’Oc ». Comme il se doit, un bulletin de liaison vit le jour, à périodicité modestement trimestrielle, auquel on donna le titre de L’Arc en Ciel accompagné des deux dates 1226-1926 46. Formellement, cet Arc-en-ciel ressemble de très près au Bulletin montpelliérain d’avant-guerre : même format, même typographie, même imprimeur montpelliérain. La rédaction reste également fixée au domicile de l’avocat Pierre Roussel. Par contre le siège social de la nouvelle fédération est fixé en Avignon, et l’administration transférée à Aix-en-Provence où réside le trésorier. C’est l’un des signes de la translation du centre de gravité pénitent du Languedoc vers la Provence, de Montpellier vers Avignon 47. En effet, le bureau désigné puis élu pour trois ans (1926-1929) se compose de deux Héraultais (Pierre Roussel, président, et Henry de Suarez d’Aulan, de Montagnac, secrétaire) pour trois Avignonnais (Joseph Amic, comte de Guilhermier et Jean de Félix), un Aixois (Édouard Montagne de Firmont) et un Marseillais (Lucien Fontanier). Les comptes rendus des Assemblées Générales successives permettent d’apprécier l’évolution géographique et démographique du Midi pénitent. (Fig. 6)

L’Arc en Ciel de 1928 (Coll. Guy Laurans)
Fig. 6 - L’Arc en Ciel de 1928 (Coll. Guy Laurans)

Les trois premières AG seulement sont commentées par l’Arc-en-Ciel : le bulletin de liaison est chancelant dès ses débuts, et vite asphyxié par le manque de moyens financiers. Six numéros seulement peuvent paraître : le premier, en janvier 1927, propose des Statuts et un conseil d’administration provisoires à entériner, ainsi qu’une lettre de présentation du projet de fédération adressée aux Evêques de la région ; le numéro 2, en mars, publie les réponses favorables des évêques, et annonce la prochaine AG à Montpellier. Au-delà, l’Arc-en-Ciel est contraint à un numéro double (3-4, juillet-octobre 1927) centré sur le compte rendu détaillé de l’AG de Montpellier. Puis il faut attendre un an (octobre 1928) pour voir paraître le numéro 5 consacré à l’AG d’Aigues-Mortes. Le numéro 6 de mars 1929 semble bien avoir été le dernier : il est pris en charge financièrement par les pénitents blancs montpelliérains, et est entièrement consacré au félibrige, sous le titre « Les Pénitents, les Félibres et Dieu » : il réunit plusieurs documents, dont un sermon en provençal de l’abbé Joseph Salvat, majoral du félibrige et nouveau prieur honoraire de la confrérie montpelliéraine. Au bilan, la vie de la fédération tient peu de place, hors les Assemblées annuelles. On pourrait penser qu’une fatalité poursuit ces tentatives éditoriales : la première fauchée par la guerre, la seconde décapitée par la crise de l’Action Française, à partir de 1927.

Dès juin 1927, la tenue de l’AG à Montpellier, dans les locaux des pénitents blancs, permettait de dénombrer les confréries représentées. Les effectifs héraultais avaient fondu par rapport à l’avant-guerre : il semble bien que seuls les pénitents de Fabrègues, Villeveyrac, Montagnac, Vendargues, Lunel et Villeneuve-lès-Maguelone étaient présents. Les autres diocèses étaient représentés par un contingent venu d’Aigues-Mortes, d’Avignon et Valréas pour le Vaucluse, ainsi qu’Aix et Marseille. Le nombre de pénitents mobilisés par ces rassemblements annuels tourne autour d’une centaine, en se fiant aux inscrits au banquet, moment fort de la journée entre messe et assemblée générale. Selon la ville choisie, une surreprésentation des confréries locales ou voisines se marque au détriment des groupes plus lointains. A Aigues-Mortes l’année suivante, juste des Montpelliérains et un groupe venu de Lunel pour représenter l’Hérault, et des Avignonnais, blancs et gris mêlés : la délégation locale parvenait mal à masquer la désaffection assez générale, et l’absence de plusieurs notables, excusés. Dans les années 30, les autocars spécialement affrétés sont mobilisés pour les trajets les plus longs, sans parvenir pour autant à gonfler significativement le nombre des participants.

De fait, tout au long de l’entre-deux-guerres, le périmètre actif des confréries reste confiné au Montpelliérais, à Aigues-Mortes pour le Gard, au Comtat autour d’Avignon (Valréas, Monteux) et à une Provence réduite de fait à Aix, les deux confréries marseillaises subsistant péniblement. A l’écart, les hautes-terres du Velay ne se manifestent que par l’envoi irrégulier d’un délégué du Puy, qui fait figure de porte-parole d’un ensemble nombreux, mais qui ne se rend visible qu’à l’occasion du rassemblement de 1932 au Puy 48. Dans la même période, le numéro 5 de L’Arc-en-Ciel (n° d’octobre 1928) est cependant distribué (gracieusement sans doute) à plusieurs confréries du Velay, ainsi qu’à quelques confréries aveyronnaises (bleus d’Estaing, blancs d’Espalion, Villeneuve, Saint Côme…). Mais aussi aux confréries niçoises, qui ne sont donc pas méconnues. Il est ainsi intéressant de constater que l’activité pénitente hors du périmètre languedocien-provençal reste à l’écart de la Maintenance. Éloignement géographique, très probablement, mais peut-être aussi méfiance à l’égard de l’entreprise même de fédération.

A partir de 1933 et jusqu’à la guerre, les assemblées générales se tiennent dans l’espace réduit de la Provence mistralienne, entre Avignon, Aix et les Baux, où la Maintenance a restauré une ancienne chapelle de pénitents blancs ruinée qu’elle a dédiée à Sainte-Estelle. (Fig. 7)

Chapelle des Baux
Fig. 7 - Chapelle des Baux

Cette géographie restreinte est tributaire de la crise de 1927 qui vit la condamnation par le Vatican de l’Action Française, avec mise à l’index du journal quotidien et de plusieurs ouvrages de Maurras, et surtout interdiction faite aux fidèles catholiques d’adhérer au mouvement, sous peine d’excommunication. Il n’est pas question dans les limites de cet article, d’entrer dans les méandres de cette crise, tout à la fois religieuse et politique, qui a donné lieu à une littérature considérable 49. Seules ses répercussions sur le milieu pénitent nous intéresseront ici.

A partir de mars 1928, les « insoumis » d’Action Française sont menacés d’interdiction d’accès aux sacrements. Mais ils sont nombreux dans l’Hérault, et soutenus par L’Éclair, qui s’est rangé à leurs côtés à l’instigation d’André Vincent. Selon Gérard Cholvy qui relate les conflits locaux provoqués par la résistance des militants d’AF, « les désordres sont les plus grands avec certaines Confréries de Pénitents vers 1930-1932 », et il cite Cournonterral et Paulhan. Pour cette dernière qui, moribonde avant-guerre, a repris à partir de 1919 et recruté une cinquantaine de membres sous l’impulsion de paroissiens d’AF, Louis Secondy détaille l’insoumission massive des confrères et le conflit avec le curé de la paroisse appuyé par son évêque, qui aboutissent à la probable extinction de la confrérie vers 1934 50. Ailleurs, dans le Gard ou le Vaucluse, le sort des confréries est lié à l’attitude, rigoriste ou laxiste, des évêques vis-à-vis des membres de l’AF ou soupçonnés tels. A Montpellier, Mgr Mignen et son successeur Mgr Brunhes en 1932, se montrent intransigeants, en tous cas à l’égard des insoumis notoires. C’est ainsi en particulier que Jean de Forton, le prieur d’avant-guerre meurt en mai 1932 sans obsèques religieuses, et il en est de même pour André Vincent en octobre 1935. (Fig. 8)

Faire-part de décès d’André Vincent
Fig. 8 - Faire-part de décès d’André Vincent

Dans le Gard, Mgr Girbaud reçoit à partir de mars 1927 la démission des militants d’AF des postes qu’ils occupaient dans les œuvres diocésaines. Selon le témoignage du docteur Louis Sentupéry, président de la Ligue départementale d’AF, la confrérie des pénitents blancs d’Aigues-Mortes se serait vidée presque entièrement de ses effectifs, le prieur Félix Martin en tête, qui était aussi le responsable local de la section d’AF 51. Dans le Vaucluse, certains des principaux dirigeants sont des personnalités en vue du mouvement nationaliste. C’est en particulier le cas de Joseph Amic, avocat avignonnais, ancien prieur des pénitents gris, et vice-président de la Fédération, qui est aussi le responsable de la section locale de la Ligue d’AF. Il est à la tribune du mémorable meeting de Barbentane, le 29 mai 1927, où près de 30 000 militants 52 sont venus écouter Léon Daudet et André Vincent faire allégeance au duc de Guise, prétendant au trône. Il est aussi présent à l’AG d’Aigues-Mortes, toujours vice-président de la Fédération. Mais en 1929, il semble bien qu’il n’ait pas été réélu au conseil d’administration, et que son poste de vice-président ait été confié à Louis Gros, d’Aigues-Mortes. De même le trésorier aixois Montagne de Firmont cède sa place à un autre pénitent aigues-mortais, Belluel.

Il est difficile de dire dans quelle proportion les membres avérés de l’AF ont été invités, ou contraints, à abandonner leur confrérie. Les prieurs responsables élaborent des stratégies en fonction de la position plus ou moins intransigeante de leur évêque. Ce qui paraît assez assuré, c’est que Pierre Roussel, pourtant membre de l’Action Française avant la guerre, s’est incliné devant les exigences de Rome et de l’épiscopat, et que sa soumission lui a permis de sauver le mouvement, au prix de l’exclusion des confrères trop marqués politiquement. C’était le prix à payer pour conserver l’institution pénitente au sein des œuvres catholiques reconnues.

Mais si Pierre Roussel a pu assurer la continuité de la fédération jusqu’à la seconde guerre mondiale, il ne pouvait rien contre le dépérissement de nombre de confréries fragilisées par la baisse de leurs effectifs, et surtout de leurs cadres les plus actifs.

De la même façon que la première guerre mondiale avait provoqué une longue interruption de la vie associative des confréries, la seconde guerre est également l’occasion d’une longue césure. L’Occupation, par les difficultés matérielles en tous genres qu’elle provoque, condamne chaque confrérie à l’isolement, même si le régime de Vichy pourrait paraître à première vue favorable à leur institution. Il faut poser l’hypothèse d’une temporalité de l’institution pénitente suffisamment autonome par rapport à celle de l’histoire générale ou même de l’histoire de l’Église. La longue période qui mène jusqu’au tout début des années 1960 est une phase de faible visibilité, qui recouvre donc des séquences historiques très contrastées : guerre et occupation, libération et reconstruction, État Français et IVe République… La chronologie des Assemblées Générales de la Maintenance met en évidence la désorganisation prolongée sur une longue période ; après l’assemblée tenue aux Baux en mai 1939, il faut attendre juillet 1948 pour trouver la suivante, à Aigues-Mortes 53. Mais cette reprise est fragile : rien avant Aix en octobre 1952, et encore un vide jusqu’à octobre 1959, toujours à Aix. C’est seulement à partir de l’automne 1962, avec l’AG tenue au Puy en Velay que les confréries parviennent à assurer définitivement un rythme annuel à leurs regroupements. L’impulsion est alors venue du Velay, fort de ses 6 confréries actives (Le Puy, Saugues, Tence, Cayres, Dunières et St Paul de Tartas) auxquelles s’étaient jointes trois confréries vauclusiennes d’Avignon et Valréas 54.

Cependant, il faut attendre 1967 pour voir relancée la publication d’un bulletin, à l’instar des périodes antérieures. Le seul document en notre possession datant de la fin de l’année 1968, manifeste une grande continuité par rapport à l’entre-deux guerres. Le bulletin, qui serait le n° 2, sous le titre de Labarum se présente comme un Caièr de la Mantenènço di Penitènt de lengo d’O, dont le siège est en Avignon, 8 rue des Teinturiers (adresse de la confrérie des pénitents gris) 55. A cette date, le grand maître de la Maintenance est le comte Josserand de Saint-Priest d’Urgel élu en 1962 56, Avignonnais tout comme le trésorier Louis Arlaud.

Des renseignements disponibles dans ce numéro de Labarum, il faut retenir le compte-rendu de l’AG de 1968 à Aigues-Mortes, qui pointe le petit nombre de confréries languedociennes et provençales – les deux montpelliéraines, les deux locales fortement représentées, les gris d’Avignon, les blancs et les noirs de Valréas pour le Vaucluse, ainsi que les bourras d’Aix et les blancs d’Alleins, qui ont été restaurés depuis peu – auxquelles s’ajoutent les habituels blancs du Velay ; mais sont également présents les pénitents de Perpignan, ainsi que des représentants des confréries de la province de Nice. Toutefois, après la démission du grand maître Saint-Priest d’Urgel, c’est un Aixois recteur des pénitents bourras qui lui succède, Georges Souville, préhistorien au CNRS 57, qui maintient ainsi la prééminence provençale. Cette expansion géographique de la Maintenance ne s’arrête pas aux confréries du pays niçois, puisque des contacts épistolaires sont pris avec l’ensemble des confréries de charité normandes du diocèse d’Évreux : un regroupement national de toutes les confréries ne semble pas utopique. Parallèlement, l’organisation interne de la Maintenance reprend le système pyramidal des regroupements régionaux ou diocésains animés par des baillis nommés par le grand maître. Enfin, un aumônier général de la Maintenance apparaît en la personne de l’archevêque d’Avignon, Mgr Urtasun.

Nice

C’est par une analyse régressive partant de la situation actuelle que l’on peut faire de Nice le dernier centre de gravité du Midi blanc pénitentiel. Le diocèse de Nice est le foyer d’un nombre important de confréries, tant urbaines que rurales, qui suffirait démographiquement à leur donner la majorité dans les assemblées annuelles. A Nice même, la ville maintient les quatre couleurs fondamentales (blancs, noirs, rouges et bleus) qui revendiquent au total plus de 200 membres. Et cette densité urbaine se redouble d’une présence forte dans les villages de l’arrière-pays, qui dénombrent 9 confréries, y compris dans la station de skis d’Isola – et avec le phénomène exceptionnel d’une double présence à Valdeblore et à Saint-Etienne de Tinée (blancs et noirs dans les deux cas). Cette multiplicité obéit à la tradition italienne du comté de Nice : un village comme Saorge a connu trois confréries (blancs, noirs et rouges), et la résurrection des pénitents blancs en 2009 semble bien correspondre à une volonté en bonne partie culturelle de retour à des traditions anciennes 58.

Le poids des confréries de l’ancien comté de Nice suffit à expliquer que la direction de la Maintenance soit passée entre les mains de l’avocat François Dunan, entouré d’une administration recrutée localement. Le bureau de 8 membres élu pour la période 2012-2015 comprend 5 représentants des confréries niçoises, qui fournissent aussi le tiers des 9 administrateurs. Si l’on ajoute que les 10 « baillis » représentant les provinces sont nommés par le Grand Maître, l’ensemble constitue une fédération fortement centralisée.

A côté de ces données géographiques, plusieurs inflexions touchant à l’organisation de la maintenance caractérisent cette phase « niçoise » de la vie collective des confréries. D’une part, la maintenance s’est ouverte aux confréries corses, bien que celles-ci ne portent pas explicitement la dénomination de pénitents. La « Corse pénitente » est essentiellement connue, hors de l’île, par les cérémonies du Catenacciu lors de la Semaine Sainte de Sartène, sur le spectaculaire modèle perpignanais ou italien, mais ce ne sont pas moins de 43 confréries qui figurent actuellement sur le site internet de la Maintenance, selon d’ailleurs deux modalités distinctes, 7 d’entre elles sont affiliées selon la règle commune, tandis que 36 sont simplement « associées » 59. (Fig. 9)

Bonifacio, Confrérie de Ste Marie-Madeleine
Fig. 9 - Bonifacio, Confrérie de Ste Marie-Madeleine

D’autre part, la maintenance accueille également une archiconfrérie monégasque, résultat de la fusion déjà ancienne entre pénitents blancs et noirs, et, plus significatif peut-être, reçoit de la principauté son aumônier général. A partir de 1988, il s’agit de l’archevêque de la principauté, Joseph-Marie Sardou 60, auquel a succédé en 2000 Bernard Barsi, originaire de Nice.

Enfin, stade ultime de l’élargissement du monde pénitent, les années 2000 ont connu une tentative d’internationalisation, esquissée dès 2006, puis à l’occasion d’un grand rassemblement à Lourdes en 2008. Un Forum Omnium Gentium Confraternitatum (FOGC) a vu le jour à l’initiative des puissantes et nombreuses confréries italiennes, et a fédéré, outre les Italiens, les membres de la Maintenance française ainsi qu’une Union confraternelle du diocèse de Lugano en Suisse. Dans l’enthousiasme des débuts, un site internet et un bulletin étaient lancés, qui manifestaient l’ambition de réunir à terme les confréries des pays les plus divers, depuis l’Amérique latine jusqu’à l’Europe de l’Est. Ambition peut-être démesurée, qui s’est vite essoufflée : trois numéros du bulletin Fratres per Viam seulement sont disponibles ; le site internet ne semble plus alimenté depuis 2010, et le blog qui lui était rattaché est muet depuis 2014. Il semble bien que le « montage » institutionnel n’a pas réussi à recueillir l’assentiment de tous, ou que les moyens aient manqué pour le faire vivre 62. Néanmoins, la Maintenance conserve quelques liens avec les pays voisins. Un membre de la confrérie perpignanaise de la Sanch est chargé d’assurer la liaison avec les associations espagnoles et catalanes ; et les Assemblées annuelles organisées dans le sud-est invitent volontiers des confréries italiennes, telle cette Confraternita di San Giacomo venue de Cuneo lors de la Maintenance de Nice en avril 2015. (Fig. 10)

Confraternita de Cuneo
Fig. 10 - Confraternita de Cuneo

Dans cette nouvelle conjoncture, il convient de s’interroger sur le maintien de l’hypothèse d’un « Midi blanc » pour caractériser le monde actuel des pénitents. Il faut en particulier interpréter l’écart qui va grandissant entre le foyer originel (« Vendées » languedocienne et provençale occidentale), stabilisé démographiquement à un niveau d’étiage durable et une faible densité, et les nouveaux territoires agrégés à la maintenance que sont la région niçoise et surtout la Corse, caractérisés par une forte densité et des créations ou restaurations de confréries en nombre significatif. Cet écart peut évidemment suggérer un type de confrérie différent, organisé autour de préoccupations nouvelles, qui serait alors susceptible de prendre ses distances avec ce mélange particulier de religion et de politique constitutif de la « culture blanche ». Gérard Cholvy a proposé 63 de définir les « Blancs » méridionaux du XIXe siècle en distinguant les légitimistes des simples catholiques. Dans leur double fidélité, la masse des seconds choisirait « Dieu et le Roi », tandis que les premiers opteraient pour « Le Roi et Dieu » : ce sont eux qui constituent les « Blancs » en faisant leur le mot d’ordre maurrassien du « Politique d’abord ». La priorité donnée aux convictions politiques sur la foi religieuse peut caractériser les refus du Ralliement à la République dans les années 1890, ou plus sûrement les insoumis lors de la condamnation de l’Action Française, qui donnent raison à Cholvy. Pourtant, cette définition du « Blanc » n’est véritablement opératoire qu’à l’occasion de la crise : c’est le conflit entre Rome et Maurras qui rend après-coup visible la ligne de partage au sein du monde catholique, en contraignant les uns et les autres à prendre durablement position. Et dans ces années 1920-30 décisives, les terres de catholicité qui ne seraient pas blanches pour autant, Lozère, Aveyron, Haute-Loire, à défaut de militants d’Action Française, sont riches de pénitents. Et ceux-ci vivent leur vie en dehors de la Maintenance et de ses remous politiques. Peut-être faudrait-il appliquer la même analyse aux confréries niçoises et corses, et dégager ainsi deux types (au moins) de pénitents en fonction de leurs engagements politiques. Une autre façon de formuler cette hypothèse serait de reprendre une analyse d’Émile Poulat : « un dédoublement analogue s’observe dans le catholicisme français, où une conception intransigeante et militante – romaine, ultramontaine disait-on naguère –, s’oppose à un traditionalisme religieux qui a longtemps paru résister à tous les changements, qui tient à ses pratiques, à ses croyances et à ses dévotions, mais ne s’en estime redevable qu’à sa conscience ou à la coutume. Le premier a dépensé une énergie considérable à tenter de convertir l’autre, de l’amener à son idée du vrai catholicisme. Or ce vrai catholicisme a toujours été en France non seulement minoritaire, mais même précaire » 64.

Le simple « traditionalisme de conscience et de coutume », pourrait être évoqué, à propos de la région niçoise, par ce qu’en dit Paul Gonnet, dans le prisme d’une histoire des mentalités. L’une des originalités niçoises tiendrait à l’attachement de la plus grande partie de la société autochtone à « une foi catholique simple, naturelle, attachée aux rites, très romaine, active dans les confréries… et dans les œuvres multipliées ; d’où une acceptation facile du dogme de l’Immaculée Conception, de l’ultramontanisme sous toutes ses formes ; originalité encore, cette foi bien répandue n’a pas de traduction politique ; la Séparation des Églises et de l’État ne provoque que des remous vite apaisés… » 65 Ce qui valait il y a un siècle pourrait, semble-t-il, assez bien convenir à nombre de confréries actuelle du pays niçois 66.

De façon à première vue très différente, c’est sous ce même intitulé traditionaliste que l’on pourrait ranger le foisonnement corse, à suivre certains témoignages récents :

« En Corse, les zones tant rurales qu’urbaines vivent tout au long de l’année au rythme de nombreux rituels et festivités religieuses. Ces manifestations donnent lieu à une large variété d’expressions musicales populaires dont le chant sacré polyphonique constitue l’un des traits les plus importants et relève généralement de la compétence de confréries religieuses, dépositaires d’un important patrimoine vocal. Ces confréries de pénitents, introduites en Corse à partir du XVe siècle par les ordres monastiques, sont des associations composées exclusivement de laïcs. Plus de soixante confréries sont actives et ont été recensées actuellement sur tout le territoire de l’île ; elles s’organisent aujourd’hui en véritables microsociétés indépendantes qui se structurent autour de leur activité principale : le chant sacré polyphonique et les rituels qui s’y rattachent. Si aujourd’hui les chants polyphoniques des confréries de pénitents constituent une part majeure du patrimoine vivant musical corse, ce phénomène généralement perçu comme une pratique patrimoniale ancienne, recèle également des processus très récents d’invention ou de réappropriation de la tradition. Dans de nombreux cas, les célébrations rituelles des confréries en Corse ont disparu ou se sont désagrégées au XXe siècle, puis elles ont fait l’objet d’étonnants processus de revitalisation, comme par exemple dans la région du Cap-Corse, de la Balagne ou de Bonifacio. En même temps, à côté de ces confréries de tradition continue, dont la fondation remonte parfois à plus de cinq siècles, de nouvelles entités ont émergé ces dernières années dans les zones urbaines comme à Bastia et à Ajaccio. Ces confréries se sont donné comme objectif de créer une nouvelle forme de cohésion sociale en zone urbaine qui repose sur la pratique collective du chant et sur de nombreuses actions caritatives 67 ».

Cet « étonnant processus de revitalisation » (il y aurait aujourd’hui quelques 3 000 confrères, soit 1/100e de la population de l’île) est analysé ainsi par le journal La Croix : « Chaque village a son « u versu » (sa pratique propre) que la confrérie transmet comme un précieux patrimoine. Rien d’étonnant donc à ce que, depuis une trentaine d’années, polyphonies corses et mouvement confraternel aient connu un même regain, dans un souci commun de défense identitaire. Et si certains prêtres ont pu craindre un temps le « noyautage » de ces chœurs et confréries d’hommes par les nationalistes, ces craintes se sont vite révélées vaines 68 » ; ce que confirme le film documentaire En Corse, sur le chemin des confréries 69, « depuis une trentaine d’années, elles sont réapparues, parallèlement au mouvement de réappropriation de la langue, de la culture et du chant corses. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les confréries ont connu un engouement et se sont multipliées lors des événements d’Aléria 70 ».

Il ne faudrait pourtant pas réduire les confréries corses à une manifestation culturelle, si l’on ajoute foi à cette affirmation venue du village de Carbuccia : « hormis quelques vieux prêtres de nos villages qui ont continué de pratiquer la Messe de Saint-Pie V, ce sont essentiellement les confréries qui ont présenté ce foyer de résistance au changement, en continuant très majoritairement à employer l’usage du latin » 71.

En regard de ce versant traditionnel où se mêlent les élans religieux et la recherche d’identité culturelle – y compris vécus sur le mode revivaliste –, les indices ne manquent pas d’un catholicisme doctrinaire héritier du long XIXe siècle.

Sur ce versant intransigeant, les affirmations d’un catholicisme intégral, au long des soixante dernières années, se déploient en deux phases successives, l’une dès l’après-guerre, à partir des années 1946 et 1955, la seconde en réaction plus ou moins violente au Concile de Vatican II, depuis les années 1970.

A la fin des années 40, Jean Ousset fonde La Cité catholique, mouvement voué à la formation d’une élite par le truchement d’un bulletin Verbe, aussi discret qu’influent. Le fonctionnement en cellules cloisonnées (sur le modèle communiste), visant des groupes sociaux privilégiés (les militaires, les professions libérales…) prétend agir par capillarité dans le tissu social. Ousset reçoit un renfort important en 1956 avec la création, par le journaliste Jean Madiran, de la revue Itinéraires qui, plus de 40 ans durant, batailla avec un réel talent polémique en faveur d’un catholicisme intégral, contre toutes les « erreurs » de la modernité religieuse 72.

Il est difficile d’apprécier la portée exacte de ces entreprises qui sont fréquemment négligées, peut-être parce que résolument hostiles à toute médiatisation 73. Mais cette influence est bien réelle, comme le montre par exemple Jacques Maître à propos du rôle de la Cité catholique au cours de la guerre d’Algérie, dans la formation idéologique de nombreux officiers et de leaders de la population pied-noir 74 – population que l’on retrouvera en grand nombre en Provence et Languedoc à partir de 1962.

Plus connue est la crise religieuse provoquée par le Concile Vatican II (1962-65) dans les fractions traditionalistes de l’Église, et qui aboutit en France au schisme de Mgr Lefebvre, et à l’existence de courants groupusculaires en rupture plus ou moins violente avec le Vatican 75. Marcel Lefebvre, tout comme Jean Ousset et Jean Madiran, a été formé à l’école maurrassienne : ils continuent donc, après le déclin politique de l’Action Française, à représenter des conceptions très voisines de l’imbrication du politique et du religieux. Plutôt d’ailleurs que de détailler la liste de leurs rejets communs, il vaudrait mieux les caractériser positivement par la volonté de restaurer une Chrétienté – ou plutôt, puisqu’il s’agit d’une Chrétienté d’avant la Réforme – une Catholicité.

Si les confréries de pénitents actuelles – du moins certaines d’entre elles –, continuent de s’inscrire dans cette tradition, si prégnante avant la guerre, il doit être possible de recueillir des traces de leur appartenance. Pour tester cette hypothèse, les archives classiques manquent, ou du moins sont certainement peu accessibles. Il faut donc traquer les indices, effectuer des recoupements à partir des matériaux laissés par les confréries elles-mêmes dans l’espace public de la presse, des medias, d’internet, puisque elles ne peuvent s’empêcher de communiquer et de manifester leur existence. Travail de longue haleine, à peine esquissé ici, et dont les résultats trop partiels ne permettent pas de proposer une typologie des confréries à même de rendre compte de leur diversité pressentie. Je me bornerai donc à mettre en évidence quelques-uns de ces indices propres à confirmer l’hypothèse de départ, et à proposer un modèle – il faudrait plutôt parler d’ideal-type 76 –, dessinant les contours d’une confrérie actuelle qui maintient son appartenance à une culture blanche par tout un ensemble de croyances, de mémoire et de symboles partagés. Les sources à utiliser sont de deux ordres : internes, avec les productions des confréries (sites internet, documents vidéos diffusés, et surtout le Labarum, bulletin officiel de la maintenance, disponible sur Internet pour ces dernières années), et externes avec les medias locaux ou régionaux dans lesquels les confréries, ou leurs membres à titre individuel, sont invités à s’exprimer et où le monde extérieur présente et évalue l’institution pénitente. Les confréries, aujourd’hui comme il y a un siècle, développent un discours essentiellement religieux, axé sur leurs activités cultuelles et leurs pratiques de dévotion. Jamais ou presque 77 le politique ne vient interférer. C’est donc au cœur de la religion pénitente que l’on doit faire affleurer une vision du monde traditionaliste qui est tout à la fois religieuse, sociale et politique. Pour ne pas alourdir exagérément cet article, je me contenterai de dresser une courte liste de faits évocateurs.

L’attachement à la monarchie continue de se manifester à l’occasion des messes anniversaires de la mort de Louis XVI. Le « Roi-martyr » est ainsi célébré les 21 janvier dans plusieurs chapelles : celles des pénitents rouges de Nice, des gris d’Avignon, ou des bleus de Montpellier. Dans cette ville, les blancs ont donné une messe de Requiem pour le tricentenaire de la mort de Louis XIV (le 1er septembre 2015). Cette fidélité royaliste va jusqu’à jouer un rôle au sein des organisations politique monarchistes : la chapelle des pénitents rouges de Nice peut s’ouvrir à des réunions du groupe niçois d’Action Française (http://lesroyalistesnicois.hautetfort.com) ; le prieur des pénitents gris d’Avignon jusqu’en 2012 était correspondant de la Fédération royaliste de Provence. Ce courant monarchiste s’est probablement alimenté, ici ou là, à l’enseignement de la Cité catholique, qui renouvelait les formes de militance et les raisons d’espérer. Gérard Cholvy, s’appuyant sur des témoignages recueillis dans les années 60, note à propos des survivants de la crise de l’Action Française dans la Vendée héraultaise : « Si les uns ont été les adeptes fervents des groupes « Verbe », d’autres sont liés aux retraites de Chabeuil et au mouvement des Coopérateurs Paroissiaux du Christ-Roi dont le rôle est loin d’être négligeable dans certaines paroisses. » 78 Le cas héraultais se retrouve assurément ailleurs.

On sait que par tradition historique les pénitents ont toujours cherché à s’autonomiser vis-à-vis du clergé paroissial en choisissant leurs aumôniers. Il est donc intéressant de vérifier comment les confréries actuelles recrutent les prêtres qui se voient confier le service du culte dans les chapelles, particulièrement dans cette période de tarissement du clergé diocésain. Plusieurs confréries font appel à des membres de certaines congrégations traditionalistes.

L’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (ICRSP), d’origine française 79, a installé son séminaire en Italie, et compte plus de 120 prêtres (chanoines) et séminaristes dispersés dans plusieurs pays. Ils sont présents à Montpellier et à Nice. Dans cette ville, des chanoines assurent l’aumônerie des pénitents rouges. Il est intéressant de rapprocher le site internet de la confrérie, de celui de l’ICRSP. Le premier, outre des informations factuelles, est centré sur l’histoire de la confrérie, et accorde une place centrale au Saint Suaire de Turin, qui transita par Nice dans un lointain passé. La confrérie lui consacre une dévotion particulière. Mais elle célèbre aussi l’anniversaire de la victoire des flottes chrétiennes rassemblées par Pie V sur les Turcs lors de la bataille de Lépante 80. Quant au site de l’Institut, qui détaille ses activités sur la Côte d’Azur 81, il consacre une page aux pénitents rouges niçois. On y peut lire : « il existe une indigence majeure qui peut être mise en évidence par une simple constatation. La décomposition morale et l’apparition d’une nouvelle barbarie sont consécutives à un recul de la Religion catholique (que ce recul provienne de l’apostasie des fidèles, clercs et laïcs ; de la conjuration anti-chrétienne ou de la persécution venant des infidèles, vingt siècles d’histoire en révèlent toujours les dommages pour la Civilisation dont nous sommes héritiers). Les Pénitents Rouges de Nice, prenant conscience de cette indigence majeure, se proposent de mettre en œuvre dans les domaines qui relèvent de la mission propre des laïcs (…) cet exercice supérieur de la charité qui consiste à annoncer la Rédemption par Jésus-Christ ». C’est ainsi que la confrérie s’attache à la sauvegarde de son patrimoine immobilier, culturel et religieux, contribue à une nouvelle évangélisation par des concerts de musique sacrée et des conférences, et défend la tradition niçoise faite de foi catholique, de l’usage de la langue niçoise, d’une histoire particulière, et d’une certaine convivialité : « Nice est une terre d’accueil mais il faut privilégier la solidarité entre Niçois dans le respect de l’identité de chacun et la sauvegarde de celle du Comté de Nice. » 82

La lecture attentive du Labarum annuel laisse émerger d’autres indices ténus qui éclairent les positions « idéologiques » de certaines confréries. En voici un concernant les pénitents corses. Si le renouveau des confréries est assurément lié à une histoire spécifique à l’île, d’autres fils relient certains pénitents à une tradition plus continentale. Jean-Paul Simoni, bailli de Corse du Sud et prieur de la confrérie Ste Marie-Madeleine de Bonifacio, a participé aux fêtes en l’honneur de la Sainte à St Maximin 83. Dévotion toute naturelle, qui conduit l’auteur à publier intégralement le panégyrique et l’homélie prononcés en l’occasion. Mais la seconde est due à Dom Louis-Marie de Geyer, bénédictin abbé de Ste Madeleine du Barroux, haut lieu du traditionalisme en Provence vauclusienne, et lui-même auteur de l’homélie en forme de panégyrique prononcée en 2013 aux funérailles de Jean Madiran 84 : ainsi se manifestent, sinon des réseaux, tout au moins des communautés d’idées.

Un dernier cas de « maintenance du Midi blanc » en milieu pénitent concerne quelques confréries situées en marge de la fédération. Ce sont celles qui font appel à des prêtres appartenant à la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX), fondée par Mgr Lefebvre, et en position toujours officiellement « schismatique ». Trois confréries au moins semblent être actuellement dans ce cas : les pénitents noirs d’Avignon, les blancs d’Alleins, et ceux de Narbonne. Pour les premiers, leur site est explicite : dirigée par leur recteur Joseph de Gérin-Ricard, la confrérie rétablie en 1983 a pour aumônier l’abbé Beauvais, de la FSSPX 85. Peut-être pour cette raison, elle n’adhère pas à la Maintenance. Les pénitents blancs d’Alleins ont une existence peut-être plus fragile, mais ils sont cependant mentionnés sur la liste des confréries de la Maintenance 86, bien que l’aumônier soit le même abbé Beauvais de la FSSPX.

Enfin, les pénitents blancs de Narbonne, dirigés par un distillateur-liquoriste de la ville, ne figurent pas non plus sur le site de la Maintenance, mais sont présents dans les pages du Labarum, où ils évoquent la restauration de leur chapelle ND de Grâce : « Les Monuments Historiques nous ont aidés pour une montant de 5 020 €. La mairie et le département réservent le budget culturel à l’animation et promotion des sous-produits « décibels » de la déchéance américaine » 87. Réduits à une poignée, les pénitents narbonnais font appel à leurs confrères noirs d’Avignon pour leur procession du Saint-Sacrement, sous la direction de l’abbé Carlhian de la FSSPX. (Fig. 11a et 11b)

Messe et Procession du Saint Sacrement à Narbonne le 29 juin 2014
Fig. 11a et 11b - Messe et Procession du Saint Sacrement à Narbonne le 29 juin 2014

Il ressort de cette rapide analyse une certaine ambigüité de la part de la direction de la Maintenance. La frontière entre la « résistance » traditionaliste et la « rupture » avec le Vatican est à la fois floue et mouvante, enjeu de stratégies et de négociations continues entre l’Église et ses marges. Les pénitents sont pour beaucoup d’entre eux campés sur cette frontière.

Il faudrait encore pouvoir situer dans l’espace idéologique des pénitents certaines confréries au statut douteux à divers titres. Dans le diocèse de Montpellier, le village de Villeveyrac, au cœur de la Vendée héraultaise, a conservé ses pénitents blancs, qui étaient si actifs du temps du cardinal de Cabrières, et qui maintiennent en vie le culte dans leur chapelle, loin de toute exposition médiatique. Peut-être à Béziers a été reformée une confrérie des pénitents bleus qui existait sous l’Ancien Régime, et qui a fait l’objet d’une monographie en 2000 : son auteur Jean-Denis Bergasse envisageait de la reconstituer ; toujours est-il que la chapelle est ouverte au culte 88. Un autre cas curieux est celui de la confrérie des pénitents bleus de Toulouse, dédiée à St Jérôme, qui essaima dans tout le Sud-Ouest avant la Révolution, et qui disparut en 1858. Elle fut réactivée en 2010, à l’initiative d’un chef d’entreprise et d’un ancien sous-officier faisant office de webmaster, qui ont rétabli statuts et règlement intérieur, et depuis le site internet qui les fait connaître, « sont en humble attente de l’approbation de notre Archevêque ». Pourtant, « la Confrérie des Pénitents bleus de Toulouse n’est ni une société secrète ni un mouvement politique royaliste déguisé. Ses buts sont exclusivement spirituels, destinés aujourd’hui à la prière pour la France et ses dirigeants, à l’enrichissement de la vie intérieure du Confrère, à la promotion de l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ et à la diffusion de la doctrine sociale de l’Église » 89.

Il est très probable que d’autres initiatives de ce type existent ici ou là, avec des fortunes diverses (les confréries des pénitents noirs de Toulon et de Cavaillon offrent des exemples voisins, et réussis). Elles sont les témoins d’un état de l’histoire des confréries qui reste ouverte.

Conclusion : Une Politique pénitente ?

Cette longue évocation de l’évolution contemporaine des pénitents a cherché à mettre en évidence leur immersion dans un milieu traditionaliste constitué dans la longue durée. La Révolution française a sécrété la Contre-Révolution, ensemble idéologique qui a traversé tout le XIXe siècle, s’est revitalisé avec l’Action Française, a vécu souterrainement les décennies suivant la Libération, et semble réapparaître aujourd’hui comme un phénomène visible et dicible. Les confréries de pénitents sont un fragment de ce courant traditionaliste, mais il est de bonne méthode de leur supposer un certain degré d’autonomie, ou tout au moins, une manière propre de vivre cette tradition. Ce sera la matière de notre conclusion, en bouclant la boucle de notre exposé : quelle est la spécificité pénitente ? Celle-ci se manifeste par une longue série d’impulsions et de décisions qui ont souhaité infléchir l’ensemble cohérent des confréries regroupées.

La première impulsion, venue de Montpellier, a actionné plusieurs registres de l’existence pénitente. Elle s’est d’abord portée sur l’organisation même de la communauté, en faisant appel aux ressources des législations votées par les gouvernements de la IIIe République. En pleine période de conflit ouvert avec les institutions républicaines autour de la Séparation et des mesures anticléricales, il n’allait peut-être pas de soi de décider de remplacer les antiques statuts octroyés par la Monarchie et l’Église par les articles types de la loi de 1901 sur les associations. Les pénitents blancs montpelliérains ont compris toute l’importance d’obtenir par elle la personnalité morale et la capacité d’ester en justice, et ont pris l’initiative de déposer leurs statuts en préfecture le 28 décembre 1905 : 10 courts articles tenant en moins de deux pages, dont le 3e est particulièrement intéressant. « Son objet est de continuer l’œuvre des Pénitents blancs de Montpellier, telle qu’elle résulte de la tradition historique et spécialement de visiter et de secourir les malades, d’assister aux obsèques des associés, d’en prendre les frais à sa charge en cas de besoin, de distribuer des secours en argent et en nature ». En affichant pour but de continuer le passé, réduit à une entraide d’amis associés, les pénitents masquaient habilement leur nature religieuse. C’est le Règlement intérieur, échappant au regard de l’État, qui reprenait longuement l’essentiel des anciens statuts et réintroduisait dans le détail les obligations et rituels traditionnels ordonnant la vie de la confrérie 90. Les Montpelliérains ont cherché à diffuser parmi les confréries affiliées l’utilisation de la loi de 1901 en insistant sur les garanties qu’elle apportait à des compagnies fragilisées par les remous politiques du temps 91. Les juristes dont étaient riches les confréries ont ainsi appris à leurs associations à composer avec la République, en présentant une façade publique acceptable, tout en préservant leurs convictions à l’abri des critiques extérieures.

De façon assez voisine, les Pénitents ont joué avec les symboles historiques pour lancer des messages subliminaux. Hisser le labarum constantinien comme étendard des confréries pénitentes, lors du pèlerinage à St Trophime d’Arles en 1913, saluer l’anniversaire de l’édit de Milan de l’an 313 par lequel l’empereur Constantin reconnaissait la liberté de culte et interdisait les persécutions contre les Chrétiens, c’était évidemment parler, sans rien en dire, de l’actualité politique et de la situation faite aux Catholiques par la République anti-cléricale. Cet usage de l’histoire et des commémorations est constant tout au long de la période contemporaine des confréries, qui se saisissent de toutes les occasions de rappeler un passé de Rois très chrétiens respectueux de la place de l’Église dans la vie de la nation, de miracles assurant de la bienveillance divine à l’égard des peuples fidèles, et de l’aide du Dieu tout-puissant dans la lutte contre les infidèles (nous avons déjà évoqué la bataille de Lépante).

Plus délicate à interpréter, la longue phase « mistralienne » de la maintenance pénitente. Elle s’ouvre en 1912, avec l’intronisation du poète comme prieur honoraire des pénitents montpelliérains, et le Labarum de 1968 est encore sous-titré en provençal. Le sommet de la trajectoire félibréenne est évidemment la restauration dans les années 30 de la chapelle des Baux dédiée à Ste Estelle – ce à quoi le Félibrige lui-même, en tant que mouvement organisé, n’avait pas songé. Évidemment, Maurras est passé par là, avec son admiration pour Mistral, son militantisme des débuts et le manifeste fédéraliste de 1892, et même son titre de majoral conféré en 1941 à l’initiative de quelques fervents tels l’abbé Salvat, lui-même devenu prieur honoraire à Montpellier. Mais l’histoire reste à écrire des racines maurrassiennes de l’occitanisme contemporain – histoire complexe et contradictoire : bien des félibres ont craint la récupération du mouvement par l’Action Française. C’est d’ailleurs probablement à une telle tentative que ce sont livrés les Pénitents, sous couvert, ici encore, de défense et illustration des traditions culturelles régionales, et dans l’obéissance au mot d’ordre politique de Maurras, nationaliste et régionaliste : « autorité en haut, libertés en bas » 92.

En observant le corpus documentaire sur lequel nous nous sommes appuyé, on peut juger que la période actuelle est dominée par l’obsession de maintenir les confréries dans la soumission aux directives de l’Église – en pratique, à celles de chaque évêque dont elles dépendent. Le souvenir du traumatisme de la crise de 1927, et des répercussions sur les confréries du conflit entre le Vatican et l’Action Française, est certainement pour beaucoup dans cette prudence vis-à-vis de l’autorité religieuse. D’où l’orthodoxie affichée dans les déclarations engageant la Maintenance, qu’elles émanent du Grand Maître (dans chaque numéro du Labarum, dans ses déclarations publiques à la presse au cours des maintenances annuelles) ou de l’aumônier général, lui-même évêque bénéficiant de l’appui de l’Assemblée des Évêques de France. Ce discours lissé de façade peine cependant à masquer ses écarts avec bien des positions émanant de confréries moins précautionneuses dans l’expression de leurs convictions intimes.

La cohabitation avec l’Église post-conciliaire devrait être source de tensions multiples. Des thèmes tels que l’œcuménisme ou la liturgie sont au centre des conflits avec les mouvances traditionalistes. D’où l’ambigüité de la Maintenance à l’égard de confréries en rupture avec Rome sur ces questions. La volonté de restaurer une chrétienté – c’est à dire un type de société informé par la doctrine catholique, faisant de la religion (et de la seule religion véridique, le catholicisme) le foyer de la vie collective, ne peut que se heurter au principe de laïcité (la religion, affaire de for intérieur) et à une situation historique de pluralisme religieux. Notre hypothèse d’une politique pénitente fondée sur une utilisation des symboles pourrait être testée dans des domaines divers. Par exemple, peut-on supposer que la lutte multi-séculaire des pénitents contre les Protestants, qui n’est plus dicible en régime d’œcuménisme, trouve à s’exprimer au travers du culte au Saint-Sacrement et à l’Adoration perpétuelle, ou aux cultes mariaux, qui occupent une place centrale dans les dévotions de beaucoup de confréries (par exemple, les pénitents noirs de Carpentras ont été restaurés en vue de l’Adoration du St Sacrement) 93 ?

Enfin, pour en terminer, les analyses restent à faire de la place que les confréries cherchent à occuper sur le marché devenu pléthorique des croyances religieuses. Un observateur tel que Philippe Portier estime que se rejoue actuellement la loi de séparation de 1905 et de ses accommodements avec le catholicisme, sous l’effet de la présence de l’Islam, qui fait bouger la ligne de séparation entre sphère privée et sphère publique. L’investissement de l’espace public redevient ainsi un enjeu important pour les conduites religieuses. De ce point de vue, les processions solennelles des confréries lors des Maintenances dans les villes de la façade méditerranéennes ne sont peut-être pas sans arrière-pensées politiques. Selon la loi, « les manifestations à caractère religieux qui ont lieu sur la voie publique sont soumises à déclaration préalable au même titre que les manifestations syndicales ou politiques… Mais sont dispensées de déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux. Depuis un arrêt de 1938, le Conseil d’État considère que les processions ayant un caractère traditionnel sont donc dispensées de demande préalable » 94. Les élus qui participent à ces processions y voient-ils une manifestation traditionnelle de la culture locale, ou font-ils acte d’obédience à des convictions religieuses rendues publiques ?

Ce sont là quelques-unes des questions que ne manquent pas de poser aux historiens et aux sociologues l’existence des confréries aujourd’hui. Leur place dans les sociétés méridionales mériterait attention, au regard des possibles bouleversements sociaux et politiques à venir. (Fig. 12a, 12b, 13)

Les pénitents blancs et bleus de Montpellier, à Nice (Maintenance de 2015)
Fig. 12a et 12 b - Les pénitents blancs et bleus de Montpellier, à Nice (Maintenance de 2015)
Le cortège processionnel de Nice.
Fig. 13 - Le cortège processionnel de Nice. L’archevêque de Monaco, suivi du maire de Nice et de ses proches

Sources iconographiques

Fig. 1, 12 et 13 : chaîne YouTube de Guy Muller, https://www.youtube.com/watch?v=JGgjhO5U-gc,

Fig. 2, 3, 6 et 8 : collection personnelle de l’auteur,

Fig. 4 : site de la Maintenance, http://www.penitents-confrerie.org/historique.htm,

Fig. 5 : id, http://www.penitents-confrerie.org/historique.htm,

Fig. 7 : site du E-patrimoine en pays d’Arles, https://www.pays-arles.org/e-patrimoine/,

Fig. 9 : site https://www.bonifacio.fr/visite-decouverte/confreries-de-bonifacio/, page sur les confréries de Bonifacio,

Fig. 10 : site de la confrérie de San Giacomo, https://www.confraternitasangiacomocuneo.it/,

Fig. 11 : site internet https://gloria.tv/post/mancccbAVZrb44R43CQoxXnUY.

NOTES

1. Études héraultaises, Nouvelle série, 1, 1985, n° 3, pp 29-40. L’article proposé par Maurice Agulhon est la version, légèrement remaniée, d’un texte de 1975 qui n’avait pu être alors publié.

2. Reboul, Catherine, « Essai pour une étude sociale de la confrérie des Pénitents Blancs de Montpellier à la fin du XVIIIe siècle (1780-1792) », Études héraultaises, Nouvelle série, 7-8, 1991-1992, pp 125-132.

3. Secondy, Louis, « Sous le sac et la capuche : les pénitents blancs de Mèze (1588-1918) », Études héraultaises, Nouvelle série, 9, 1993, pp 27-32.

4. Papini, Catherine, « La confrérie des pénitents blancs de Castelnau-de-Guers, de la restauration de 1809 à la vente de la chapelle en 1921 », Études héraultaises, n° 30-31-32, 1999-2000-2001, pp 173-181.

5. Secondy, Guilhem, « Un microcosme de la société montpelliéraine : la confrérie des pénitents bleus de Montpellier », Études héraultaises, n° 33-34, 2002-2003, pp 101-112.

6. En 1969, le bulletin de la fédération des confréries publiait cette note : « Un maître-assistant de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, ancien élève de l’École Normale Supérieure, vient de faire paraître un livre intitulé : « Pénitents et Francs-Maçons ». Bien qu’il soit basé sur des recherches intéressantes, conduites avec méthode, nous mettons en garde tous les Pénitents contre cet ouvrage. Certaines appréciations sur les Confréries confinent à l’injure. Si l’auteur demande à consulter des archives ou des documents, nous conseillons vivement de lui opposer un refus, comme l’ont d’ailleurs fait quelques Recteurs. » Il serait certainement difficile de trouver des « injures » sous la plume de Maurice Agulhon, mais les « contre-sociétés » telles que les Pénitents veillent jalousement à contrôler leur image. S’ajoute la difficulté supplémentaire que connaissent bien tous les ethnologues cherchant à travailler sur des milieux sociaux dominants, en position de force pour filtrer les regards extérieurs.

7. Agulhon, Maurice, Pénitents et Francs-Maçons de l’ancienne Provence, Fayard, 1968, p. 87.

8. Vovelle, Michel, « Géographie des confréries à l’époque moderne », Revue d’histoire de l’Église de France, n° 183, 1983, pp 259-268.

9. Je soumets au lecteur une curiosité parallèle, qui pourrait renforcer cette hypothèse « culturaliste », dans le domaine à première vue totalement étranger des sports modernes. Durant la période charnière entre XIXe et XXe siècle, le rugby naissant se diffuse de façon assez égale sur le territoire national, avant de quasi disparaître de la France du nord pour se concentrer sur le domaine occitan – la différence avec les pénitents portant sur le centre de gravité de cette géographie méridionale : sud-ouest pour le rugby, sud-est pour les confréries.

10. Le Bras, Gabriel, « Les confréries chrétiennes – problèmes et propositions », Revue historique de droit français et étranger, 4e série 1940-1941, pp 310-363. Disponible sur Gallica.

11. Vauchez, André, « Les confréries au Moyen-Âge : esquisse d’un bilan historiographique », Revue historique, n° 558, avril-juin 1986, p. 468.

12. André Vauchez propose une généalogie remontant aux années 1215 dans son article « Les pénitents au Moyen-Âge » in Les laïcs au Moyen-Âge, pratiques et expériences religieuses, Ed du Cerf, 1987.

13. Froeschlé-Chopard, Marie-Hélène, « Étude des confréries : problèmes et méthode », Provence historique, n°136, 1984, p. 122.

14. Froeschlé-Chopard, Marie-Hélène, « L’évolution des pénitents en Provence orientale, XVIIIe-XXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, oct-déc. 1983, pp 616-636.

15. Bertrand, Régis, « Résurrection, déclin, survie des compagnies de pénitents à l’époque contemporaine », Provence historique, n° 128, 1982, pp. 183-192.

16. Bordes, Maurice, « Contribution à l’étude des confréries de pénitents à Nice aux XVIIe-XVIIIe siècles », Annales du Midi, n° 138-139, 1978, pp. 377-388.

17. Laurans, Guy, L’humilité et la gloire. Les confréries de pénitents en bas-Languedoc, Lacour, Nîmes, 1999, 287 p.

18. Parmi les colloques centrés sur les confréries et tout particulièrement les pénitents : Les confréries de pénitents (Dauphiné-Provence), Actes du colloque de Buis-les-Baronnies, octobre 1982, Valence, Histoire et archives drômoises, 1988.

19. Il faut signaler, à titre de contre-exemple, les travaux de Claude-Marie Robion : « Les Confréries de Pénitents dans les Pays d’Aude, XVIe-XVIIIe siècles », Bulletin de la Société d’Études Scientifiques de l’Aude, tome 86, 1986 ; « La nostalgie d’un passé révolu : les confréries de pénitents dans l’Aude au XIXe siècle », idem, tome 105, 2005.

20. Agulhon, Maurice, « Les confréries de pénitents au XIXe siècle », op. cit.

21. Cholvy, Gérard, Géographie religieuse de l’Hérault contemporain, PUF, 1968, en particulier pp 362 sq. Et aussi « Les Blancs du Midi », communication à l’Académie des Lettres de Montpellier, séance du 21 janvier 2013.

22. Secondy, Philippe, La persistance du Midi blanc. L’Hérault (1789-1962), Presses Universitaires de Perpignan, 2006.

23. Selon Gérard Cholvy, dans sa biographie du cardinal de Cabrières.

24. L’hôtel de Forton, rue Jacques Cœur, jouxte la chapelle Sainte Foy. Cependant, Jean de Forton, né en 1873, ne figure pas dans l’Annuaire de 1902. Son élection au poste de prieur, en juin 1909, signe donc une ascension très rapide dans la hiérarchie interne de la confrérie : faut-il y voir l’intervention de Mgr de Cabrières ?

25. Son père Louis, également pénitent blanc, fut bâtonnier à la fin du XIXe siècle. Son fils Philippe fut également avocat.

26. Les avocats Louis Guibal (1851-1941) et André Vincent (1871-1935) sont deux des principaux protagonistes du Midi blanc analysé par Philippe Secondy. Le premier fut bâtonnier du barreau de Montpellier à une dizaine de reprises, le second fut également élu par ses confrères.

27. C’est du moins ce que permet de penser l’état de la collection figurant dans les archives de la confrérie, assez poussiéreuses et en désordre, telles que j’ai pu la consulter dans les années 1970.

28. Ce rapport, qui est l’œuvre de l’avocat Pierre Roussel, fut publié dans le Bulletin de septembre 1913, en raison du fait qu’il n’a « rien perdu de son actualité. Nous le considérons comme un jalon de route qui a marqué une étape dans l’histoire de notre Confrérie. »

29. Lors de la mort d’Alexandre Laissac, ancien maire de Montpellier en poste en 1880, les pénitents publient ce commentaire : « L’homme qui vient de disparaître a donc fait indirectement beaucoup de mal à notre œuvre. Elle est dans une période de renaissance, et il n’est plus. Que Dieu fasse miséricorde à son âme ! » (Bulletin, février 1913).

30. Il convient d’y ajouter deux confréries extérieures au diocèse, à Treignac (Haute-Loire) et Aigues-Mortes, ainsi que les confréries de couleur.

31. Sauf dans le Velay. Autour du Puy, il y aurait une trentaine de compagnies rurales, « qui se perpétuent modestement, dans chaque paroisse, mais sans élan, sans organisation et surtout sans cette nécessaire cohésion que leur donnerait une fédération avec des statuts », selon l’opinion de l’aumônier des pénitents blancs du Puy. (Bulletin, octobre 1913).

32. Pomérols présente le cas intéressant d’une confrérie ancienne mise en sommeil vers 1880, et qui revit à partir de 1903 sous l’impulsion de Joseph Despetis, propriétaire dans la région, qui en devient prieur en 1910, et qui est aussi archiviste des pénitents blancs du diocèse. Cf. Peronnet, Denise, Les Pénitents blancs de Pomérols, sl, 2000, pp 62-65.

33. Le nom de Cercle Montalembert (fondé en 1907) apparaît dans un compte-rendu rétrospectif du Bulletin (1913). Aujourd’hui, il existe toujours à Paris un tel cercle qui organise des conférences au sein de « l’Institut éthique et politique Montalembert » présidé (internet, 29 juin 2015) par Emmanuel du Laurens d’Oiselay. Un baron Maurice du Laurens d’Oiselay, commandant en retraite (1858-1941 ?), était prieur des pénitents gris d’Avignon en 1911.

34. Le compte-rendu de cette journée, sous l’angle pénitent, est publié dans le numéro du bulletin de janvier 1912. Des réactions et compléments suivent dans les numéros de février et mars.

35. Voir en particulier l’analyse détaillée qu’en fait Max Daniel : « Frédéric Mistral, le Cardinal de Cabrières et les Pénitents Blancs », Bulletin des Amis du vieil Arles, n° 95-97-98 (mars 1997-avril 1998).

36. Mais on peut supposer qu’il s’est agi de Pierre Roussel, venu en voisin depuis sa résidence d’été du château de Roussan à Saint-Rémy de Provence.

37. Le récit de cette entrevue, sous l’œil étonné d’un universitaire hongrois en visite au même moment, est rapporté par le menu dans le bulletin de septembre 1912.

38. Mistral a été inscrit sur le Registre de la confrérie à la date du 15 août 1912. Celui-ci a été présenté au poète, pour signature, par le frère Joseph Ombras, ancien prieur de Cournonterral, qui a dû faire le voyage de Maillane. De son côté, le Prieur des Pénitents montpelliérains, le marquis de Forton, a adressé au nouveau prieur honoraire une lettre de remerciement en provençal : « (…) Vous que sés la glória de noste bèu païs e soun éstendard vivent, venès de moustrà un cop de mai que lou Miejour, que représentàs e que mantenès es aquel de nostes aujoùs, embè toutas sas tradiciouns, toutas sas coustumas, toutas sas glórias. » (Bulletin… octobre 1912).

39. Gérard Cholvy rappelle que l’évêque de Montpellier disait volontiers du marquis de Forton qu’il était son vicaire général laïque. Façon de reconnaître que les pénitents montpelliérains pouvaient être l’instrument de sa politique diocésaine dans certains domaines. Dans « l’affaire Mistral », il est très vraisemblable que l’idée est venue de Cabrières – jusqu’alors, le Bulletin de la confrérie n’avait marqué aucun intérêt particulier pour le félibrige – et que les notables pénitents lui ont donné tout le retentissement souhaité : « La nomination de Frédéric Mistral comme Prieur honoraire de notre Compagnie, a eu un retentissement mondial ». A la suite de l’Éclair, « tous les grands journaux sans distinction d’opinions, ont relaté le fait (…). De France, la nouvelle a franchi les frontières. Elle a été reproduite par les grands organes de la Presse étrangère, en particulier par les journaux espagnols, autrichiens, belges et italiens… » (Bulletin… d’octobre 1912).

40. Le cardinal de Cabrières et Frédéric Mistral étaient d’exacts contemporains, et de proches voisins : le premier né le 30 août 1830 à Beaucaire, le second le 8 septembre à Maillane, à quelques km de distance.

41. Bulletin… d’août 1913.

42. La notice souhaitant la restauration d’une confrérie à St Rémy, « ville catholique », est due à P. Roussel. C’est dire assez que les initiatives d’origine provençale sont rares.

43. Labarum, sl, sd (1968).

44. Eugen Weber estime que l’AF avait perdu plusieurs milliers de militants du fait de la guerre. Par exemple, la section locale de Nîmes en avait perdu 43. E. Weber, L’Action Française, Stock, 1962, page 206.

45. Dont il fut le secrétaire particulier durant 10 ans. Lui aussi monarchiste traditionaliste et sympathisant de l’AF, il favorisa grandement la réorganisation régionale des confréries.

46. L’arc en Ciel doit être compris par référence à la diversité des couleurs des confréries, mais aussi comme symbole du pont reliant le passé au présent, la date de naissance de la première confrérie à celle de la fédération nouvelle-née.

47. La fixation du siège social dans le Vaucluse tient pour beaucoup au fait que Mgr de Llobet était mieux que Mgr Mignen, disposé à accorder son patronage à la nouvelle organisation.

48. Le diocèse du Puy se targue de compter quelques 3 000 pénitents inscrits. En 1928, les confrères du Puy attestent de l’existence de 75 confréries dans le diocèse, et 58 d’entre elles assistent au Jubilé de Notre-Dame d’avril 1932. Ajoutons qu’à ces fêtes participent aussi les confréries nord-lozériennes de Langogne, Auroux, Brenoux ainsi que de Mende (Semaine religieuse du diocèse du Puy du 29 avril 1932). Mais seuls les pénitents blancs du Puy adhérent à la Maintenance.

49. Outre les analyses héraultaises de Gérard Cholvy, les ouvrages de référence sont ceux de Jacques Prévotat, Les catholiques et l’Action française, histoire d’une condamnation, 1899-1939, Fayard 2001 ; du même auteur, une synthèse : « La condamnation de l’Action française par Pie XI » in Achille Ratti pape Pie XI. Rome, 1996, pp. 359-395. (Publications de l’École française de Rome, 223) ; Lucien Thomas, L’Action Française devant l’Église. De Pie X à Pie XII, Nouvelles Éditions Latines, 1965 ; (Coll.), Non Possumus. La crise religieuse de l’Action Française, Études maurrassiennes, vol 5, Centre Charles Maurras, Aix en Provence, 1986.

50. Secondy, Louis, Portefaix-Vèzian Christine, A visage découvert. Les Pénitents blancs de Paulhan. 1645-1935, Domens, 2002, pp 163 sq.

51. Gourinard, Pierre, « La condamnation de l’Action Française dans le Gard », Etudes maurrassiennes 5, 1986, pp 229-238. Cependant, il convient de se montrer prudent vis-à-vis de ce genre de témoignage. Lors de l’AG de la Maintenance des pénitents tenue à Aigues-Mortes en juillet 1928, les présents ne semblaient pas très nombreux, mais les deux confréries locales parvinrent cependant à assurer le bon déroulement de la journée.

52. C’est le chiffre avancé dans la relation enthousiaste que fait de la journée l’Almanach de l’Action Française de 1928 (pages 344-354). La police comptabilisa 7 000 présents.

53. Significativement, 1948 voit la disparition de deux confréries avignonnaises, les noirs et les blancs, par épuisement et vieillesse de leurs quelques membres subsistant. Le récit en a été fait par le recteur des pénitents noirs : Charles Le Gras, « La fin des confréries des Pénitents noirs et des Pénitents blancs d’Avignon », Provence historique, n° spécial 1952, pp 20-32.

54. Source : « 1962-2012 : Les maintenances des Pénitents », http://www.catholique-lepuy.cef.fr/1962-2012-Les-maintenances-des.html (consulté le 16 septembre 2015).

55. Les conditions de fabrication du Labarum sont précaires, la dactylographie de mauvaise qualité, de même que le papier au format 21×27. Le tirage du premier numéro est revenu à 450 NF de l’époque, et a laissé en caisse un solde positif de 235 NF, dû à des dons d’un montant de 685 NF. Par la suite, le bulletin devient un cahier annuel, dont il existe une version numérique disponible sur le site internet de la Maintenance.

56. Saint-Priest d’Urgel, né à Paris en 1907, n’est pas originaire de la région. Il est cependant fortement implanté en Avignon où il est décédé en 2004, depuis au moins la fin des années 40. Membre et président de l’Académie d’Avignon, bailli d’honneur et de dévotion de l’Ordre de Malte, il fut aussi président de la fondation Calvet qui gère plusieurs musées et un important ensemble immobilier d’Avignon et de Cavaillon (cf. l’article de Jacques Molénat dans l’Express du 14/06/2004).

57. Originaire de Laval, et après une carrière professionnelle en Afrique du Nord, il s’installe à Aix, et devient Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Belles-Lettres de la ville. Il prend place ainsi dans la liste des dignitaires pénitents membres des académies de province, que ce soit Aix ou Avignon. Il était également membre de l’Ordre des Chevaliers de Malte. (Source : Labarum 2012).

58. Les pénitents de Saorge ont été « restaurés » par la libraire du village, par ailleurs organiste et organisatrice avec son mari d’un festival de musique italienne.

59. Selon le musée de Corte, organisateur d’une exposition en 2012 sur les confréries corses, l’île compterait à cette date 66 confréries en activité. C’est également à Corte que s’est tenue en 2007 l’Assemblée générale de la Maintenance. Le mode d’existence des confréries corses se caractérise en particulier par leur prolifération sur l’ensemble de l’île, avec une particulière présence à Bonifacio (5 confréries), et une relative discrétion dans les deux villes principales d’Ajaccio et Bastia, au profit des villages. Il faut également noter le taux élevé (un tiers) de confréries qui sont sans lien avéré avec la Maintenance.

60. Labarum 2010. D’après la notice signée de l’archiconfrérie de Monaco, cette nomination serait due à une décision de l’Assemblée des Évêques de France.

61. Appellation dont on peut penser qu’elle prélude à un possible abandon de la référence pénitente, au vu des nouvelles adhésions, pour ne retenir que le modèle confraternel. Notons aussi une dénomination intermédiaire : Maintenance des confréries de pénitents des pays de langue d’oc et des pays catalans.

62. Le site du Forum est consultable à l’adresse http://www.forumconfraternitatum.org/ site principalement en italien.

63. Cholvy, Gérard, « Les Blancs du Midi », communication du 21 janvier 2013 [anniversaire de la mort de Louis XVI !] à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.

64. Poulat, Émile, « Dérèglements et débordements du « champ religieux » », Le temps de la réflexion II, Gallimard, 1981, page 160.

65. Gonnet, Paul, « Particularisme et patronage politique dans le comté de Nice depuis 1870 », in Gras Ch. et Livet G., Régions et régionalisme en France du XVIIIe siècle à nos jours, PUF, 1977, p. 279.

66. Dans le Labarum de 2015, les pénitents noirs de Valdeblore la Roche, dans l’arrière-pays, écrivent : « Face à des comportements sociétaux qui se radicalisent et des traditions chrétiennes battues en brèche par des énarques libre penseurs, les pénitents savent résister et témoignent d’une foi vivante et d’une histoire qui se conjugue au présent, sans sombrer dans l’intolérance et l’intégrisme. »

67. La Collectivité territoriale de Corse, participant au Salon du Patrimoine culturel tenu en novembre 2011 au Carrousel du Louvre, y présente les confréries de l’île, en s’appuyant sur l’enquête ethnographique et le travail de collecte patrimoniale effectué par le musée de Corte : http://www.corse.fr/salon-patrimoine/Les-confreries-de-Corse_a25.html (consulté le 10/09/2015).

68. La Croix du 4 mai 2012 https://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/En-Corse-des-confreries-au-service-de-l-evangelisation-_EP_-2012-05-04-802469 (consulté le 10/09/2015).

69. Disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=YM3jB8t3rMU.

70. Le 22 août 1975, une cave viticole d’Aleria, appartenant à un exploitant pied-noir, est le théâtre d’un affrontement sanglant entre militants nationalistes de l’ARC (Edmond Simeoni) et forces de l’ordre. Deux gendarmes sont tués : moment paroxystique de la crise nationaliste en Corse.

71. Confrérie de Saint Charles, de Carbuccia, dans le Labarum de 2012.

72. Jean Madiran, formé au maurrassisme et au néo-thomisme avant-guerre, a souvent écrit dans la presse d’extrême-droite (Rivarol…) et fut l’un des co-fondateurs du journal Présent en 1982, très proche du Front National.

73. L’histoire religieuse universitaire sous-estime souvent le poids et l’influence de ce courant. Jacques Prévotat : Être chrétien en France au XXe siècle, Seuil, 1998, est muet sur cette question. Pierre Pierrard, Un siècle d’histoire de l’église, 1900/2000, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, à peine plus disert. Le bilan historiographique le plus récent par Bruno Dumons et Christian Sorrel (dir), Le catholicisme en chantiers, PU de Rennes, 2013, est plus allusif que véritablement analytique. Denis Pelletier consacre bien un chapitre à « la tradition » dans sa Crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), mais c’est Émile Poulat qui, seul ou presque, prend la question à bras le corps, et n’hésite pas au dialogue avec les principaux porte-parole du traditionalisme, et sur leur terrain : par exemple : Modernistica. Horizons, physionomies, débats, Nouvelles éditions latines, Paris 1982.

74. Maître, Jacques, « Catholicisme d’extrême-droite et croisade anti-subversive », Revue française de sociologie, 1961, 2-2, pp 106-117. Le vocabulaire de la « subversion » est au centre de l’exposé historique, analyse intéressante menée de l’intérieur, dû à l’abbé Grégoire Celier, de la FSSPX : « Un terreau fertile : La Tradition en France avant la Fraternité Saint-Pie X (1958-1976) », revue en ligne Item, en date du 30/04/2014 : http://www.revue-item.com/9337/.

75. La moindre investigation sur Internet révèle un degré élevé de controverses théologiques et de violences idéologiques et verbales entre héritiers du maurrassisme et de Mgr Lefebvre.

76. Dans le sens que donne Max Weber à ce terme, c’est-à-dire un quasi-concept historisé, fait d’un faisceau de traits significatifs, à partir duquel peuvent être situées les confréries observées dans leur plus ou moins grande distance à ce type modal.

77. Et dans ce cas, il faudrait certainement parler d’un lapsus ou d’un acte manqué.

78. Cholvy, Gérard, Géographie religieuse de l’Hérault contemporain, page 377 (note). Sur Chabeuil et les Coopérateurs Paroissiaux, Grégoire Celier, op. cit., donne les repères indispensables.

79. « L’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (en latin : Institutum Christi Regis Summi Sacerdotis) est une société apostolique en forme canoniale, de droit pontifical, fondée en 1990 sous le patronage de l’Opus sacerdotale, association de prêtres diocésains français pour la défense de l’orthodoxie catholique et de la spiritualité sacerdotale ».

80. En juin 2015, une douzaine de confrères a effectué à pieds, jusqu’à Turin, un pèlerinage qui « prend ainsi toute sa signification de supplication et de pénitence à l’aube du grand cataclysme prévisible. Bien que niée par les politiques, la troisième guerre mondiale a éclaté et la population, abreuvée de mensonges par les médias, a renié Dieu. Le pape François viendra le 20 juin à Turin. Reconnaîtra-t-il enfin le Linceul comme la preuve éclatante des souffrances et de la Résurrection du Christ ? Le monde a tellement besoin de cette affirmation… ». Le lien est ainsi fait entre la victoire européenne sur les Turcs en 1571 et la IIIe guerre mondiale en cours.

81. L’adresse du site internet de l’Institut est : http://www.icrsp.org/. Mais les pages consacrées à la Maison de l’Institut à Nice sont à l’adresse : www.icrsp-nice.fr/.

82. A noter que l’un des dignitaires de la confrérie affiche publiquement son appartenance active au groupe Nissa rebela (relevant du « Bloc identitaire ») après avoir figuré sur des listes électorales du Front National.

83. Labarum 2015, pp 15-20. Le texte relate les fêtes célébrées en la basilique de St Maximin le 27 juillet 2014.

84. Cette homélie est consultable à l’adresse http://tradinews.blogspot.fr/2013/08/dom-louis-marie-de-geyer-dorth-homelie.html (consultée le 15/10/2015).

85. Site à l’adresse http://www.penitents-noirs.fr/.

86. Alleins figure sur la carte des pénitents affichée sur le site officiel de la Maintenance, sans autre renseignement : le site internet de la confrérie est pourtant vivant : http://penitentsalleins.free.fr/topic/index.html.

87. Auteur anonyme dans le Labarum de 2012. Une enquête journalistique en 1998 faisait de cette chapelle « le carrefour de l’intégrisme » narbonnais. Midi Libre du 27 juin 1998 (édition de Narbonne).

88. Bergasse, Jean-Denis (président de la Société archéologique scientifique et littéraire de Béziers) : A Béziers les confréries et corporations du XIIe au XIXe siècle : les confréries de Pénitents et la chapelle des Pénitents bleus, Béziers, 2000.

89. Le site de la confrérie : http://penitentsbleus31.free.fr. L’enthousiasme des deux confrères leur a fait inventer un « kit du fondateur » mis à la disposition de tout catholique désireux de les imiter dans leur démarche.

90. Selon les circonstances, les pénitents pouvaient se référer aux « Statuts de l’association des Pénitents blancs de la ville de Montpellier » ou au « Règlement intérieur de la dévote et respectable confrérie des pénitents blancs de la ville de Montpellier ».

91. Cette transformation des confréries en associations « loi de 1901 » s’est généralisée progressivement. Aujourd’hui, il arrive que certaines aient une double hiérarchie : le président (de l’association) voisine avec le prieur ou recteur (de la confrérie).

92. Le grand spécialiste de Maurras, Victor Nguyen, a défriché la question dans son étude « Maurras et le Félibrige. Éléments de problématique », La France latine, N° 79-80, 80-81 et 82, 1979 et 1980. Une version, allégée de ses notes, est disponible sur internet sur le site https://maurras.net/.

93. Interview du recteur Bernard Blanc Montmayeur sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=Z_8GimQKcVY.

94. https://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/etat-cultes-laicite/police-cultes/.