Description
La crise politique de la seigneurie à la fin du Moyen Âge :
le cas de Sérignan au XIVe siècle
* Docteur en Histoire médiévale, Université de Toulouse II
Cette étude de cas du village languedocien de Sérignan (Hérault) essaie d’apporter des lumières sur l’aspect politique de la crise de la seigneurie au bas Moyen Âge. Certes, l’insécurité causée par la guerre de Cent Ans réactive le rôle protecteur des seigneurs locaux et rend fréquente leur intervention dans le village au sujet des problèmes de défense. Mais, avec l’aggravation de la guerre, la royauté y intervient plus que les seigneurs locaux dans les domaines fiscal et défensif. Ainsi, le lien entre la communauté villageoise et la royauté se renforce et l’autorité royale s’étend dans le village, au détriment de l’autorité seigneuriale, qui est déjà atteinte dans le domaine judiciaire par l’extension de la justice royale. D’autre part, l’état de l’insécurité tend à favoriser l’autodéfense des villageois. La sécurité du village est principalement assurée par l’autodéfense de la communauté, combinée avec la direction de la royauté. La crise politique de la seigneurie au bas Moyen Âge réside dans l’affaiblissement de sa raison d’être, c’est-à-dire son retrait progressif du maintien de la paix au village.
This is a case study of Sérignan (Hérault), a village in Languedoc, France. It attempts to explain the political aspect of the breakdown of the french seigniorial system in the late Middle Ages. The insecurity of the Hundred Years War had revived the role of protector held by the local lords and involved their frequent interventions in defence of the villages. With the worsening of the war the Royal authorities interceded more than the local nobility, notably in the realms of taxes and defence. This reinforced the relationship between the village communities and the regal authorities. Due to the increase of the Royal authorities in the domaine of the judiciary the authority of the local lords weakened further. The state of insecurity in the villages tended to encourage their own self-defence, combined with Royal authority. The political breakdown of the french nobility in the late Middle Ages lies in the decline of its purpose, in other words its gradual withdrawal as a peace-keeping force in the village.
Aquel estudi del vilatge lengadocian de Serinhan (Erau) ensaja de bailar de lums sus l’aspècte politic de la senhoriá a l’Edat Mejana tardiva. De segur l’insecuritat provocada per la guèrra de Cent Ans torna activar lo ròtle protector dels senhors locals e fa mai frequenta lor intervencion dins lo vilatge sus las questions de defensa. Mas, amb l’agreujament de la guèrra, la reialtat se fa mai intervencionista que los senhors locals dins los domenis fiscal e defensiu. Aital, lo ligam entre la comunautat vilatgesa e la reialtat se fa mai fort e l’autoritat reiala s’espandís sus lo vilatge al prejudici de l’autoritat senhorala, ja tocada dins lo domeni judiciari. D’un autre costat, lo nivèl de l’insecuritat mena a l’autodefensa dels vilatjans. La securitat dels vilatges es majorment assumida per l’autodefensa de la comunautat combinada amb lo sosten de la reialtat. La crisi politica de la senhoriá a l’Edat Mejana tardiva se troba dins l’aflaquiment de sa rason d’èsser, es de dire son retirement progressiu del manten de la patz dins lo vilatge.
« C’est par une crise des revenus seigneuriaux que se termine le moyen-âge et s’ouvrent les temps modernes ». Ouvert par cette phrase impressionnante de Marc Bloch, le débat à propos de la crise de la seigneurie à la fin du Moyen Âge se polarise depuis longtemps sur son aspect financier.
Cependant, la seigneurie n’est pas seulement une entreprise mais aussi un gouvernement. Après la chute du royaume franc, en passant par la période de transition des Xe-XIe siècles, où la plupart des droits régaliens sont décentralisés souvent jusqu’au niveau du château rural, soit par l’usurpation brutale, soit par l’appropriation plus pacifique, c’est la seigneurie qui devient un régime politique dominant dans la majeure partie de la France. En exerçant les droits de seigneurie d’origine régalienne ou foncière, le seigneur assure à ses sujets la protection, la justice et même l’assistance en échange des redevances. Les relations entre le seigneur et ses sujets sont pour ainsi dire un contrat bilatéral – don et contre-don. Pour emprunter les mots de Robert Fossier, le régime seigneurial se base donc sur une entente tacite : le maintien de la paix en ville ou au village est sa raison d’être. Mais, dès le XIIIe siècle, le pouvoir seigneurial commence à être entamé d’en haut par l’extension de la royauté, d’en bas par l’autonomisation de la communauté d’habitants et cette tendance s’accélère pendant la guerre de Cent Ans. Dans ce contexte, Philippe Contamine parle, à juste titre, d’« une crise de nature politique » de la seigneurie aux XIVe-XVe siècles.
Avec l’étude de cas d’un village bas-languedocien, Sérignan (Hérault), cet article essaie donc d’apporter des lumières sur l’aspect politique de la crise de la seigneurie, qui n’a guère attiré l’attention des historiens ou n’a été traité que marginalement dans leurs ouvrages à cause du manque de sources, en analysant les relations entre le pouvoir seigneurial, la royauté et la communauté villageoise. Le choix de terrain de recherche se justifie par la richesse des sources concernant notre centre d’intérêt : deux comptes consulaires de 1367-68 et de 1376-77, conservés aux Archives municipales de Sérignan ; une quinzaine d’actes touchant la seigneurie, déposés aux Archives départementales de l’Hérault ; une dizaine d’actes du Parlement de Paris touchant les seigneurs, conservés dans la sous-série X1A (jugés, lettres et arrêts) et dans la sous-série X1C (accords homologués) des Archives nationales, etc.
Le village de Sérignan et son seigneur
Le village de Sérignan, qui avait connu l’incastellamento – la concentration de l’habitat autour du château et la fortification du village entier – avant 1100, se situe à l’embouchure de l’Orb et compte 320 feux en 1344. La première mention des consuls de Sérignan date de 1269. Pendant le XIVe siècle, la communauté d’habitants est dirigée chaque année par quatre consuls.
Nous savons qu’au XIe siècle, deux lignées fortes, les Riculf et les Gairald, qui sont descendantes de riches alleutiers du Xe siècle, dominent le village de Sérignan. Mais, la première mention d’un maître du castrum – Guillaume Mir de Capestang – n’apparaît qu’en 1187. Après cela, notre documentation reste muette sur une famille seigneuriale de Sérignan même pendant la Croisade contre les Albigeois et l’intégration du Bas-Languedoc au royaume de France. En 1235, un acte de vente témoigne que domina Rostagna de Serignano vend la place devant son château à la communauté de Sérignan, en recevant une approbation de Gui II de Lévis, seigneur de Mirepoix, ou de son viguier et en lui payant les lods et ventes. En 1262, Gui III de Lévis, seigneur de Mirepoix, achète la seigneurie de Sérignan aux héritiers de la dame Laure de Sérignan. Dans les environs de Sérignan, il possède aussi les seigneuries de Bessan, Florensac, Mèze, Pomerols, Portiragnes, Sauvian, Thézan, Vias et Villeneuve. Après la mort de Gui III de Lévis, le partage de son patrimoine se fait en 1300-1301 entre Jean Ier, d’une part, et Thibaut Ier, Pierre, Philippe Ier, Eustache et François Ier, d’autre part. Ce sont ces derniers qui reçoivent la partie bas-languedocienne du patrimoine de leur père contenant Serinhanum cum suo territorio et terminali. Or, dans la famille des Lévis venue du Nord du royaume avec la Croisade contre les Albigeois, chacun des enfants hérite d’une part égale des biens de leurs parents suivant la coutume de la vicomté de Paris, de sorte que le patrimoine des Lévis tend à s’émietter à chaque génération. Face à cette tendance critique, les Lévis adoptent une règle de primogéniture dans les années 1330, ce qui cause désormais de nombreuses querelles de succession.
Pendant la plus grande partie du XIVe siècle, la seigneurie de Sérignan semble être virtuellement divisée en deux parts, dont chacune peut être tenue en indivision par plusieurs personnes, c’est-à-dire par des coseigneurs. Dans les sources du XIVe siècle, nous pouvons attester de seigneurs de Sérignan. Ils apparaissent comme dominus ou condominus de Sérignan, héritent d’une partie – la moitié ou le tiers – du castrum, prêtent serment et rendent hommage au roi pour leurs parties, recoivent la taille seigneuriale de la Saint-Michel ou exercent la juridiction dans le village à travers leurs agents (Tab. 1). À l’exception de Roger Ferrolh, Ramond Abam de Roquenegade et Guillaume Delmont de Magaton que nous ne pouvons pas identifier, tous les seigneurs sont parents de la famille des Lévis et sont héritier(ère)s possibles de Gui III de Lévis. Cependant, tous les coseigneurs ne sont pas égaux en droits et il y a une hiérarchie entre eux. En effet, pour chaque génération, un, deux ou trois coseigneurs seulement apparaissent fréquemment avec leur nom sur les documents. Par exemple, en matière de défense ou de justice villageois, on ne voit toujours agir qu’un ou deux coseigneurs. Quand il s’agit de deux coseigneurs, ils semblent représenter chacun sa coseigneurie – le dominium et la jurisdictio de la moitié du castrum – et agissent en commun. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2018 |
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Nombre de pages | 12 |
Auteur(s) | Shinya MUKAI |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |