Jacques Renouvin Lettres à son « vieil ami » Victor

« un certain nombre de choses
qui peuvent sembler insignifiantes
mais qui pourtant libèrent nos consciences
 »
De X… Montpellier à Victor Fournet, (février 1942).

[ Texte intégral ]

Jacques Renouvin

Fig. 1. Jacques Renouvin

Depuis début 2016, les archives de la Seconde Guerre mondiale relatives aux juridictions d’exception instituées par le gouvernement de Vichy ainsi que les enquêtes de police judiciaire sont consultables avant les délais prévus. Dans le fonds relatif au service régional de la police judiciaire des archives départementales de l’Hérault, des documents, concernant Jacques Renouvin, ont été trouvés. Il s’agit d’une part, des correspondances – pour la plupart interceptées -, dont l’une date de janvier 1939, avec Victor Fournet, son « vieil ami » et, avec Mireille Tronchon, qu’il épousera, datées de septembre et octobre 1942 ; d’autre part, de deux auditions : celle, en avril 1942, de Victor Fournet et celle, en mai 1942, de Marie-Rose Benezech, domiciliée à Palavas-les-Flots qui a bien connu Jacques Renouvin. (Fig. 1)

Lettre à Victor, 6 janvier 1939

En ce début d’année 1939, alors que la guerre s’approche sous le couvert de la paix de Munich qu’il a combattue, Jacques Renouvin répond aux vœux que lui a adressés son ami Victor, qu’il connaît depuis 1927, probablement lors de son service militaire. Il lui dit, avec lucidité, l’aveuglement qu’il constate autour de lui au sujet de la propagande de l’Allemagne qui égare les esprits sous le prétexte de combattre le communisme : « la situation extérieure est toujours lourde de menace, à l’intérieur l’Allemagne fait une propagande acharnée contre laquelle les réactions isolées ne servent pas à grand-chose ; les types les meilleurs trompés par une certaine presse de droite, tiennent des propos abracadabrants ; l’autre jour un membre du Conseil de l’Ordre pour qui j’ai beaucoup d’amitié m’a répondu, comme je lui expliquai que certains journaux français étaient payés par l’Allemagne, que cela n’avait pas d’importance, puisque c’était de l’argent qui aidait à combattre le communisme ; devant tant d’inconscience on reste désemparé » 1. Une connaissance de son frère Pierre, qui était professeur d’histoire, le germaniste Edmond Vermeil 2, écrivait dans sa tentative d’explication de la civilisation allemande : « Affolés par la peur du communisme, nombre d’Occidentaux cherchent un refuge en Allemagne même. Mais savent-ils que l’hostilité de l’Allemagne à l’égard du monde franco-anglais n’a pas faibli, elle, le moins du monde ? » 3 Édité au moment même de la défaite, son livre fut « interdit [par] les autorités d’occupation [qui] ont détruit des volumes qui se trouvaient chez l’éditeur ou en librairie » 4. Dans sa correspondance de ce début d’année 1939, Jacques évoque avec Victor ses démêlés amoureux et ses projets de vacances : « Du côté sentimental (si l’on peut dire) ma vie est toujours bien compliquée, toujours 4 ou 5 personnes à la fois, je ne sais plus très bien quoi faire de ce monde » et il termine avec l’intention d’aller lui rendre visite pour « Pâques pendant les quinze jours de vacances et de visiter le Maroc » en sa compagnie et de celle de sa femme. Avec Victor, nul doute que Jacques aura eu un guide aguerri et expérimenté connaissant parfaitement le terrain et les montagnes du rif autour d’Aknoul. Victor Fournet était en effet capitaine au 97e Goum chérifien à Aknoul, territoire de Taza (Maroc).

Lettre à Victor, Palavas-les-Flots, 16 novembre 1940

Près de deux ans plus tard, quand arrive le mois de novembre 1940, un monde s’est écroulé. La France, défaite, hébétée, est désormais occupée et coupée en deux. Jacques a reçu des nouvelles de Victor par l’intermédiaire de son neveu Michel qui, démobilisé, a commencé des études de médecine à Montpellier. Pierre Renouvin, père de Michel, raconte dans quelles conditions son frère Jacques rejoignit son fils à Palavas. Il fut, dit-il, « mobilisé comme sous-officier de réserve. Il fit la guerre comme chef de corps-francs qui opéraient en avant de la ligne Maginot. Blessé vers le 20 juin, il fut soigné à l’hôpital d’Épinal et, automatiquement, fait prisonnier quand les Allemands occupèrent la ville. Il allait mieux et travaillait à la gare d’Épinal quand il apprit que les Allemands allaient envoyer les prisonniers en Allemagne. Il se procura aussitôt des vêtements civils (et même une casquette de cheminot), prit le train et partit retrouver sa famille en Bretagne où il arriva mi-juillet. De là, il partit pour le midi, à Montpellier, où se trouvait son neveu Michel, qui venait d’être démobilisé et était étudiant en médecine (classe 39) » 5. Il lui avait pourtant été proposé, en tant qu’avocat, une affectation dans la Justice militaire. Jacques Renouvin préféra être en première ligne, dans l’action. Une Palavasienne qui l’a bien connu écrivait il n’y a pas si longtemps : « Il a vécu à Palavas dès le mois de septembre 1940 et je sais que quelques habitants du village se souviendront de sa haute silhouette (il mesurait 1m 92) arpentant les quais en compagnie de son neveu Michel, qui allait devenir mon mari » 6. Depuis Palavas-les-Flots, ce 16 novembre 1940, Jacques répond à Victor pour lui dire combien il a été heureux d’avoir eu de ses nouvelles et d’apprendre qu’il était à peu près sorti indemne des combats puisque celui-ci avait repris son service. Il évoque son passage sur le front, la vie, assez agréable, qu’il mène désormais au bord de la mer et l’espoir qu’il semble entretenir en des jours meilleurs : « En ce qui me concerne j’ai réussi en mars à être versé dans un excellent régiment de ligne 7 qui a très bien fait son devoir. J’ai été blessé tout à fait à la fin et démobilisé dans le midi (blessure légère : balle de mitraillette avant-bras gauche). Actuellement peu désireux de retourner à Paris je mène dans le midi une vie qui fut d’abord charmante mais qui commence à l’être moins. Au début j’avais de l’argent, un complet convenable, je voyageais dans tous les sens, faisant des séjours chez divers amis, ce qui fut l’occasion d’aventures ravissantes ; maintenant je n’ai plus d’argent 8, le complet est fatigué, je vis sur une petite plage près de Montpellier, les aventures deviennent plus rares ; il est vrai que j’ai un grand amour à Montpellier pour une jeune femme qui me le rend bien et je vais la voir tous les jours mais le soir j’en suis réduit à jouer au jaquet avec le patron du bistrot ; ce n’est pas très intellectuel ! Mon neveu achève son service à Montpellier ; il a très bien fait son devoir et a été blessé à la jambe ; il achève une permission de douze jours qu’il vient passer avec moi. Tous les deux, nous attendons avec patience le retour d’événements plus favorables pour pouvoir reprendre une vie normale. J’attends avec impatience une lettre de toi (par retour du courrier si possible). Donne-moi des nouvelles de ta femme et de notre chère petite Jacqueline que tu embrasseras bien pour moi ; pour toi, mon vieux toutes mes amitiés fraternelles » 9. Signé : Jacques Renouvin, 16 novembre 1940, Palavas-les-Flots, 12 rue Substantion. Pierre Renouvin poursuit son témoignage sur son frère : « C’est dans le courant de l’hiver 1940-1941 que J. Renouvin entre en rapport avec le groupe Liberté, déjà important à Montpellier puisque ses chefs étaient des professeurs de la faculté de droit (Teitgen, Courtin…) ». Pierre Renouvin se rappelle qu’étant allé, au cours de l’hiver, voir son fils à Montpellier, il rencontra Edmond Vermeil, son collègue : celui-ci lui parla des groupes de résistance alors en formation. Pierre Renouvin conseilla donc à son frère d’aller voir Vermeil qui pourrait le mettre en rapport avec des organisations de résistance. […] Jacques Renouvin entra au groupe Liberté (et par conséquent à Combat après la fusion) 10. Jacques Dupuy, membre du groupe Liberté raconte que Pierre-Henri Teitgen « [l]’envoie à Palavas pour y rencontrer un nommé Renouvin. C’était […] pendant l’hiver 40-41. Je revois l’homme à la terrasse d’un café désert, immense, d’épaisses lunettes sur les yeux. C’était Jacques, le frère de Pierre, l’historien bien connu » 11. (Fig. 2)

Lettre non-interceptée du 16 novembre 1940 (ADH, 796 W 41).
Fig. 2. Lettre non-interceptée du 16 novembre 1940 (ADH, 796 W 41).

Lettre interceptée le 11 février 1942, de X… Montpellier à Victor Fournet

À Aknoul, quelques jours après le 11 février 1942, le capitaine Victor Fournet reçoit une lettre non signée mais dès les premiers mots il a très vite compris qui lui écrivait. Il est un peu anxieux en la lisant : « J’espère que tu comprendras de qui cette lettre émane. Il est plus prudent en effet, que ce ne soit pas signé étant données les indiscrétions possibles de la censure. » X… lui raconte ce que sont déjà depuis début 1941 ses activités : « Je tiens pourtant à ce que tu saches que je ne suis pas en ce moment absolument inactif. Je dirige pour une région (six départements) un mouvement occulte qui a pour but la résistance et la libération du territoire. Dans des conditions extrêmement difficiles, sans auto, papier, sans imprimerie, soumis à des persécutions policières très sérieuses, nous avons réussi néanmoins un certain nombre de choses qui peuvent sembler insignifiantes mais qui pourtant libèrent nos consciences : c’est d’abord une propagande par journaux clandestins, par tracts, papillons, peinture sur les murs contre l’Allemagne et ses amis français ; c’est ensuite l’action : cassage de vitres, sabotages, suppression violente de journaux pro-allemands (Signal, Gringoire) et enfin cassage de gueules des gens qui souhaitent la victoire allemande » 12.

Victor ne sait sans doute pas que son courrier est surveillé. Cette lettre a été interceptée le 11 février, sous la référence YD 215/A ; expéditeur : inconnu mais domicilié à Montpellier et sans date. Elle a dû être envoyée vers le 8 ; objet de l’interception : Activité et propagande antiallemande et anti-collaborationniste. Une note du président de la commission de contrôle postal agrafée à la lettre reproduite par les services de police indique : « La commission possède une photo de ce document. Elle essaiera par comparaison avec les suscriptions des plis contrôlés de déterminer l’identité de l’auteur de cette lettre. » Le 14 février une note classée « Secret » du cabinet du Préfet à l’Intendant régional de police préconisait que « des recherches pourraient être effectuées auprès du destinataire afin de découvrir l’auteur de la lettre ». 13 En toute discrétion pour ne pas éveiller les soupçons…

Plus d’un an après, bien loin d’une « vie normale », en février 1942, Joseph14 était passé à l’action avec une certaine efficacité. Il lui avait suffi de remettre au goût du jour les méthodes des Camelots du roi, les troupes de choc de l’Action Française qui, en 1934, avec le concours des ligues, furent sur le point de renverser la République… Il faudra attendre le 10 juillet 1940 pour que la République soit renversée… par un vote !, et c’est contre les collaborateurs que Renouvin tournera ses armes. La châtaigne, Jacques Renouvin aime ça. En mars 1942 à Palavas lui et quelques autres, certains réfugiés, se sont affrontés à plusieurs reprises aux Jeunesse de France et d’Outre-Mer à coups de matraques 15. Alors qu’il devrait être discret, Joseph ne peut s’empêcher de parler. Il « ne cache pas qu’il est le chef du Groupement Combat pour la Région 16 […] qui a, dit-il, toute la population pour lui ». Deux de ses camarades condamnés pour avoir cherché à rejoindre Londres ont dit qu’ « il a refusé de rejoindre les troupes de De Gaulle, alors qu’il y était convié ». Ils ajoutent qu’au sujet du Maréchal « il estime que si le Chef de l’Etat est obligé de tenir les discours officiels qu’il tient, il faut reconnaître qu’il n’a jusqu’à présent rien accordé aux Allemands. C’est ce qu’il dit aux réunions de ses Comités. Il pense que le Maréchal est antiallemand » 17. Sur l’Allemagne, l’avocat Jacques Renouvin avait une réelle lucidité, pourquoi cette cécité sur le Maréchal ?

11 mars 1942 : « Aujourd’hui nous avons un nom : Jacques Renouvin 

C’est ce qu’a écrit, le président de la commission de contrôle postal, sur une petite note attachée à la lettre du 6 mars 1942, interceptée le 11 sous le N° 278/A, expédiée par un(e) auteur(e) X… à Pau. Elle est destinée à Mme Yves Chambert aux bons soins du capitaine Fournet, 97e Goum chérifien, Aknoul par Taza. Cette lettre commence ainsi : « Avant de te raconter la visite de Jacques Renouvin, je te dirai, comme tu le sais que Jeanne est à Paris… » Puis l’auteur(e) poursuit : « Et maintenant voici : mardi dernier à 3 heures de l’après-midi, télégramme de Jacques Renouvin annonçant sa visite pour 9 heures du soir. Isabelle et moi l’attendions donc quand à 9h1/2 nous le voyons arriver très à l’aise, très bavard, il nous parle de choses et d’autres, de son mouvement politique qui consiste à casser des vitres, arracher Signal des personnes qui le lisent, etc. quand il ajoute, et maintenant entrons au cœur du sujet et sortons le dossier (c’est-à-dire 2 ou 3 lettres reçues du Capitaine Fournet et de toi). Mais avant toute chose, il faut que je vous dise qu’il n’y a rien à faire, que je ne veux pas me marier, etc. Et alors il nous a lu et commenté les lettres en question, se fichant de lui, de moi, de tout… En ce moment, il n’y a qu’une chose qui compte « le mouvement ». Soi-disant (on ne sait si ce qu’il dit est vrai) il a montré ta lettre à tout le mouvement cette histoire de projet de mariage, enfin il a donné un tour ridicule à tout cela. Il prétend que le Capitaine Fournet ne le connait certainement pas sous son vrai jour et je le crois aussi. Il a fait une foire monstre, depuis son retour de captivité et ne semble pas prêt de s’arrêter. » Le 19 mars 1942, le préfet fait savoir à l’Intendant régional de police qu’ « une nouvelle interception visant le Cap. Fournet du 97e Goum chérifien à Aknoul met en cause un nommé Jacques Renouvin qui parle de son mouvement politique qui consiste à casser les vitres. Cet individu pourrait bien être l’auteur du document photographié qui vous a été remis » 18.

« Elle était inondée de larmes »

Joseph ne connaît pas de répit. Constamment sur le tas quand il ne se cache pas. Son physique démesuré ne l’avantage pas pour passer inaperçu. Certains de ses amis s’en sont inquiétés. Il paie toujours de sa personne. Ses responsabilités au sein de Combat l’amènent à parcourir toute la zone sud. En ce mois de mars 1942 il met au point quelques « réjouissances » à Clermont-Ferrand et il va faire une rencontre : « Mireille Tronchon 19 vivait pendant l’occupation, tantôt à Clermont-Ferrand tantôt, l’été, à Tulle chez sa grand’mère. Elle entra dans le groupe Combat de Clermont-Ferrand, et c’est ainsi qu’elle connut Jacques Renouvin, chef des Groupes Francs, en mars 1942, alors qu’il organisait le sabotage d’une conférence organisée par les collaborateurs (elle croit que c’était pour les « Jeunesses de France et d’Outre-Mer »). Alfred Coste-Floret lui demanda d’apporter des ampoules de gaz lacrymogène à la conférence et de les briser à un moment donné. […] Mme Renouvin se souvient du résultat de ce sabotage et qu’elle était inondée de larmes… Peu après, Jacques Renouvin lui demanda de l’épouser. […] Après mille difficultés, ils se marièrent dans l’été 1942 » 20. Visiblement, en août 1942, la police judiciaire de Montpellier était au courant de la liaison entre Mireille Tronchon, domiciliée à Chamalières, en vacances à Tulle, et « Renouvin Jacques, avocat, membre influent de l’organisation clandestine « Combat » […] qui a provoqué des attentats dans les régions de Montpellier et de Clermont-Ferrand, [et qui] fait notamment l’objet d’un mandat d’arrêt en date du 20 mai 1942 » 21. Les RG savent que : « la demoiselle Tronchon annoncerait son prochain mariage avec Renouvin » 22. Les futurs époux avaient-ils clamé haut et fort leur intention de s’unir ?

7 avril 1942, enquête auprès de Victor : une amitié sans faille…

Le 7 avril 1942, le capitaine Victor Fournet, muté à la 29e demi-brigade de Tirailleurs Algériens à Koéla (Alger) précédemment Contrôleur des Affaires Indigènes au 97e Goum à Aknoul, a eu la visite de la police de la Sûreté régionale de Taza qui lui a produit la lettre interceptée le 11 février et dont l’auteur avait été identifié comme étant Jacques Renouvin. Devant l’officier de Police Judiciaire, qui le questionnait, l’amitié de Victor Fournet pour Jacques fut sans faille. Dans ses réponses, Victor usa d’arguments de politique nationale, espérant toucher la sensibilité de l’enquêteur. Il laissa ainsi sous-entendre qu’il y aurait une bonne résistance celle d’un « loyal patriote » mû par « son point de vue anti allemand » comme l’est effectivement son ami Joseph et dont par conséquence on n’a pas de raison de se méfier ; ce n’est pas un vendu à l’étranger, comme le sont les communistes, l’extrême gauche et par extension les gaullistes et les mauvais français vendus on s’en doute à l’Angleterre. Cette argumentation lui permit en même temps de se délivrer d’un poids et de confirmer que l’auteur des lettres était bien son ami Jacques Renouvin, sans apparaître comme un « donneur ». Et puis, pense-t-il en lui-même, n’est-ce pas Jacques qui en septembre 1934, a « souffleté » non pas Flandin, mais un député du Front Populaire, Guy Lachambre ? Et son procès, comme responsable de la défaite, n’est-il pas en train de se dérouler à Riom ? 23 N’est-ce-pas là tout ce que rejette l’actuel gouvernement ? Dans ces conditions, se dit-il, qu’est-ce que la sûreté nationale aurait donc à craindre de Jacques Renouvin ? Voici ce qu’a dit Victor Fournet à l’Officier de Police Judiciaire mandaté par la Sûreté de Rabat suite à la transmission d’une lettre du Préfet Régional de l’Hérault en date du 18 mars 1942. (Extrait) :

« […] cette lettre contrairement à ce que vous pouvez supposer n’émane pas d’un extrémiste de gauche, c’est-à-dire d’un communiste, mais d’un ardent patriote, anti-collaborationniste […] Je me porte garant de la netteté de ses sentiments nationaux et de sa fidélité au Maréchal Pétain. […]

Je n’ai aucun scrupule, connaissant les sentiments de mon ami, à donner son identité, qui est la suivante : Renouvin Jacques, avocat à la Cour, à Paris, réfugié actuellement à Montpellier, rue St Louis, N°7.

S.I. Je tiens à préciser que si je donne le nom de mon ami, c’est parce que je suis sûr qu’il ne s’agit pas d’un communiste, mais d’un brave et loyal patriote.

S.I. Je sais que le seul mobile de ses actes, c’est son point de vue antiallemand.

S.I. J’ajouterai encore pour vous prouver les sentiments qui animent mon ami, c’est qu’en 1936, il eut un duel retentissant avec Guy La Chambre qu’il avait giflé à St Malo et parce que ce Ministre était du Front Populaire.

S.I. je vais d’ailleurs vous remettre certains extraits de lettres qui vous prouveront que mon ami Renouvin n’est pas du tout un communiste.

Lecture faite, persiste et signe […] »

Jacques Renouvin, l’ancien de l’Action française, l’ex Camelot du roi coupable de… menées anti-nationales !

Le 6 mai 1942 des perquisitions ont eu lieu au petit matin à Montpellier au domicile de 38 personnes signalées comme se livrant à une activité anti-nationale et appartenant au groupement Combat. Elles avaient été demandées au préfet, en date du 1er mai, par René Bousquet, ministre, secrétaire d’État à l’Intérieur qui réclamait, au vu des résultats, des mesures d’internement. Parmi les personnes visitées figuraient notamment René Courtin, Édouard Gallix, Jean Guye, Alain Boris 24, Robert Roustan, Marcel Dijol, René Bruel, Pierre-Henri Teitgen et son fils François, Auguste Polge, Michel Renouvin, Édouard Orliac 25. Jacques Renouvin n’est pas dans la liste des perquisitionnés et Michel son neveu avait « pris la fuite dès qu’il a eu vent des investigations policières ». Mais, au cours de ces opérations de nombreux documents ont été saisis « établissant l’existence d’une organisation occulte, dite « Combat » » qui avait déjà fait ses preuves par la diffusion de propagande, par des actes de sabotage, en brisant des vitrines à Montpellier et dans la région, et tendant à faire échec à l’action du Gouvernement quant à la collaboration franco-allemande. Au fur et à mesure, au travers des déclarations des perquisitionnés, les preuves s’accumulèrent de la responsabilité de Jacques Renouvin. Ainsi, l’un des perquisitionnés déclara : « Renouvin me parla plus tard de ses méthodes d’action […] Me parlant de certains marchands de journaux qui affichaient la revue Signal, répandue par les Allemands, il s’est écrié : « Ils vont un peu fort, il faudra que j’y mette bon ordre ». Le fait est que Signal a disparu des vitrines, je ne sais comment, pendant deux mois. Une autre fois, à propos d’une vitrine de commerçants […] il me dit : « Tu as vu, ça commence, il est temps de donner une leçon à quelques commerçants pro-allemands » » 26. Ces témoignages furent bien entendu corroborés par la lettre interceptée envoyée à son ami Victor Fournet quelques jours avant le 11 février dans laquelle un certain X… à Montpellier écrivait : « Je dirige pour une région (six départements) un mouvement occulte […] » La preuve était donc faite que le véritable responsable et coupable de menées anti-nationales faites au nom de Combat était Jacques Renouvin. Cependant, à ce jour, les recherches pour l’appréhender n’avaient pu aboutir. Au cours de cette enquête la preuve fut également établie que son neveu Michel avait « pris une part active à l’action menée par son oncle dans le mouvement Combat. » En particulier par la détention de papiers ayant servi à l’impression de tracts au sein du Groupement des Étudiants réfugiés. Les recherches faites par la police à Montpellier restèrent vaines. Léon Polge, inspecteur au Petit-Méridional fut reconnu comme étant leur complice.

Il portait une grande estime au Maréchal Pétain

Le lendemain des perquisitions, la police poursuivant son enquête s’est rendue au domicile de Rose-Marie Benezech, 38 ans, employée de commerce et demeurant à Palavas aux fins de l’entendre au sujet de son ami Jacques Renouvin. Voici ce qu’elle a dit aux enquêteurs le 7 mai 1942 : « Je connais Renouvin Jacques depuis plus d’un an […] je connais également son neveu qui est étudiant en médecine […] Jacques Renouvin demeurait à la Pension des Tonnelles, rue St Louis à Montpellier. Son neveu Michel habitait au chalet Giroflée à Palavas. […] Jacques Renouvin est un grand patriote. Il appartenait avant la guerre à l’Action Française qu’il a quittée, m’a-t-il dit, parce que ce mouvement ne savait pas rester français, et qu’il en était ainsi dégoûté. Je lui ai vu dans son portefeuille la photographie du comte de Paris. Au début de la guerre, il s’est engagé dans les corps-francs. Il avait le grade de sergent. Il a été blessé à un bras et hospitalisé à Épinal, je crois. Lors de l’occupation de cette ville par les Allemands il a été fait prisonnier et s’est évadé quand il a su que les autorités allemandes devaient le transférer en Allemagne. Après son évasion, il s’est rendu à Montpellier où il savait retrouver son neveu, étudiant à la Faculté de Médecine, pour lequel il avait beaucoup d’amitié. À maintes reprises, lorsque je sortais en compagnie de Jacques, j’ai pu remarquer au cours de nos conversations qu’il portait une très grande estime au Maréchal Pétain. Plusieurs de ses camarades étaient passés en Angleterre pour continuer la guerre contre l’Allemagne, mais Jacques ne les approuvait pas, car il disait souvent que le Maréchal Pétain pouvait avoir besoin d’eux en France. […]

S.I. « Je puis vous affirmer que depuis son départ Jacques ne m’a pas envoyé de ses nouvelles et je ne sais où il se trouve actuellement. ».

Lettres à Mireille Tronchon

Après avoir quitté Montpellier à la suite des perquisitions du 6 mai 1942, Michel Renouvin partit à Clermont-Ferrand et continua avec Combat où il travailla avec Alfred Coste-Floret et Mlle Delagrange. Il fut arrêté le 24 juin 1942 à la suite d’une perquisition dans la maison où il avait trouvé domicile. La police y découvrit des réveille-matin utilisés pour les explosions, des journaux Combat, Témoignage Chrétien et autres 27. De Clermont-Ferrand, Michel Renouvin fut transféré à Montpellier pour être entendu par la police. Le 28 juillet il déclara : « J’ai effectivement appartenu au mouvement Combat hostile aux Allemands et anti-collaborationniste. Mais je n’en suis pas le chef et je ne connais pas les dirigeants » 28. Dans les deux lettres interceptées et adressées à Mlle Mireille Tronchon à Tulle, en date des 14 septembre et 23 octobre 1942, Pierre X… la tient au courant de l’état d’avancement du procès de Michel. Il se déroulera au tribunal correctionnel de Lyon le 19 octobre. Dans la lettre du 23, il semble relativement optimiste sur le jugement à venir car les plaidoiries avaient été, écrit-il, « excellentes et courageuses et le réquisitoire avait été battu en brèche » Il concluait en disant : « le moral de Michel reste parfait et son attitude a été ferme et digne. »

Trahison

Pour le 30 janvier 1943, à Brive, Joseph avait décidé une réunion des responsables de Région des groupes francs ; certains arrivent la veille. Mais, ce 29 janvier les choses ne se déroulent pas comme prévu : toutes les issues de la gare sont contrôlées : « la Feldgendarmerie en tenue de campagne, deux par deux, contrôlent attentivement tous les voyageurs au départ et ceux-là seulement » 29. La Gestapo est chez André Delon, – responsable pour la Région de Limoges. Elle « pense y trouver des détonateurs et des résistants. Au lieu de ça, rien, ni personne, mis à part Renée, l’épouse d’André et Georges, leur fils. Une chance pour le réseau » 30. Louis Bouzat venu de Montpellier et qui connaissait déjà les lieux s’en sort de justesse grâce au sang-froid de Mme Delon. Mais à la gare, Joseph n’ira pas plus loin ; il est encadré par la Gestapo. La police était à ses trousses depuis un moment ; elle connaissait son nom grâce aux interceptions ; il aurait pu finir par tomber entre leurs mains. Mais le coup viendra de là où il ne s’y attend pas : un infiltré. Combien se sont fait prendre de cette manière ? Mme Granet rapporte le témoignage de Mireille Renouvin : « Il a été dénoncé par un Alsacien […] agent de la gestapo, entré aux G.F. qui accompagnait souvent J.R., portait des messages de J.R. à sa femme et connaissait par suite, beaucoup de membres des G.F. Le jour de l’arrestation, [il] était venu la chercher et l’avait fait passer par un chemin inaccoutumé (qui passait devant la gestapo) ce qui l’avait mise en retard. Comme elle s’en étonnait [il] lui dit que c’était l’ordre de J.R. Or, J.R. lui dit qu’il n’avait jamais dit pareille chose » 31. Mireille, sa femme, est arrêtée presque au même moment chez sa grand-mère à Tulle. Elle était enceinte et son fils, Bertrand, naquit le 15 juin. Elle est libérée le 26 juillet et dut résider à Tulle sous surveillance. Furent également arrêtés « M et Mme Delon, leur fils, âgé de 15 ans, un agent de Tulle […] et tous les G.F. de la région. » Une hécatombe. André Delon arrêté en même temps que Joseph est décédé en déportation au Struthof en 1943.

Transféré à la prison de Fresnes, torturé au cours de longs interrogatoires, Jacques Renouvin ne révélera rien. Un calvaire… Il put voir sa femme et son fils avant d’être déporté le 29 août 1943 à Mauthausen dans un mauvais état physique. « Mais les autres ?… Où sont-ils ? Jacques Renouvin, Marcel Peck, Jean Guy Bernard ? Des semaines et des mois passeront. Nous devons peu à peu l’admettre. Nous ne les reverrons plus » 32. Jacques Renouvin est mort d’épuisement à Mauthausen, le 24 janvier 1944. Il avait mis sa violence au service de la Liberté !

Le 26 mars 2016, la Maire de Paris, Anne Hidalgo, a inauguré une place au nom de Jacques et Mireille Renouvin dans le 6e arrondissement.

Jacques Renouvin, Paris, 8 octobre 1905 - Mathausen, 24 janvier 1944

Chevalier de la Légion d’honneur
Croix de Guerre avec palmes
Médaille de la Résistance
Compagnon de la Libération
Mort pour la France, camp de Mauthausen,
le 24 janvier 1944

BIBLIOGRAPHIE

Fleutot, François-Marin, Des royalistes dans la Résistance, Paris, Flammarion, 2000.

Fleutot, François-Marin, Jacques Renouvin, Compagnon de la Libération.
https://lesamitiesdelaresistance.fr/lien31/Jacques-Renouvin-compagnon-de-la-Liberation-Francois-Marin-Fleutot.pdf (consulté en novembre 2016).

Philiponnat, Olivier, Lienhardt Patrick, Roger Stéphane. Enquête sur l’aventurier, Paris, Grasset et Fasquelle, 2004.

Renouvin-Hugoné, Annie, Ma première saison à Palavas, Montpellier, Couleurs du Sud, 2003.

NOTES

1. Arch. dép. de l’Hérault, 796 W 41, Activité antinationale du groupement « Combat » dans la région de Montpellier, copie de la lettre à Victor du 6 janvier 1939.

2. Vermeil, Edmond, 1878-1964, originaire de Congéniès (Gard) d’une famille protestante ; germaniste et professeur à la Sorbonne. A enseigné à la faculté des Lettres de Montpellier (Arch. mun. de Montpellier, 4 H 36.1.5, Réfugiés) ; proche de Marc Bloch. Auteur de L’Allemagne. Essai d’explication, Paris, Gallimard, février 1940. Résultat de « quarante années de réflexions et de travaux », dans lesquels il met à nue la doctrine national-socialiste et cherche « à comprendre les causes profondes de la tragédie qui noie présentement l’Europe dans la misère et le sang. »

3. Ibid., p. 40.

4. Ibid., Extrait de la préface à la réimpression, Automne 1944.

5. Arch. nat., 72 AJ 46, Témoignage sur Jacques Renouvin du Dr Michel Renouvin, de Max Ovazza, du Ct Alphonse Bouzat, de M. Robert André et de M. Augé, membres des GF de Jacques Renouvin. Témoignage recueilli par Mme Granet les 28 octobre et 2 novembre 1955, p. 1.

6. Renouvin-Hugonné, Annie, Ma première saison à Palavas, Montpellier, Couleurs du Sud, 2003, p. 45.

7. Il combat dans les Vosges comme Sergent au 3ème Corps-Franc dans la 11ème compagnie du 291ème régiment d’infanterie, Jacques Renouvin, Compagnon de la Libération. https://lesamitiesdelaresistance.fr/lien31/Jacques-Renouvin-compagnon-de-la-Liberation-Francois-Marin-Fleutot.pdf (consulté en novembre 2016).

8. Les RG ont constaté qu’en décembre 1940 « démuni de ressources il [s’était fait] inscrire au contrôle des réfugiés. » Courrier au préfet, 2 décembre 1941, Arch. dép. de l’Hérault, 1000 W 216, Suspects français, surveillance.

9. Arch. dép. de l’Hérault, 796 W 41, lettre photographiée de Jacques Renouvin à Victor Fournet, 16 novembre 1940, Palavas-les-Flots, 12 rue Substantion.

10. Témoignage sur Jacques Renouvin, op. cit.

11. Une première Résistance : Liberté, le groupe de Montpellier, Paris, Amicale des Anciens de Liberté, 1991, témoignage de Jacques Dupuy, p. 35.

12. Arch. dép. de l’Hérault, ibid.

13. Arch. dép. de l’Hérault, ibid., brouillon daté du 24 février, Préfecture de l’Hérault, Cabinet, classé : Secret et adressé à l’Intendant régional de Police.

14. Jacques Renouvin pseudonymes : Joseph, Bertrand, Paleyrac, Ricard

15. Arch. dép. de l’Hérault, 18 W 100, Activités gaullistes, surveillance et répression.

16. Gard, Lozère, Aveyron, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales.

17. Note de renseignement, date manuscrite : 24 février 1942, Arch. dép. de l’Hérault, op. cit.

18. Arch. dép. de l’Hérault, Ibid., 19 mars.

19. Mireille Tronchon, née le 31 juillet 1908, Tulle (Corrèze).

20. Arch. nat., 72 AJ 46, Témoignage de Mme Jacques Renouvin, magistrat à Evreux. Recueilli par Mme Granet le 6 décembre 1955, p. 1. Ce fut un mariage religieux faute de trouver un maire ou un employé de mairie consentant pour les inscrire sur le registre des mariages. Le mariage civil eut lieu le 3 août 1943, à Paris… en prison, François-Marin Fleutot, op. cit.

21. Arch. dép. de l’Hérault, 796 W 41, Note de renseignement, n° 700, du 4 novembre 1942 ; voir également, 17 août 1942.

22. Arch. dép. de l’Hérault, Ibid.

23. Du 19 février au 15 avril 1942.

24. Alain Boris dit « Goldenberg », né le 11 juin 1924, étudiant en philosophie au lycée de Montpellier. Demeure chez sa mère Andrée Heinbach à Montpellier. Il aurait distribué des tracts de Combat, et était en relation avec Etienne Bloch sympathisant à Combat. Inculpé le 17 juillet 1942 pour diffusion de tracts et audition de radio étrangère. Note de renseignements, 5 mai 1942, Arch. dép. de l’Hérault, 1043 W 47 et 796 W 41. Fils de Georges Boris, Paris 1888-1960. Opposé aux accords de Munich, rejoint La France libre en juin 1940, responsable des relations avec la B.B.C. En 1927, il avait lancé l’hebdomadaire La Lumière. A été directeur de cabinet de Léon Blum en 1938 au ministère du Trésor. A largement contribué à l’élaboration du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) adopté le 15 mars 1944.

25. Arch. dép. de l’Hérault, 1043 W 31, n° 5408 : menées antinationales et mouvement “Combat” à Montpellier.

26. Ibid.

27. Arch. nat., 72 AJ 46, op. cit., Témoignage sur Jacques Renouvin, p. 11.

28. Arch. dép. de l’Hérault, 796 W 41, Procès-verbaux n° 573 et 574, du 28 juillet 1942.

29. Frenay, Henri, Volontaires de la nuit, Paris, Laffont, 1975, p. 241, 242.

30. La Montagne du 9 août 2013 : André Delon, chef régional des groupes Francs du mouvement Combat. Article d’Ophélie Crémillieux. https://www.lamontagne.fr/brive-la-gaillarde-19100/actualites/andre-delon-chef-regional-des-groupes-francs-du-mouvement-combat_1652777/ (Consulté en novembre 2016).

31. Témoignage de Mme Renouvin, recueilli par Mme Granet, le 8 décembre 1955, Arch. nat. 72 AJ 46. Cette trahison est confirmée par la nièce d’André Delon, Mme Janine Roubertou, La Montagne, op. cit.

32. Frenay, Henri, op. cit., p. 514.