Jacques Blin, le Sétois (1945-2018)
Jacques Blin, le Sétois
* Professeure agrégée d’histoire
P. 165 à 166
Jacques Blin était né Poitevin. Mais il s’attacha à sa ville d’adoption, Sète, où il arriva à 14 ans, et il la servit jusqu’à son décès survenu en 2018. Il y fut fonctionnaire territorial, militant communiste élu au Conseil général, historien local attaché à la mémoire ouvrière.
Le parcours original de Jacques Blin tient à sa personnalité et non à ses origines : son insatiable curiosité intellectuelle et ses fortes convictions lui ont donné accès à des responsabilités et à des activités auxquelles ni son milieu familial ni sa scolarité ne l’avaient préparé.
Il était né le 17 mars 1945 à Parthenay, dans un milieu ouvrier. Sa mère qui était serveuse avait 20 ans et son père, qui n’en avait que 19, était cuisinier dans la marine marchande ; aussi était-il souvent absent. L’enfant fut confié à ses grands-parents mais son grand-père, maçon, mourut en 1952. Sa grand-mère, qui était sans profession, put l’élever grâce à la solidarité familiale. Personne dans cet entourage ne songea à le faire entrer en classe de sixième. Il arriva donc au certificat d’études en juin 1959. Il passa aussi l’examen d’entrée en quatrième car il désirait devenir dessinateur industriel. Sa mère travaillait alors à Sète. Jacques Blin, qui souhaitait se rapprocher de ses parents, préféra le Collège technique de Sète à celui de Thouars situé dans les Deux-Sèvres. Il dut travailler beaucoup pour pallier une formation insuffisante en mathématiques et il fut orienté contre son gré vers la serrurerie. En 1962, son collège fut déplacé sur la corniche de Sète avec la création du lycée professionnel Joliot-Curie. Deux ans après, Jacques Blin était titulaire de deux brevets de dessin industriel et aussi d’un diplôme de moniteur de colonies de vacances. Il entra dans les Services techniques de la ville de Sète.
Son adhésion immédiate à la CGT inaugura une activité syndicale qui dura toute sa vie. Jacques Blin, membre du Comité paritaire de la Mairie, fut présent sur tous les fronts de lutte sociale ouverts par son syndicat. Son militantisme était lié à des convictions politiques qui le firent adhérer d’abord aux Jeunesses communistes où il côtoya François Liberti, puis, en 1965, au parti communiste ; cinq ans après, il intégra le bureau fédéral de l’Hérault puis, en 1975, le Comité fédéral. Les capacités d’action de Jacques Blin furent élargies à partir de 1998 quand il fut élu au Conseil général où il siégea jusqu’en 2004. Il ne quitta son parti qu’en 2007 : encore ne fut-ce pas une rupture idéologique mais un simple différend sur la candidature de Marie-George Buffet.
Il est possible de discerner parmi les multiples engagements de Jacques Blin quelques axes essentiels : la jeunesse ; la culture occitane ; la mémoire ouvrière sétoise.
La jeunesse
Ce fut la première grande cause que servit Jacques Blin. En 1964, à 19 ans, quand sa vie active commençait dans les Services techniques de Sète, il entra dans la commission « Jeunes » de la CGT. Dès février 1965, quand il eut 20 ans, il adhéra au parti communiste qui le chargea de la gestion des jeunes communistes de l’Hérault.
Pendant les étés de 1964 et 1965, il s’occupa de colonies de vacances de Sète à Lacaune dans le Tarn ; il y découvrit une association qui cherchait à offrir une alternative au scoutisme, L’Union des Vaillants et Vaillantes, et il adhéra à sa section sétoise. Pour attirer la nouvelle génération yé yé et concurrencer le magazine Salut les copains, le parti communiste venait de lancer un journal mensuel Nous les garçons et les filles : une publication dont l’apolitisme décevait les jeunes communistes. Jacques Blin accepta d’en relancer la diffusion. Elle dura jusqu’en 1969.
Jacques Blin quitta Sète pour Metz pendant quinze mois, de novembre 1965 à février 1967 afin d’accomplir son service militaire. Cette interruption ne fut pas une rupture puisque l’intérêt qu’il portait à la jeunesse se confirma dès son retour à Sète. Le maire communiste de Sète, Pierre Arraut, exerçait alors depuis 1959 un deuxième mandat qui dura jusqu’en 1973. Un autre communiste, Gilbert Martelli, lui succéda à la mairie jusqu’en 1983. La Ville possédait deux Maisons des Jeunes et de la Culture. L’une au Château vert, l’autre sur la Corniche que dirigeait Abdon Auberthié, le responsable de la Jeunesse au Bureau de la fédération communiste de l’Hérault. Jacques Blin, déjà chargé de la Jeunesse dans la section sétoise du PCF, fut son successeur au Bureau fédéral. Il fut élu lors d’un Congrès départemental de la Jeunesse communiste de l’Hérault. Il s’avéra que sa double tâche, le suivi des Jeunes communistes et la direction d’une MJC, était trop lourde. Aussi la Ville lui donna-t-elle mission de suivre les deux Maisons de Jeunes de Sète.
La culture occitane
Jacques Blin a rencontré en 1967 Rose Mioch, responsable de l’Union des Jeunes Filles de France, fille et nièce de grands résistants communistes héraultais (François Mioch et Philomen Mioch). Mariés à Sète en 1968, ils eurent trois enfants. Philomen Mioch, le père de Rose, qui parlait l’occitan et soutenait la cause occitane, contribua à éveiller l’intérêt de son gendre pour cette culture. De plus, Rose militait à la fois pour la cause des femmes et pour celle du régionalisme occitan. Quand elle décida en 2000 de reprendre des études supérieures, elle choisit les langues romanes et soutint en 2010, une thèse qui était une édition critique de la correspondance de Lydie Wilson de Ricard, surnommée « la Félibresse rouge ». Sensible à ces influences familiales, Jacques Blin s’engagea en 2001 pour la parité et créa en 2004 avec le secteur culture du PCF le réseau Langues et Cultures de France (RLCF). Lors des présidentielles de 2012, il milita pour l’enseignement des langues régionales.
La mémoire ouvrière sétoise
Jacques Blin a toujours été attiré par l’histoire de sa ville, par la période de la Commune, celle de la révolution de 1789, celle des luttes ouvrières des XIXème et XXème siècles. Il fut l’un des acteurs principaux de la commémoration du Bicentenaire de 1789 dans l’Hérault. Il présidait à Sète le comité chargé d’organiser la commémoration par délégation du Comité national du Bicentenaire. Claude Mazauric avait constitué une association nationale « Vive 89 ». Jacques Blin souhaita créer aussi une organisation proprement sétoise ; ce fut l’association « Mille Sète cent quatre vingt neuf » qui fit un travail de terrain. Son propos était de confronter les idéaux de liberté et d’égalité de 1789 avec les réalités du quotidien dans cette ville ouvrière. Une première réussite fut de retrouver et de rééditer une petite brochure publiée en 1939 à l’occasion du cent-cinquantenaire : Sète en 1789 de Maurice Bravet. Avec la CGT et la FCPE, Jacques Blin entreprit aussi de rechercher les noms des révolutionnaires qui figuraient sur les plaques bleues de Sète, puis d’en tirer une publication. Et il réussit à attirer à Sète les acteurs du film de Roger Coggio, Le mariage de Figaro, ou La folle journée. La première de cette adaptation de Beaumarchais dans la ville fut l’occasion de multiples rencontres entre les acteurs, les écoliers, les lycéens. L’association créée par Jacques Blin prolongea son activité jusqu’en 1994 avec la publication d’une revue culturelle, Mic-Mac.
Toujours attentif au sort des intermittents du spectacle, désireux de soutenir les artistes régionaux, il accompagna, avec le PCF héraultais et la CGT du spectacle, toutes les actions en leur faveur. Avec la section sétoise de son parti, il participa à la projection de films et aux débats organisés par l’Espace Louis Aragon-Elsa Triolet.
Pour faire connaître l’histoire ouvrière de Sète, il écrivit des chroniques pour L’Hérault du Jour-La Marseillaise, et il publia en 2009 un Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier Cettois puis Sètois. Son intérêt pour l’histoire biographique l’amena naturellement à se rapprocher de l’association régionale Maitron Languedoc-Roussillon (AMLR) créée en 1999 à l’initiative d’Hélène Chaubin et Olivier Dedieu. Cette adhésion ouvrit à Jacques Blin le Dictionnaire national et le bulletin régional Le Midi Rouge dans lequel il publia nombre de biographies et d’articles reposant sur des sources inédites. À l’assemblée générale de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le 12 décembre 2009, il intégra le bureau de l’AMLR et, en 2015, le comité de lecture du Midi Rouge, bulletin de l’AMLR. Citons parmi ses publications « L’action des transbordeuses de Cerbère (Pyrénées-Orientales) en 1906 » et « La place des femmes dans le syndicalisme avant 1914, en particulier en Languedoc (1906-1907) ». En collaboration avec Jean-Claude Richard-Ralite, il écrivit aussi pour les Études héraultaises « Un Groupe Franc de Combat à Sète durant la Seconde Guerre mondiale ». Secrétaire de l’Institut d’Histoire sociale CGT-34, il participa activement à la rédaction de l’ ouvrage Des militants CGT en Résistance Hérault, 1939-1945, publié en novembre 2018, et il préparait encore un article sur La Voix de la Patrie destiné à Études héraultaises quand la mort, le 17 novembre 2018, mit fin à ce travail d’historien.