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Description

Des sujets dévoués et fidèles :
A la recherche des légitimistes populaires montpelliérains

En mai 1823, la duchesse d’Angoulême visite Montpellier, le chef-lieu de l’Hérault ; dans le faubourg de la Saunerie, la municipalité a érigé un arc de triomphe, « d’un style à la fois noble et simple », par lequel la fille de Louis XVI entre dans la ville qui avait déjà reçu, avec un éclat remarquable, son mari, le duc d’Angoulême, en 1815. D’après le récit officiel de sa visite, une « foule immense remplissait les rues que S. A. R. devait parcourir, ornées de draperies blanches, de festons de verdure, de médaillons et de devises ». On entendait « à peine » les coups de canon […] au milieu des acclamations prolongées d’une immense multitude de citoyens de toutes les classes, et des cris de Vive le Roi ! Vive Madame ! […]. Aussitôt 40 jeunes filles, vêtues de blanc, se disputèrent la faveur de dételer sa voiture et de la conduire au Palais. Mais Madame se refusa à leurs empressements, en déclarant que cette manière de l’honorer était entièrement contre son gré ». Alors, les filles se contentent de suivre le carrosse, de plus près, vers la préfecture, « au milieu des acclamations de la population toute entière qui se pressait partout, avec cette vivacité méridionale, qui […] n’est que l’expression d’un enthousiasme porté au plus haut point ». L’auteur anonyme qui raconte ce qui s’est déroulé à Montpellier pendant ces jours de printemps finit son récit en exprimant son voeu que la princesse, de retour à Paris, pourrait dire au meilleur et au plus révéré des Monarques : « Sire, vous n’avez pas de sujets plus dévoués et plus fidèles que les habitants de votre bonne ville de Montpellier ».

En effet, les autorités administratives et judiciaires étaient convaincues que la branche aînée des Bourbons pouvait compter sur la loyauté de la population de l’Hérault, et plus particulièrement de celle des Montpelliérains, pendant une bonne partie du XIXe siècle. Elles croyaient que les classes populaires en particulier étaient de chaudes partisanes de la monarchie dite légitime. À cet égard, Hippolyte Creuzé de Lesser, le célèbre préfet de la Restauration, donne le ton pendant plusieurs décennies : « au contraire de plusieurs départements, le peuple [de l’Hérault] est encore plus attaché aux Bourbons que la classe plus élevée ». Quelques mois plus tard, il précise qu’il existe « particulièrement parmi le petit peuple, un sentiment royaliste tout à fait remarquable ». Le peuple, ardemment légitimiste, s’implique également, comme le font, par ailleurs, les républicains ou les socialistes, dans les batailles de rue quand il s’agit du contrôle de l’espace urbain, au début des années 1830 et en 1848. Jusqu’aux années 1860, les successeurs de Creuzé ainsi que les procureurs généraux, qui sont aussi censés informer le gouvernement sur la vie politique et sociale, soulignent régulièrement l’importance du légitimisme dans le département. D’après le préfet Silvestre la burette d’Ambert, le succès électoral des légitimistes qui gagnent vingt-un des 36 sièges du conseil municipal en 1833 aurait été dû au fait que « trois-quarts de la population [de Montpellier] est carliste ».

Quelques années plus tard, son successeur, Achille Bégé, propose même de différer l’élection des commandants de la Garde Nationale parce qu’elle amènerait à une victoire inévitable de « l’opposition, légitimiste ou républicaine ». Pendant la Seconde République, les légitimistes (et les républicains) profitent de l’introduction du suffrage universel masculin ; toutes les élections, organisées en 1848 et 1849, illustrent une forte présence du mouvement royaliste parmi les électeurs montpelliérains. En été 1848, le préfet avertit donc ses supérieurs que « le parti légitimiste est puissant, il ne faut pas se le dissimuler. […] Ce parti compte à Montpellier et dans quelques centres de population […] de nombreux adhérents dans la masse populaire ». Le suffrage universel masculin aurait même fait grossir les rangs du monarchisme dans le chef-lieu, vu que le retour de la branche aînée des Bourbons au pouvoir « jugé depuis longtemps impossible par plusieurs a pu paraître presque probable quoique encore éloigné ». Dans les mois qui suivent le coup d’état du 2 décembre 1851, les autorités continuent même d’accentuer la force du « camp légitimiste » auquel « presque toute la population appartient ».

Cette conviction des différents préfets a largement défini l’image historique du mouvement monarchiste. Pourtant, on peut se demander si et dans quelle mesure cette image, encore dominante aujourd’hui, est justifiée. De plus, il importe de savoir ce que ce type de royalisme signifie réellement, en premier lieu, pour ceux qui sont concernés directement : le menu peuple légitimiste lui-même. Vu la nécessité de nous rendre compte par quel biais nous devrions prendre ce problème, une présentation sommaire de quelques approches suivies jusqu’à présent est bien inévitable. Bien qu’aucune de leurs thèses d’État ne propose une analyse du légitimisme à proprement parler, les études d’un trio d’historiens réputés – André-Jean Tudesq, Gérard Cholvy et Raymond Huard – accentuent la présence des classes populaires urbaines dans le légitimisme du Midi languedocien et à Montpellier où « l’opinion légitimiste a des représentants dans toutes les classes de la société ». […]

Informations complémentaires

Année de publication

2013

Nombre de pages

10

Auteur(s)

Bernard RULOF

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf