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À propos d’archives d’une académie provinciale

Gilles Bancarel, Inventaire des archives de l’Académie de Béziers (1723-1793)
(Cahier XXXVII, série Inventaire n°3),
Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers,
Béziers, 2023, 96 p., 8 ill.

Il est heureux qu’une société savante s’attache aux obligations de mémoire. La Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers l’avait fait dans les temps passés, par exemple en publiant les lettres de Jean-Baptiste Dortous de Mairan qui entrèrent alors en sa possession. C’était dû à l’initiative de Camp, principal du collège, dont la communication avait reçu le meilleur accueil en 1858 (« Lettres inédites de Mairan à Bouillet », Bulletin de la Société archéologique…, 2e s., 2, Béziers, 1860, p. 3-19, puis p. 20-259). Plus récemment, exploitant un filon scientifique mieux enraciné dans le tissu social de cette sous-préfecture, ce fut aux anciens membres engagés dans l’aventure de l’illustration et de la défense de la langue d’oc, notamment Gabriel Azaïs, qui avait été un mémorable président et qui avait noué des relations scientifiques élargies, qu’elle s’est attachée : un « Cahier » parut en 2011. Entre autres choses, bien sûr : en effet les sujets abordés dans la collection des « Cahiers » qui viennent s’ajouter au « Bulletin », sont extrêmement divers. C’est ainsi que, voici quelques années, ont été publiées les monnaies du médailler d’Ensérune : J.-C. Richard Ralite, G. Gentric, avec la collaboration du Chanoine Giry, de D. Boissy et de D. Orliac, Catalogue des monnaies d’Ensérune, (Cahier XXXV), Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, Béziers, 2019, 112 p., 23 pl.

De tels travaux, quoique de lecture austère, sont toutefois nécessaires. S’ils sont bien faits, ils s’assurent d’un rayonnement dans l’univers savant, et ils s’installent dans les bibliothèques scientifiques ou chez les amateurs spécialisés. En revanche s’ils ne parviennent pas à s’établir comme travail exemplaire, ils sombrent dans l’oubli, car il est impossible d’en faire des outils de référence, considérés comme sûrs et de bon secours.

On pourrait s’attendre à faire suivre ce constat d’un examen du fond. On commencera par la forme, car elle ne manquera pas de dérouter celui qui, recherchant une information précise, portera un regard attentif et averti sur l’ouvrage. Et l’on s’interrogera : est-ce que la règle d’or de l’édition, fondée sur l’examen par des « lecteurs » ou des « correcteurs », chargés de tout faire pour améliorer l’ouvrage – la présentation et la forme surtout, parfois le fond –, a été respectée ? Ou, tout simplement : a-t-on envisagé d’y soumettre le « manuscrit » à publier ? Apparemment, dans les instances qui animent la société savante, garantes de qualité – à tout le moins : se prétendant telles –, peu d’yeux avertis se sont penchés sur le « manuscrit », pour en faire disparaître les maladresses ou les imperfections factuelles. Elles restent en effet en nombre, offenses à la grammaire, à la correction du langage, inattentions ravageuses qui font apparaître des insouciances ou des légèretés, qui, répétées, font douter que solidité intellectuelle et savoir aient été présents à ce stade du processus éditorial. Sauf si l’on considère que, péchés supposés véniels, tous peuvent être pardonnés. Il est vrai aussi que personne n’est à l’abri d’une inattention, d’une étourderie, d’un défaut de savoir. En la matière, toutefois, l’abondance porte préjudice.

Ces maladresses se trouvent dès la couverture. Puis, la première page de la préface, due à un collègue extérieur, fait apparaître la « compagne » de Mairan, alors qu’il s’agit de sa « compagnie ». La première page du texte dont prend la responsabilité Gilles Bancarel, « Bibliothécaire de la Société archéologique », faute d’une ponctuation, rend énigmatique la lecture d’une citation empruntée à Voltaire, jusqu’au moment où l’on comprend qu’il faut ajouter une virgule. Au lieu de : « elles ont fait naître l’émulation forcé au travail, accoutumé les jeunes gens, etc. », on lira : « elles ont fait naître l’émulation, forcé au travail, etc. »

Plus loin (p. 11) c’est la grammaire qui subit quelques outrages lorsqu’il est écrit : « la part de l’enrichissement personnel apportée par Jean-Denis Bergasse ne doit pas être sous-estimé tant en documentation qu’en acquisition ». Il faudrait écrire au masculin le participe « apporté », puis écrire au féminin le participe « sous-estimée » (accord de l’attribut). Et, de plus, si le terme « documentation » peut demeurer au singulier, prenant un sens abstrait, le mot « acquisition », qui suit, devrait être au pluriel, car il décrirait une diversité de choses : restant au singulier, il devient abstrait, mais le sens est alors incertain. C’est une phrase mal écrite.

La recherche d’un style soigné n’est pas toujours évidente. Écrire que Bouillet aurait déployé « une activité hors norme » pour faire vivre l’Académie (p. 8) ne contribue pas à faire comprendre ce qui caractérise cette activité : quelle serait cette norme ?

Ce sont les erreurs factuelles qui irriteraient le plus, dans un premier temps. Ainsi, à la page 12, lit-on « Travaux académique » (sic). L’adjectif ne s’accorde-t-il pas avec le mot qu’il qualifie ? C’est répété à la page 13, tout simplement parce que l’on a coupé puis collé un fragment de texte provenant de la page précédente, sans contrôler ce qui avait été fait.

Une fois que cette reconnaissance a eu lieu, on s’est familiarisé avec les diverses fautes qui pourraient truffer ce qui suit.

Des ponctuations seraient parfois nécessaires, et il conviendrait dans certains cas à ne pas hésiter, sinon l’incertitude règne. Faute peut-être d’avoir saisi le sens des mots, on n’a pas, page 15, au numéro 19, isolé l’expression « de l’art », par deux virgules, car c’est la traduction du titre du traité peri technes d’Hippocrate. À la même page, mais au n° 16, il se pourrait que le mot uatio de la fin du titre, soit en réalité le mot ratio (« raison ») : une erreur de la source ? ou une incompréhension qu’on n’aurait pas cherché à résoudre ? Une intervention aurait dû se produire aussi, page 16, au n° 35.

Les mots reviennent aussi parfois avec des orthographes différentes. Mais sont-elles inscrites sur la source documentaire ou bien résultent-elles de mélectures ou d’incohérences de rédaction non repérées. C’est ce qui se produit, page 76, dans la liste des travaux de Bouillet. Au n° 6 on s’interroge sur ce que seraient les « hydropsies », avant que l’éclairage n’arrive au n° 14, où il est question d’ « hydropisie » à deux reprises. Si « hydropsies » est écrit sur la source l’addition d’un « sic ! », serait éclairante. Si ce n’est pas le cas… !

Pour finir on relèvera, à la page 87, l’accumulation des « tirets à part », qui sont en réalité des « tirés-à-part », autrement dit des separata, c’est-à-dire des extraits d’ouvrages, imprimés « à part » de l’ensemble.

Il ne faut pas omettre d’aborder l’organisation de l’ouvrage. Si la « préface », apportée par un collègue de l’Université de Paris 4 est bien individualisée par son titre, le chapitre qui suit n’en à point. On est en droit de s’en étonner, car le fil du développement fait apparaître ensuite deux sous-titres : « L’Académie Royale des sciences et belles-lettres de Béziers », puis « De l’Académie à la Société archéologique : les travaux pionniers de Jean-Denis Bergasse ». S’il s’agit, à cet emplacement de l’ouvrage où l’auteur prend la main, d’une introduction explicative, l’impossibilité de donner un titre pourrait signifier qu’il y a incapacité à concevoir le traitement rectiligne du projet, tel qu’il est défini par le titre de l’ouvrage. En effet on est très éloigné de l’Inventaire des archives de l’Académie de Béziers, et force est de constater que cette présentation analytique des archives est immergée dans un autre projet. L’auteur de l’ouvrage n’est pas parvenu à isoler le sujet qu’il se propose de traiter afin d’assurer l’unité entre la page de titre et l’intérieur du livre.

On comprend rapidement les raisons de cette incohérence. En voulant garder des traces des archives personnelles dans lesquelles étaient plongées celles de l’Académie de Béziers, et des documents ajoutés, l’entreprise s’est enfoncée dans un marais dont elle n’a pu s’abstraire. Quels que soient, en l’occurrence, les mérites de Jean-Denis Bergasse, maintenir au premier plan les dossiers qu’il avait constitués  devenait un frein à la claire mise en évidence de l’objet que l’on voulait étudier.

Il apparaît en effet que le choix de conserver les traces du travail effectué par l’ancien président de la Société archéologique a eu pour conséquence d’engager l’ouvrier dans une masse très hétérogène, accumulée au fil des ans, mais qui était encore très éloignée de l’ouvrage dont on dit qu’il aurait été ensuite composé. Il en résulte des notices très disparates qui enregistrent des données très diverses. Qui plus est, les insuffisances que l’on a repérées initialement, reviennent, et avec une fréquence plus forte.

On sourira, à la page 17 quand on verra apparaître « les lettres parentes », qui se sont substituées aux « lettres patentes ». On voit apparaître, page 18, des « photocopies ADH » [qui deviennent ailleurs AD34]. Mais n’aurait-il pas fallu les référencer avec précision, si c’était possible ? Sinon, pourquoi en garder trace ? À la page 46, on demeure interdit devant l’abréviation énigmatique relative à l’iconographie de Fleury : « 5 g. s. c. » (sic !). À la p. 50, Pierre-Marie Alazard (prénom double) devient Pierre Marie-Alazard (nom de famille double). À la page 77 on relève une gravure de la « Batille » d’Austerlitz (sic !). À la page 87 lorsque est détaillé le contenu du Bulletin de la Société archéologique…, 1860, on lit « lettre de M. de Villemain, de la lettre de M. Flourens » : une formulation incompréhensible ; mais tous les détails donnés ne sont-ils pas inutiles ? À la même page, un titre mal recopié et un lieu d’édition estropié : Les biterrois membres de l’Académie Française, Presses Universitaires, 2009 ; on corrigera le mot Biterrois (nom propre), et l’on ajoutera le lieu d’édition, à Perpignan. Il faut passer sur les « photocopies », « photocop. », etc.

Dans une sous-partie intitulée « Académiciens », sont cités des noms divers. Ce seraient plutôt, à première vue, des correspondants de Jean Bouillet. Mais que font-ils dans cette rubrique ? N’aurait-il pas été plus efficace d’inverser la réflexion et de les considérer comme individus correspondants, et d’isoler de façon spécifique, comme correspondances d’autorités académiques, les lettres pour lesquelles la position de l’auteur aurait été dûment identifiée. Faute d’avoir débarrassé le bon grain de l’ivraie, une grande partie des notices perd de l’intérêt. Or c’est sur les situations individuelles bien caractérisées que peut se fonder une recherche prosopographique approfondie et sûre sur la composition de l’Académie de Béziers et sur les strates de son organisation : il importe de s’assurer d’une situation précise, ce que ne permet que dans une minorité de cas l’examen des listes. Que sont alors les autres personnages ?

Manifestement, il y a trop d’excroissances, alors qu’il aurait fallu émonder en étant très rigoureux et en compensant l’efflorescence qui s’exprime sans arrêt par plus de justesse, plus de rigueur et plus de précision dans les informations archivistiques. Vraisemblablement les conseils de personnes formées aux techniques de cette discipline auraient pu éviter bien des errements.

C’est peut-être l’annexe de la page 92 qui, à la fin de l’ouvrage, une fois le parcours terminé, pourrait donner la clef explicative de ce que l’on peut considérer comme un travail inabouti. On y explique ce que furent les destinées des fonds légués à la Société archéologique de Béziers par les héritiers de Jean-Denis Bergasse. On apprend comment il a été envisagé de les traiter. Cette page finale pouvait fournir l’argument initial, afin de montrer d’où l’on partait, moyen d’expliquer ce qu’étaient les dossiers dont on devait dégager la matière archivistique, et elle seule. Puis pouvait venir la présentation de cette matière, mais débarrassée de toutes les lourdeurs qui l’engluent. On a peut-être bâti à l’envers l’ouvrage qui vient d’être publié.

Connaît-on mieux à présent l’Académie des sciences et belles-lettres de Béziers ? Les matériaux seraient là, pour qui saura les extraire du « mouloun » (comme on dirait en occitan) dans lequel elles sont plongées. Le préfacier souhaitait que l’on mesurât la « stature » et le « périmètre » de cette institution de la République des Lettres. Les pages 7 à 9 de l’opuscule publié ne peuvent prétendre tout nous dire. Elles sont même assez convenues, et surtout elles ont contre elles la brièveté.  Elles n’essaient pas de mesurer ou de quantifier ce qui pourrait l’être. On s’apercevrait que, comparée à d’autres correspondances méridionales, celle de Jean Bouillet (1690-1777) est loin d’être exceptionnelle. Dans une ville languedocienne voisine, qui n’est pas siège universitaire à l’époque des Lumières, à Nîmes, la correspondance de Jean-François Séguier est largement ouverte à toute l’Europe : il faut en revanche scruter bien patiemment pour récolter les quelques échos extérieurs au royaume dans la liste des correspondants de Bouillet. Si l’on recherche la comparaison avec un médecin, on est très à distance du rayonnement de l’Avignonnais Esprit Calvet. Il est donc peu envisageable de parvenir sur ces fondements à un livre comparable à celui de Lawrence W.B. Brockliss, Calvet’s Web : Enlightment and the Republic of Letters in Eighteenth-Century France, Oxford, 2002. Une bibliographie un peu poussée aurait pu être donnée. Les travaux de Daniel Roche auraient mérité d’être sollicités, car ils auraient apporté un minimum de comparaisons, dans la mesure où l’auteur, par les mesures globales qu’il envisage fournit toujours le moyen de comparer les diverses académies et, si on le souhaite, de situer chacune d’entre elles par rapport aux autres. Un des livres de cet historien, intitulé Les Républicains des lettres. Gens de culture et Lumières au XVIIIe siècle, Paris, 1988,  apporte ainsi des éléments suffisants pour caractériser la communauté biterroise. Il y avait aussi dans cet ouvrage suffisamment d’observations qui auraient dû, par la prudence qu’elles instillaient, faire hésiter à rechercher des comparaisons trop simples avec l’agora antique, surtout si l’on se réfère à l’agora athénienne. Il y avait aussi dans ce livre la réimpression d’une étude sur Mairan, où l’on voit que son auteur avait pris à bras le corps la question des distances qui parfois apparaissaient entre Paris et les provinces. C’est, en effet, par le dossier des lettres de Mairan à Bouillet que bien des questions s’éclairent. Roche attribue un caractère général aux remarques qui se trouvent dans une lettre du 1er septembre 1727 (publiée dans le Bulletin de la Société archéologique de Béziers, 1860, p. 79-80) : « Mais je vous dirai naïvement que je ne crois pas qu’il fût nécessaire de faire imprimer tout ce détail [les observations météorologiques et astronomiques de Bouillet et des académiciens de Béziers], et que je voudrais, du moins dans les commencements, que l’Académie naissante de Béziers [née en 1723] ne produisît rien au public qui ne fût extrêmement travaillé et intéressant ; car c’est de ces premiers ouvrages que se forme la réputation. C’est sur ce principe que je suis aussi peu pressé de vous obtenir des patentes qu’il me paraît qu’on l’est davantage dans la Société. Que fera ce titre d’Académie ? Tout en est plein aujourd’hui, et il est plutôt un titre capable de vous attirer les brocards que l’estime, s’il n’est fondé sur quelque découverte ou quelque ouvrage digne d’estime. Faites-vous connaître par là (je parle à la Société) et vous verrez que les titres et les personnes viendront ensuite, avec autant de distinction que d’utilité. En un mot je vois qu’il faut se distinguer de toutes ces autres académies qui ne font rien, ou bien peu de chose, sans quoi c’est un badinage qu’il faut renfermer dans les murs de la cité et ne pas en faire un plat au public ». Les propos de Mairan sont à méditer, et la portée qu’ils prennent a encore sa valeur de nos jours. C’est peut-être le meilleur compte-rendu que l’on puisse proposer de cet Inventaire des Archives de l’Académie de Béziers.

[Michel Christol]