Une forte tempête dans la nuit du 28 au 29 novembre 1839

Une forte tempête dans la nuit du 28 au 29 novembre 1839

Laurence SERRA avec la collaboration d’Henriette PASCAL

Extrait du mémoire du 7 décembre 1839
Fig. 1 - Extrait du mémoire du 7 décembre 1839.
AD34, 20 143/28

Cet épisode climatique, anecdotique sur le bassin de Thau, ne serait pas rentré dans l’histoire locale, si cette nuit là, trois sapines, chargées d’une cargaison de bouteilles en verre noir et de verre à vitre, n’avaient échoué sur le rivage du territoire de la commune de Loupian et si elles n’avaient été l’objet, dans les jours qui suivirent, d’un pillage organisé des marchandises rejetées à l’eau.

C’est au cours des mois de mai et juin 1998, dans le cadre d’une fouille de sauvetage en surveillance des travaux de dragage des rives de l’Étang de Thau, dans la commune de Loupian, que les archéologues du service régional de l’archéologie ont remonté à la surface, de nombreux fragments de bouteilles en verre soufflé, de plusieurs contenances, dont quelques unes sont entières 1. Dans la tradition locale, on a retrouvé, de tout temps, des bouteilles sur le rivage après un mauvais coup de temps marin… Mais la découverte d’une telle concentration de mobilier, a permis de faire le lien avec une affaire judiciaire 2 accusant la population de la commune de Loupian de regroupement armé, d’attaque et de pillage, à l’encontre de Claude Fournier, négociant et patron de barques à Condrieu (département du Rhône) et de son équipage. Le récit détaillé de l’affaire, dont le jugement fut rendu le 12 mars 1840 par le tribunal civil au palais de justice de Montpellier, est conservé aux Archives départementales de l’Hérault 3 (fig. 1).

1 – L’histoire

Le 28 novembre 1839, à sept heure du matin, par beau temps, le sieur Claude Fournier, négociant et patron de bateaux, domicilié à Condrieu (département du Rhône) quitte le port de la Peyrade, à destination de Toulouse, avec trois de ses bateaux dits sapines et sept hommes d’équipage. Les sapines, dont deux seulement ont un nom, Petit Paul et Riveirène, chargées de bouteilles en verre et de caisses de verre à vitre, sont remorquées, pour le passage à l’étang, par deux bateaux de Mèze : Le Saint Hylaire et La Victoire, bien grées de neuf 4.

Alors que le convoi arrive à la pointe du Barrou, le vent qui était jusqu’alors nord-est change brusquement au midi. L’équipage multiplie les efforts pour rejoindre Mèze, mais les mauvaises vagues cassent le gouvernail adapté à la sapine Petit Paul qui servait à diriger tout le convoi. Sapines et remorqueurs sont alors jetés à la côte vers le territoire de Loupian. Là, vers onze heures, l’équipage mouille les ancres afin d’empêcher les embarcations de s’échouer totalement sur le rivage. Claude Fournier, laissant la direction du convoi aux patrons des bateaux remorqueurs, se rend à terre, afin d’aller chercher de nouvelles ancres, profitant que le temps se calme un peu…

Le convoi reste au même point jusqu’à minuit, heure à laquelle le vent se lève à nouveau en tempête, accompagnée de surcroît d’une pluie effroyable mêlée d’une grêle extraordinaire 5. Les embarcations, qui avaient peu souffert au cours de la première tempête, sont, cette fois submergées par les vagues et rejetées à la côte. Vers les trois heures du matin, des habitants de Mèze, accompagnés de Claude Fournier, viennent porter secours aux hommes d’équipage.

La nouvelle tempête fait s’échouer le convoi sur les sables du territoire de la commune de Loupian, à un endroit appelé Port de Loupian. Afin de recueillir et de rassembler les débris du naufrage et les marchandises que les vagues rejettent à la côte, les hommes de l’équipage sont immédiatement placés sur les rives de l’étang, accompagnés de préposés aux douanes placés auprès d’eux et à ses frais, par Claude Fournier. La plus grande partie des marchandises qui se trouvent sur les sapines appartiennent, à ce dernier, en propre, le restant étant adressé à plusieurs négociants de Toulouse et à un négociant d’Agen.

C’est dans ce contexte que se produit un nouvel événement auquel le négociant ne s’est pas préparé. Cependant que les hommes d’équipage, recueillent les marchandises tombées à l’eau, des hommes des environs, réunis en bandes nombreuses et formant des attroupements, ne cessent de se rendre sur les bords de l’étang, en face des bateaux échoués, d’enlever et de piller les bouteilles apportées par les vagues malgré l’opposition des douaniers et des gens de l’équipage 6. Fournier se rend alors chez le maire de la commune de Loupian, à l’effet de l’instruire de se qui se passait sur le territoire soumis à sa surveillance… Mais le magistrat, tout en avouant qu’il a connaissance des agissements de ses concitoyens ne prend aucune mesure pour les faire cesser.

Dans le mémoire qu’il adresse le 7 décembre 1839 à l’attention du préfet de l’Hérault, Claude Fournier appuie le récit qui va suivre par le témoignage unanime des gens de Mèze et des douaniers, venus à sa suite et à ses frais porter secours au convoi.

A l’aube du 30 novembre, tandis que la tempête se calme et que le convoi se repose autour d’un feu de fortune, des bandes d’individus armés, de Loupian, sont venus plusieurs fois, le jour et même la nuit, à divers intervalles attaquer les gens de l’équipage. N’ayant sans doute plus de bouteilles isolées à récupérer sur la plage, la population s’attaque cette fois directement aux marchandises sauvées et réunies dans les embarcations échouées. Afin de mieux les piller, ils frappent les hommes du convoi à coups de bâtons et forcés de céder à la violence, nos gens ont du prendre la fuite pour se sauver 7. Ces scènes de violence, de désordre et de pillage ont ainsi duré plusieurs jours. Le cinq décembre au soir, un homme de Mèze vient avertir Claude Fournier que les gens de Loupian, armés de fusils, se préparent dans la nuit à attaquer les hommes du convoi et l’engage en conséquence à ne laisser personne sur les lieux, avis que suivit avec sagesse, le négociant… Car dans la nuit du cinq au six décembre, des hommes de Loupian, réunis en bandes et armés de fusils ont continué sur les bords de l’étang et dans l’étang même les actes de pillage auxquels ils s’étaient livrés les jours précédents

Conformément à la loi du 10 vendémiaire de l’an 4, Claude fournier intente alors un procès en adressant un mémoire auprès du préfet de l’Hérault, dans lequel il demande réparation à la commune de Loupian, commune inhospitalière et barbare dont les gens au lieu d’apporter aide et secours à de malheureux naufragés ont préféré les piller en se livrant contre eux à des actes de violence. Il estime que la valeur des bouteilles volées et pillées est de 12 000 francs au moins et réclame que la commune soit condamnée à payer le triple de cette valeur soit au titre de restitution, soit au titre de dommages, néanmoins, il réduit sa demande à 18 000 francs.

Le procès s’ouvre le 7 janvier 1840, par arrêté préfectoral portant autorisation à la commune de Loupian de se défendre de toute action qui lui sera intentée par les sieurs Fournier et leur avoué M. Brun 8. Par délibération, le conseil municipal considère qu’il est absolument faux que les habitants de la commune ne se soient jamais rendus par bandes ou attroupements sur le rivage… Qu’il est également faux que Claude Fournier ne se soit jamais rendu auprès de M. le Maire pour se plaindre du prétendu vol. Le conseil municipal, pour sa défense, avance même que c’est l’équipage qui a fait publier à son de trompe dans les villages voisins du lieu du naufrage qu’ils invitaient les habitants à venir prendre part au sauvetage sous réserve d’en restituer 60%. Il va même jusqu’à accuser les communes voisines, en soutenant que les bandes armées pouvaient être constituées d’habitants de Bouzigues et même de Poussan. Si plusieurs habitants de Loupian se sont trouvés sur place en même temps, c’est qu’ils étaient occupés à relever les algues marines que de gros vents du Sud y avaient emmenées… Les plaignants doivent au contraire convenir qu’ils ont restitué des objets de grande valeur notamment du linge trouvé dans l’algue 9.

L’audience a lieu le 9 mars 1840 au palais de justice de Montpellier. Les deux parties sont citées à comparaître. M. Cavalier s’est constitué avoué de la commune de Loupian par acte du 31 Janvier 1840. Des requêtes concernant les dépenses ont été respectivement signifiées par les parties dans leurs conclusions, un jugement a été rendu par le tribunal, le 13 février qui oblige les Frères Fournier à prouver sommairement leurs accusations, lors de cette audience extraordinaire qui s’ouvre à onze heures du matin. Il est procédé à l’audition des témoins cités de part et d’autre… La demande d’un dédommagement de 24 000 francs, par les avocats des plaignants, est rejeté par la partie adverse au motif qu’ils demandent à la cour qu’il ne soit fait aucun usage des déclarations, celles-ci étant discréditées soit par une peine correctionnelle pour cause de vol pour l’un des témoins, soit par l’appartenance au service des négociants pour les autres.

Le tribunal de première instance condamne, néanmoins la commune de Loupian, le 12 mars du même mois, à payer aux sieurs Fourniers frères, étant entendu que d’après l’ensemble des dépositions, la valeur des bouteilles enlevées peut-être équitablement fixée à la somme de deux cent francs, la somme totale d’environ huit cent francs, soit quatre cent francs pour la valeur double des bouteilles pillées ou volées, deux cent francs, à titre de dommages et intérêts et à toutes les dépenses suivant la liquidation qui en sera faite.

Le maire de Loupian prétend qu’il ne peut pas payer une telle somme et renvoie la décision en appel, ce qui repoussera la fin du procès au 7 janvier 1841. La commune perd en appel et le préfet suggère au maire de lever une imposition extraordinaire 10 !

C’est par cette maigre consolation que se clôt la fortune de mer arrivée à Claude Fournier, patron de barques, négociant en verre d’emballage et verre à vitre, le 28 novembre 1839.

2 - Les voies de diffusion du verre au XIXe siècle

2.1. Les données archéologiques

Le développement de l’archéologie sous-marine et subaquatique a permis, depuis une vingtaine d’années, en Languedoc et en Provence, de découvrir des épaves de navires transportant des bouteilles en verre noir, vides ou pleines et ainsi de réunir les seules données archéologiques relatives à la circulation du verre au XIXe siècle. Une cargaison d’épave est un marqueur de la production d’une ou de plusieurs verreries même si celle-ci ne représente qu’un instantané de cette production et que sa composition ne reflète pas la variabilité de l’ensemble de celle-ci 11. Si l’on se fie aux sources écrites, le verre vide circule, de son lieu de production vers son lieu de diffusion, soit par un trajet direct soit par redistribution, essentiellement par les voies fluviales, par les canaux ainsi que par cabotage le long des côtes maritimes méditerranéennes. Certaines de ces routes du verre sont, avant la découverte d’épaves, préalablement connues par les mentions en archives. Les bouteilles en verre noir de la verrerie de Trinquetaille, en Arles, par exemple, sont, dès 1781, diffusées vers Montpellier, Sète et Toulouse, mais aussi vers Marseille et Gènes 12 (Amouric-Foy, 1984).

Localisation de la zone surveillance. Rapport Le Bourbou
Fig. 2 - Localisation de la zone surveillance. Rapport Le Bourbou
Concentrations d'artefacts en verre. Rapport Le Bourbou
Fig. 3 - Concentrations d'artefacts en verre. Rapport Le Bourbou

Malgré l’absence de bois d’embarcation dans les boues du draguage de Loupian, il apparaît évident que la concentration d’artefacts en verre ainsi que leur nombre sont à rattacher à un naufrage (fig. 2, 3). Cette hypothèse est confirmée par le récit du procès. Il constitue un témoignage unique car aucune déclaration de naufrage dans l’étang de Thau n’a été, à ce jour, retrouvée aux archives départementales de l’Hérault 13. À l’inverse de Loupian, l’épave Ragouillel, une sapine chargée de bouteilles vides, au sud de l’étang, n’a pas pu être identifiée (Serra à paraître). L’étude archéologique de Loupian est a rapprocher également de celle de l’épave Carro3, identifiée comme l’épave de la penelle la Chinoise, coulée en 1851 à la sortie du Rhône dont la cargaison immergée représente environ 15 000 bouteilles vides en verre noir qui semblent avoir été chargées depuis la fabrique, dans le bassin minier stéphanois, à destination du port de Marseille (Serra, 2008).

La découverte de gisements sous-marins soulèvent par conséquent des problématiques pluridisciplinaires l’étude de la production des bouteilles en verre noir ; l’étude des réseaux commerciaux de petit cabotage par les voies fluviales et maritime, enfin, l’étude des modes de transport de ces chargements.

2.2. La bouteille comme nouveau mode de conditionnement
des marchandises liquides

La production de la bouteille en verre noir épais, robuste et résistante, est à l’origine anglaise, fabriquée, dès 1690, pour pouvoir conditionner les vins de Bordeaux, transportés par bateaux. Dès le premier quart du XVIIIe siècle, d’importantes commandes de bouteilles pour loger l’huile, le vinaigre, les liqueurs, les eaux-de-vie, les anisettes, les eaux de senteur permettent un renouveau relatif de la production verrière (Barrelet 1959, 103). A partir de 1723 Marseille exporte même des bouteilles et dames-jeannes vides vers le Levant, l’Italie, l’Espagne et les Isles françaises d’Amériques (Amouric-Foy, 1998). Ces commandes sont motivées par la promesse de nouveaux marchés maritimes, notamment ceux passés avec les nouvelles colonies d’Amérique. Tout comme les meilleurs vins de Bordeaux voyagent en bouteilles, les marchandises liquides de qualité, provençales et languedociennes – vins, huiles fines et surfines, eaux-de-vie, liqueurs, truffes, câpres, olives, tabac et eaux de fleur d’oranger – sont vendues au détail dans des bouteilles, bocaux, pots, bonbonnes et dames-jeannes alors que le tonneau conditionne les qualités inférieures qui voyagent en vrac.

Carte des verreries à bois et charbon avant la Révolution
Fig. 4 - Carte des verreries à bois et charbon avant la Révolution
Souffleurs à bouteilles (Péligot Eug. 1877)
Fig. 5 - Souffleurs à bouteilles (Péligot Eug. 1877)

Afin de répondre à cette demande, l’activité verrière connaît une période de mutation technique. Les fabriques forestières alimentées au bois vont peu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle être remplacées par des verreries fonctionnant au charbon de terre, combustible plus facile à monter en fusion, plus accessible et moins onéreux. Dans l’Hérault, elles ne seront plus qu’au nombre de deux à la veille de la Révolution, concurrencées par la verrerie d’Hérépian qui allume ses fours en 1768 puis celle du Bousquet d’Orb en 1785 (fig. 4). Ces nouvelles fabriques s’implantent à proximité des bassins houillers dans l’arrière pays héraultais alors qu’en Provence – à Marseille en 1778 et à Arles en 1781 – l’activité se déplace autour des ports et à proximité des voies d’eau (Amouric-Foy 1998 et Serra 2008). L’arrivé de ce nouveau combustible, à la veille de la Révolution, permet d’envisager pour la première fois une production des bouteilles standardisées et en très grande quantité (fig. 5).

La relance économique, dans les années 1830, relance la production du verre dont les débouchés commerciaux sont ralentis par les effets du blocus continental. Les nouvelles colonies – Algérie, Afrique de l’ouest, et Indochine – multiplient les débouchés pour le port de Sète comme pour le port de Marseille. La demande de production du verre est à nouveau forte. Au conditionnement du vin et de l’huile d’olive s’ajoutent celle des huiles oléagineuses et des vermouths. Totalement imperméable, le verre est le seul matériau sans effet sur le goût ou l’odeur de son contenu. Il assure une conservation parfaite et de longue durée nécessaire pour les longues traversées.

2.3. Les voies de diffusion et les modes de transport

Avec ses centaines de bouteilles et dames-jeannes, le gisement de Loupian nous fournit une image ponctuelle d’un type avéré de commerce, fluvio-maritime, dont le récit situe le départ à la Peyrade, à l’embouchure de l’étang salé, vers le port fluvial de Toulouse, par le canal du midi (fig. 6). Les archives ne permettent pas cependant pas de savoir d’où est partie la production. La Peyrade n’est pas à cette époque une zone d’entrepôts mais une zone d’octroi et de passage entre le canal du Rhône à Sète et l’étang. La marchandise peut aussi bien avoir été chargée à Rives-de-Giers ou à Givors, mais aussi à Arles, qui réouvre ses portes en 1839, comme à Marseille 14.

Le verre vide, matière pondéreuse a majoritairement été transporté par voie d’eau. Avant d’être vendu, il effectue un premier voyage sur des chalands à fond plat, de la fabrique vers les entrepôts marchands, réexpéditeurs nationaux et internationaux. Le verre effectue ensuite un second voyage vers les ports de Méditerranée ou ceux des colonies, en tant qu’emballage, sur de plus gros navires (Serra 2007, 89-92).

La verrerie d’Arles, jusqu’en 1809, utilise les possibilités offertes par les voies d’eau intérieures ou de petit cabotage. En 1793, 217 000 bouteilles sont parties par la mer à destination, de Gênes, Nice, Marseille (Amouric, Foy 1984, 160). Les bateaux généralement affrétés pour le cabotage en Méditerranée sont des tartanes, grosses barques à voile latine, d’une longueur moyenne de vingt mètres. La fabrique d’Arles envoie son verre vers le port de Sète par le canal d’Arles à Sète et vers celui de Toulouse par le canal du Midi sur des barques dites sapines, pouvant être remorquées lors du passage par l’étang de Thau (fig. 7) 15.

Carte bris et naufrages 1856-1864. AD34, 4s180 - 2
Fig. 6 - Carte bris et naufrages 1856-1864. AD34, 4s180 - 2
Sapine descendant le Rhône. Cliché coll. privée
Fig. 7 - Sapine descendant le Rhône. Cliché coll. privée

Les bouteilles fabriquées dans les centres verriers du bassin lyonnais, empruntent l’axe rhodanien à destination des ports du midi. De nombreuses archives nous renseignent sur ces voyages. Comme pour l’épave de Carro, Antoine Bernard, patron sur Rhône, quitte Givors, en février 1848, sur un bateau portant le nom de Durance, chargé de deux cent vingt mille bouteilles, appartenant à M. Granoux, négociant demeurant à Marseille. Le dit bateau parti du port des verreries de M. Robichon et Cie pour se rendre à Arles, s’est brisé contre un rocher peu après la sortie du port, les bouteilles n’ayant été entraînées par le courant du Rhône ont été transbordées dans une barque dite savoyarde 16. Les bouteilles de Loupian (fig. 8, 9, 10, 11), fabriquées en 1839 sont répertoriées en sept types :

— 25 cl : verre vert ;

— 60 cl forme anglaise : verre noir ;

— 11 bordelaise : verre vert ;

— 11 bordelaise : verre noir ;

— Dames-jeannes 21 ;

— Dames-jeannes 41 ;

— Bouteilles plate verre noir.

60cl, anglaise, noire. Cl. L. Serra
Fig. 8 - 60cl, anglaise, noire. Cl. L. Serra
90cl, bordelaise, noire. Cl. L. Serra
Fig. 9 - 90cl, bordelaise, noire. Cl. L. Serra
25cl, 60cl et 90cl, vert et noir. Cl. L. Serra
Fig. 10 - 25cl, 60cl et 90cl, vert et noir. Cl. L. Serra
dames-jeannes, 21, 41, noires. Cl. L. Serra
Fig. 11 - dames-jeannes, 21, 41, noires. Cl. L. Serra
Catalogue des formes des bouteilles, 1834 (Barrelet J. 1953)
Fig. 12 - Catalogue des formes des bouteilles, 1834 (Barrelet J. 1953)
Bouteilles et fragments de dames-jeannes du sud de l'étang de Thau. Cl. L. Serra
Fig. 13 - Bouteilles et fragments de dames-jeannes du sud de l'étang de Thau.
Cl. L. Serra

Les bouteilles du gisement de Loupian font partie des formes typiques des bouteilles du milieu du XIXe, formes bordelaises et formes anglaises, en verre noir épais, robuste, utilisées pour conditionner les vins ou les eaux gazeuses. Les bouteilles en verre vert étant plutôt utilisées pour les huiles ou les eaux de vie (fig. 12). Ce sont les mêmes types de bouteilles qui ont émergées du naufrage des sapines du sud de l’étang de Thau en 2007 (fig. 13).

Si les bouteilles voyageant par les eaux intérieures sont rangées en quinconce, sur des lits de paille, l’importance de l’arrimage de la cargaison est une préoccupation majeure, à bord des navires partant pour de longues traversées. La masse de la cargaison, répartie avec soin, doit favoriser la bonne marche de l’embarcation. Il est essentiel d’occuper au mieux l’espace disponible dans les cales, sans perdre de la place. C’est pourquoi, la mise en place des barriques de toutes dimensions et de jarres de grandes tailles, est extrêmement complexe et pénible. Il ne doit exister aucun jeu entre les contenants et le vaigrage du navire. Cela a peut-être favorisé le choix du chargement des bouteilles, soit clissées soit dans des caisses pouvant se caler les unes contre les autres, pour occuper au mieux l’espace disponible de la cale : « Les négociants préfèrent savoir leurs petites expéditions d’huile dans des bonbonnes clissées… Les surfines, dans de petites caisses de bois de pin polies, les canavettes contenant 12 à 24 bouteilles… ». (Boulanger 1996, 118).

Ce mode de chargement a été observé dans l’épave de l’Amphitrite, retrouvée en 2003, au large de Frontignan, dans le département de l’Hérault. Le brick marchand est parti du port de Marseille en novembre 1839, pour la Martinique, chargé, entre autre, d’une vingtaine de caisses contenant douze bouteilles remplies d’huile d’olive encore conservée et d’un petit chargement de bocaux en verre blanc remplies de câpres, callé dans des bottes de paille (Serra 2006, 48-62).

Si l’épave de la Chinoise est l’exemple concret du premier voyage des bouteilles, des fabriques installées dans les bassins miniers vers les docks des ports de redistribution, l’épave de l’Amphitrite est celui du second voyage des bouteilles, des entrepôts marchands vers les débouchés coloniaux.

Conclusion

L’apport des sources de terrain comme celui des archives, permettent d’appréhender les circuits commerciaux, par voie d’eau, du verre d’emballage, produit pour des débouchés locaux mais aussi pour les entrepôts des villes et ports de redistribution.

Empruntant les canaux, les étangs, et le petit cabotage, le verre du Rhône ou celui de Provence se vend jusqu’à Sète, Agde, Toulouse, mais aussi en Italie, en Espagne et jusque dans les ports du Levant. L’influence du port et les promesses de débouchés coloniaux n’empêcheront pas, pourtant, à la fin du XIXe siècle, un recul de la production des bouteilles en Provence, marché concurrencé par les grands centres verriers du centre et de l’Est de la France.

Préféré aux futailles pour conserver et transporter les vins, les huiles, les parfums de qualité et surtout des eaux gazeuses, nécessitant un matériau totalement étanche et résistant à la pression, le verre à l’avantage d’être un meilleur conservateur des aliments. Ces avantages ont largement contribué à une demande exponentielle, en bouteilles et dames-jeannes, de la part des négociants ou de leurs représentants installés en Provence ou dans l’Hérault.

Avec l’avènement du verre noir, l’industrie du verre a trouvé, dès le XVIIIe siècle, ses lettres de noblesses pour la conservation des liquides, usage encore largement vérifié de nos jours.

Bibliographie

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— Serra à paraître : Serra (L.), Ragouillel, une épave à bouteilles au sud de l’étang de Thau. In Bilan scientifique 2008, DRASSM, Ministère de la culture, à paraître.

— Serra 2007 : Serra (L.), Le transport fluvio-maritime des bouteilles en verre noir en Provence. Premières études de l’épave Carro 3, découverte au large de la commune de Martigues, dans les Bouches-Du-Rhône, in Bulletin de L’Association française pour l’archéologie du verre, 2007, p.89-92.

Notes

 1.  Le Bourbou, port de Loupian, sous la direction de Iouri Bermond, Service archéologique du syndicat intercommunal du Nord bassin de Thau, Archéofactory, SRA Languedoc-Roussillon.

 2.  Recherches archivistiques faites en 1998 et présentation historique rédigée par Henriette Pascal, pour le rapport de fouilles.

 3.  AD34, 3U 3/195

 4.  AD34, 4 U 20/30 Déposition de Claude Fournier devant le juge de paix du canton de Mèze en date du 29 novembre 1839.

 5.  AD34, 20 143/28 Mémoire des sieurs Fourniers frères à M. le Préfet de l’Hérault, du 7 décembre 1839.

 6.  Ibid

 7.  Ibid

 8.  AD34, 20 143/28 Copie du Jugement rendu par le tribunal de première instance de Montpellier en date du 12 mars 1840.

 9.  Ibid

10. Ibid

11. Ces travaux sont en cours d’étude dans le cadre de ma thèse de doctorat inscrite depuis 2005 à l’Université de Provence, école doctorale 355, Aix-en-Provence.

12. Archives municipales d’Arles. M 958.

13. AD 34. Affaires générales concernant les différents ports de l’étang. 4S171.

14. AD 13. P2-1633. Contribution des patentes, carnet des établissements industriels.

15. AD34, 20 143/29.

16. AD 13, tribunal du commerce d’Arles, 6U2 397 n°49.