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Description
Que faire des paysages sonores ?
* Docteur en sociologie
Le paysage sonore a été défini par Murray Schafer comme un décalque du paysage visuel. Mais contrairement à celui-ci qui fait l’objet de la sollicitude et de la protection des pouvoirs publics, notre environnement sonore n’est abordé que par les nuisances qu’il occasionne sous forme de bruit. Apprendre à écouter pourrait se révéler un enjeu fort de nos politiques d’environnement.
What to do with soundscapes?
Soundscape, or landscape sound, was defined by Murray Schafer as a decal of the visual landscape. But unlike the visual landscape, which is the subject of attentiveness and protection of the public authorities, our noise environment is only affected by the disturbance it causes in the form of noise. Learning to listen could prove to be a major challenge for our environmental policies.
Que far dels païsatges sonòrs ?
Lo païsatge sonòr es estat definit per Murray Schafer coma un calque del païsatge visual. Mas, al contrari d’aqueste que fa l’objècte de la sollicitud e de l’aparament dels poders publics, nòstra environa sonòra non es tractada que pel biais de las nosanças que n’es l’encausa. Aprene a escotar se poiriá revelar un enjòc dels grands de nòstras politicas d’environa.
Poser une telle question sans, au préalable, éclairer la notion même de paysage sonore, risquerait de perdre le lecteur dans des terrains vagues. Il faut donc, en tout premier lieu, revenir à la source de cette notion qui, si elle est loin d’être négligée, n’occupe pourtant pas dans la réflexion collective sur notre rapport à l’espace, la place qu’elle mérite.
Sans pour autant retracer la généalogie de la notion, il n’est cependant pas sans intérêt de signaler que les promoteurs de la loi de 1906 sur la protection des sites naturels avaient bien conscience de l’intérêt de la dimension sonore possiblement attachée aux sites spatiaux. Les premiers dirigeants de la Société pour la protection des paysages, tels le député du Doubs Charles Beauquier ou son secrétaire général Anselme Changeur militent dans la presse d’avant-guerre en faveur des « paysages sonores ». Parallèlement, le politologue André Siegfried consacre, à la même époque, deux colonnes à la Une à « L’atlas sonore » : « … une évocation complète [d’un paysage] ne peut se passer du son. Qu’est-ce qu’une tempête sans le fracas du vent ? Qu’est-ce qu’un printemps sans le chant des oiseaux ? Une partie des paysages relève donc de l’oreille. En retenant à part l’aspect auditif, on a le paysage sonore. »
Dans les réflexions actuelles, cependant, tout part d’un musicologue et compositeur canadien, Raymond Murray Schafer (1933-2021), qui lança, voici plus de cinquante ans, un programme de recherche universitaire, le World Soundscape Project théorisé dans un livre pionnier paru en 1977 et traduit sous le titre Le paysage sonore. L’idée de Murray Schafer est de procéder à un transfert sensoriel de la vue vers l’ouïe, pour élargie la notion de paysage. Le landscape, qui se dévoile devant le promeneur, celui mis en perspective par un peintre ou que saisit dans l’instantanéité l’objectif d’un photographe, trouve son équivalent dans le soundscape, depuis le chant d’oiseau en forêt que l’oreille cherche à isoler, jusqu’à l’ambiance sonore d’un grand magasin, d’une fête de village ou d’un stade de football.
On pourrait donc mener ce parallèle en donnant au paysage sonore un double sens :
- « - celui de la représentation : un "paysage sonore", ce sera alors tout simplement une séquence enregistrée qui, à la manière d'un tableau en peinture, représente un paysage.
- - celui de la réalité sensible et immédiate : par analogie avec les définitions classiques du paysage visuel ("une partie de pays que la nature présente à un observateur"), le "paysage sonore" pourrait alors être défini comme "une séquence de temps que la nature présente à l'oreille d'un auditeur" ».
Cependant, les questions que suggère le paysage sonore tiennent pour une large part à ses spécificités par rapport au paysage visuel. Le premier n’est pas que la simple composante sonore d’un espace défini visuellement, en quelque sorte la bande-son que nous aurions rajoutée à l’étang de Ville d’Avray pendant le travail de Corot à son chevalet – encore que ce dispositif soit imaginable. Le paysage sonore a sa spécificité propre, en particulier parce qu’il découpe un espace autrement dimensionné que le paysage visuel. Une particularité du soundscape par rapport au landscape tient en effet à la position de l’observateur. Acceptons l’idée, née de l’expérience banale, que le paysage-image se délimite par rapport à un point d’observation et un angle de vue optimal. La position du chevalet du peintre ‘sur le motif’, tout comme la position du photographe à la recherche de paysages plaisants, sont l’objet de recherches tâtonnantes pour cadrer le paysage dans sa meilleure composition : étagement des plans, choix du premier plan qui sert de cadre, angle de visée qui permet de faire sortir du tableau un élément disgracieux, toutes ces pratiques courantes qui s’institutionnalisent dans la mise en place de belvédères les bien nommés, permettent d’obtenir une image qui tire la quintessence visuelle de l’espace perçu. Dans le cas du paysage sonore, il n’est certes pas impossible de rechercher une telle sélection optimale dans la perception auditive. Pensons à l’expérience de la salle de concert, dans laquelle un mélomane assidu saura, lui aussi par tâtonnements successifs, déterminer la place qui lui offrira l’écoute la plus confortable, en fonction de l’acoustique, des effets de réverbération, de la distance à l’orchestre, etc… Et on peut aussi penser à l’expérience du preneur de sons, muni de son casque hi-fi et de micro directionnels, qui lui permettront de capter des sources sonores bien identifiées et extraites de l’environnement ambiant, telles qu’un chant d’oiseau ou une scène urbaine plus ou moins lointaine, les échos d’une dispute ou les bruits techniques d’un chantier… […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2021 |
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Nombre de pages | 8 |
Auteur(s) | Guy LAURANS |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |