Paul Vigné d’Octon, homme politique et pamphlétaire 1859-1943

* Docteur d’Etat en Histoire

[ Texte intégral ]

J’ai évoqué dans un premier article publié dans le numéro 44-2 des Études Héraultaises en 2014 la passion dès l’enfance de Paul Vigné d’Octon pour la Nature et son intérêt pour une hygiène de vie naturelle. Il en fut le promoteur en créant en sa qualité de médecin un centre de soins à Octon dans les années 1930. Le présent article retrace sa carrière politique et son talent de pamphlétaire. Rappelons brièvement ses origines et son parcours avant son entrée en politique. Paul Etienne Vigné naquit à Montpellier le 7 septembre 1859, dans l’actuelle rue de l’Université, appelée à l’époque rue de la Blanquerie. Son père, boulanger, tenait son commerce depuis 1854 en face de l’hôpital Saint Eloi devenu le rectorat actuel. La boulangerie a disparu au début du XXIe siècle, mais une plaque en mauvais état rappelle le lieu de naissance de Paul, de son nom de plume, Vigné d’Octon 1.

Son père, libre penseur et athée était un opposant au régime impérial de Napoléon III alors que sa mère, dévote souhaitait faire de lui un prêtre. Sa vive sensibilité suscita chez l’enfant une anxiété latente pénible et permanente avivée par un coma d’origine éthylique qui lui laissa des séquelles pour avoir bu par mégarde de l’absinthe en grande quantité.

Les parents Vigné s’étaient liés d’amitié avec Jules Guesde alors étudiant. Il avait fondé une feuille politique intitulée Les Droits de l’Homme et l’offrait au boulanger en échange de ses petits pains. « Voilà disait-il le pain de l’esprit puisque vous voulez bien me donner celui du corps. » Accablé par les amendes qui pleuvaient sur sa publication, Jules Guesde emprisonné à Montpellier perdit son domicile. A sa sortie de prison, la famille Vigné lui accorda l’hospitalité. Devenu député de l’Hérault en 1896, Paul retrouva avec émotion l’ami de son père sur les bancs de l’Assemblée Nationale.

Lors du vote pour le plébiscite du 8 mai 1870, le curé de la paroisse de ND des Tables fit pression sur les fidèles pour les engager à voter Oui. Voyant sa mère pleurer devant les risques encourus par son mari susceptible de perdre une partie de sa clientèle. Paul jeta dans le feu du four une image de la famille impériale offerte par le curé et un paquet de bulletins pour le Oui que de bonnes âmes lui avaient demandé de distribuer aux électeurs devant la porte de la mairie. Son père accueillit la chute de l’Empire avec joie, mais victime de son tempérament sanguin, il mourut à l’âge de 43 ans le 7 juillet 1871 et fut inhumé au cimetière Saint Lazare.

Désormais sous la tutelle exclusive de sa mère, Paul sur les conseils du curé, entra au petit séminaire tout proche de la rue Blanquerie dans l’ancien couvent des Récollets animé par la congrégation des Lazaristes. Après avoir poursuivi ses études au lycée et subi avec succès les épreuves du baccalauréat en 1876, il annonça à sa mère qu’il souhaitait poursuivre des études de médecine. Le contact fréquent avec les médecins de l’hôpital Saint Eloi qui fréquentaient la boulangerie paternelle d’une part, et les soins qu’il en avait reçus pendant l’enfance d’autre part, expliquent ce choix vers cette carrière, attiré plus particulièrement par les pathologies des maladies nerveuses.

Au mois de janvier 1881, Paul réussit le concours d’internat et fut détaché à ce titre à l’hôpital d’Aix en Provence. Promu aide médecin de la marine, Paul Vigné s’embarqua avec joie au mois d’avril 1881 en rade de St Nazaire pour la Guadeloupe à bord du paquebot Washington sur lequel il croisa Victor Schœlcher âgé de 77 ans. Au bout de plusieurs mois, il fut détaché à titre provisoire sur un aviso qui circulait entre les îles de l’archipel des Antilles dans un but de contrôle sanitaire.

En septembre 1884, Paul qui continuait de soigner les malades de l’hôpital général de Montpellier soutint sa thèse de doctorat le 26 novembre 1884 sous la présidence du professeur Joseph Grasset sur le sujet « De l’emploi du chloral et de la digitale dans la période de l’épilepsie et de la manie » médication nouvelle pour traiter les périodes agitées des épileptiques. Passionné par les cours du Dr Charcot à Paris, Paul sollicita le prolongement de son congé, mais les militaires en décidèrent autrement et il s’embarqua à contre cœur à destination du Sénégal le 1er décembre 1884 comme médecin de 2e classe à Brest sur le transport de troupes L’Européen.

La découverte de l’Afrique Noire 1884-1888

Le jeune médecin de vingt-cinq ans qui s’embarqua sur le navire de guerre qui transportait des troupes, des canons et des chevaux, était de fort mauvaise humeur. La raison en était l’échec de sa demande en mariage de Madeleine, fille mineure d’un notaire qui résidait au « château » d’Octon, imposante demeure entourée d’un parc. La famille qui portait comme lui le nom de Vigné ne souhaitait pas se mésallier avec ce fils de boulanger, anticlérical par surcroît. En outre sa vocation de marin ne constituait pas la garantie d’un foyer stable. Madeleine épousa un jeune avocat de Lodève.

Paul prit son premier poste à l’hôpital maritime de Saint Louis du Sénégal encombré de vieux soldats anémiés, de quelques blessés lors des récentes colonnes et de jeunes recrues déjà fortement impaludées. « Commença alors la triste et morne vie de garnison ». En sa qualité de médecin, il suivit plusieurs colonnes au Soudan occidental (Mali actuel) et dans les Rivières du Sud. Par une chaleur torride il subit les longues marches épuisantes, la torture de la soif, les crises de dysenterie, les accès de paludisme qui se conjuguaient avec les escarmouches contre un adversaire qui défendait âprement son territoire. Doté d’une résistance physique peu commune, il avait déjà défié la fièvre jaune en Guadeloupe, maladie presque toujours mortelle qui lui laissa comme séquelle la surdité qui s’aggrava avec les années. Sensible à la souffrance des autres, sa compassion était immense pour les jeunes soldats qui mouraient en terre étrangère pour une cause dont ils comprenaient rarement les motifs.

La conquête du Soudan avait commencé en 1879 quand le lieutenant–colonel Gallieni avait effectué une mission de reconnaissance pour prolonger la voie de chemin de fer de St Louis vers le Niger. (Fig. 1)

L’Afrique Occidentale Française. (Carte extraite de l’ouvrage de Malet et Grillet, Le XIXe siècle, Hachette, 1919)
Fig. 1 - L’Afrique Occidentale Française.
(Carte extraite de l’ouvrage de Malet et Grillet,
Le XIXe siècle, Hachette, 1919)

Le jeune médecin parcourut la Casamance en 1885 et consigna ses observations dans ses carnets avant de se rendre en Guinée par la mer. Quand ils n’étaient pas en expédition, les soldats français compensaient leur ennui. « Le poste se transforme en gourbis dans la brousse. Les uns avec des bambous et des palmes construisent des huttes dans les coins. A partir de neuf heures du soir, on ne peut faire un pas dans la cour sans écraser un négrillon ou une femme. Enfin est-on couché, portes ouvertes à cause de la grande chaleur qu’on perçoit dans la chambre, des frôlements de pagnes, une senteur âcre et troublante de beurre de galam et de musc s’en exhale et des mains froides et molles s’égarent lascives sur vous. Toutes les prostituées du village sont dans l’enceinte du poste, errant, peu exigeantes à la recherche de quelques soldats blancs et des tirailleurs algériens dont leurs caresses épuisent les dernières vigueurs ». Écœuré, il expédiait ses articles à la Revue bleue et à des journaux français sous des pseudonymes divers dont le plus fréquent, Gaétan Kérouel, fut vite démasqué par la hiérarchie.

Rentré au Sénégal en 1886, désabusé il demanda un congé sans solde de trois ans que l’administration lui accorda sans difficulté pour travailler en qualité de médecin au service de la Compagnie de chemin de fer Dakar-St Louis avec un salaire triple. «…Ô les rêves de gloire que je faisais naguère après ma sortie de l’école dans ma chambre meublée de Toulon. O les songes dorés comme des épaulettes, qu’êtes-vous devenus ? Les yeux sur la carte d’Afrique, d’un matin à la nuit, j’étais séduit alors par ces mots de Soudan, de Niger, des Rivières du Sud, par tout ce prestige et cette puissance attirants qu’exercent sur l’esprit d’un jeune homme virilement élevé les aventures militaires dans les lointains mystérieux… » 2

Paul Vigné n’était pas hostile au principe de la colonisation. Mais ce qu’il voyait sur le terrain était loin de correspondre à ses vues. Dès lors, il devint hostile à la hiérarchie militaire, scandalisé par les méthodes brutales d’officiers comme Gallieni, Borgnis-Desbordes et Archinard qui loin de Paris se comportaient comme des proconsuls. Cependant comme beaucoup de ses contemporains, il partageait les préjugés raciaux de son époque et s’il défendait avec passion les Africains contre les exactions dont ils étaient victimes, il ne leur accordait pas toujours beaucoup de considération.

L’homme politique

En 1888, un événement imprévu incita Paul Vigné à rentrer en France. Ayant appris que Madeleine se retrouvait veuve à la suite du décès accidentel de son mari, il rompit son contrat avec les Chemins de fer de Thiès et rejoignit le pays par le port de Bordeaux. Libre de toute contrainte, Madeleine, née le 14 février 1863, accepta à vingt-cinq ans de refaire sa vie avec Paul qui venait d’en avoir vingt-neuf. Elle l’épousa à Octon le 24 octobre 1888 et ils s’installèrent à Paris, à la Cité des fleurs, dans le quartier des Batignolles près de la porte de Clichy.(Fig. 2)

Au cours de l’été 1889, résidant chez sa belle-mère à Octon, Paul eut envie d’affronter dans le canton de Lunas, le notable local, Paul Leroy-Beaulieu aux élections du Conseil Général.

Grand propriétaire foncier, conseiller général de l’Hérault, l’économiste séjournait dans son château de Montplaisir à Lodève quand il ne vivait pas à Paris. C’est dire que le jeune docteur Vigné âgé de 30 ans n’avait pas froid aux yeux de vouloir affronter un tel adversaire. Républicain comme son père, il était proche du Parti ouvrier d’inspiration marxiste créé par Jules Guesde et Paul Lafargue en 1882. IL devint le Parti ouvrier français en 1893.

Le village d’Octon aujourd’hui. (© Office de tourisme du Clermontais)
Fig. 2 - Le village d’Octon aujourd’hui. (© Office de tourisme du Clermontais)

Dans son préambule le programme de ce parti précisait que l’émancipation de la classe productive était celle de tous les êtres humains, sans distinction de sexe ou de race, que les producteurs ne sauraient être libres qu’autant qu’ils seraient en possession des moyens de production (terres, usines, banques, crédits, etc.) et que l’appropriation collective de ces moyens de production ne pouvait sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive ou prolétariat organisée en parti politique distinct.

Paul Vigné d’Octon ne cachait pas ses opinions anticléricales sans être antireligieux pour autant, vraisemblablement à cause de « sa sainte femme de mère » et du respect qu’il éprouvait pour quelques curés ostracisés par leur hiérarchie dans des paroisses pauvres 3. Rationaliste, scientiste, il éprouvait cependant une certaine religiosité pour la Nature qui s’affermit avec les années. Plein de fougue, à la verve inlassable, sa tentative de s’opposer à Paul Leroy-Beaulieu suscita surprise et ironie. Les républicains saluèrent son courage sans croire à ses chances de succès. En effet dans le canton de Lunas, la majorité des électeurs était toute acquise à Leroy-Beaulieu, les curés lui servant d’agents électoraux dans la plupart des paroisses. Il fut quand même surpris de recevoir une lettre recommandée de son concurrent qui l’invitait à participer à une réunion contradictoire au village de Ceilhes. « Ce n’est pas du toupet qu’a ce gamin s’écria-t-il, c’est du culot ! ».Quelques jours après, L’Écho de Lodève ironisait avec le titre : « La lutte du pygmée et du géant » 4.

Paul Leroy-Beaulieu, théoricien du colonialisme.
Fig. 3 - Paul Leroy-Beaulieu, théoricien du colonialisme.

La population de Ceilhes était favorable au conseiller général sortant. En cette après-midi d’été, ses partisans s’étaient rassemblés sur la place, curieux de voir comment le « géant » allait ridiculiser le « pygmée présomptueux ». Les républicains faisaient bloc autour de Vigné soutenu par le maire Numa Andrieux qui avait organisé la réunion sous les platanes, faute de place dans un endroit plus spacieux. Le jeune candidat avait l’avantage de parler d’une voix forte et vibrante alors que son adversaire plus âgé, moins sonore s’exprimait comme un professeur. Il était quatorze heures, Numa Andrieux présidait le débat. Leroy-Beaulieu se considérant comme l’invité déclina avec condescendance l’invitation de parler le premier. Avec habileté, Vigné commença par faire l’éloge du grand économiste avec le rappel de sa brillante carrière et de son projet de faire construire un chemin de fer à travers le Sahara. « Il ne coûtera que 300 millions de francs à la France et ne rapportera jamais rien » 5. (Fig. 3)

Leroy-Beaulieu en bon politique, impassible, fixait l’orateur derrière son lorgnon, attendant la suite. « Comment se fait-il poursuivit le candidat républicain que M Leroy-Beaulieu qui manie des milliards avec sa plume ne soit pas capable comme conseiller général de faire accorder cinq sous au canton ? » 6 Il exhiba alors les documents recueillis à la Préfecture de l’Hérault pour montrer que le bilan de ses mandats précédents était nul. Aucune route n’existait encore entre le bas et le haut du canton. Pour aller d’Octon à Lunas, il fallait passer par Clermont l’Hérault et Bédarieux. Légèrement agacé, Leroy-Beaulieu se leva et répondit d’une voix peu audible, gêné par le crissement d’une cigale, qu’il n’était pas responsable si le Conseil Général était composé de plusieurs médiocres et de politiciens à courte vue qui faisaient passer leurs intérêts électoraux avant les intérêts généraux du département.

Le canton de Lunas était la victime de leurs appétits. Vigné se leva à son tour, enfonçant le clou « Où sont les chemins, ou sont les fontaines ? » et compara le Conseil général à un repaire de brigands qui tentaient de ramener dans leur famille la part du butin de la caverne d’Ali Baba, mais voilà, M Leroy Beaulieu était plus maladroit que les autres. Le conseiller général sortant attaqua alors sur un sujet sensible pour la plupart des électeurs, l’anticléricalisme de son concurrent stigmatisé par L’Echo de Lodève et L’Eclair de Montpellier qui le décrivaient comme un révolutionnaire, mangeur de curés. Paul tenta d’effacer cette mauvaise impression en évoquant l’éducation donnée par sa mère catholique pratiquante et ses maîtres du Petit séminaire. « Je ne suis pas antireligieux, assurait-il, mais milite pour l’expression de la pensée libre. » Il était dix-neuf heures quand le président de séance estimant qu’elle avait assez duré invita les protagonistes à se retrouver au café.

Les partisans de Leroy-Beaulieu impressionnés par la prestation de son concurrent répandirent alors la rumeur à travers les campagnes qu’il était un nègre venu du Sénégal. Malgré une campagne active le médecin fut contraint de s’incliner devant l’économiste qui emporta l’élection cantonale avec une majorité restreinte quand même des trois quarts. Cet échec n’entama pas sa détermination de poursuivre le combat.

Quatre ans plus tard, installé dans la vallée de l’Yvette pour écrire son roman Le Pont d’amour, le docteur reçut au mois de juin 1893 une lettre d’Octon qui l’informait que le choléra sévissait à Clermont l’Hérault et faisait de nombreuses victimes parmi lesquelles se trouvait une de ses cousines. Immédiatement le couple Vigné prit le train pour Clermont-l’Hérault afin d’aider les confrères débordés. Ils descendirent à l’hôtel Lavit. Paul connaissait bien ce type d’épidémie comme médecin en Afrique et pour en avoir été victime à Montpellier. Il avait défié déjà la mort plusieurs fois en contractant la fièvre typhoïde à Toulon, la fièvre jaune à la Guadeloupe, enfin la fièvre bilieuse hématurique à St Louis du Sénégal. Comme il aimait le dire, il était « vacciné ». Avec sa femme transformée en infirmière, il visita inlassablement les malades pendant quinze jours, se couchant deux à trois heures la nuit tout habillé pour parvenir plus rapidement au chevet des patients. Son dévouement exemplaire se répandit au-delà de la ville et dans tout l’arrondissement de Lodève. Cela tombait bien car de nouvelles élections législatives approchaient et cette fois, le bon docteur estimait qu’il pouvait sérieusement tenter sa chance.

Plusieurs candidats étaient en lice, le conseiller général Leroy-Beaulieu et le maire de Lodève, M Hugounenq. Fort de sa popularité, menant une campagne toujours très active, Vigné d’Octon soutenu par le sénateur Auguste Galtier qui l’accompagna dans sa tournée dans le canton du Caylar l’emporta au deuxième tour sur Leroy-Beaulieu le 20 août 1893 avec 7263 voix. A Clermont l’Hérault et Paulhan, le vaincu fut « écrasé comme le grain de blé sous la meule » 7.

Député de l’Hérault, Paul Vigné d’Octon fut réélu en 1898 avec 7 768 voix contre 4 768 au publiciste Lautier, et en 1902 avec 7 218 voix contre 6 439 à Pierre Leroy-Beaulieu fils, de Paul et élu en 1895, conseiller général du canton de Lunas jusqu’en 1904.

A l’Assemblée nationale, le député de la circonscription de Lodève siégeait à côté des radicaux, radicaux socialistes et des socialistes. Plus proche des socialistes de l’Hérault qui lui accordèrent leur soutien au premier tour des élections législatives de 1898, il n’adhéra ni au parti radical-socialiste fondé en 1901, ni à la fédération socialiste de l’Hérault créée en avril 1903 par son collègue Louis Lafferre député de Béziers. Ce n’est qu’en 1910, qu’il rejoignit la section du parti socialiste de la Seine sous la pression amicale de Jean Jaurès. Esprit libre, Paul s’accommodait mal de la discipline au sein d’un parti.

Le mouvement radical se divisait alors en deux courants : le radical-socialisme, représentant un radicalisme d’avant-garde du point de vue du réformisme social (protection sociale, impôt sur le revenu, démocratisation de l’enseignement, lutte contre le grand capital) mais qui se différenciait du socialisme par son attachement à la propriété privée ; le radicalisme sans épithète était celui des modérés (Henri Brisson, Léon Bourgeois,…), se situant à gauche de l’échiquier politique, et s’opposait à la droite monarchiste et aux républicains modérés. Selon les circonstances, ils firent basculer les majorités en votant tantôt à gauche, tantôt avec les républicains modérés.

L’année 1893 fut marquée politiquement par le ralliement d’un certain nombre de catholiques à la République sous l’impulsion du pape Léon XIII (1878-1903). Successeur du pape Pie IX qui s’était dressé contre le Modernisme, ce pontife avisé et prudent avait compris l’intérêt de ne plus lier systématiquement l’Église romaine aux régimes monarchiques. Son encyclique Au milieu des sollicitudes qui préconisait le ralliement à la IIIe République, indigna les royalistes scandalisés par le toast prononcé par le cardinal Lavigerie archevêque d’Alger le 12 novembre 1890 en l’honneur de la République.

Pour Paul, la politique du ralliement était « un masque introduit par les réactionnaires dans la forteresse républicaine pour mieux la détruire par la suite » 8. Il observait que l’armée noire se divisait en trois tendances : une aile gauche représentée par la Ligue populaire pour la revendication des libertés publiques animée par Etienne Lamy, écrivain, député du Jura et orateur redoutable ; un centre présidé par Jacques Piou député de la Haute-Garonne qui présidait le groupe parlementaire de la droite constitutionnelle ; une aile droite dirigée par Albert de Mun qu’il admirait pour ses qualités d’orateur et respectait pour sa courtoisie : « Quel régal pour l’oreille et l’esprit », « Il apparaissait comme une sorte de phénomène d’anachronisme fait homme dans notre siècle de scientisme » 9. Paul Leroy-Beaulieu ami d’Etienne Lamy et de Jacques Piou, participait comme actionnaire à leurs organes de presse Le Journal des Débats et la Revue des deux mondes qui était largement diffusée dans les paroisses. Les curés affirmaient dans leurs homélies être des catholiques républicains, ce qui énervait le député fraîchement élu qui n’était pas convaincu. Pour ses partisans, la Revue des deux mondes ne pourrait parvenir à transformer un chat blanc en chat rouge à moins de le peindre.

Représentant les intérêts du Lodévois, le député Vigné s’intéressa de près à la question des draps de l’armée fabriqués dans les usines textiles de la petite ville. La guerre franco-allemande de 1870-71 avait galvanisé la production, mais elle était en crise depuis que Michel Chevalier beau-père de Leroy-Beaulieu avait vendu à des usines du Nord une grande partie du travail pour les draps. La concurrence du Nord et du Centre avait provoqué la fermeture de plusieurs entreprises et le chômage. La ville de Lodève qui avait 10 258 habitants en 1872 n’en comptait plus que 7 000 vingt ans après. Le principal client étant le Ministère de la guerre, le député s’étonna que les adjudications fussent systématiquement attribuées à des concurrents du centre de la France défendus avec opiniâtreté par le député Balsan de Châteauroux, certes républicain mais « réactionnaire » qui possédait d’importantes usines drapières. Pour une fois, tous les industriels lodévois y compris les amis de Leroy-Baulieu accordèrent leur soutien à leur député qui déposa auprès du président de l’Assemblée une interpellation du Ministre de la guerre sur les conditions dans lesquelles il comptait faire les prochaines adjudications des draps de troupe. Le ministre répondit qu’il allait ordonner une enquête. Elle révéla les accointances des bureaux de l’adjudication avec le député Balsan.

Le 9 décembre 1893, vers dix-sept heures en pleine séance, une bombe composée de ferrailles fut lancée d’une tribune publique dans l’hémicycle. Elle blessa l’abbé Lemire à la nuque sans gravité et légèrement Paul atteint par un clou. L’engin avait été fabriqué par l’anarchiste Auguste Vaillant (1861-1894) qui fut arrêté. Cet attentat suivi par d’autres en France et en Europe eut des conséquences répressives. Lors de son procès, Vaillant affirma avoir voulu venger la mort de l’anarchiste Ravachol arrêté et condamné à mort pour avoir déposé quatre bombes dans des immeubles parisiens et dans le restaurant Véry à Paris fréquenté par les bourgeois. Malgré une pétition lancée par l’abbé Lemire et le recours en grâce du groupe socialiste auquel Vigné d’Octon s’associa, le président Sadi Carnot refusa de le gracier et il fut guillotiné le 5 février 1894. Avant de monter sur l’échafaud, criant « Vive l’anarchie » il assura que sa mort serait vengée. Ce qui se réalisa dès le 24 juin quand le président Sadi Carnot mourut à Lyon sous le poignard de l’anarchiste italien Santo Caserio. Les politiques voulurent mettre fin aux menées anarchistes en votant au parlement plusieurs lois qualifiées de « scélérates » par la Gauche.

Le 11 mai 1894, une grève éclata dans le petit bassin minier de Graissessac situé en partie dans l’arrondissement de Lodève. Le député rendit visite aux grévistes et écouta leurs doléances. Ils protestaient contre la décision de la Compagnie Minière de renvoyer 300 mineurs sur 1800 pour des raisons de rentabilité, et contre le licenciement de leur responsable syndical. La Compagnie minière assurait que l’élévation des tarifs douaniers espagnols fermait un de ses débouchés. La Gauche en attribuait la responsabilité à la politique protectionniste de Jules Méline. Rapporteur général du budget des douanes et président de la commission générale des douanes, celui-ci avait fait voter en effet le tarif douanier de 1892, pour protéger l’industrie contre la concurrence. Paul Vigné d’Octon plaida auprès du ministre compétent pour faire pression sur la direction afin d’accepter la proposition des mineurs de réduire leur salaires pour ne pas créer de chômage. Avec deux autres députés, il interpella le gouvernement au mois de juillet pour défendre la cause des mineurs en grève depuis cinquante jours. La direction ne revint pas sur sa décision mais proposa de reclasser les mineurs licenciés sur le chantier de la construction de la voie ferrée sur les plateaux du Rouergue entre Rodez et Carmaux, mesure dangereuse selon Vigné. Elle pouvait mettre en danger les mineurs les plus âgés, fragilisés par la silicose.

Il défendit aussi les intérêts des Facultés de Montpellier en déposant une proposition de loi en 1895 pour établir l’autonomie de l’Université. Soutenu par le professeur Grasset, il harcela Emile Combes alors ministre de l’Instruction publique qui finit par déposer un projet gouvernemental dans ce sens qui fut discuté et voté le 5 mars 1896.

Bien entendu, Paul suivit de très près l’affaire Dreyfus qui coïncida avec ses trois législatures entre 1894 et 1906. Un fait nouveau changea tout quand le journal le Matin publia le fac-similé du bordereau, pièce unique qui avait permis au Conseil de guerre d’étayer son accusation pour condamner Dreyfus. D’après les conclusions du colonel Picquart chef du contre-espionnage en mars 1896. il apparaissait que l’écriture était celle du commandant Esterhazy. Vigné d’Octon fut alors convaincu de la nécessité de réviser le procès.

Au mois d’octobre 1897, Ernest Vaughan administrateur du journal L’Intransigeant s’entendit avec Georges Clemenceau dont le journal La Justice agonisait, pour fonder L’Aurore avec le concours d’Octave Mirbeau, d’Urbain Gohier et de Bernard Lazare. Paul collabora au journal avec trois articles par mois. Clemenceau pensait toujours Dreyfus coupable, mais Scheurer-Kestner le convainquit de la révision du procès. La plainte de Mathieu Dreyfus frère du capitaine contre Esterhazy et l’acquittement de celui-ci sous les acclamations des nationalistes donnèrent à l’affaire une dimension nationale. Le commandant Esterházy, réformé jugea prudent de s’exiler en Angleterre où il termina ses jours confortablement dans les années 1920.

La France se divisa entre partisans et adversaires d’Alfred Dreyfus dans un climat de tension qui s’exacerba avec la publication du fameux « J’accuse » d’Émile Zola dans le journal L’Aurore. La veille au soir, Vigné d’Octon se trouvait au journal en compagnie de Lazare et de Vaughan qui bouillant d’impatience tenait sous le bras, l’article de Zola. Clemenceau arriva et lut le texte qui avait pour titre « Lettre ouverte à M le président de la République ». Il le raya, écrivit : « J’accuse » et le publia le 13 janvier 1898.

La réalité de l’affaire Dreyfus encore mal connue du grand public fut alors largement diffusée dans la presse. Dans l’arrondissement de Lodève, l’affaire ne suscita pas de grandes passions. Paul trouva ses concitoyens plutôt indifférents. Surmené, malade, il partit se reposer à Lamalou sur les conseils du professeur Grasset et assista à l’inauguration de la gare de Gignac en faisant l’éloge de son maire Rémézy, vieux républicain qui l’avait toujours soutenu.

Député et conseiller général de canton, Paul Vigné d’Octon devint maire de sa commune le 17 mai 1896. Il le resta jusqu’en 1905 où il fut battu à cause de la crise qui opposait l’Etat à l’Eglise et qui aboutit à leur séparation.

Être maire n’est pas l’entreprise la plus aisée. Dans le village on se connaît et les rancunes sont tenaces. La population composée de viticulteurs se répartissait entre propriétaires et ouvriers agricoles. Les plus riches produisaient autour de 500 hectolitres de vin par an. Le village de 503 habitants se divisait en deux clans, ceux qui croyaient en Dieu et ceux qui n’y croyaient pas. La majorité allait à la messe et le curé tenait bien ses ouailles. Paul conservait sa réputation de mécréant. Ses partisans s’opposaient souvent avec violence à ses adversaires catholiques soutenus par la famille Leroy-Beaulieu qui souhaitait prendre une revanche. Sa position de député et de conseiller général étaient quand même pour le village un atout non négligeable. (Fig. 4)

La mairie d’Octon, en 1904. (Cliché de l’auteur)
Fig. 4 - La mairie d’Octon, en 1904. (Cliché de l’auteur)

L’examen des délibérations du conseil municipal pendant ses mandats montre qu’il traitait à peu près toujours des mêmes affaires. Il s’agit d’entretenir les chemins vicinaux, édifier des fontaines, faire venir l’eau potable dans le village, et sur le plan social, plaider auprès du Ministère de la Guerre le retour dans leur famille des soldats tirés au sort, et jugés indispensables pour subvenir à l’entretien de leurs parents âgés et malades. L’assistance aux indigents faisait partie des préoccupations du conseil municipal. Mais ce qui semble être le plus important dans les projets du maire, c’était de bâtir une nouvelle mairie avec une école primaire publique et laïque.

Au cours du premier mandat (1896-1900), les premières décisions du conseil municipal concernèrent le construction d’escaliers sur le pont de la Vialle pour permettre aux habitants d’accéder à la fontaine chaude quand la rivière Marette était en crue, et une demande au Ministre des Postes pour transformer le bureau du facteur municipal en un bureau de poste pris en charge par l’Etat afin de soulager les frais énormes qui pesaient sur les contribuables de la commune. On souhaitait la construction d’un pont sur la rivière Salagou entre les communes d’Octon et de Clermont-l’Hérault pour permettre le passage d’un chemin vicinal.

En 1897, la grande place fut aménagée avec la rampe qui permet de monter à l’église, soit une dépense de 4 300 f avec une demande de subvention au Conseil général de 800 f et un emprunt de 3 500 francs remboursable en 25 annuités à partir de 1898.

La population sut gré au maire de ses efforts pour moderniser la commune puisqu’elle le reconduisit dans ses fonctions aux élections de mai 1900 avec Célestin Mathieu comme adjoint. Cette fois, il voulut construire la grande fontaine de la place. Le projet fut confié à l’architecte Aussel de Lodève et les travaux à Camille Raoult et Paul Grousset, carriers à Gigean.

Le 1er mai 1904, les élections municipales à Octon se déroulèrent dans une ambiance survoltée. Le sous-préfet avait envoyé les gendarmes pour parer à tout incident. Le dépouillement des bulletins de vote fit monter la pression et les partisans des deux listes en présence en vinrent aux mains. Pour apaiser les esprits, les gendarmes décidèrent de procéder eux-mêmes au dépouillement. Le résultat étant favorable à la liste de Paul Vigné d’Octon, le maire eut du mal à sortir de la salle du dépouillement assaillie par ses opposants furieux. L’élection fut immédiatement contestée par la liste de Célestin Vidal qui déposa un recours au Conseil d’Etat. L’affaire fit grand bruit et certains aujourd’hui racontent que l’urne aurait été jetée par une fenêtre du premier étage, rumeur démentie par d’autres. En difficulté, Vigné d’Octon jugea préférable de ne pas se représenter aux élections du Conseil Général.

L’élection de Paul Vigné d’Octon étant invalidée, un nouveau vote eut lieu en octobre 1905. Célestin Vidal, candidat de la famille Leroy-Beaulieu l’emporta après avoir réussi à débaucher l’ancien adjoint Baptiste Beaumes. La majorité des électeurs ne pardonnait pas à l’ancien maire d’avoir fermé l’école tenue par des religieuses.

Aux élections législatives de 1906, les instances départementales du parti radical-socialiste cherchèrent à s’en débarrasser à cause de son comportement incontrôlable. Depuis 1901, le parti radical était divisé en deux tendances. L’une s’appuyait sur la franc-maçonnerie qui par la prose du Petit Méridional de Montpellier soutenait Louis Lafferre ancien député de l’Hérault. L’autre rassemblait ceux qui n’en étaient pas, comme Laissac maire de Montpellier, Razimbaud député de St Chinian et Vigné d’Octon qui n’appréciait guère le rituel de la franc-maçonnerie. Le congrès radical de l’arrondissement de Lodève décida par conséquent de l’écarter et de patronner Paul Pelisse, pharmacien à Paulhan protégé du député Justin Augé de Béziers qui exécrait Paul Vigné d’Octon.

Le 29 mai 1905, Augé et Vigné d’Octon s’étaient insultés dans les couloirs de l’Assemblée nationale et affrontés sous les yeux d’un journaliste. Vigné assurait qu’il était prêt à donner un coup de pied au c… à Pelisse qui commandité par son patron faisait faire des « cochonneries » dans sa circonscription. Pelisse avait riposté par une lettre, publiée dans la presse locale du 30 mai : « Qu’il vienne ici, quoi qu’il ne mérite que le plus écrasant mépris… je consentirai à donner à M Vigné la leçon qu’il mérite, quitte ensuite à dépouiller dans le plus violent acide toute souillure de contact que j’aurais eu avec la bête puante qu’il est » 10. Bel exemple de fraternité entre politiques d’une même tendance !

Paul Vigné avait l’habitude d’égratigner les personnes qu’il n’appréciait pas en les caricaturant dans ses romans. Le 7 janvier 1906, jour d’élection sénatoriale, nouvel incident. En sortant du Café de la Rotonde, place de la Comédie à Montpellier, Vigné se fit agresser par Paul Pelisse qui le gifla plusieurs fois. Les deux hommes furent séparés par leurs proches et le député de Lodève envoya ses témoins dans la soirée, l’avocat Huriaux et le publiciste Pujol pour un duel. Pelisse déclina l’invitation mais expliqua son geste dans la presse : « Il y a longtemps que Vigné dans son « canard » qu’il a fondé dans l’arrondissement de Lodève me poursuit de ses attaques. Si je suis décidé à tout laisser dire sur mon compte, je ne permettrai jamais à personne de faire intervenir les miens. Ma décision de souffleter M Vigné était prise depuis mardi soir, jour où j’avais lu l’article que j’incrimine. Je n’attendais qu’une occasion propice. Elle vient de s’offrir. J’en ai profité » 11. Vigné récoltait ce qu’il avait semé. Il avait fondé une feuille intitulée le Méridional à ne pas confondre avec le Petit Méridional où il continuait de provoquer les politiques de son bord, tels que le sénateur Deandreis, le député Augé et Pelisse. Cette fois, il avait dépassé les bornes en mettant en cause la vie privée de son épouse. Dans un style digne et élégant, Madame Pelisse écrivit une lettre à Madame Vigné le 18 janvier 1906 : « Vous n’ignorez pas, je le suppose, la malveillance de votre mari à l’égard du mien, dans les différents articles qui ont paru dans son journal. Et vous devez regretter autant que moi-même sans doute, les dernières violences qui se sont produites si brusquement, et que l’une et l’autre aurions évitées peut-être si nous avions été présentes ou si nous avions pu le prévoir…. Je ne vous cacherai pas que cette souillure faite à mon honneur m’a profondément blessée et que ma surprise et ma tristesse sont extrêmes ! J’aurais attendu Madame, une meilleure preuve de tact et de savoir-vivre de la part d’une personne instruite dont vous portez le nom et je ne peux que flétrir, dans mon indignation légitime, ces procédés indignes d’un honnête et galant homme… ». Loin d’apaiser la querelle, cette correspondance ne fit qu’envenimer les relations entre les Pelisse et les Vigné puisque sur le quai de la gare de Paulhan, Madeleine croisant le rival de son mari le gifla à son tour.

Lors des élections législatives certains partisans de Pelisse n’hésitèrent pas à faire courir le bruit que le député sortant avait été mortellement blessé lors d’un duel et qu’il était par conséquent inutile de voter pour lui. Au premier tour le 6 mai, Pelisse arriva en tête avec 2364 voix devant Vigné qui recueillit cent voix de moins. La majorité absolue étant fixée à 5701 voix, il y avait ballottage. Le second tour était prévu le 20 mai. Selon les décisions du congrès d’arrondissement, les candidats radicaux-socialistes du premier tour se désistèrent pour Pelisse. Vigné d’Octon, amer, publia le communiqué suivant : « Merci aux Républicains fidèles qui ont voté pour moi. Voici ma dernière part de combat. J’oublie tout et ne veux me souvenir que d’une seule chose, c’est ce que j’ai toujours été, je suis et resterai un inébranlable républicain. Votez contre la réaction. Vive la République.» 12

La défaite de Paul Vigné d’Octon voulue par les radicaux-socialistes marqua la fin de sa carrière politique. Il tenta de récupérer son siège une nouvelle fois aux élections de 1910 mais obtint seulement 988 voix sur 12 371 votants. La faconde méridionale de Pelisse séduisait les électeurs. Vigné tenta sa chance en vain en 1914 et en 1932. Écarté de la vie politique par le suffrage universel, il se plaça dans la position de contestataire qu’il affectionnait et rompit avec Georges Clemenceau après les graves événements de la crise viticole de 1907 dans le Languedoc. Qualifiant les radicaux socialistes de « radicaille », il opta pour le Parti socialiste en 1910, encouragé par Jaurès qui le fit inscrire à la 17e section de la Seine. Déterminé à rester libre, exalté par l’aventure bolchevique des années vingt, il semble s’être éloigné de la SFIO pour se rapprocher des idéaux du parti communiste naissant sans jamais y adhérer. Dans les années 1930, son esprit anarchisant et son anticléricalisme le portèrent vers le mouvement de La Libre Pensée et des publications anarchistes comme le Libertaire et la Revue anarchiste auxquelles il donna de nombreux articles.

Le pamphlétaire

La gloire du sabre

Au cours de l’année 1900, Paul Vigné d’Octon inquiéta sérieusement les autorités gouvernementales quand il réussit à faire publier La Gloire du Sabre qui réunissait ses véhémentes dénonciations contre les excès de la colonisation exprimées au préalable lors de plusieurs interpellations à la Chambre des députés. Écrite le 26 mars 1900, sa dédicace au Ministre des colonies est dépourvue de toute ambiguïté.

« Monsieur le Ministre,

En vous dédiant la « Gloire du Sabre » sans vous en demander l’autorisation, ainsi que le prescrit l’usage, j’ai pensé que ce serait vous inciter à entre ouvrir ce volume, à le feuilleter, et peut être même à le lire. En ce cas, vous y trouverez décrites quelques-unes des abominations qui depuis longtemps, se commettent en des pays lointains dont l’administration et le gouvernement sont en apparence du moins soumis à votre autorité. Vous y verrez notamment :

1°) Que j’y accuse un officier supérieur de notre armée d’avoir, sans motif et uniquement pour se faire valoir, massacré à Ambiké cinq mille Malgaches qui venaient au-devant de ses troupes acclamer notre drapeau et lui souhaiter la bienvenue.

2°) Que je reproche à l’officier général commandant en chef d’avoir, pour ce haut fait, demandé et obtenu de l’avancement à son subordonné.

3°) Que je dénonce le chancelier de Mohéli comme ayant volontairement fait mourir en prison vingt-cinq indigènes travaillant dans cette Comore, dont le crime unique était de réclamer à leur patron, qui le refusait, leur salaire de toute une année.

Vous y verrez aussi que, malgré la volonté du gouvernement de la République, l’esclavage sévit plus que jamais à Madagascar et au Soudan français, et que la traite de la chair humaine est un commerce protégé et quelquefois même exercé par vos représentants.

Vous y lirez le récit d’un certain nombre de viols, d’incendies, de pillages et de massacres qui désolent d’un bout à l’autre de l’année ces deux colonnes militaires.

Vous y verrez encore qu’à la Nouvelle-Calédonie, votre administration a érigé le vol et la spoliation des indigènes à la hauteur d’institutions officielles.

Vous y apprendrez enfin que, sous l’œil bienveillant de vos fonctionnaires, les mandarins tonkinois, sous prétexte de rendre la justice, fouettent, brûlent, torturent de mille façons leurs malheureux administrés et les pillent en se couvrant de votre nom.

Depuis bientôt sept ans que j’ai l’honneur d’être député, je me suis lassé de clamer dans le désert du Palais Bourbon les infamies de la guerre coloniale et les crimes de notre colonisation. Je me suis lassé également de faire appel à la justice et à l’humanité de vos nombreux prédécesseurs.

Vous l’avouerez, Monsieur le Ministre, les accusations que je porte aujourd’hui dans « la Gloire du Sabre » ont une exceptionnelle gravité. Qu’elles soient l’expression même de la vérité ou au contraire d’abominables calomnies, notre code pénal dispose pour l’un et l’autre cas de rigoureuses sévérités. En ce qui me concerne, l’immunité parlementaire qui couvre les discours du député à la tribune de la Chambre ne s’étend pas à l’écrivain.

Qu’on me les applique donc, si j’ai menti. Mais qu’on les applique à ceux que j’accuse et qu’on mette un terme à leurs crimes si j’ai dit vrai. Pour l’honneur de notre pays, il ne peut y avoir d’autre solution. »(Fig. 5)

La gloire du sabre, illustré par Cabu, réédition de 2000
Fig. 5 - La gloire du sabre,
illustré par Cabu,
réédition de 2000

Le livre préfacé par Urbain Gohier 13, journaliste et collaborateur de Clemenceau à L’Aurore faillit ne point paraître. Curieusement, la veille de sa sortie, l’éditeur Flammarion suite à de fortes pressions politiques informa l’auteur qu’il renonçait à l’éditer sous prétexte que le contrat n’était pas régulier. Paul dut retirer le nom de la firme sur les 6 000 exemplaires imprimés qui furent repris par un éditeur plus modeste, la Société d’édition littéraire qui le publia à compte d’auteur après avoir demandé à son personnel de coller des étiquettes pendant toute une nuit à la place de la mention Flammarion. Des achats massifs rendirent alors le livre introuvable.

Le style est souvent emphatique : « Dans les nuits d’hivernage, quand la lune s’y mire, dans les marigots on dirait le visage de l’homme blanc à l’agonie. Ces promontoires à peine visibles sur l’immense désolation de la steppe et que recouvre une hirsute florule d’aloès épineux et de cactus semblent ses mamelles, de hideuses mamelles ridées, flétries et gonflées seulement par la bave empoisonnée des reptiles, le suc foudroyant des mandragores et des strychnées. Comme les bras d’une pieuvre, ses fleuves boueux tordent entre leurs rives désertes et roulent vers les estuaires leurs flots empestés. » 14

Si on peut reprocher à la Gloire du Sabre, une composition peu rigoureuse, il reste que l’ouvrage marqua les esprits. Réédité plusieurs fois, il constitue un document important sur la colonisation française. Vigné d’Octon honni par le Parti colonial y perdit son siège de député en 1906.

Rappelons le contexte de la conquête coloniale. Après 1878, l’expansion européenne se poursuivit rapidement pour ne ralentir que dans les premières années du XXe siècle. On parla de « course au clocher ». Les causes en étaient multiples : le développement des communications avec les progrès de la marine à vapeur, mais aussi et surtout les progrès de l’armement et des techniques. L’Europe protectionniste en quête de nouveaux clients voulait s’assurer d’être approvisionnée en diverses matières premières comme le coton, le caoutchouc, le café, le sucre, les huiles, etc. Les capitaux disponibles dégagés par la Révolution industrielle à l’affût de taux rémunérateurs, s’intéressaient aux territoires neufs. Les interventions politiques furent la conséquence de la pénétration commerciale. Les explorateurs et les négociants rencontrant des résistances firent appel à leurs gouvernements qui progressivement s’emparèrent des points stratégiques pour protéger les intérêts de leurs nationaux. La découverte en 1867 des diamants de Kimberley et de l’or du Witwatersrand en Afrique du Sud incita les sociétés capitalistes et les gouvernements à organiser l’exploitation des richesses africaines. Une véritable chasse au trésor s’en suivit si bien qu’en 1884-1885 afin de ne pas provoquer entre elles d’incidents sérieux, les puissances européennes organisèrent les règles du partage du continent africain au cours de la Conférence de Berlin réunie à l’initiative de Bismarck chancelier allemand, Treize puissances européennes y participèrent ainsi que l’Empire Ottoman sans solliciter l’avis des peuples et des chefs africains.

Les causes dites morales n’étaient pas négligeables. Des Européens pensaient avoir une mission civilisatrice. L’esclavage étant officiellement aboli, le christianisme se diffusa grâce à l’action des missionnaires de toutes les confessions chrétiennes. Au début de la colonisation, la christianisation ne toucha que les individus. Les conversions se multiplièrent à partir du moment où les chefs adhérèrent à la nouvelle religion. Quant aux motivations des personnalités politiques françaises, elles étaient liées à des nécessités de prestige et de stratégie. Après la défaite de 1870-71, les dirigeants français consacrèrent d’abord leur énergie au redressement économique et psychologique du pays. Jules Ferry et Léon Gambetta, hommes de gauche poussèrent à l’intervention coloniale en Indochine, en Tunisie, à Madagascar et au Congo.

Léon Gambetta (1838-1882) déclara à Angers en 1872 : « C’est par l’expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu’on prend dans la vie générale de l’humanité que les nations persistent et qu’elles durent, si cette vie s’arrêtait, c’en serait fait de la France. »

Jules Ferry (1832 1893) affirma dans le débat parlementaire du 28 juillet 1885 « Que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous a conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. (…) Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, (…) c’est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième… C’est par l’expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu’on prend dans la vie générale de l’humanité que les nations persistent et qu’elles durent, si cette vie s’arrêtait, c’en serait fait de la France… Il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder (…) c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (…) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » On retrouve ici la pensée de Paul Leroy-Beaulieu.

Georges Clemenceau répliqua : « Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C’est bientôt dit. Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure ! (…) Je ne comprends pas que nous n’ayons pas été unanimes ici à nous lever d’un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie. »

Après la chute de Jules Ferry en 1885 provoquée par un revers militaire en Indochine, l’opposition à la politique d’expansion coloniale fut animée par les députés Paul Vigné d’Octon et Jean Jaurès qui à partir de 1900 dénonça avec vigueur au Parlement et dans les colonnes de son journal L’Humanité les méfaits de la colonisation comme le travail forcé par exemple. Cependant une grande partie de l’opinion publique y était favorable. De nombreux instituteurs laïques et républicains enseignaient aux jeunes élèves la grandeur de la France impériale qui s’étalait en couleur rose sur les cartes murales de géographie.

Le 4 septembre 1899, Paul Vigné d’Octon écrivit la lettre suivante à Waldeck-Rousseau : « Comment se fait-il, M le Président du Conseil, que le gouvernement n’ait pas encore mis fin à la politique de conquête coloniale, cause première et permanente de ces actes abominables que la France entière réprouve et qui s’ils se continuaient porteraient à croire que les véritables sauvages ne sont pas au Soudan ? Comment se fait-il que le gouvernement n’ait pas encore inauguré la politique de pacification et de mise en valeur que par maints votes successifs, le Parlement l’a sommé d’encourager ? »

Horrifié par les rapports qu’il recevait sur ce qui se passait au Niger, et lassé de la pusillanimité de ses collègues parlementaires, il décida de révéler dans La Gloire du Sabre les crimes des officiers Voulet et Chanoine.

Paul Voulet, fils de médecin, fut sergent en Indochine, et avait obtenu son grade de lieutenant au Soudan. Devenu capitaine et décoré de la Légion d’honneur, il proposa en janvier 1898 à Louis-Gustave Binger, directeur des affaires d’Afrique au ministère des colonies, le projet d’une mission au Soudan central pour s’opposer aux ambitions de l’Angleterre présente au Nigeria et de l’Allemagne au Cameroun.

En attendant l’autorisation du ministère, il choisit dans le plus grand secret ses principaux collaborateurs dont le lieutenant Chanoine âgé de 27 ans, du 2e escadron de spahis soudanais, fils d’un général qui devint en septembre 1898 ministre de la guerre en pleine affaire Dreyfus.

Le 31 mai 1898, un décret ministériel autorisa l’expédition qui devait reconnaître les territoires situés entre le Niger et le Tchad au nord de la nouvelle frontière franco-anglaise déterminée par la convention du 14 juin 1898 et chercher à relier les rives septentrionale et orientale du lac Tchad ainsi que les régions avoisinantes avec les possessions de l’Oubangui-Chari et du Congo. Les officiers devaient opérer leur jonction sur le lac Tchad avec deux autres missions, l’une partie d’Algérie, commandée par les commandants Foureau et Lamy, l’autre du Moyen-Congo, sous les ordres du commandant Gentil.

Partie de Dakar, la colonne Voulet-Chanoine arriva à Bamako le 21 septembre. Composée de plus de 400 auxiliaires, le double de ce qui avait été prévu avec une majorité de Bambaras et de Malinkés suivis par une cohorte de femmes, elle s’embarqua sur des chalands pour descendre le Niger.

La région de Djenné étant inondée en raison de la crue du fleuve, la colonne se divisa en deux, l’une commandée par Voulet, l’autre par Chanoine qui passa au sud du fleuve pour le rejoindre à Djenné. Les deux hommes se séparèrent à nouveau pour rejoindre Tombouctou. Le premier utilisait des chalands alors que le second par voie de terre coupa la boucle du Niger en passant par Ouagadougou, en Haute Volta, soit 900 kilomètres. (Fig. 6)

Itinéraire de la mission Voulet-Chanoine
Fig. 6 - Itinéraire de la mission Voulet-Chanoine. (© Bertrand Taithe, The killer trail, Oxford University Press, 2009, page 7)

Traversant le pays mossi, Chanoine recourut au portage forcé, aucun Africain n’étant volontaire pour cette corvée, probablement en raison des souvenirs terrifiants de son précédent passage en 1896. On le surnommait le lieutenant fou ou le Blanc démoniaque. A Ouagadougou, le 12 novembre réunissant 645 porteurs, la ville le vit partir avec un vif soulagement. Traversant une région pauvre, les villages incapables ou récalcitrants devant les réquisitions exigées pour nourrir une telle masse d’hommes et de femmes furent pillés et incendiés. 148 porteurs périrent, victimes de la dysenterie avant d’arriver à Say au Niger. Les déserteurs repris furent fusillés.

De son côté Voulet qui avait quitté Djenné le 20 octobre sur une flottille arriva à Kabara le port de Tombouctou le 4 novembre au matin où il rencontra le colonel Klobb commandant du poste qui lui fournit des spahis, des vivres et des chameaux, conformément aux ordres ministériels. Le 19 novembre, Klobb et ses hommes escortèrent sa troupe en aval de Tombouctou. Pendant leur cohabitation Klobb se rendit compte du comportement fort peut réglementaire de Voulet à l’égard de ses hommes à qui il imposait de redoutables flagellations à coups de nerfs de bœufs pour tout manquement à la discipline.

Le 2 janvier 1899, Voulet et Chanoine se retrouvèrent dans l’île de Sanssané-Haoussa à cent kilomètres en amont de Say. A partir de ce moment la mission Voulet-Chanoine libre de toute surveillance de la part des administrateurs locaux s’adonna à de terribles excès.

Huit cents porteurs et les prisonniers dont la plupart atteints de dysenterie furent enfermés les nuits avec des conditions de vie insupportables dans un espace entouré d’une haie d’épines. Chanoine razzia la région pour remplacer les porteurs malades. Le 9 janvier au matin, une reconnaissance rentra au camp avec 250 bœufs, 500 moutons, 28 chevaux et 80 prisonniers. Quelques tirailleurs ayant été blessés, Voulet pour l’exemple fit tuer 20 femmes à coups de lance à quelques centaines de mètres du camp et brûla la cervelle d’un tirailleur pour avoir gaspillé ses munitions. Le 17 janvier, Chanoine fit fusiller deux prisonniers et couper les mains à leurs cadavres.

Le vendredi 13 janvier 1899 après avoir pillé et massacré, la troupe incendia le village de Sanssanné –Haoussa (10 000 h) puis passa de l’autre côté du fleuve Niger pour avancer en direction du Nord-Est. L’immense caravane occupait un front de plusieurs kilomètres. Au centre du dispositif avançait le convoi des animaux de bât ainsi que le gros des porteurs, à droite marchaient les femmes, nues pour la plupart, portant sur la tête les ustensiles de cuisine et la vaisselle. A gauche, les bergers foulbés, enlevés avec leurs bêtes, conduisaient les bœufs, vaches, veaux et quelques chèvres. Le lendemain pour avoir blessé un spahi, le village de Karma fut passé au fil du sabre. Peu à peu le pays Djerma (Niger) se vida de ses habitants à l’approche de la colonne. Cette politique de terre brûlée caractérisée par des pillages et des exécutions sommaires pendant plusieurs mois finit par être connue des autorités coloniales.

On décida alors d’arrêter Voulet et Chanoine et le colonel Arsène Klobb commandant du poste de Tombouctou fut chargé de monter une expédition pour les rattraper. Voulet et Chanoine qui ne donnaient plus de nouvelles avaient décidé de passer à travers l’émirat de Sokoto au Nigeria contrôlé par les Britanniques, désobéissant formellement aux ordres du ministre. Le 16 avril, ils attaquèrent Lougou, le village de la reine Sarraounia près de Mantakari qui avait eu l’audace de les invectiver. Malgré une résistance héroïque de neuf heures, les flèches et les sagaies ne purent rivaliser avec l’artillerie et les fusils des tirailleurs qui effectuèrent un nouveau massacre ordonné par leurs chefs.

Le 9 mai 1899 ce fut le tour du village de Birni N’Konni en pays haoussa. Les habitants ayant tenté timidement de se défendre avec quelques fusils et des flèches, le village fut rasé et la majeure partie de la population exterminée par des actes de sauvagerie extrêmes. Cinq à six mille prisonniers furent triés sous le soleil implacable et Chanoine humilia le chef agenouillé en le cravachant et lui crachant au visage.

Le colonel Klobb et son adjoint le lieutenant Meynier constatèrent que le parcours suivi par Voulet et Chanoine était jonché de cadavres dans les villages incendiés. Ils entrèrent en contact avec Voulet à Dankori près de Zinder le 14 juillet 1899 à l’aube.

En l’absence de Chanoine installé dans un autre campement à 18 kilomètres, Voulet hagard, en uniforme blanc donna l’ordre à ses hommes de tirer sur le colonel Klobb qui fut tué net, atteint au ventre et à la tête tandis que le lieutenant Meynier était légèrement blessé à la jambe.

Paul Voulet et Julien Chanoine, tels qu’ils s’exposent en couverture de l’Illustration du 26 août 1899
Fig. 7 - Paul Voulet et Julien Chanoine, tels qu’ils s’exposent en couverture de l’Illustration du 26 août 1899.

La gravité de l’acte inquiéta la troupe qui jusqu’ici s’était accommodée des massacres des populations africaines. Les tirailleurs réalisèrent qu’ils allaient être poursuivis pour complicité d’assassinat d’un officier français. Pour se protéger, ils crurent utile de se désolidariser de leurs deux commandants en les abattant le 17 juillet 1899. Une partie de la colonne fut rapatriée sur le Soudan par le lieutenant Pallier tandis que l’autre, très allégée, dotée cette fois de chameaux, continua sa route vers le Tchad sous les ordres des lieutenants Joalland et Meynier.

Le 10 novembre 1900 Paul Vigné d’Octon monta à la tribune de l’assemblée et interpella le gouvernement de Pierre Waldeck Rousseau sur les massacres perpétrés par Voulet et Chanoine. Empêtrés dans l’affaire Dreyfus, l’Etat-major, le gouvernement et l’Assemblée nationale se seraient bien passés de l’intervention fracassante du député de l’Hérault. Par 409 voix, les députés rejetèrent le 7 décembre 1900 sa proposition de désigner une commission d’enquête. (Fig. 7)

En conclusion de la Gloire du Sabre, Paul Vigné d’Octon affirme : « Voilà plus de dix ans que je mène cette campagne pour l’humanité, que je dénonce les conquêtes meurtrières et stériles, que je bataille contre la tourbe parasite des coloniaux d’antichambre qui gaspillent sur la terre maudite, avec l’argent, la vie de nos soldats tout ce que la France a de meilleur… Je continuerai l’histoire des abominations coloniales. Je dirai la déchéance morale qui suit pour l’officier ou le soldat, la déchéance physique dans le désœuvrement et la monotonie des postes… Oui dussent les tartufes et les faux patriotes se voiler la face devant mon œuvre, j’irai jusqu’au bout, et d’une plume hardie, je continuerai à peindre les lamentables dessous de l’existence coloniale ; je la dirai, cette vie, telle qu’elle est, impure, sadique, sanglante, abêtissante et lugubre, remplie de cauchemars et de fièvre, faite d’héroïsme incessant quand on lutte contre le ciel, contre le soleil, contre la pestilence des fleuves, pleine de bestiale lâcheté quand on se bat contre les hommes… » Il tint parole dix ans plus tard en faisant paraître la Sueur du Burnous.

La Sueur du Burnous

Libéré de ses charges de député, Paul Vigné qui se reposait à Alger chaque année avec sa femme depuis une dizaine d’années, éprouva le besoin de faire des recherches littéraires et scientifiques sur les populations de l’Afrique du Nord. Il connaissait bien Stephen Pichon (1857-1933) membre du Parti radical-socialiste, ancien député et sénateur, résident général de France en Tunisie en 1901, ministre des affaires étrangères depuis le 23 octobre 1906 et qui le resta jusqu’au 2 mars 1911. Cette amitié lui permit d’obtenir du Ministre de l’Instruction publique des missions d’études pendant trois années de 1907 à 1909.

Les deux ministres lui octroyèrent des subventions pour accomplir cette tâche et en 1908, Gaston Doumergue ministre de l’Instruction publique lui attribua une rallonge complémentaire de 1 000 francs pour sa mission en Tunisie afin d’y poursuivre cette fois des recherches devenues anthropologiques et ethnographiques.

Connaissant le personnage depuis ses interpellations fracassantes des gouvernements sur Madagascar et surtout de Pierre Waldeck-Rousseau en 1899 au sujet des crimes de Voulet et de Chanoine, les milieux coloniaux de Tunisie exprimèrent des réserves sur l’opportunité de ces missions. Néanmoins soutenu par son vieil ami Camille Pelletan et William Merlaud- Ponty gouverneur général de l’AOF qui l’assura de son appui auprès du Ministre des Colonies, une quatrième demande de mission pour l’Afrique Noire fut acceptée en 1910 à un moment où ses premiers rapports n’étaient vraisemblablement pas encore lus.

Paul Vigné partit le 7 mars 1911 avec une subvention de 3 000 francs en Algérie via Port-Vendres et comptait se rendre à Dakar par le Sahara quand un télégramme lui annonça la mort de sa mère qui le contraignit à revenir dans l’Hérault à la fin du mois où il régla ses affaires de famille. Persuadé que le gouvernement allait censurer ses rapports, fidèle à une vieille habitude, il profita de l’hospitalité des colonnes du journal antimilitariste la Guerre sociale fondé et dirigé par le socialiste Gustave Hervé 15 qui tirait à près de 60 000 exemplaires pour les publier chaque mercredi du printemps 1911 sous la rubrique Terre à galons et les regroupa sous le titre La Sueur du Burnous aux éditions de la Guerre sociale (1906-1916). (Fig. 8)

La Sueur du burnous. Les Crimes coloniaux de la troisième République, paru en 1911 aux éditions de La Guerre Sociale, et réédité en 2001 par Les Nuits rouges
Fig. 8 - La Sueur du burnous. Les Crimes coloniaux de la troisième République, paru en 1911
aux éditions de La Guerre Sociale, et réédité en 2001 par Les Nuits rouges.

La violence des propos était telle que les ministres en exercice en furent atterrés. Jean Cruppi (1855-1933) qui avait succédé à Stephen Pichon le 4 mars 1911 au ministère des affaires étrangères décida alors d’annuler sa mission en Afrique Noire et exigea le remboursement de la subvention pour rupture de contrat. Vigné réagit avec sa vivacité coutumière et intenta un procès à l’État jusqu’en… 1927.

Examinons les enquêtes de la Sueur du Burnous. Le style est mordant, incisif, ironique parfois, à la limite de l’injure. D’éminentes personnalités, des ministres sont sévèrement épinglés. Ce n’est pas un rapport, mais un pamphlet explosif. Dès le préambule le ton est donné :

« Messieurs les Ministres,

Pendant trois années consécutives, (1907, 1908, 1909), vous avez bien voulu me charger de mission d’études dans nos possessions d’Afrique du Nord et faciliter ainsi l’enquête minutieuse, approfondie, à laquelle en quittant le Parlement, j’avais décidé de me livrer sur leur actuelle situation. Ce que j’avais fait comme officier en Afrique occidentale, comme député à Madagascar, vous m’avez mis à même de le faire en Algérie, en Tunisie, et au Maroc. … J’ai sincèrement et impartialement consigné tous les résultats de mes longues observations.

Je dis tous car il ne m’est jamais venu à l’idée que le fait d’avoir été honoré de votre confiance pût m’inciter à dissimuler ou même à atténuer une parcelle de ce que j’ai vu, étudié, consigné dans mes notes, et que j’ai le devoir de faire connaître à vous-mêmes et au pays…Vous connaissiez assez l’indépendance de mon caractère et je connaissais trop la noblesse du vôtre pour qu’il pût se passer entre nous rien qu’il ne soit digne d’un homme libre et d’un citoyen français… S’il est malheureusement de nombreux plats valets qui visitant aux frais de la princesse et sous prétexte de mission nos colonies, trouvent que tout y va pour le mieux, et puisent, aux sources mêmes de l’administration, la matière de leurs rapports, vous saviez que je ne pouvais être de ceux-là. » 16

La Régence de Tunis était dirigée par un bey, vassal nominal du sultan de Turquie avant 1881. La France présente en Algérie souhaitait y établir son influence en favorisant l’attribution de gros emprunts au souverain pour des travaux d’utilité publique. Les convoitises de l’Italie sur le pays, les retards du paiement des intérêts des emprunts, les incursions répétées des Kroumirs tunisiens en Algérie servirent de prétexte au gouvernement de Jules Ferry pour organiser une expédition militaire qui contraignit le bey à signer un traité de protectorat au palais du Bardo le 12 mai 1881. La Tunisie conservait son administration locale surveillée par des contrôleurs civils français répartis dans le pays qui rendaient des comptes au résident général représentant de la France auprès du bey.

Vigné dénonce les abus de l’administration beylicale tunisienne « protégée » par les Français et les spoliations des meilleures terres de ce pays par des affairistes de tous poils. Révolté par le sort qui est fait aux populations les plus modestes, il clame son indignation et n’épargne pas les Tunisiens corrompus qui exploitent leurs compatriotes. Il attaque d’après leur ordre de malfaisance, strictement catalogués, les bachaghas, les aghas, les caïds, les contrôleurs civils français leurs complices, les cheikhs et les khalifats leurs subordonnés, les Juifs 17 et les grands colons. Poursuivant son enquête, Paul Vigné ne ménage pas son ami Stephen Pichon, ministre des affaires étrangères qui subventionnait ses missions et qui a dû amèrement le regretter.

Au retour de sa troisième mission au mois de juin 1909, désireux de se rendre compte de la situation financière de la Régence et de celle de ses travaux publics, il tomba sur des comptes rendus de la Conférence consultative pour les années 1907, 1908 et 1909 et lut, stupéfait, les déclarations du directeur des travaux publics sur un projet d’emprunt de 75 millions contracté par la Régence. Les chemins de fer entraient dans ce chiffre pour 11 millions seulement. Suivant les ordres du Ministre Pichon, le directeur avait été prié de le rejoindre avec un rapport de présentation du projet pour le Parlement français.

« J’éprouvais une navrante surprise devant la découverte de ce document car j’aimais beaucoup et j’estimais encore plus Stephen Pichon. Jadis comme journaliste talentueux il avait toujours plaidé les plus généreuses causes, défendu les humbles et les opprimés. J’avais été heureux, au cours de mes trois enquêtes, non seulement de ne rien relever contre lui, mais au contraire de trouver de ci, de là des traces bienfaisantes de son séjour en Tunisie… Il ne possédait aucun hectare de terre dans la Régence, n’avait aucun intérêt dans ses mines ; et, de toutes ces constatations, j’avais éprouvé au fond de moi-même un certain plaisir. Cela me faisait presque comprendre pourquoi, me connaissant, n’ignorant rien de mon passé, il n’avait pas hésité à m’investir d’une mission qui me permettrait d’étudier l’Afrique du Nord et, par simple logique, de ne point celer ce que j’aurais vu. Mon navrement était donc d’autant plus profond qu’à la sympathie et à l’estime venait de se joindre la reconnaissance, sentiment si doux pour quiconque a un peu de cœur. J’hésitai donc quelque temps à rendre publique cette partie de mon enquête, puis, après mûre réflexion, seul en présence de ma conscience, je me rappelai que l’amour du vrai doit dans le cœur d’un honnête homme l’emporter sur toutes les amitiés. Amicus Plato magis amica Veritas. Et c’est pourquoi j’ai écrit ceci. » 18

Le rapporteur qui n’avait plus rien à perdre poursuivit sa vindicte et s’en prit au mouvement des « Jeunes Tunisiens » créé en 1907 et qu’il accusa de trahir les intérêts des plus défavorisés.

L’ensemble de la Sueur du Burnous est de la même veine. On est subjugué par la passion du propos. La parution du livre, plus encore que celle de la Gloire du Sabre suscita la tempête, admirative et approbatrice des milieux d’extrême gauche anticolonialistes, indignée dans le camp opposé qui considérait l’auteur comme un forcené. Dès lors, à l’exception des socialistes jaurésiens qui l’avaient accueilli, le reste de la classe politique fit son possible pour l’éviter et le réduire au silence. Après de tels propos, considéré comme dangereux, l’ancien député de Lodève fit l’objet d’une surveillance étroite de la part des autorités. Le 8 décembre 1911, le groupe socialiste décida d’interpeller le gouvernement sur le cambriolage de son appartement, convaincu que les services secrets étaient à la recherche de documents compromettants. (Fig. 9)

Paul Vigné d’Octon fait la Une du périodique Les Hommes du jour, n° 176 du 3 juin 1911
Fig. 9 - Paul Vigné d’Octon fait la Une du périodique Les Hommes du jour, n° 176 du 3 juin 1911. L’article d’accompagnement est signé de Louis-Frédéric Rouquette (Source : Gallica)

Quand éclata la guerre de 1914-18, Paul Vigné d Octon avait 55 ans. Mobilisé à l’arrière à cause de sa surdité, il fut affecté comme médecin de 2e classe aux services des hôpitaux du camp de Toulon, puis comme médecin-major à la batterie de Carqueiranne. Anémié par des crises de paludisme récurrentes, il fut réformé en 1916. A la fin de 1919, Nguyen Aï Quoc le futur Ho-Chi Minh de passage en France et qui lisait ses articles, le rencontra et travailla assidûment à la Bibliothèque nationale en suivant ses conseils pour préparer son livre les Opprimés ébauche probable du futur Procès de la Colonisation.

Des historiens se sont interrogés sur l’anticolonialisme de Paul Vigné d’Octon. Pour Jean Suret-Canale (1921-2007) géographe, membre du parti communiste, ancien professeur à Dakar et Conakry, il n’y a pas de doute 19. Il rappelle que l’idée coloniale dans le dernier quart du XIXe siècle était pour l’essentiel défendue par une bourgeoisie républicaine, progressiste mais affairiste représentée par Jules Ferry. L’extrême gauche radicale et socialiste combattait surtout l’entreprise coloniale pour dénoncer les affairistes qui sacrifiaient à leurs profits les soldats envoyés en Afrique et en Asie. Une certaine droite s’opposait aussi à la colonisation au nom de la priorité donnée à la reconquête de l’Alsace-Lorraine. Vigné d’Octon dans La Guerre du Sabre n’analyse pas le phénomène colonial, mais dans la Sueur du burnous, il condamne le système d’administration et d’exploitation de la colonisation française en Tunisie. On ne peut lui dénier le qualificatif d’anticolonialiste estime Suret-Canale.

Henri Brunchswig 20, un des plus grands historiens de l’Afrique noire selon Léopold Sédar Senghor et admiré par Fernand Braudel, le trouve trop polémique. Il se contente surtout de décrire et de dénoncer les excès de la conquête, sans jamais mettre en question le principe même de la colonisation. C’est pourquoi écrit-il, « l’Histoire soucieuse de dégager les idées générales, n’a pas retenu son nom. »

Les deux pamphlets La Gloire du Sabre et La Sueur du Burnous restent les œuvres les mieux connues de Vigné d’Octon parce qu’elles continuent d’animer les polémiques sur la colonisation. On ne s’intéresse à lui qu’à travers ce prisme.

Le député de l’Hérault avait épousé les idées de son père à une époque où la République était loin d’être considérée comme étant la norme. Humaniste, latiniste et helléniste, il choisit la médecine militaire afin de soulager l’humanité souffrante. Son désir d’écriture et de parcourir le monde l’incitèrent à partir pour les colonies, convaincu qu’il allait apporter aux peuples africains ce qu’il y avait de mieux dans sa culture. Ce qu’il y a vu l’a profondément choqué et il s’en est fait le témoin. Homme politique, il s’est placé du côté des Républicains soucieux de justice.

On comprend mal pourquoi cette personnalité héraultaise et montpelliéraine de premier plan aux facettes multiples, médecin naturiste, romancier de talent, homme politique, pamphlétaire virulent, soit méconnue à ce point aujourd’hui dans notre département, notamment par ceux et celles qui partagent ses convictions. Il est vraisemblable que son esprit si peu conformiste choque encore. Si la lecture de cet article permet de le mieux connaître, alors l’objectif est atteint.

BIBLIOGRAPHIE

Vigné d’Octon, Paul, La sueur du burnous, Les Crimes coloniaux de la IIIe République, Éditions Les Nuits rouges, mars 2001.

Roche, Christian, Paul Vigné d’Octon, 1859-1943, Les combats d’un esprit libre, de l’anticolonialisme au naturisme, Éditions L’harmattan, 2009.

Roche, Christian, « Paul Vigné d’Octon et le Naturisme », Études Héraultaises, N° 44-2, 2014.

Rupp, Marie-Joëlle, Vigné d’Octon, Un utopiste contre les crimes de la République, Éditions Ibis Presse, 2009.

NOTES

1. Vigné d’Octon est son pseudonyme d’écrivain attribué par l’un de ses éditeurs.

2. A.D. de l’Hérault, 1 E 1171. Extrait du Journal d’un marin.

3. Andréani, Roland, « Le bon prêtre dans l’œuvre romanesque de Paul Vigné d’Octon », Comité des travaux historiques et scientifiques, Congrès de Clermont- Ferrand, 1995.

4. A.D. de l’Hérault, 1 E 1200. Quarante ans de vie publique.

5. A.D. de l’Hérault, 1E 1200.

6. A.D. de l’Hérault, 1E 1200.

7. A.D. de l’Hérault, 1E 1201. Quarante ans de vie publique.

8. Id.

9. Id.

10. A.D. de l’Hérault ,1 E 1181.

11. A.D. de l’Hérault, 1 E 1180.

12. A.D. de l’Hérault, Le Petit Méridional du 13 mai.

13. Urbain Gohier (1862-1951). Pamphlétaire infatigable, dreyfusard, antisémite, antimilitariste et socialiste. Il soutint Dreyfus principalement par antimilitarisme. Compromis avec le régime de Vichy, il fut condamné en 1944.

14. La Gloire du Sabre, Éditeur Quintette, 2000, Coll. Latitudes, Première partie, « En Colonne ».

15. Gustave Hervé (1871-1944) professeur d’histoire, adhérent de la CGT, condamné à plusieurs reprises à la prison pour ses prises de position contre l’armée était dans les années 1904-1914, l’animateur d’une tendance extrémiste de la S.F.I.O. qui prônait l’antimilitarisme, le pacifisme et l’action insurrectionnelle Il voulait voir l’Internationale organiser la grève générale en cas de guerre. Devenu partisan de l’Union sacrée pendant la guerre de 1914-18, le journal changea d’orientation en 1916 avec un nouveau titre La Victoire. Vers les années 1930, Hervé partisan d’un socialisme national qui condamnait le nazisme et l’antisémitisme évolua progressivement pour la mise en place d’un régime politique autoritaire.

16. La Sueur du Burnous. Les crimes coloniaux de la IIIe République, Éditions les nuits rouges, 2001, p. 9-10.

17. Dans la mesure où certains Juifs fortunés étaient au service de l’administration financière et fiscale du bey : le receveur des impôts appartenait à cette communauté et avançait parfois des sommes considérables nécessaires au paiement de ses troupes.

18. La Sueur du Burnous, p. 21.

19. Suret-Canale, Jean, « L’anticolonialisme sous la IIIe République : Paul Vigné d’Octon », Cahiers internationaux, 1959, 107, pp. 57-62 ; Recherches Africaines, Conakry 1959, 1-4, pp. 23-24 ; Afrique Noire, l’ère coloniale 1900-1945, Éditions Sociales, Paris, 1971.

20. Brunchswig, Henri, « Vigné d’Octon et l’anticolonialisme sous la IIIe République (1871-1914) », Cahiers d’études africaines, 1974, XIV, 54 2, pp. 265-298 ; réponse dans Jean Suret-Canale : « A propos de Vigné d’Octon : Peut-on parler d’anticolonialisme avant 1914 ? » Cahiers d’Études africaines, 1978, XVIII, 67-70, pp. 233-239 ; Henri Brunchswig, Le partage de l’Afrique Noire, Flammarion, 1999.