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Description

« Mon fief de Carescauses » Anatomie d’une micro-seigneurie
des campagnes urbaines de l’ouest de Montpellier

Université de Caen (HisTéMé, UR 7455), ATER Université Savoie – Mont Blanc, campus Chambéry

Caroscausos,
Ayssi dins aquest mas lou sejour ourdinari
d’un esprit amouroux, revaire, soulitari,
la naturo proudiguo a vougut coumpassa
un lioc lou pus poulit qu’on se posquo pensa.
La fon primieiroment qu’oun ses jamay tarido
d’un gazoul delicat ensourcelo l’auzido
e quinte mau qu’on ageo au pres d’aquelo fon
l’on es assegurat de l’y trouba lou son
1

[Carescauses
Ici, dans ce mas, le séjour ordinaire
d’un esprit amoureux, rêveur, solitaire,
la nature prodigue a voulu dessiner
le lieu le plus joli qu’on puisse imaginer.
La fontaine, d’abord, qui ne s’est jamais tarie
d’un délicat gazouillis charme les sens
et, quelque mal qu’on ait, auprès de cette fontaine
on est assuré de trouver le sommeil].

Situé au nord-ouest de Montpellier, sur la rive droite de la Mosson, le petit fief de Carescauses possède des origines médiévales : au XIVe siècle, ce « mas » (manso de Carascausas) dans la paroisse de Juvignac relève de la mouvance de l’évêque de Maguelone 2. Deux siècles plus tard, dès le début de l’époque moderne, tandis que la ville bas-languedocienne affirme progressivement son statut de capitale administrative provinciale, le domaine de Carescauses fait partie d’une constellation de petites dépendances de l’évêché autour de Montpellier, inféodées pour constituer des micro-seigneuries. Celles-ci sont prisées par les élites marchandes et les petits officiers des cours souveraines, qui espèrent accéder à la noblesse ou conforter leur rang par le prestige de la terre 3. Durant les guerres de religion, Jean Libel (vers 1525-vers 1585), seigneur de Carescauses, est conseiller en la Chambre des Comptes de Montpellier : il se retrouve parmi les élites montpelliéraines qui font basculer la cité languedocienne dans le giron protestant 4. Celui-ci partage son engagement pour la Réforme avec Louis de Bucelli, seigneur de la Mosson, petite seigneurie voisine de Carescauses, et rédige des rimes dans lesquelles il appelle ses coreligionnaires à ne se point faire catholiques 5. Quelques décennies plus tard, au début du XVIIe siècle, le « sieur de Carescauses » est le calviniste Jean Allard, premier consul de Montpellier, qui doit faire face à la reprise du conflit religieux lors des guerres de Rohan et démissionner 6. Au milieu du Grand Siècle, la micro-seigneurie est détenue par Jean de Geoffret qui sous-inféode, le 10 février 1661, une parcelle du domaine de Carescauses d’une demi-douzaine d’hectares à Henry d’Engarran, conseiller à la Cour des comptes, aides et finances, lequel donne son nom à cette nouvelle seigneurie. Le domaine de Carescauses et celui de l’Engarran sont séparés l’un de l’autre par le « vallat  » ou fossé des Gousses, qui sert de confront 7.

Sans qu’il soit aisé d’établir des liens de parenté entre les seigneurs successifs ou de recenser systématiquement les mutations entre tenanciers de la seigneurie, deux documents manuscrits inédits permettent d’en savoir plus, à partir de la seconde partie du XVIIe siècle, sur ce petit domaine aux portes de la ville. À partir du début des années 1670, la seigneurie se trouve entre les mains des Moynier, issus de Pierre, écuyer de Lunel marié en 1572 à la fille du marchand montpelliérain Raulin Nicolas, qui parvient à devenir baron de Fourques, non loin de Beaucaire, au bord du Rhône 8. Son fils, Pierre II de Moynier (1573-1624), est avocat au présidial de Montpellier et receveur général des gabelles en Lyonnais. Seigneur de Fourques, mais aussi de Celleneuve aux portes de Montpellier, celui-ci est pourvu par lettres patentes de février 1610 d’un office de Trésorier de France au sein du Bureau des Finances de Toulouse. À partir de 1612, la famille Moynier de Fourques est réputée pour son bel hôtel particulier montpelliérain situé dans la Grand’Rue 9. Philippe de Moynier (1615-1676), petit-fils du premier baron de Fourques de la dynastie, participe aux troubles de la Fronde, en combattant notamment sous les ordres de Turenne lors du siège d’Étampes (mai-juin 1652). Le 17 novembre 1673, il baille, ou plutôt « arrente » selon l’expression usitée en Languedoc, la « métairie de Carescauses » 10. Le petit domaine, qui consiste en « maisonnages, terres, vignes, olivettes et autres choses en dépandans », permet alors avant tout de disposer de denrées agricoles à proximité de Montpellier et fonctionne comme une annexe rurale de l’hôtel particulier de la Grand’Rue, mais aussi de la seigneurie de Celleneuve toute proche 11. Quelques décennies plus tard, en octobre 1726, le petit-fils de Philippe, Charles Moynier de Fourques (vers 1685-1745), fait procéder à l’inventaire des biens et des droits du petit fief de l’Ouest montpelliérain 12. À environ cinquante ans d’intervalle, ces deux actes permettent d’interroger la physionomie juridique, économique et paysagère d’une micro-seigneurie proche d’une capitale administrative, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. Localisée dans les campagnes urbaines 13, celle-ci sert avant tout de bien de prestige, plutôt que de bien de rapport. […]

Informations complémentaires

Auteur

Élias BURGEL

Année de publication

2023

Nombre de pages

15