Les stations balnéaires dans l’Hérault au XIXe siècle

* Historien de l’art contemporain, spécialiste reconnu de l’architecture viticole en Languedoc et en Gironde, il s’intéresse également à l’évolution de l’architecture et de l’urbanisme balnéaire en particulier dans l’Hérault. Il a collaboré à plusieurs programmes de recherche dont celui portant sur le Sud Biterrois, financé par la Fondation de France (2016-2019). Il a co-organisé en 2018 le colloque de la Fondation de France à Agde et dirigé un numéro de la revue Le Patrimoine.

Introduction

Pour se représenter le bord de mer héraultais au XIXe siècle, il faut remonter très en-deçà de l’image actuelle, qui est le produit urbanistique de la Mission Racine créée en 1963 pour l’aménagement du littoral languedocien et roussillonnais. Le projet envisage la création et le réaménagement des stations balnéaires pour les inscrire dans des unités touristiques tournées vers une pratique de masse. La Mission Racine bénéficie de points d’ancrage autour de sites déjà exploités par les premières manifestations balnéaires au XIXe siècle : la balnéothérapie se développe sur un front de mer occupé de façon embryonnaire, en des lieux précis, sur laquelle elle se greffe. Cette occupation ancienne, souvent saisonnière, est surtout le fait des communes de l’arc rétro-littoral.

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, l’accès au rivage héraultais demeure malaisé à cause des marécages qui cloisonnent ce monde à part, dans lequel seuls quelques initiés vivotent des produits arrachés à la nature. La domestication du littoral – peut-être plutôt son apprivoisement –, exige des infrastructures diverses : transports, accueil, soins, assainissement, loisirs. L’ambition des projets est liée à la clientèle espérée. De nos jours nous parlerions d’étude de marché et de potentiel. La mise en place de ces infrastructures change le mode d’occupation des lieux. Elle intervient sur la morphologie des espaces, transforme le paysage et l’imbrication des éléments. (Fig. 1) Quels furent le contexte, les conditions et les réalisations d’une pareille entreprise ? La réflexion qui suit s’efforce d’y répondre.

Forts, redoutes, phares et ports au XIXe siècle. © Llewella Maléfant et Dominique Ganibenc
Fig. 1 Forts, redoutes, phares et ports au XIXe siècle.
© Llewella Maléfant et Dominique Ganibenc

Occupation ancienne et avènement de la balnéothérapie

Les occupations anciennes ont peu d’influence sur le paysage côtier, sinon de le rendre praticable en certains endroits, et souvent de façon saisonnière. Le XIXe siècle, avec la création des stations balnéaires, marque une évolution dans le procédé de domestication des lieux.

L’espace d’avant les stations

Le littoral héraultais est bas, sablonneux et marécageux. Son lido est dessiné de lignes droites et de courbes ponctuées de rares reliefs. D’est en ouest, il se signale par les graus de Carnon et de Palavas, le rocher de Maguelone, le grau de l’étang de Thau, la montagne de Sète, les petites falaises d’Agde, l’îlot de Brescou, l’embouchure de l’Hérault, les graus du Libron et de Sérignan, l’embouchure de l’Orb.

Long de 106 kilomètres, le rivage, du Vidourle à l’Orb, est ponctué d’espaces lagunaires divisés par les ruisseaux et fleuves côtiers (Salaison, Lez, Mosson, Hérault, Libron) et ouverts de passes plus ou moins praticables par lesquelles communiquent les étangs avec la mer, tels les étangs de l’Or (Mauguio), de Pérols, de Maguelonne, de Vic, d’Ingril, etc. ; l’étang de Thau avec plus d’une quinzaine de kilomètres de long et 7 500 hectares est le plus important. L’occupation ancienne de ce littoral, surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, répond à d’autres préoccupations que les loisirs :

  • la défense côtière, avec la construction de forts (Brescou, Richelieu, etc.) et de redoutes (Ballestras, Castellas, Grand Travers, Valras, etc.) 1,
  • la pêche et le commerce, avec la construction du port de Sète,
  • le maintien de communautés de taille variable (Agde, Balaruc, Bouzigues, Marseillan, Mèze, Palavas, Valras) et le creusement de canaux dont le canal des Étangs voulu par les États du Languedoc, pour faciliter la navigation au travers des étangs 2.

À ces éléments d’occupation des lieux et de passage s’ajoutent la saliculture 3, le pacage, la mise en culture de terres asséchées qui assurent une présence humaine saisonnière et sédentaire. Cependant, il faut attendre la construction des premières stations balnéaires au XIXe siècle pour amorcer ce qu’il est convenu d’appeler « la littoralisation du bord de mer ». (Fig. 2)

Aménagement et desserte du littoral héraultais au XIXe siècle. © Llewella MALÉFANT et Dominique GANIBENC
Fig. 2 Aménagement et desserte du littoral héraultais au XIXe siècle.
© Llewella MALÉFANT et Dominique GANIBENC

La balnéothérapie et ses premières réalisations

C’est d’abord en Angleterre que le bord de mer, cet espace liminaire entre la terre ferme et les flots, est reconnu comme un lieu vertueux. Et ce, à l’initiative du docteur Richard Russel 4, qui dans les années 1750 codifie des pratiques somatiques, des manières de se baigner dans une mer froide et agitée : c’est le fameux bain à la lame. Celui-ci est pratiqué en premier lieu par les membres de la famille royale anglaise et de la noblesse.

En France, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, les lettres patentes de Louis XVI, datées du 10 décembre 1785, autorisent à Boulogne la construction d’un établissement pionnier dédié à la pratique des bains à objectif 5 thérapeutique. L’instabilité politique de la période n’est guère propice à son épanouissement. Il faut attendre la Restauration pour que se précise cette nouvelle approche médicale dont le noyau initial, sous forme de bains organisés, paraît se situer à Dieppe (1822) et Boulogne (1825). Elle est à l’origine des premières occupations modernes de ces lieux sauvages appartenant alors au domaine maritime public et au domaine militaire. La Monarchie de Juillet lui est plus propice. Cependant, elle se développe surtout sous le Second Empire et la Troisième République. Elle gagne les côtes méridionales, et intègre à sa clientèle aristocratique les membres de la haute bourgeoisie.

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la visée thérapeutique est concurrencée par les conditions du séjour. L’accent est mis sur les charmes de la villégiature, même si l’établissement des bains demeure la raison d’être d’une station balnéaire. Celle-ci est souvent aménagée près d’une ville ou un port préexistant : (Dieppe, Étretat ou encore Trouville), avec lequel elle cohabite, mais d’autres sont créées ex-nihilo, comme c’est le cas un siècle plus tard avec la Mission Racine.

Leur création dépend étroitement de l’existence de moyens de transports. Sous le Second Empire et la Troisième République, la multiplication des lignes de chemin de fer permet aux projets de se réaliser, les bateaux à vapeur assurant quelques destinations par mer, telle Le Havre-Trouville. Les stations ne tardent pas à s’égrener le long des côtes de la Manche : (Boulogne, Cabourg, Calais, Dieppe, Honfleur, Le Havre, Le Tréport, Sainte-Adresse, etc.), et de l’Atlantique : (Arcachon, Biarritz, Le Croisic, Les sables d’Olonne, Pornic, etc.). En Méditerranée, à l’exception de celles de la Côte d’Azur, les stations de première importance s’avèrent plus rares, du moins pour la côte héraultaise, qui n’a guère que Sète à faire valoir.

Découverte du lieu et domestication du littoral

La découverte du lieu, son aspect paysager, son accessibilité et ses possibilités d’exploitation sont primordiaux dans le projet de création d’une station balnéaire.

Découverte et divulgation

La création d’une station balnéaire est tributaire, en amont, de la découverte du lieu, vierge ou partiellement occupé, où elle doit être implantée. Ces contrées à demi-sauvages, qui couvrent en grande partie la côte, accueillent de modestes agglomérations constituées principalement de cabanes de pêcheurs. Elles sont signalées bien souvent par un voyageur de passage, qui malgré sa communication, demeure étranger au futur aménagement du site. Il s’agit le plus souvent d’un écrivain ou d’un peintre qui transmet en toute innocence, son enthousiasme pour l’endroit qu’il vient de découvrir.

Découvrir, comprendre, restituer… qui mieux qu’un artiste peut s’acquitter d’une telle tâche au long du XIXe siècle ? C’est ainsi qu’en 1825, Charles Mozin, au cours d’un de ses périples, atteint Trouville, alors modeste regroupement de cabanes situées au bord de la mer. Henry Auxcouteaux de Conty (1828-1896) en témoigne un demi-siècle plus tard : « […] qu’était Trouville avant les tableaux de Mozin, d’Isabey et les spirituelles chroniques d’Alexandre Dumas ? Rien qu’un simple village aux chétives cabanes qui abritaient de pauvres pêcheurs » 6. Après « l’artiste-pionnier », et le début de publicité du lieu apporté par ses écrits ou ses représentations, estivants et promoteurs viennent s’enquérir du site. Son exploitation ultérieure exige dès lors l’association de plusieurs partenaires : industriels, banquiers, sociétés de transport, de travaux publics, du bâtiment 7. Le passage du domaine public au domaine privé qui voit l’État concéder une partie du rivage est réalisé grâce à l’ordonnance royale du 23 septembre 1825. À cette époque, le promoteur est loin d’être assujetti aux règlements actuels, ni même aux lois sur l’urbanisme votées après la Première Guerre mondiale. Malgré quelques servitudes présentes dans le cahier des charges, il agit dans une grande liberté de conception. Le but étant de rendre agréable le séjour envisagé. Avant que ne s’élèvent les premiers bâtiments, les travaux de terrassement, l’aménagement de plages, les apports de terre, les plantations d’arbres et de végétaux, l’endiguement de la côte, la création d’une voierie, le creusement de bassins participent à créer un nouveau paysage.

Une occupation inégale

La conquête des lieux procède d’une échelle de gradations dont les diverses étapes : découverte, fréquentation, occupation et exploitation sont au cours de l’histoire tour à tour réalisées, abandonnées et reconduites. Au XIXe siècle, le rivage héraultais possède toujours de longs espaces sauvages, et non « reconstitués » comme souvent aujourd’hui. Cependant, l’image d’un cordon désertique lui sied mal car certaines de ses plages sont fréquentées par une population autochtone. Celle-ci, profitant d’une mer paisible et de la générosité du climat, s’adonne au plaisir des bains de mer dans le seul but de vivre un instant de détente et de bien-être. Aux regroupements sporadiques des premiers temps succède une présence saisonnière favorisée par l’occupation d’abris de fortune, souvent des cabanes de roseaux ou de planches, que se partagent pêcheurs et estivants. Certains lieux intéressent entrepreneurs et hommes d’affaires qui y créent des stations balnéaires : Balaruc-les-Bains (station thermale), le Grau-d’Agde, Palavas-les-Flots, Valras-Plage ; la ville de Sète, de par son ancienneté, est un cas particulier. Les plages de Carnon, de Maguelone, de Frontignan, de Mèze, de Marseillan et d’autres lieux, si elles offrent leur étendue aux baignades spontanées, mettent plus de temps pour agréger un noyau de vie permanent et attirer les investisseurs. (Fig. 3 et 4)

Les stations balnéaires au XIXe siècle en Languedoc et Roussillon. © Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT
Fig. 3 Les stations balnéaires au XIXe siècle en Languedoc et Roussillon.
© Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT
Les bains de mer au Grau d’Agde en 1910
Fig. 4 Les bains de mer au Grau d’Agde en 1910

Entre les stations balnéaires, s’implante au pied des dunes du cordon littoral, un habitat précaire et illégal, construit avec une grande variété de matériaux. Certains de ces abris sommaires sont démontés à la fin du séjour. Les autres sont confiés aux intempéries avant d’être réparés la saison suivante. Les occupants proviennent des communes voisines de la zone rétro-littorale, comme Lunel, Lansargues, Mauguio, Baillargues, etc. La plupart de ces agglomérations ont sur leur territoire des « marais habités » dont les constructions appartiennent aux éleveurs de chevaux et de taureaux, aux pêcheurs, aux chasseurs et aux amoureux des lieux. Les simples cabanes en planches goudronnées, tapies au cœur des roseaux, ont presque toutes disparu. Des constructions en pierre ou en agglos, étrangères pour la plupart à la fée électricité et à l’eau douce, occupent les bords des roubines sur leur lopin de terre asséchée. Un négafol8 amarré à sa partègue9 évoque l’usage du lieu.

Néanmoins il est à rappeler que cet ensemble lagunaire, rendu inhospitalier en bien des endroits par les miasmes de matières putrides, peut s’avérer malsain, d’autant plus que les égouts des villes voisines et celles situées en amont, telles Montpellier, Agde, Béziers, se déversent dans les fleuves côtiers jusque dans la première moitié du XXe siècle. Un autre inconvénient majeur est la présence des moustiques sur le cordon littoral et ses marais dès la tombée de la nuit, ou par temps couvert. Tel est l’espace et les conditions dans lesquels les premières stations balnéaires héraultaises sont créées au cours du XIXe siècle. Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle et l’épandage par avion de doses massives de DDT pour démoustiquer le littoral 10.

Organisation d’une station et fréquentation des lieux

À l’origine la création et l’organisation d’une station balnéaire relèvent des mêmes attentes qui ont promu l’avènement des villes thermales : médicales, mondaines et ludiques. La satisfaction de ces attentes influe fortement sur le programme des infrastructures de la future station, tant dans leur diversité que dans leur représentation architecturale. L’occupation du littoral héraultais développe, au cours de son histoire, des programmes adaptés aux classes sociales qui les fréquentent au fur et à mesure de la démocratisation de la pratique.

Des infrastructures de soins et de villégiature

La réussite du projet balnéaire passe surtout par différentes offres de soins et éléments de bien vivre, en conformité avec les ambitions et l’attente d’une clientèle de choix. Ainsi, établissements de bains, hôtels, casinos, promenades, parcs s’avèrent-ils comme des invariants auxquels viennent se greffer, allées cavalières, courts de tennis, bassins de jeux nautiques, hippodromes, selon la politique du projet et les possibilités du lieu. À l’espace de sociabilité qu’elle propose, la digue du bord de mer impose une présence protectrice pour les stations du rivage de la Manche et de l’Atlantique dont les flots sapent les enrochements. Lieu de représentation pour les saisonniers en mal de mondanités, son parcours s’enrichit de divers éléments propres aux rencontres : kiosques à musique, espaces de repos, fontaines, points de vue. Souvent une estacade (jetée à claire-voie formée de grands pieux) trace son « chemin de mer », donnant un sentiment de grand large au promeneur qui s’y aventure.

Dans les années 1840, l’établissement de bains, épicentre de la station, regroupe plusieurs activités, une aile est occupée par l’hôtel, l’autre est dédiée aux commerces et aux lieux de sociabilité : l’une et l’autre étant reliées par des galeries aménagées en vérandas. Sous la Troisième République, les programmes accordent plus volontiers un espace à chaque fonction. Le casino s’affirme comme l’édifice représentatif d’une certaine mondanité et rayonne de par la qualité architecturale de sa construction et sa monumentalité. Son emplacement, qui le met en valeur, renforce sa présence ainsi que son apport au prestige de la station.

Avant que ne s’élèvent les nombreuses villas particulières qui témoignent de la réussite des stations, estivants et pensionnaires saisonniers vivent dans des hôtels luxueux où ils retrouvent le cadre et le train de vie qui leur sont propres. Espace privilégié avec vue sur la mer, l’hôtel conforte par son architecture savante, ses volumes et sa mise en scène, l’image de la station. Occupant les intervalles vacants entre les éléments publics que sont l’établissement de bains, le casino, le théâtre et l’hôtel, les villas participent à la matérialisation du front bâti élevé face à la mer, avant de constituer un deuxième et troisième front, en s’éloignant du rivage.

L’occupation de lieux choisis, alors presque vierges, points de contact entre la terre et l’eau, fait sortir des sentiers battus et permet un mode de vie partiellement libéré des conventions usuelles qui ont cours dans les villes. Dès la fin du XIXe siècle, cette quête rejaillit sur l’architecture balnéaire qui court après sa propre expression. Les maîtres d’œuvre bénéficient d’une liberté de conception inhabituelle. S’ils œuvrent sur des programmes plus modestes, comparés aux projets de construction de châteaux, ils s’ingénient néanmoins à placer tous les éléments propres à une architecture savante faisant souvent référence à un éclectisme assumé. Leur langage aux éléments classiques, pittoresques, exotiques, puis quelques décennies plus tard Art nouveau et Art déco donne à feuilleter sur les fronts de mer, un véritable catalogue.

Une clientèle liée aux commodités de transports

Entre les stations créées durant la décennie 1840 et celles qui le sont sous la Troisième République, le glissement vers le ludique est réel, comme est réel l’étalement du champ géographique de leur implantation, bien que la fréquentation des sites balnéaires soit toujours le fait d’une société huppée. Une des raisons de cette progression est l’accentuation du cosmopolitisme de ses représentants, notamment pour les stations de la Côte d’Azur, où les séjours hivernaux et estivaux accroissent le brassage.

À l’ouest, dans les Pyrénées-Atlantiques, sur le Golfe de Gascogne, la station balnéaire et climatique de Biarritz à ses heures de gloire, avec la venue de l’Impératrice Eugénie dont la présence en fait une station en vogue. Rien de tel concernant la fréquentation du rivage héraultais et du Languedoc en général qui demeure encore trop mal desservi et n’attire en règle générale qu’une clientèle de proximité. Dans l’Hérault, les estivants du Montpelliérais se partagent entre Sète et Palavas : ceux d’Agde fréquentent leur grau ; ceux du pays biterrois prennent leur villégiature à Valras. Cette pratique est la même dans les départements voisins. Dans le Gard, la station du Grau-du-Roi accueille les estivants venus de Nîmes mais aussi d’Alès et d’Uzès ; alors qu’à l’ouest, dans l’Aude, Gruissan reçoit la clientèle de la bourgeoisie du pays narbonnais.

Au milieu du XIXe siècle les moyens de transport ne sont pas encore universels et leur mode est conditionné par les caractéristiques du lieu. Pour Palavas, les premiers touristes en provenance de Montpellier doivent emprunter le bac. Celui-ci poursuit quelque temps son service après la construction d’une route, en 1851. Le « petit train de Palavas » donne ses premiers tours de roue vingt ans plus tard, en 1872, alors que Sète est reliée à Montpellier dès 1839, à Nîmes en 1845, et à Marseille en 1858. Côté ouest, la ligne Bordeaux-Sète est inaugurée le 22 avril 1857 11. Pour les autres stations, le transport recourt à la traction animale publique. Ce moyen fonctionne pendant près d’un demi-siècle, (1890-1930) entre Agde et son grau, doublé par le service des bateaux à vapeur, à partir de 1900. La traction animale privée est utilisée par les membres de l’aristocratie qui font « prendre le trot » à leurs beaux équipages avant que leurs automobiles rutilantes ne viennent, au siècle suivant, soulager les quadrupèdes. Le bord de mer héraultais, outre la station de Sète, possède des réalisations de diverses importances : Palavas, Balaruc, Marseillan, Mèze, Grau d’Agde, Sérignan (Valras), dont les équipements sont plus ou moins importants ou aboutis. Certaines d’entre elles, comme Sète et Palavas, ne craignent pas de se proclamer dans leur brochure publicitaire « Reine des plages de la Méditerranée ».

À propos de quelques stations balnéaires

Au XVIIIe siècle, la carte de France de Cassini signale une redoute sur le site désert du futur Valras, et une chapelle dédiée à Saint-Martin-de-Valeras, plus éloignée dans les terres. Dès 1845, un groupe de baigneurs est remarqué, l’été. Quant aux pêcheurs, ils viennent camper le temps de leur saison de pêche qui s’étire du printemps à l’automne. La construction d’une route en 1854 reliant Béziers et Sérignan au bord de mer, favorise la fixation et le développement des deux pratiques qui vont demeurer duelles jusque dans l’emplacement de leurs constructions respectives. Dès 1856, à côté des cabanes de pêcheurs, cinq hôtels et des établissements de bains alignent leurs cabines de bois et de toiles en limite de rivage. La fréquentation du lieu est avant tout saisonnière et la présence à l’année peu nombreuse : 21 personnes en 1851, 74 en 1856 12.

Valras, qui est créée en 1931 aux dépens de la commune de Sérignan, ne bénéficie d’aucune ligne de chemin de fer. Envisagée en 1865, la liaison Béziers-la-Mer n’est pas créée. Dix ans plus tard, une ligne par tramway est projetée, qui utiliserait le procédé, inventé en 1853 par Alphonse Loubat. Il consiste dans la mise en place sur route d’un rail plat avec gorge. La ligne est inaugurée le 26 juillet 1879 et possède des rames composées de deux voiturettes tractées par une motrice à vapeur. Suite à des difficultés d’exploitation, le trafic est interrompu en 1881. Sa réouverture en 1883 consacre le retour à la traction animale. Ce tramway hippomobile demeure en service jusqu’en 1901. Le 16 septembre de cette année-là, des motrices électriques entrent en fonction. Comme celui du grau d’Agde, le tourisme valrasien est très populaire. Le développement de la station ne profite pas des capitaux qui sont investis plus généreusement à Palavas où la Société anonyme des bains de mer de Palavas, créée en mai 1873, a pour objet l’acquisition de terrains sur la plage, la construction et l’exploitation d’un établissement de bains de mer, d’un casino et d’autres équipements 13.

Le réseau ferré au XIXe siècle en Languedoc et Roussillon. © Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT
Fig. 5 Le réseau ferré au XIXe siècle en Languedoc et Roussillon. © Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT
Le Grand Hôtel de Palavas-les-Flots. © Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT
Fig. 6 Le Grand Hôtel de Palavas-les-Flots.
© Stéphane COURSIÈRE et Llewella MALÉFANT

La même année, avec l’aide de Barbeyrac, comte de Saint-Maurice, propriétaire de la quasi-totalité des plages et des étangs de la rive gauche, cette société se lance dans la construction du Grand Hôtel des bains de Palavas sur 3 000 mètres² proches de la gare et de l’établissement des bains sur la plage.

À Valras, le premier établissement de bains avec un casino est établi dans les années 1880. Avec le développement de la station, un second casino est construit en 1907 à l’autre bout de la plage. Sa réalisation qui demande une vingtaine d’années, pousse les responsables à faire prolonger la ligne de tramway jusqu’à lui, avec un terminus en boucle pour permettre le retour. Le nouveau casino est un ensemble monumental composé de trois pavillons reliés entre eux par deux galeries. Le pavillon central, par son volume, domine l’ensemble dont les trois niveaux s’élèvent à partir d’un socle avoisinant les deux mètres de haut, rendu accessible, côté mer, par un escalier majestueux. La façade antérieure donne sur une vaste terrasse panoramique agrémentée d’un jardin décoratif. L’accroissement régulier de la population sédentaire : 340 habitants en 1896, 420 en 1906 incite le clergé à construire une église, en 1913 ; Palavas à la sienne depuis 1841, le Grau-d’Agde depuis 1903.

Le projet du premier établissement de bains de Sète date de juillet 1837, celui du Grau-d’Agde d’octobre 1851. Les deux présentent sensiblement la même architecture et la même composition des corps de bâtiment, suivant les us d’une architecture de bord de mer. Si l’image d’une station balnéaire, comme celle d’une ville thermale, tient au soin apporté à la réalisation et à la mise en scène des édifices et équipements publics, les villas des particuliers disent la classe sociale des estivants. Quelques constructions de prestige s’élèvent dans les secteurs où sont implantées les villas de la bourgeoisie la plus aisée, apportant au lieu leur architecture et leur monumentalité. À Valras, comme au Grau-d’Agde, un peu moins à Palavas (où la haute société montpelliéraine se donne rendez-vous pour organiser des courses de chevaux sur la plage), un fort pourcentage des maisons s’avère modestes. Elles sont construites non pas pour paraître mais pour rapporter un revenu supplémentaire à leurs propriétaires : artisans, commerçants, entrepreneurs qui les louent à des vacanciers. Cette pratique entraîne une démocratisation de la fréquentation des plages héraultaises, qui en cette fin du XIXe siècle, ne peuvent puiser leurs pratiquants qu’à partir du tissu local.

Valras : la rue commerçante vers 1910. (Coll. particulière)
Fig. 7 Valras : la rue commerçante vers 1910.
(Coll. particulière)
Valras vers 1930 : le Casino et les cabines de bains. (Coll. particulière)
Fig. 8 Valras vers 1930 : le Casino et les cabines de bains.
(Coll. particulière)

Conclusion

Hormis Sète qui par la création de son port maritime en 1666 témoigne d’une antériorité, d’un développement et d’une notoriété qui lui sont propres, les autres stations du rivage héraultais appartiennent à une catégorie qui pourrait être qualifiée de moyenne, liée à une bourgeoisie de proximité. Leur éloignement de la capitale les prive d’une fréquentation plus huppée, malgré le climat tempéré et la sérénité de la mer. Les 106 kilomètres de lido et de zones humides accueillent les stations balnéaires de Sète, Valras, Palavas-les-Flots, le Grau-d’Agde dans des endroits plus ou moins assainis. En plusieurs points du littoral (Carnon, Balaruc-les-Bains, Frontignan, Vic, Marseillan-Plage, Mèze) des structures rudimentaires, sans souci de légalité, sont établies par les villageois. Le « royaume du vide » évoqué par Virgile 14 a subi des atteintes, mais possède encore durant les premières décennies du XXe siècle des étendues à l’état quasi naturel. Il est encore loin du « territoire du trop-plein » que va engendrer la Mission Racine.

L’aménagement touristique et de voisinage du littoral héraultais au XIXe siècle, doit être lu comme un comportement hybride, relevant d’installations spontanées qui visent uniquement à l’utilisation du lieu sans souci de légalité, et d’actions programmées pour les projets d’exploitation plus ambitieux. Il en résulte un assèchement partiel des marais, avec modifications hydrologiques et pédologiques. L’adhésion aux nouveaux usages apporte une certaine uniformité d’apparence aux sites. La fréquentation des plages par des baigneurs de plus en plus nombreux et exigeants, requiert une aire où s’ébattre et déambuler avec sécurité, facilité et plaisir. La création d’un tel espace intervient sur le relief et la nature du sol par des détournements de ruisseaux ou leur endiguement, des apports de sable ou des nivellements de dunes. Toutefois, il est à noter que la domestication du littoral héraultais au XIXe siècle, demeure en deçà des pratiques conduites sur d’autres territoires : Côte d’Azur, Manche, Normandie…probablement à cause d’une fréquentation plus modeste. Néanmoins, elle est initiatrice de cette volonté d’occupation du bord de mer, même si sa philosophie est différente sinon étrangère à celle qui sévit un demi-siècle plus tard en Languedoc-Roussillon, en privilégiant un tourisme de masse qui exige l’emploi à outrance du béton et du goudron.

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NOTES

1. CATARINA, 2012 ; MILLOT, 2008.

2. DURAND, 2016.

3. BOUDOU, 1994 ; LEENHARDT, 1939.

4. WIART, 1868, p. 6.

5. Fondé par Cléry de Bécourt, cet établissement, fut approuvé par délibération municipale le 6 novembre 1785, et obtint ses lettres patentes lui accordant un privilège de 100 ans.

6. GOCHET, 1896, p. 289. AUXCOUTEAUX DE CONTY, p. 189.

7. TOULIER, 2016, p. 31.

8. « Noie le fou » en occitan, petite barque à fond plat permettant la navigation sur l’eau peu profonde des marais.

9. Longue perche de bois servant à guider l’embarcation en eau peu profonde.

10. SAGNES, 2001.

11. SERVIÈRES, 1972 ; 1973.

12. AMOUROUX, 1960, p. 68.

13. DOUMENGE, 1951, p. 72.

14. CORBIN, 1997, p. 5.