Le fond Mourgue aux Archives départementales de l’Hérault (167J)
ou l’exceptionnelle ascension sociale d’une famille héraultaise
illustrée par ses archives

Historique du Fonds Mourgue :

Le 27 mars 2008, Gérard Orsel, de Fontainebleau, a donné aux Archives départementales de l’Hérault les archives de la famille Mourgue, originaire de Marsillargues, couvrant une période du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle. La donation et la remise officielle de ce fonds au Conseil général de l’Hérault par Gérard Orsel, descendant de la famille Mourgue, s’est déroulée le 2 mars 2009. Le fonds d’archives, intégré en série J (archives privées), est désormais conservé sous la cote 167 J Fonds de la famille Mourgue.

Les archives de la famille Mourgue, tout à fait remarquables par la richesse des pièces quelles recèlent, ont été classées à la fin du XIXe siècle par Edmond Mourgue (1807-1901), auditeur au Conseil d’État et ancien sous-préfet. Edmond Mourgue était alors le dépositaire des archives de son grand-père Jacques Antoine Mourgue (1734-1818), savant naturaliste et statisticien, ancien ministre de l’Intérieur de Louis XVI en 1792, et de son père Jean Scipion Anne Mourgue (1772-1860), secrétaire du général Dumouriez, secrétaire général du ministère de l’Intérieur (proche collaborateur du ministre Chaptal) puis préfet.

Edmond Mourgue a réalisé un classement chronologique des pièces selon les générations de la famille Mourgue et a rédigé un « Répertoire des archives de la famille Mourgue. Liste générale des dossiers » [1885] (167 J 2) qui structure tout le fonds en reprenant l’analyse très détaillée des pièces. Le système qu’a adopté Edmond Mourgue est organisé en cases (numérotées de 1 à 14), elles-mêmes divisées en dossiers (numérotés de 1 à 80) et sous-dossiers. Le but de ce classement originel était essentiellement généalogique, si bien que dans chaque dossier, Edmond Mourgue a complété les documents par de nombreuses notes manuscrites. Le classement opéré aux Archives départementales en 2009 a consisté à reprendre les dossiers et à les réorganiser en partie pour rétablir certaines inversions chronologiques.

xemple de dossier du Fonds Mourgue analysé par Edmond Mourgue
Fig. 1 - Exemple de dossier du Fonds Mourgue analysé par Edmond Mourgue, 167 J 4, dossier 62-23.

La famille Mourgue : une ascension sociale exemplaire

La famille Mourgue est originaire au XVIe siècle des villages héraultais de Pomérols et Pinet où ses membres sont ménagers. Après les guerres de religion du début du XVIIe siècle, Jean Mourgue s’installe dans les ruines de Mauguio, avec ses 2 fils Jean et Jacques. Toujours mentionnés comme « ménagers », ils achètent une maison. Jean Mourgue père meurt rapidement et Jean Mourgue fils épouse une jeune fille de Marsillargues où il fixe désormais sa résidence.

Une branche de la famille Mourgue, précédemment installée à Marsillargues, y a acquis une certaine aisance. Ses membres, « rentiers de métairie », occupent des charges locales de conseillers politiques, consuls et maires perpétuels. Les Mourgue qui arrivent de Mauguio suivent leurs traces, et l’un d’eux, Jacques Mourgue, épouse en 1728 Claudine Mourgue de l’autre branche.

La famille Mourgue est protestante depuis le XVIe siècle et, malgré les mesures royales de plus en plus coercitives au XVIIe siècle contre la Religion prétendue réformée, elle continue de vivre à Marsillargues dans sa foi protestante. Après la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), certains de ses membres, tel Fulcrand Mourgue, quittent le royaume de France et s’installent en Angleterre. Les archives relatives aux premières générations de Mourgue à Marsillargues conservent plusieurs actes de décès devant notaire destinés à remplacer l’acte paroissial d’inhumation qu’aurait dû établir le curé. Ces actes attestent d’ailleurs que le prêtre n’a pas voulu célébrer d’enterrement faute de « preuves de catholicité » du défunt.

Le premier membre illustre de la famille Mourgue est sans conteste Jacques Antoine Mourgue (1734-1818), ministre de l’Intérieur, homme politique et physicien. Né à Marsillargues le 2 juin 1734, fils de Jacques Mourgue – précédemment cité -, il émigre dans sa jeunesse en Angleterre où il étudie et fait son apprentissage dans les affaires. Le 30 août 1766, à 32 ans, il épouse à Montpellier Jeanne Vialars (1744-1820), fille d’un négociant d’indiennes, Pierre Vialars, et d’Élisabeth Fesquet, fille d’un armateur de Marseille ruiné par la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) et la peste de Marseille (1720). En 1767, il est employé par ses cousins Colombiès et Mourgue, commerçants en tissus, qui tiennent des magasins à Montpellier, Beaucaire, Pézenas et Montagnac. En 1782, associé à son cousin Colombiès, il commandite l’entreprise Boulabert et Garimond qui, poussée par ses succès méridionaux, se voit confier la construction du nouveau port de Cherbourg, dans la Manche. En 1782, une « Compagnie des Entreprises de Cherbourg » est fondée. C’est Jacques Antoine Mourgue qui en a la responsabilité à Montpellier, mais comme « la chaleur du Languedoc l’incommode », il prend peu de temps après la direction du bureau parisien de cette société. Il réside désormais à Paris avec sa famille et voyage fréquemment jusqu’à Cherbourg. C’est lors des travaux du port militaire de Cherbourg que Jacques Antoine Mourgue se lie d’amitié avec le commandant de place Charles François Dumouriez (futur général) qui, en tant que lieutenant du Roi, contrôle les travaux du port pour l’État.

En 1792, Jacques Antoine Mourgue est présenté à Louis XVI par le général Dumouriez, devenu ministre des Affaires Etrangères. Le 13 juin 1792, Jacques Antoine Mourgue est nommé ministre de l’Intérieur par le roi de France en remplacement de Jean-Marie Roland ; 5 jours plus tard, il démissionne de ses fonctions.

Attestation de présence à la Fête de la Fédération (14 juillet 1790)
Fig. 2 - Attestation de présence à la Fête de la Fédération (14 juillet 1790) délivrée à Jacques Antoine Mourgue (21 juillet 1790), 167 J 4, dossier 62-15.
Lettres de provision de Jacques Antoine Mourgue comme ministre de l'Intérieur
Fig. 3 - Lettres de provision de Jacques Antoine Mourgue comme ministre de l'Intérieur en remplacement de Jean-Marie Roland (13 juin 1792), 167 J 4, dossier 62-23.
Minute de la lettre de Jacques Antoine Mourgue donnant sa démission à Louis XVI
Fig. 4 - Minute de la lettre de Jacques Antoine Mourgue donnant sa démission à Louis XVI (16 juin 1792), 167 J 5, dossier 62-31.

Le contexte politique des années 1791-1792 est alors assez complexe. L’Assemblée législative, élue à la suite de la fuite de Varennes en 1791, est divisée en deux blocs : à droite, les Feuillants, décidés à défendre le Roi contre le peuple et, à gauche, les Jacobins, républicains menés par les Girondins. Ce sont les députés girondins qui font prendre des mesures contre les Émigrés (le décret du 9 novembre 1791 enjoint aux Émigrés de rentrer en France à défaut, ils sont déclarés suspects de conjuration) et contre les prêtres (le décret du 29 novembre 1791 ordonne aux prêtres réfractaires de prêter le serment à la Constitution civile du clergé). Le ministère est alors « feuillant » avec Claude Antoine de Valdec de Lessart au ministère des Affaires Etrangères. Le roi oppose son veto à ces deux décrets et les Girondins, en représailles, mettent en accusation le ministre Valdec de Lessart. Le roi, prenant peur, constitue un ministère girondin et nomme Jean-Marie Roland au ministère de l’Intérieur. Le général Dumouriez entre dans le gouvernement comme ministre des Affaires Etrangères le 15 mars 1792 en se targuant de pouvoir établir un équilibre entre la cour et la Gironde.

Ce ministère girondin pousse le roi à déclarer la guerre à l’Autriche le 20 avril 1792. Mais la guerre commence difficilement par des revers en Belgique (28 avril 1792) ; on craint alors une invasion. La reine dévoile les plans de guerre français à l’Autriche. Les Girondins, en représailles, font voter 2 décrets: décret du 27 mai 1792 condamnant les ecclésiastiques non assermentés à la déportation et décret du 8 juin 1792 relatif à la formation d’un camp de 20 000 gardes nationaux aux portes de Paris pour maintenir l’ordre dans la capitale. Le roi oppose à nouveau son veto. Jean-Marie Roland, qui avait protesté par une lettre insolente, est renvoyé le 13 juin 1792. Le général Dumouriez, resté ministre, propose au roi son ami Jacques Antoine Mourgue pour remplacer Jean-Marie Roland au ministère de l’Intérieur.

Le général Dumouriez, dans ses mémoires, rapporte cette nomination en ces termes : « Dumouriez monta le matin (du 12 juin) au château, et proposa au roi pour ministre de l’intérieur, à la place de Roland, Mourgue, de Montpellier, protestant, bon citoyen plein d’esprit et de connaissances, qui avait travaillé à un cadastre de la France, qui était de plusieurs académies, et qui avait de très bons mémoires bien constitutionnels sur la Révolution. Il avait été du club de 1789, et, depuis, de celui des Feuillants il s’en était retiré. Il avait une grande droiture, un travail facile, et un caractère ferme ; il fut agréé ».

(Transcription de la lettre)

« C’est Monsieur de Monciel, président du département du Gard, que j’ai nommé Ministre de l’Intérieur sur votre démission ; Monsieur, dans le peu de temps que vous avez esté en place, je n’ai pas eu le temps de vous connoistre, mais j’ai esté content du zèle que vous avez témoigné en faisant le travail de votre place jusqu’à ce que je vous aie donné un sucesseur ».

[Signé] Louis

Lettre autographe de Louis XVI à Jacques Antoine Mourgue l'informant que, sur sa démission, il a nommé Antoine Marie René Terrier de Monciel
Diplôme de Jacques Antoine Mourgue le nommant membre honoraire de la Société économique de Berne
Fig. 6 - Diplôme de Jacques Antoine Mourgue le nommant membre honoraire de la Société économique de Berne (24 avril 1773), 167 J 4, dossier 62-5.

Le général Dumouriez et Jacques Antoine Mourgue espèrent obtenir du roi la sanction des 2 décrets du 27 mai et 8 juin 1792 mais le Roi refuse. Jacques Antoine Mourgue donne sa démission au roi le 16 juin ; celle-ci est acceptée le 18 juin 1792. Un nouveau ministère feuillant est constitué.

Jacques Antoine Mourgue – qui soutient les idées girondines – doit quitter Paris et s’installe alors au Vigan, dans le Gard, où il réside jusqu’à la chute de Robespierre. En 1795, il regagne Paris et vit l’été dans sa propriété de « La Cossonnerie » qu’il a achetée à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans le canton de Montlhéry. Il s’éloigne désormais des affaires politiques – nommé préfet de l’Escaut en l’an VIII, il décline l’offre – et ne s’occupe plus que de recherches, de bonnes œuvres et de travaux philanthropiques. Depuis les années 1770, Jacques Antoine Mourgue est membre ou correspondant de sociétés savantes à Montpellier (il est même directeur de la Société royale des sciences en 1784), à Nîmes, à Lyon, à Paris, à Berne, à Erfurt…

Sa fortune est compromise par la dévaluation des assignats et les difficultés financières de son fils Jean Scipion Anne Mourgue. Jacques Antoine Mourgue s’adonne à des études économiques et sociales, et ses ouvrages obtiennent un certain succès auprès des spécialistes. Il a notamment publié :

— « Essai sur la quantité de semences la plus avantageuse au produit des récoltes » (1769)

— « Recherches sur le lieu propre à établir un cimetière aux environs de la ville de Montpellier » (1777)

— « Vue d’un citoyen sur la composition des États Généraux » (1788)

— « Faut-il des assignats de petites sommes ? » (1790)

— « Lettre à un cultivateur sur le mode d’imposition foncière décrété par l’Assemblée Nationale » (1791)

— « Un mot et des faits essentiels à observer sur les transactions entre particuliers » (an VI)

— « Convient-il à la France d’avoir un acte de navigation général et infini ? » (an VI)

— « De la France relativement à l’Angleterre et à la Maison d’Autriche » (an V)

— « Observations sur le traité de navigation et de commerce entre la France et la Grande-Bretagne, signé à Versailles, le 26 septembre 1786 » [an V]

— « Essai de statistiques (sur la population et quelques données économiques de la région de Montpellier) » (an IX)

— « Plan d’une caisse de prévoyance et de secours » (1809)

On lui confie des fonctions officielles il est, dès sa formation, membre du Conseil général d’administration des hôpitaux de Paris (an IX) et membre du Conseil d’administration du Mont-de-Piété de Paris (an XII). En l’an IX, il participe en outre, comme fin connaisseur du droit anglais, aux travaux d’élaboration du Code du Commerce, qui ne sera promulgué qu’en 1807.

En 1811, Jacques Antoine Mourgue vend le domaine de Montredon à Marsillargues qu’il avait en partie acquis en 1784. En 1814, Louis XVIII le nomme chevalier de la Légion d’Honneur pour son œuvre auprès des malades des Hôpitaux de Paris.

Jacques Antoine Mourgue meurt d’une « paralysie de vessie » le 14 janvier 1818, à 84 ans. Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, son collègue au Conseil général d’administration des hôpitaux de Paris, prononce son oraison funèbre.

Jacques Antoine Mourgue et Jeanne Vialars ont eu 4 enfants Jean Scipion Anne Mourgue (1772-1860) ; Pierre Eugène Marie Mourgue (1777-1800) ; Jeanne Eglé Fulcrande Catherine Mourgue (1778-1855), qui épouse Philippe Panon Desbassayns, comte de Richemont en 1799 ; Jules Henry Elisabeth Mourgue (1780-1844).

Portrait de Jean Scipion Anne Mourgue (1772-1860)
Fig. 7 - Portrait de Jean Scipion Anne Mourgue (1772-1860), collection privée de Gérard Orsel.

Jean Scipion Anne Mourgue (1772-1860), fils aîné de Jacques Antoine Mourgue, est la deuxième personnalité notable de la famille. Il naît à Montpellier le 21 février 1772 et réalise une partie de ses études en Angleterre. En juin 1792, Jacques Antoine Mourgue, en donnant au Roi sa démission de ministre de l’Intérieur, obtient que son fils soit nommé secrétaire à la Légation française de Londres dont monsieur de Chauvelin est ambassadeur. Les négociations avec l’Angleterre sont difficiles et les rapports entre les deux nations tendus Chauvelin est rappelé. Jean Scipion Anne Mourgue est alors chargé de poursuivre les négociations avec le premier ministre anglais, William Pitt, au sujet de la libération des échanges entre les deux pays. La France conserve cependant une représentation à Londres sous les ordres d’Hugues Bernard Maret (futur duc de Bassano) qui nomme Jean Scipion Anne Mourgue premier secrétaire de légation, puis lui ordonne de rester à Londres comme agent secret. Le 1er février 1793, la France déclare la guerre à l’Angleterre. Jean Scipion Anne Mourgue reçoit une lettre comminatoire du gouvernement anglais l’invitant à quitter le royaume dans les 7 jours. De retour à Paris, Jean Scipion Anne Mourgue est nommé commis principal au ministère des Affaires Etrangères (poste qu’il occupe du 1er juin au 3 octobre 1793).

Le décret du 17 septembre 1793 relatif aux « gens suspects » (les Girondins et leurs amis essentiellement) le force à quitter Paris. Il échappe à la conscription et se réfugie avec son père au Vigan, dans le Gard. Jean Scipion Anne Mourgue devient agent des Poudres et Salpêtres (du 5 août 1794 au 29 avril 1795) et se trouve chargé d’exploiter les forêts-ardoises pour récolter la potasse contenue dans les cendres de bois.

Jean Scipion Anne Mourgue apprend que ses deux jeunes frères et sa sœur, qui poursuivaient leurs études en Angleterre, sont considérés comme « émigrés ». Il n’hésite pas à aller les défendre devant le Comité révolutionnaire et prouve qu’ils sont partis à l’étranger avec un passeport régulier. Il va les chercher à Genève, où ceux-ci attendaient de pouvoir rentrer en France, et les ramène au Vigan.

En 1795, de retour à Paris, il est réintégré dans l’administration comme commis au ministère des Affaires extérieures, poste qu’il occupe du 20 avril au 22 décembre 1795.

Il s’engage ensuite comme simple dragon dans l’armée d’Italie. Il y rencontre un ami de sa famille qui l’emploie comme inspecteur des subsistances (5 février 1797 – 11 novembre 1797), puis comme adjoint au Commissaire des Guerres (1er décembre 1797 – 12 avril 1798). C’est à ce titre qu’il participe à l’occupation de Venise. Venise avait été déclarée neutre dès l’entrée des Français en Italie, mais cette neutralité n’est qu’apparente puisque les Vénitiens coulent un vaisseau français et en massacrent l’équipage. La ville est occupée, la République vénitienne destituée et le Doge contraint de prêter serment de fidélité au représentant de Bonaparte. Le 17 octobre 1797, le traité de Campo-Formio rend Venise à l’Autriche. Jean Scipion Anne Mourgue doit quitter la cité. Il rejoint alors l’armée d’occupation de Rome et de Naples sous le commandement du général Jacques Mac Donald. La division française d’occupation est constamment harcelée par des soulèvements et abandonne finalement le sud de l’Italie pour rejoindre le gros de l’armée dans le Nord.

Jean Scipion Anne Mourgue reste en arrière après le départ des troupes françaises comme inspecteur principal des finances, et bientôt ministre des Finances de la République romaine. La petite garnison française est obligée de capituler sous la pression des insurgés et d’une escadre anglaise. C’est Jean Scipion Anne Mourgue qui est chargé des négociations. Fait prisonnier, il est ensuite rapatrié par les Anglais (1799).

Certificat de François Deforgues, ministre des affaires étrangères
Fig. 8 - Certificat de François Deforgues, ministre des affaires étrangères, attestant que Jean Scipion Anne Mourgue était secrétaire de légation à Londres du 1er juillet 1792 au 1er février 1793, époque de la déclaration de guerre contre l'Angleterre (24 pluviôse an II), 167 J 8, dossier 65-7.

En 1800, le général Louis Alexandre Berthier, ministre de la Guerre, est chargé d’organiser « l’armée de réserve de Dijon ». Il choisit Jean Scipion Anne Mourgue comme inspecteur général des vivres et viandes. Peu à peu, cette armée de réserve passe par petits groupes en Suisse, où elle se reforme sous les ordres de Bonaparte, qui lui fait envahir l’Italie par le Saint-Bernard (15 mai 1800). Jean Scipion Anne Mourgue participe à toute la campagne d’Italie y compris aux combats de Marengo le 14 juin 1800. Après être resté cinq ans en tout en Italie, il y tombe malade et rentre en France.

De retour en France, le ministre de l’Intérieur, Jean Antoine Chaptal – très lié à la société montpelliéraine 1 -, le nomme Secrétaire général de son ministère (22 novembre 1800 – 21 mars 1802), puis chef de la Ve division du ministère (22 mars 1802 – 22 janvier 1804). Jean Scipion Anne Mourgue déplaît à Napoléon Bonaparte, car il a laissé jouer une pièce de théâtre intitulée « Edouard V en Ecosse » qui contient des allusions politiques fâcheuses. Le chef de la Ve division du ministère de l’Intérieur préfère donner lui-même sa démission.

En décembre 1803, il épouse à Paris Elisabeth Fillietaz, fille d’un homme d’affaires internationales genevois, qui possède plusieurs maisons de négoce à Anvers et Lorient, où il est associé à la famille Davillier. Sur son contrat de mariage, il est précisé qu’il possède un domaine à Quadrypse, canton de Bergues, dans le département du Nord, dont il est membre du Conseil Général. Jean Scipion Anne Mourgue entre dans la banque de Jean-Charles Davillier, parent de sa femme, mais y reste peu de temps (Jean-Charles Davillier, futur baron d’Empire et Régent de la Banque de France avait épousé la cousine germaine de Gabriel Fillietaz, père d’Elisabeth).

Jean Scipion Anne Mourgue rassemble des capitaux et fonde en 1807 une filature de coton à Rouval-lès-Doullens (Somme), exploitée sous la raison sociale « Mourgue, Vieusseux et compagnie ». La filature occupe 800 à 900 personnes et produit 500 à 600 kilos de fil par jour. Mais les revers militaires de l’Empire provoquent une crise financière et les premières mesures du comte d’Artois en arrivant au pouvoir en 1814 sont de rétablir l’importation en France des fils de coton anglais. Les affaires de la filature de Rouval ne repartent qu’entre 1816 et 1822 quand le gouvernement établit des primes d’exportation.

Pendant les Cent Jours, Jean Scipion Anne Mourgue est nommé député de la Somme à la Chambre des Représentants. Il semble manquer d’enthousiasme, puisqu’un journal satirique lui décerne le titre de « Chevalier de l’Ordre de l’Éteignoir » qu’il réserve aux bonapartistes un peu tièdes.

Jusqu’en 1823, la filature de Rouval fonctionne bien, mais, alors qu’il se trouve au chevet de son fils gravement malade, Jean Scipion Anne Mourgue apprend que son usine brûle. Il sollicite des subsides auprès de ses nombreux amis, monte une société par actions (les associés commandités sont les financiers Davillier, Ogier et Hottinguer) et, en moins de trois mois, reconstruit son usine. Pour garnir sa nouvelle usine des derniers perfectionnements techniques – que les Anglais veulent garder secrets-, il n’hésite pas, en 1823, à se rendre lui-même en Angleterre pour faire de l’espionnage économique et industriel. Il se fait passer pour un ouvrier anglais, pénètre dans les usines, achète des indicateurs, prend des croquis qu’il rapporte à Rouval, pour faire réaliser des machines modernes. Il débauche même quelques ouvriers anglais. Son usine devient une filature modèle que l’on vient visiter de la France entière.

Vers 1830, une nouvelle crise économique, bientôt suivie d’une crise politique fait basculer la vie de Jean Scipion Anne Mourgue. Resté attaché aux idées libérales et à la maison d’Orléans, il avait créé dans sa région un véritable réseau social d’amitiés hostile aux Bourbons. Dès le début de la Révolution, il mobilise ce réseau orléaniste et réussit à entraver les mouvements de troupes du général Dalton, qui avait reçu l’ordre de marcher pour dégager Paris. Jean Scipion Anne Mourgue est le premier à porter la cocarde tricolore à Doullens et organise une réjouissance populaire quand le duc d’Orléans est nommé Lieutenant général du Royaume.

Parallèlement, la situation financière de la filature de Rouval est catastrophique ; il faut vendre pour rembourser créanciers et actionnaires. L’usine est adjugée au plus offrant Louis Bocking, dit Sydenham (1832).

Jean Scipion Anne Mourgue est à peu près ruiné. Fort heureusement, Jean Scipion Anne Mourgue est admis dans la nouvelle administration de Louis-Philippe. En récompense de son attachement aux causes orléanistes, le roi le nomme préfet de la Loire (du 23 septembre 1830 au 14 mai 1831) où il doit y réprimer une « sédition ouvrière ». Il occupe ensuite le poste de préfet de la Dordogne (du 14 mai 1831 au 14 Juillet 1833), puis de la Haute-Vienne (14 Juillet 1833 au 1er juillet 1835). Lors de son entrée officielle à Limoges, il est reçu par un charivari particulièrement violent qui impressionne fortement sa fille Elisabeth, présente avec lui dans la voiture officielle. En 1833, il est promu officier de la Légion d’Honneur.

Frappé de disgrâce en 1835, il est nommé préfet des Hautes-Alpes (du 1er juillet 1835 au 5 juin 1840). Enfin, en 1840, il est affecté à Paris comme receveur percepteur du 9e arrondissement (de 1840 à 1851) et meurt aveugle le 31 Juillet 1860 dans sa 89e année, à Paris.

Son épouse, Elisabeth Fillietaz, est décédée à Paris en 1840 le couple a eu 6 enfants Eugène Mourgue (1804-1860), Claire Mourgue (1805-1863), Edmond Mourgue (1807-1901), Amélie Mourgue (1810-1844), Frédéric Mourgue (1812-1885) et Elisabeth (dite Élise) Mourgue (1820-1902).

La troisième personnalité marquante de la famille Mourgue est Edmond Mourgue (1807-1901), deuxième fils de Jean Scipion Anne Mourgue. Après avoir suivi les cours de l’École royale polytechnique en 1827-1829, Edmond Mourgue devient secrétaire général de préfecture auprès de son père. Puis il est nommé auditeur au Conseil d’État (1833), attaché à la préfecture de la Seine (1833), attaché au ministère de l’Intérieur (1833-1835), sous-préfet de Saint-Amand-Montrond, dans le Cher (1836-1838), de Neufchâtel-en-Bray, en Seine-Maritime (1838-1840), de Châlon-sur-Saône, en Saône-et-Loire (1840-1841), de Pontoise (1841-1848). Révoqué après la Révolution de février 1848, il crée alors avec son frère Eugène la société « Mourgue frères » (siège social à Paris et à La Havane, à Cuba) dont l’objet est la fourniture de matériels pour la culture et le traitement de la canne à sucre. La société est dissoute en 1868. Edmond Mourgue se consacre par ailleurs au classement des archives de sa famille et réalise un travail titanesque de description et de classement des pièces dans des dossiers uniformisés. Son œuvre de classement des archives familiales reflète particulièrement bien la pratique administrative des archives au XIXe siècle.

L'intérêt historique du fonds Mourgue

Le fonds, comme tout fonds de famille, se compose de pièces d’archives privées (actes de naissance, mariage, décès, contrats de mariage, comptabilité domestique…). Quelques plans aquarellés de propriétés familiales méritent d’être mentionnés pour la qualité de leur exécution : « Plan du domaine de Mr Mourgue, situé dans les terroirs de Marsillargues et St Laurent d’Aigouse » [1792] (167 J 4, dossier 62-12 ; document numérisé consultable en ligne sur le site Internet des Archives départementales 2), « Plan des bâtimens composant la filature de Rouval-lès-Doullens et des terrains qui en dépendent » (26 février 1831 ; 167 J 9, dossier 65-55). Mais, outre ces pièces familiales, il recèle de nombreux documents produits ou reçus par la famille Mourgue dans le cadre des importantes fonctions qu’ont exercées ses membres. Sont ainsi conservés, parmi d’autres documents, les lettres de nomination au ministère de l’Intérieur de Jacques Antoine Mourgue en juin 1792 (167 J 4, dossier 62-23), de nombreuses pièces de correspondance avec les ministres des gouvernements successifs de la Monarchie de Juillet, des rapports et mémoires variés…

Le fonds Mourgue apporte ainsi un éclairage particulier sur l’ascension fulgurante d’une famille héraultaise de « ménagers » qui, installée à Marsillargues au XVIIe siècle, parvient à se hisser aux plus hautes fonctions de l’État aux XVIIIe et XIXe siècles. Convertie dès le XVIe siècle au protestantisme, la famille fut fidèle à ses engagements, malgré les persécutions. La répression du protestantisme a conduit ses membres à se disperser à travers l’Europe, leur permettant d’acquérir la pratique des langues et des relations qui seront d’une grande utilité sur le plan diplomatique et économique. La présence à l’étranger de membres de la famille Mourgue est illustrée par plusieurs pièces remarquables relatives à Fulcrand Mourgue, négociant à Londres au début du XVIIIe siècle. Est notamment conservé l’acte de mariage sur parchemin (comprenant 3 sceaux plaqués) de Fulcrand Mourgue avec Elisabeth Grimaudet le 25 novembre 1742 à Londres (167 J 3, cases 14-15).

Plan du domaine de Mr Mourgue, situé dans les terroirs de Marsillargues et St Laurent d'Aigouse
Fig. 9 - « Plan du domaine de Mr Mourgue, situé dans les terroirs de Marsillargues et St Laurent d'Aigouse » [1792], 167 J 4, dossier 62-12.

L’une des autres richesses du fonds est de conserver une série de journaux intimes et de carnets de voyages particulièrement intéressants. Parmi ceux-ci, deux documents remarquables méritent d’être signalés. Il s’agit tout d’abord du journal manuscrit de Jean Scipion Anne Mourgue relatant son voyage à la suite de l’armée d’Italie (commandée par le général Bonaparte) du 24 mars 1797 au 24 juillet 1798, alors qu’il occupe les fonctions de commissaire aux vivres (167 J 8, dossier 65-16 document numérisé consultable en ligne sur le site Internet des Archives départementales). Ce journal est constitué de 9 livrets.

Jean Scipion Anne Mourgue décrit, dans une langue française typique d’un lettré du XVIIIe siècle influencé par Jean-Jacques Rousseau, la fascination qu’exerce la nature et les paysages sur l’Homme :

« Le 1er avril 1797.

Rien n’est aussi imposant que la route qui conduit de Saint Jean de Morienne jusqu ‘à Lanslebourg. Le chemin est si pittoresque qu’on le croit bon et le voyageur pense bien peu à la route quand, sur sa tête, il voit suspandu le sommet sourcilleux de ces montagnes de neige et, sous ses pieds à deux pouces de sa voiture, des gouffres dont il s’échappe un mugissement sourd causé par la chute de torrents qu’on entend mais qu’on ne peut voir. Je n’ai jamais vu des arbres verds plus variés, mieux groupés et, quelque extraordinaire que cela puisse parroitre, je trouve une ressemblance extrême entre ces sites, ces arbres, ces vaches et nos plus belles décorations de l’opéra »

9 carnets manuscrits constituant le Journal quotidien de voyage de Jean Scipion Anne Mourgue
Fig. 10 - 9 carnets manuscrits constituant le Journal quotidien de voyage de Jean Scipion Anne Mourgue à la suite de l'armée d'Italie
(4 germinal an IV-6 thermidor an VI), 167 J 8, dossier 65-16.

Les peintures de la société italienne, notamment vénitienne ou romaine, sont pleines de saveur et d’humour. Venise est toutefois présentée sous un jour peu avenant :

« Le 3 juin 1797.

Je ne crois pas qu’on puisse rien voir de plus triste que la ville de Venise. Les rues formées par des canaux sont couvertes de petites barques minces longues et conduites par deux rameurs chacun se servant d’une seule rame. Les barques qu’on appelle gondoles sont peintes en noir aussi bien qu’une petite cabine où l’on se place dans le millieu de la barque. Ces petites niches, où l’on ne peut entrer qu’à reculons, sont tendues en drap noir extérieurement et doublées en serge, drap ou étoffe de soye noire de sorte que ces voitures ressemblent plus à un sarcophage qu’à l’habitation des vivans. Une loi deffend à Venise d’avoir d’autres gondoles afin de maintenir une espèce d’égalité entre tous les habitans qui ont ainsi les mêmes véhicules. Ce mensonge politique est d’autant plus absurde que l’on voit aborder le propriétaire de ces lugubres voitures à de somptueux palais bâtis en marbre, tandis que le pauvre aborde à sa maison, triste et sale, dans des quartiers où jamais on ne voit le soleil que, lorsqu’étant perpendiculaire à la surface de l’eau, on en apperçoit un instant la reflection. J’avoue cependant que je ne connois rien d’aussi voluptueux que cette manière de parcourir la ville mollement ettendu sur les amples coussins d’une gondole ; aussi sont-elles souvent le temple discret où l’on sacrifie au plaisir. Le calme de la nuit, le jour tendre de la lune qui se répète autour de vous et le mouvement des rameurs peuvent, j’en dois convenir produire un grand effet sur une jeune tête qui sait enrichir le plaisir des charmes de l’imagination… ! Mais rentrés chez vous et toute illusion agréable finit ; voyés sur ces canaux dégoutans par l’odeur et l’aspect des immondices qu’ils charient, voyés ces cataphalques ambulans, ces rameurs surtout qui jamais ne se disent un mot et qui ne rompent leur lugubre silence que pour s’avertir au tournant des rues par des cris qui paroissent funebres du coté où ils vont passer !, ah !, je ne finirois pas si j’essayois d’écrire tout ce que je sens dans ce pays. »

Jean Scipion Anne Mourgue rencontre aussi à plusieurs reprises, lors de son séjour en Italie, Joséphine de Beauhar-nais, épouse de Napoléon Bonaparte, dont il dresse un portrait peu flatteur. Il fréquente la famille Bonaparte et nous livre un témoignage intime très éloigné de l’Histoire officielle…

« Le 8 avril 1797.

Sémonville3 m’avoit donné une lettre de recommandation pour Madame Buonaparte. Je la lui ai remise ce matin, elle m’a fort bien reçu et m’a engagé à dîner. Sa maison est assez agréable et si j’en juge par ses manières et le bruit public, elle fait ici un bien prodigieux. J’ai vu chez elle le génral Kilemain4 qui parrait homme de bonne compagnie mais d’un ton blasé ; cet homme à vécu dans le grand monde et connaît la généalogie de toutes les personnes de la société. Il a prodigieusement vu. Il commande en Lombardie et va y être remplacé par le général Lasalcette qui a dîné avec nous. J’ai été frappé de la figure douce et sensible de ce général dont les opinions m’ont paru sages, réfléchies autant que ses expressions et ses manières sont modestes et retenues. J’ai vu, chez Madame Buonaparte, Louis Buonaparte5, frère cadet de son mari, qui m’a paru avoir un ton tranchant, des manières fort étourdies, peu de moyens et de la suffisance. Le soir j’ai été avec Madame Buonaparte au petit théâtre qui m’a paru aussi grand qu’aucun de nos théâtres de Paris ; on y jouoit l’opéra bouffe et je doute qu’on puisse entendre rien de plus mauvais, ou voir rien de plus ridicule que les acteurs. »

« Le 10 avril 1797.

Nous avons tous été au bal chez Madame Buonaparte où se sont trouvés beaucoup de jolies femmes entre autres Mademoiselle Buonaparte6, jeune personne de 17 ans fort jolie, douce aimable ; très intéressante mais un peu coquette. Cette jeune personne m’a semblé avoir du tact, de l’esprit et beaucoup de finesse. Il est funeste pour elle qu’elle soit toujours entourée d’officiers ou de soldats dont le mauvais ton ne peut à la longue qu’avoir une fâcheuse influence sur la moralité de cette jeune personne. Madame Visconty que j’ai vue chez Madame Buonaparte est, dit-on, la plus belle femme de Milan ; on la dit plus que coquette et il faut que ce soit affaire d’habitude car, quoique fière d’être encore très jolie, on assure qu’elle a quarante-trois ans. On assure que son amant en titre est à présent le général Berthier chef de l’état major de l’armée. Madame Buonaparte me disait-on à Paris est une de ces femmes les plus aimables de son siècle. Il est vrai que ceux qui me le disoient étoient gens à semblables prétentions que sans doute elle ne contrediroit pas. Je la crois aussi bonne, aussi obligeante que possible, mais je ne puis faire un semblable éloge de son esprit qui m’a paru n’avoir rien de transcendant. »

« Le 17 juin 1797.

Tous ceux qui connoissent Madame Buonaparte savent qu’il n’est pas de femme au monde qui ait l’aleine plus forte. Madame Hamelin me disoit hier pour me donner une idée de la galanterie du général en chef que devant un cercle nombreux, il avoit bien haut appelé sa femme en lui disant : «  Viens, ma petite puante, que je t’embrasse… !  » »

Portrait de Jules Henry Elisabeth Mourgue (1780-1844)
Fig. 11 - Portrait de Jules Henry Elisabeth Mourgue (1780-1844), collection privée de Gérard Orsel.

Le second livre de mémoires particulièrement intéressant que conserve le Fonds Mourgue est celui qu’a laissé le marin Jules Henry Elisabeth Mourgue (1780-1844), frère cadet de Jean Scipion Anne Mourgue, dont la vie aventureuse sous la Révolution et l’Empire est un véritable roman (167 J 12, dossier 68-3).

Né à Montpellier en 1781, Jules Henry Elisabeth Mourgue se prépare à la carrière des armes dans la marine militaire. Lors de la campagne d’Égypte, à la bataille d’Aboukir (1er août 1798), il est aspirant sur la « Courageuse ». Mais il regagne ensuite la marine marchande et s’embarque pour la Chine. Il est débarqué à l’île Bourbon (île de la Réunion), où il se bat en duel avec son capitaine « au sujet d’une dame qui avait été embarquée sur leur navire ». A Bourbon, il fait la connaissance dune « mulâtresse qui plus tard unira sa destinée affectueuse » avec lui. Il repart pour la Chine et, à son retour, tombe en panne à Manille où il se fait nommer commandant du seul navire qui constitue la flotte du sultan de Solvo. Il revient à Bourbon, prend part à des expéditions à Madagascar pour la traite du riz et fait naufrage à l’île Bourbon il y perd tous ses bagages, mais retrouve la mulâtresse qu’il avait connue ! A l’île Bourbon, il apprend le mariage en métropole de sa sœur, Jeanne Eglé Fulcrande Catherine Mourgue (1778-1855) avec Philippe Panon Desbassayns, comte de Richemont et intendant de l’île. Il prend prétexte de cette circonstance pour implorer la belle-mère de sa sœur – connue à la Réunion sous le nom de Madame Desbassayns 8 – qui lui donne des chemises et de quoi rentrer en France. Il y arrive en 1804 et, bien recommandé, obtient un emploi de receveur des contributions indirectes. Jean Scipion Anne Mourgue l’emploie ensuite quelques temps à la filature de Rouval, mais Jules Henry Elisabeth Mourgue a la nostalgie de la mer et reprend du service comme capitaine au long cours.

Au cours de ses voyages, il débarque à Bourbon, où son beau-frère, alors gouverneur de l’île, le seconde dans les affaires qui, après bien des déboires, finissent par réussir. Il meurt à Salazie, commune du centre de l’île, en 1864.

Outre les journaux intimes, le fonds conserve de très nombreuses séries de correspondances, parmi lesquelles la correspondance de Jeanne Eglé Fulcrande Catherine Mourgue (1778-1855), épouse de Philippe Panon Desbassayns, comte de Richemont et intendant de l’Île Bourbon, peut être signalée (167 J 12, dossier 67-6). Les lettres adressées à Jean Scipion Anne Mourgue par sa sœur constituent un témoignage du plus haut intérêt sur la vie à Bourbon au début du XIXe siècle, dans la famille Panon Desbassayns, l’une des familles les plus huppées de l’île, alliée à la famille de Villèle par le premier ministre Joseph de Villèle (1773-1854).

Le fonds Mourgue permet aussi l’étude des activités économiques entreprenantes de cette famille d’origine héraultaise au XVIIIe siècle. Jacques Antoine Mourgue (1734-1818), en association avec son cousin Colombiès, commandite l’entreprise Boulabert et Garimond qui, se voit confier la construction du nouveau port de Cherbourg (Manche). Les archives de la « Compagnie des Entreprises de Cherbourg », fondée en 1782 (167 J 4, dossier 62-2, dossier 62-19 et dossier 62-20) permettent de suivre l’évolution des travaux sur le port.

Les activités économique entreprenantes de Jean Scipion Anne Mourgue, fils de Jacques Antoine Mourgue, à Rouval-lès-Doullens (Somme) illustrent quant à elles le dynamisme et le modernisme des filatures françaises de coton au début du XIXe siècle (167 J 9, dossier 65-37, dossier 65-44, dossier 65-48 à 65-55 ; 167 J 10, dossier 65-56).

Registre de copies des lettres de Jacques Antoine Mourgue et de son fils Jean Scipion Anne Mourgue
Fig. 12 - Registre de copies des lettres de Jacques Antoine Mourgue et de son fils Jean Scipion Anne Mourgue, du 19 ventôse an VIII (8 mars 1800) au 29 thermidor an IX (16 août 1801), 167 J 5, dossier 62-51.
Portrait d'Amélie Mourgue (1810-1844)
Fig. 13 - Portrait d'Amélie Mourgue (1810-1844), sur d'Edmond Mourgue, 167 J 14, dossier 76-1 [il s'agit de l'unique portrait conservé dans le fonds Mourgue].

De nombreux autographes prestigieux sont aussi conservés dans le fonds Mourgue, témoignant de l’important réseau social tissé par cette famille héraultaise au fil des générations. Peuvent notamment être citées, parmi tant de personnalités notables que l’on rencontre au détour des documents des personnalités politiques (Louis XVI, le duc d’Orléans, de nombreux ministres de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration…), des maréchaux d’Empire (Soult, Mortier…), des poètes (Vittorio Alfieri, Béranger…), des scientifiques (Chaptal, Cuvier, Gay-Lussac…), des artistes (le sculpteur Canova…)… Les autographes sont signalés dans l’analyse de chaque dossier concerné.

Parmi ces pièces autographes remarquables, il faut noter l’ensemble de la correspondance privée et amoureuse d’un jeune capitaine du Génie – le futur général d’Empire Joseph Secret Pascal, dit Vallongue (né à Sauve en 1763, mortellement blessé au siège de Gaète en 1806) – avec Christine Vialars (née à Montpellier en 1757, décédée à Paris en 1844), belle-sœur de Jacques Antoine Mourgue (167 J 6, dossier 64-6 ; documents numérisés consultables en ligne sur le site Internet des Archives départementales). Les lettres témoignent d’un esprit républicain engagé et d’un style d’écriture amoureuse directement inspiré de « La Nouvelle Héloïse » de Jean-Jacques Rousseau, dont les idées sont largement diffusées dans la société de l’époque.

Le fonds d’archives conserve aussi une très importante collection de faire-part de naissance, mariage et décès de la famille (167 J 15) et de relations (167 J 16-17) illustrant l’étendue du réseau social et familial de la famille Mourgue au XIXe siècle.

Enfin, le fonds Mourgue est complété par les recherches généalogiques et historiques de Gérard Orsel, donateur du fonds et descendant de la famille Mourgue (167 J 18).

La consultation du fonds

L’inventaire est consultable en ligne sur le site des Archives départementales (www.archives.herault.fr) ainsi qu’en salle de lecture des Archives départementales. Les documents originaux sont consultables sur rendez-vous. L’ensemble des pièces du fonds Mourgue a fait l’objet d’une numérisation systématique par Gérard Orsel : ce travail de numérisation a été intégré aux recherches familiales de Gérard Orsel conservées sous la cote 167 J 18 et peut être librement consulté en salle de lecture des Archives départementales. Quelques documents des cotes 167 J 4 (dossiers 62-12 et 62-15), 167 J 6 (dossier 64-6) et 167 J 8 (dossier 65-16) sont consultables en ligne.

Le plan de classement du fonds respecte au maximum le classement originel d’Edmond Mourgue et s’organise comme suit :

GENEALOGIES ET RECHERCHES FAMILIALES
(1865-1901) : 167J 1.

INVENTAIRES ANCIENS DU FONDS MOURGUE
(1885) : 167 J 2.

FAMILLE MOURGUE AVANT 1789 [Générations I-V]
(1662-1829) : 167 J 3.

JACQUES ANTOINE MOURGUE (1734-1818)
[Génération VI] (1734-1866) : 167 J 4-7.

JEAN SCIPION ANNE MOURGUE (1772-1860), FILS DE JACQUES ANTOINE MOURGUE ET JEANNE VIALARS
[Génération VII] (1790-1874) : 167 J 8-11.

AUTRES ENFANTS DE JACQUES ANTOINE MOURGUE ET JEANNE VIALARS
[Génération VIII (AN III-1871) : 167 J 12.

ENFANTS DE JEAN SCIPION ANNE MOURGUE ET JEANNE FILLIETAZ
[Génération VIII] (AN XIV-1896) 167 J 13-14.

COLLECTION DE FAIRE-PART

— Faire-part de la famille Mourgue (1823-1899) : 167 J 15.

— Faire-part reçus par la famille Mourgue (1830-1896) : 167 J 16.

— Faire-part reçus par Edmond Mourgue (1834-1894) : 167 J 17.

RECHERCHES GENEALOGIQUES DE GERARD ORSEL
(1956-2008) : 167 J 18.

L’Hérault, berceau originel de la famille Mourgue, conserve ainsi désormais un fonds d’archives familiales exceptionnel illustrant particulièrement la destinée remarquable d’une famille héraultaise aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce fonds constitue un ensemble archivistique prestigieux dont la conservation et la communication aux Archives départementales ouvrent de vastes perspectives de recherches historiques tant locales que nationales, voire internationales.

Généalogie succincte de la famille Mourgue
Fig. 14 - Généalogie succincte de la famille Mourgue

Notes

 1.  Jean Antoine Chaptal est témoin au mariage de Jeanne Eglé Fulcrande Catherine Mourgue (1778-1855) – soeur de Jean Scipion Anne Mourgue – qui épouse Philippe Panon Desbassayns, comte de Richemonten 1799.

 2.  L’adresse du site Internet des archives départementales de l’Hérault est la suivante : www.archives.herault.fr.

 3.  Charles-Louis Huguet de Sémonville (1759-1839), conseiller au Parlement de Paris à 19 ans, député suppléant de Paris aux États généraux, ami de Mirabeau et agent de la Cour qui en fait un diplomate en 1790-1792 (à Bruxelles, à Gênes, à Constantinople). Enlevé par les Autrichiens en Suisse et échangé en 1795 contre la fille de Louis XVI ; après le 18 brumaire, il se rappelle au souvenir de Bonaparte qu’il avait rencontré en Corse en 1792 et devient conseiller d’État ; il est sénateur en 1805 [renseignements fournis par Serge Chassagne, professeur émérite à l’Université Lyon III.

 4.  Charles-Edouard Kilmaine (1751-1799), d’origine irlandaise, au service de la France depuis 1774 ; commande alors l’armée d’occupation en Italie du Nord [renseignements fournis par Serge Chassagne, professeur émérite à l’Université Lyon II].

 5.  Louis Bonaparte est né en septembre 1778 ; il est donc alors âgé de 18 ans. Il épouse en janvier 1802 Hortense de Beauharnais, fille du premier mariage de Joséphine. Général de brigade en 1803, de division et prince en 1804, il est roi de Hollande de 1806 à 1810. Il meurt à Livourne en 1846 [renseignements fournis par Serge Chassagne, professeur émérite à l’Université Lyon II].

 6.  Marie-Paulette, dite Pauline, née le 10 octobre 1780, épouse à Mombello le 14 juin suivant le général Victor-Emmanuel Leclerc (1772-1802). Veuve et convoitée, elle se remarie, le 6 novembre 1803, avec le prince romain Camille Borghese, duc de Guastalla (1775-1832) [renseignements fournis par Serge Chassagne, professeur émérite à l’Université Lyon III.

 7.  [Appel manquant] Il s’agit de Napoléon Bonaparte.

 8.  Marie Anne Thérèse Ombline Desbassayns, connue sous le nom de Madame Desbassayns, née Gonneau-Montbrun le 3 juillet 1755 à Saint-Paul, est un personnage célèbre de l’histoire de la Réunion pour avoir été à la tête de l’un des plus grands domaines de l’île Bourbon et, par conséquent, de l’une des plus grandes fortunes du XVIIIe siècle sur l’île, en particulier après la mort de son mari Henri Paul Panon-Desbassayns (décédé en 1800).