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Description
La naissance de Jacques Ier d’Aragon :
entre histoire et légende (XIIIe-XVIIIe siècles)
P. 51 à 60
* Université Bordeaux Montaigne, EREMM-AMERIBER
Jacques Ier d’Aragon, surnommé également Jacques le Conquérant, fils de Pierre II d’Aragon et de Marie de Montpellier, naquit à Montpellier dans la nuit du 1er au 2 février 1208 (…). Les circonstances de la naissance de Jacques le Conquérant, considérées comme miraculeuses et merveilleuses, tiennent plus de la légende que de l’histoire. À mi-chemin entre la culture savante et la culture populaire, elles s’articulent autour d’un double motif folklorique qui est celui de la substitution sexuelle et de la mise à l’épreuve de la femme mariée 1. Cet arrière-fond folklorique n’est pas dénué de considérations d’ordre politique et idéologique, dans la mesure où il s’agit de faire valoir la légitimité du fils de Pierre II d’Aragon et de maintenir la seigneurie de Montpellier, convoitée par le royaume de France, dans le giron de la couronne d’Aragon.
Mots-clés : Jacques Ier d’Aragon, Jacques le Conquérant, Marie de Montpellier, seigneurie de Montpellier, Charles d’Aigrefeuille.
James I of Aragon, also known as James the Conqueror, son of Peter II of Aragon and Mary of Montpellier, was born in Montpellier on the night of 1 to 2 February 1208 (…). The circumstances of the birth of James the Conqueror, considered miraculous and wonderful, are more legend than history. Halfway between scholarly culture and popular hearsay, they revolve around a double mythological reasoning: that of sexual substitution and the testing of married women. This allegorical background is not devoid of political and ideological considerations, insofar as it is a question of asserting the legitimacy of the son of Peter II of Aragon and maintaining the lordship of Montpellier in the bosom of the crown of Aragon, whilst being coveted by the kingdom of France.
Key words: James I of Aragon, James the Conqueror, Marie de Montpellier, Lordship of Montpellier, Charles of Aigrefeuille.
Jaume Ièr d’Aragon, escaissat tanben lo Conquistaire, filh de Pèire II d’Aragon e de Maria de Montpelhièr, nasquèt a Montpelhièr dins la nuèch del 1èr al 2 de febrièr 1208 (…). Las circonstàncias de la naissença de Jaume lo Conquistaire, tengudas per miraclosas, tanhon mai a la legenda qu’a l’istòria. A mièg camin entre la cultura sabenta e la cultura populara, s’articulan al torn d’un doble motiu folocloric qu’es lo de la substitucion sexuala e de la mesa a l’espròva de la femna maridada. Aquel rèirefons folcloric es pas desprovesit de consideracions d’òrdre politic e ideologic, dins la mesura ont se tracha de far valer la legitimitat del filh de Pèire II d’Aragon e de manténer la senhoria de Montpelhièr, cobejada pel reialme de França, dins la fauda de la corona d’Aragon.
Noms-claus : Jaume Ièr d’Aragon, Jaume lo Conquistaire, Maria de Montpelhièr, senhoria de Montpelhièr, Carles d’Agrefuèlh.
Jacques Ier d’Aragon, surnommé également Jacques le Conquérant, fils de Pierre II d’Aragon et de Marie de Montpellier, naquit à Montpellier dans la nuit du 1er au 2 février 1208. Comme son père qui mourut alors qu’il n’avait que cinq ans, il fut couronné roi d’Aragon. Par la suite, il fut roi de Majorque (1229-1276), roi de Valence (1239-1276), comte de Barcelone, de Ribagorce, d’Urgell, de Gérone, d’Osona, de Besalú, de Pallars, de Jussà, de Roussillon et de Cerdagne (1241-1276), seigneur de Montpellier et baron d’Aumelas (1213-1276) 2.
Les circonstances de la naissance de Jacques le Conquérant considérées comme miraculeuses et merveilleuses, tiennent plus de la légende que de l’histoire. À mi-chemin entre la culture savante et la culture populaire, elles s’articulent autour d’un double motif folklorique qui est celui de la substitution sexuelle et de la mise à l’épreuve de la femme mariée 3. Cet arrière-fond folklorique n’est pas dénué de considérations d’ordre politique et idéologique, dans la mesure où il s’agit de faire valoir la légitimité du fils de Pierre II d’Aragon et de maintenir la seigneurie de Montpellier, convoitée par le royaume de France, dans le giron de la couronne d’Aragon. Comme le dit Georges Frêche dans sa préface au livre de François Delpech :
L’habileté des souverains fut d’aller dans le sens de la marche du temps ; celle des consuls, des bayles et des notables, de soutenir le prestige de la comtesse 4 Marie dont l’époux, souverain d’un vaste royaume, confortait le destin de Montpellier. C’est dans ce climat favorable que naîtra l’enfant du miracle, ou plutôt l’enfant du subterfuge. Histoire rocambolesque, mais fait authentique transmué en légende : à la faveur de la nuit, Pierre d’Aragon trompera sa femme avec elle-même, grâce à un complot ourdi par la reine et les Montpelliérains. Marie et son fils sont encore aujourd’hui pour les habitants de Montpellier, parés de toutes les vertus. Sans égard pour la réalité historique, et par contamination, on passera de Marie du Ciel à Marie la Sainte Souveraine. Son fils lui-même, abdiquant en 1276, au faîte de sa gloire, pour revêtir la coule cistercienne au couvent de Poblet, près de trois siècles avant Charles Quint, deviendra un héros de vitrail 5.
1 - Marie de Montpellier : une épouse doublement spoliée et délaissée
Il convient de rappeler que les liens entre la dynastie des Guilhem et les comtes de Barcelone remontaient au XIIe siècle. En effet, celle-ci fournit des contingents aux campagnes de Majorque et de Tortosa en 1144 et 1146, lutta contre Anfos Jourdain, comte de Toulouse, ennemi juré des comtes de Barcelone, et arrangea, en 1166, la reconquête de la Provence, où elle exerçait de hautes fonctions administratives 6. Le mariage, en 1204, entre Pierre II d’Aragon et Marie de Montpellier ne fit que consolider cette alliance ; dès lors et jusqu’en 1349 la seigneurie de Montpellier fit partie intégrante de la couronne d’Aragon. Au rang des personnages qui furent à l’origine de ce changement de dynastie, se trouvaient le père Guilhem VIII, sa fille Marie de Montpellier et son troisième mari Pierre II d’Aragon, ainsi que son petit-fils Jacques le Conquérant.
Sous la pression d’Alphonse II, roi d’Aragon, Guilhem VIII (1179-1202) épousa en premières noces Eudoxie de Comnène, nièce de l’empereur de Byzance, de qui il eut une fille : Marie de Montpellier. L’incompatibilité de caractères entre les deux époux due, principalement, à leurs différences de niveau social et de religion – Eudoxie était orthodoxe -, et l’absence d’héritier mâle au bout de sept années de vie conjugale, incitèrent Guilhem à s’éloigner de sa femme et à l’enfermer dans le monastère d’Aniane.
Se croyant libéré de ses engagements matrimoniaux, en avril 1187, il épousa en secondes noces Inés (Agnés) de Castille, une cousine éloignée d’Alphonse II 7. Celle-ci lui donna six fils – dont le futur Guilhem IX – et trois filles. Guilhem comptait sur la bienveillance du Saint-Siège pour faire annuler son union byzantine et légitimer les enfants de ce second lit. […]
Informations complémentaires
Auteur | Vincent PARELLO |
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Année de publication | 2023 |
Nombre de pages | 10 |