La colonisation contemporaine du lido montpelliérain
de Villeneuve-lès-Maguelone à La Grande-Motte

* Historienne.

Introduction.
Une archéologie paysagère.

La mer a poussé, sur les anciens rivages, des galets et des alluvions du Rhône et a modelé et fixé, sur des points rocheux (le cap d’Agde, le mont de Sète, l’île de Maguelone, les grés sous-marins de Carnon, l’île de la Motte de Cotieu) plusieurs bourrelets qui ont emprisonné, progressivement, à l’arrière, les eaux les plus basses, devenues nos étangs.

Les cartes anciennes permettent tant bien que mal de suivre l’évolution de cette côte languedocienne, et tout particulièrement ce lido de dunes séparant la mer des étangs. On peut ainsi noter des éléments de stabilité, comme l’ensemble architectural de Maguelone ou des fortins militaires, et constater les caprices dans la vie des graus, ces goulets de passage des eaux entre mer et étangs. À partir du début du XIXe siècle, des documents administratifs comme le cadastre napoléonien ou iconographiques dus à des dessinateurs ou peintres, permettent d’imaginer assez précisément les paysages qui s’offrent aux yeux des rares explorateurs de ces contrées sauvages. L’accumulation des documents photographiques permet de reconstituer une sorte d’archéologie des paysages du lido, et de mettre en évidence leur rapide évolution sur les deux derniers siècles. Le « tropisme balnéaire » a bouleversé cette étroite bande de terre, dont il est ainsi possible de suivre l’évolution accélérée.

Le lido, un cordon sauvage et fragile.
La situation sur les cadastres napoléoniens

Le cordon littoral qui séparait la mer des étangs n’était pas une simple bande de sable, mais une langue de terre ferme où poussaient des arbres, assez nombreux pour former un bois, il y avait des herbages et des pâturages considérables et des métairies dans les dunes.

Pour gagner la plage, il fallait traverser les étangs en barque et payer un droit de passage.

Ce lido était entrecoupé de graus, passes naturelles entre la mer et les étangs par où transitaient les poissons migrateurs. Au fil de l’histoire, on constate l’existence d’un nombre important de ces graus, qui s’ensablaient et se rouvraient selon les caprices de la mer. C’est ainsi qu’entre l’île de Maguelone et l’actuelle Grande-Motte, on peut dénombrer une dizaine de passes, aux noms changeants comme leur position. (Fig. 1) (Fig. 2)

Le lido de Villeneuve-lès-Maguelone, après la tempête de 1982 et l’ouverture du Grau du Verdinel
Fig. 1 Le lido de Villeneuve-lès-Maguelone, après la tempête de 1982
et l’ouverture du Grau du Verdinel
Jean-Marie Amelin : Le jeune Node au grau du Lez 10 juillet 1822
Fig. 2 Jean-Marie Amelin : Le jeune Node au grau du Lez 10 juillet 1822.
(Médiathèque Émile Zola Montpellier Métropole Méditerranée)

Qu’ils soient éphémères ou durables, les graus ont joué (et jouent encore) un rôle important dans l’activité économique des étangs ainsi que sur la colonisation côtière. La pêche dans les étangs saumâtres existe depuis la nuit des temps et les graus tenaient une place primordiale dans l’installation des pêcheries dites maniguières 1. Qu’un grau s’ouvre et l’on voyait les pêcheurs affluer sur ce passage emprunté par les poissons migrateurs. Qu’un grau s’ensable et c’était la ruine de la maniguière. Inondations et tempêtes pouvaient anéantir les palissades de tamaris en un instant.

Du Moyen-Âge à l’époque moderne, la double ligne du lido et des étangs constituait un système naturel de défense contre les dangers venus de la mer. De Cette à Aigues-Mortes (Gard), il y avait deux points, dans toutes cette étendue qui méritaient quelque considération, savoir l’île de Maguelone (Fig. 3) et le Grau de Palavas. En définitive, on préféra bâtir un simple signal aux Aresquiers, avec un matelot et deux soldats en poste. On abandonna l’idée d’une batterie au Grau de Palavas, au profit d’une Redoute simple à canon et une tour signal à la « Patache », avec aussi à chacune, un matelot et deux soldats en poste au Grand-Travers. Les redoutes, les tours signaux et les postes des douanes sont les premières constructions habitées fixes du littoral. (Fig. 4)

J.-J.B. Laurens : La Cathédrale de Maguelone au 19e siècle
Fig. 3 J.-J.B. Laurens : La Cathédrale de Maguelone au 19e siècle
Jean-Marie Amelin : La redoute de Balestras en 1823
Fig. 4 Jean-Marie Amelin : La redoute de Balestras en 1823.
(Médiathèque Émile Zola de Montpellier)

Après la Révolution, de riches propriétaires construisent des bergeries, puis des mas plus importants où vivent des régisseurs, des gardes et des ouvriers agricoles. Les exploitations de la vigne, du petit roseau de Camargue, la sagne, sont à ce moment-là, en plein essor, ainsi que l’élevage des moutons de prés salés.

Le cadastre dit napoléonien donne des indications précises sur l’occupation du lido dans la première moitié du XIXe siècle.

Sur la commune de Villeneuve-lès-Maguelone, qui s’étend alors (1819) jusqu’à la rive droite du Lez, on trouve déjà, groupées à proximité immédiate du grau, une douzaine de cabanes tournées vers l’étang du Prévost, et un peu à l’écart, une construction plus vaste, la métairie de la Rente. (Fig. 5) Ce cordon de terre qui se prolonge jusqu’à Maguelone et au-delà, est dénommé la Plage. Il faut aller jusqu’à hauteur de l’ancienne cathédrale pour trouver un nouveau bâtiment, le poste Maguelone, situé sur la plage, relié par un chemin au poste Philippe, plus à l’ouest sur le lido de l’étang de Peyre Blanque, situé déjà sur la commune de Vic. Sur l’île de Maguelone, à la cathédrale ruinée sont accolés deux ou trois bâtiments ainsi qu’un puits. (AD34, 3P3764).

La métairie de la Rente ou du chapitre, à Palavas, rue de l’Institut
Fig. 5 La métairie de la Rente ou du chapitre, à Palavas, rue de l’Institut. Disparue aujourd’hui et remplacée par des garages. (Cliché M.-J. Ars, 1990)

Toujours en 1819, la suite du lido, vers l’est, dépend de la commune de Mauguio, depuis la rive gauche du Lez. Contrairement à la rive droite, les cabanes de la rive gauche sont alignées le long du Lez, préfigurant le quai actuel. En retrait de cette ligne d’habitations, la Redoute de Palavas est bien identifiée. En poursuivant sur la plage se présente le vaste grau de Pérols, largement ouvert sur l’étang de l’Or. Franchi le grau, sur sa rive gauche, se présente un poste de douanes, accompagné de trois bâtiments, puis plus loin un poste des douanes ruiné situé à hauteur du bâtiment de la pêcherie du Sieur Barthélémy Davranche au milieu de l’étang d’où il émerge comme un îlot. Plus loin encore, une cabane ruinée subsiste sur une langue de terre avancée dans l’étang, avant d’arriver au Grand-Travers avec sa tour signal sur la dune et quelques cabanes tournées vers l’étang. (Fig. 6).

À partir du Grand-Travers, le lido s’élargit progressivement, avec le grand bâtiment du domaine de la Motte. Vers l’extrémité de l’étang de l’Or, au bord oriental duquel se regroupent les cabanes d’Aigues-Mortes, nous sommes ici sur l’emplacement de l’actuelle Grande-Motte. (AD34 3P3424).

La Tour Signal du Grand-Travers dite de la Patache
Fig. 6 La Tour Signal du Grand-Travers dite de la Patache. (Cliché de Marie-José Ars)

Communiquer avec le lido

L’accès au cordon littoral est resté longtemps difficile. La présence des étangs protecteurs dans les temps anciens contre les invasions maritimes, était devenue un obstacle naturel qu’il fallait franchir en barques. Le Lez fleuve côtier qui reliait Montpellier à Palavas, pouvait être une voie d’accès. Restait enfin le canal de Cette au Rhône (dit aussi canal des étangs), prolongement du canal du Midi, qui traversait les étangs en les coupant en deux.

Le pont de Maguelone

Au 19e siècle, la municipalité de Villeneuve a essayé, en vain, d’obtenir la reconstruction du pont de Maguelone, datant du XIe siècle, qui avait longtemps relié la cathédrale au port de Villeneuve. Elle s’est heurtée au refus du propriétaire, Frédéric Fabrège qui a fait élever, par défi, au bout de l’allée qui borne l’ancien chemin, le grand « arc triomphal » toujours visible.

Pour gagner leur plage, les Villeneuvois doivent traverser le canal des étangs. Les anciens Villeneuvois se souviennent avec nostalgie de la barque de « Merlou », qui, pour une somme symbolique, permettait de traverser le canal pour se rendre à la plage de Maguelone. Il est vrai que celle-ci était bien moins fréquentée qu’aujourd’hui. (Fig. 7)

En 1970, la municipalité mit en place un bac qui permettait de rendre un service plus régulier, adapté à une demande de plus en plus croissante. Les soirs d’été, il y avait foule et c’était la bousculade pour prendre le dernier bac de 20 h. Aujourd’hui, on peut accéder à la plage en traversant le canal sur une passerelle mobile qui s’écarte, lorsque passent les péniches où les bateaux de plaisance.

La traversée en barque entre Villeneuve et Maguelone, en 1941
Fig. 7 La traversée en barque entre Villeneuve et Maguelone, en 1941. (©Alain Guerrero)

Le Canal du Rhône à Cette et le Canal du Lez 2

À la fin du 17e siècle, la navigation était devenue très difficile sur les étangs, les barques même à demi-chargées passaient à grand peine. La Province vota la construction du Canal des étangs, afin de favoriser la navigation entre Cette (Sète) et le Rhône. Dans un même temps le Marquis de Solas reçut l’autorisation de canaliser le Lez et de créer un port à Montpellier. C’est sa fille, Diane, marquise de Graves qui achèvera la construction de ce canal nommé de « Canal de Graves ». La construction du canal des étangs était un obstacle au cours du Lez, on a donc jugé à propos de prolonger la canalisation de ce fleuve côtier qui aboutissait à angle droit à la rive nord dudit canal. Le canal du Lez-de-Graves s’arrêtant sur la rive nord du Canal des étangs, il fallait ensuite traverser l’étang en barque jusqu’aux graus de Balestras et de Palavas.

Puis, en 1763 on construisit, à partir de la rive sud du Canal des étangs, une digue de pierres de chaque côté du Lez, jusqu’à la mer. Au début, les syndics de la Province avaient décidé de laisser une ouverture sur la plage, tant du côté du levant que celui du couchant, « afin de permettre l’entrezon du poisson et de l’eau de mer » dans les étangs. Mais en mars 1764, on ferma avec des pierres au levant le « grau de Balestras » et ensuite au couchant le « grau dit de Palavas ». La fermeture de ces graus eut pour conséquences de rendre incultes les maniguières installées dans les étangs. Les pêcheurs ne prenaient plus aucun poisson. Il était urgent de trouver une solution. C’est ainsi que seront construites les canalettes du Chapitre de Maguelone et du Grec et que l’on réalisera plusieurs coupures sur les berges du Canal du Lez et du Canal des étangs. (Fig. 8) (Fig. 9)

Jules Cayla dit Rapin : La passerelle Fabrège sur la canalette du Chapitre (1913)
Fig. 8 Jules Cayla dit Rapin : La passerelle Fabrège sur la canalette du Chapitre (1913). (Collection Pierre Burlats-Brun)
La canalette du Prévôt
Fig. 9 La canalette du Prévôt. (Archives départementales de l’Hérault)

Les ponts de Palavas

Le 1er mai 1851, un décret du Président de la République Louis Napoléon Bonaparte, accorda une subvention de 20 000 frs à la ville de Palavas pour la construction d’utilité publique de plusieurs ponts, l’un sur le prolongement du chemin vicinal de Montpellier à Palavas, enjambant le canal des étangs, un autre mettant en communication l’étang de Mauguio avec le canal du Lez.

Le pont aux trois arches qui enjambe le canal du Lez a été inauguré le 1er septembre 1853… en vertu d’une adjudication consentie à Adolphe Boulland, ingénieur civil à Paris qui construisit le pont à ses frais, en échange d’une concession de péage de 35 ans 3. (Fig. 10)

Le pont sur le canal du Lez sera remplacé en 1891 par une passerelle en fer, dite des deux rives. (Fig. 11).

En 1930 la passerelle est remplacée, à son tour, par un pont en arc et béton armé détruit en 1944 par l’armée allemande en déroute. (Fig. 12). Dès 1945, une passerelle provisoire en bois relira les deux rives un certain temps.

J.J.B. Laurens : « Entrée de Palavas ». Le pont aux trois arches en bois (1853)
Fig. 10 J.J.B. Laurens : « Entrée de Palavas ». Le pont aux trois arches en bois (1853). (Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras)
Palavas, le pont des deux rives.
Fig. 11 Palavas, le pont des deux rives.
Palavas, le pont en arc, en béton, construit en 1930 et détruit en 1944
Fig. 12 Palavas, le pont en arc, en béton,
construit en 1930 et détruit en 1944.

L’accès routier à Palavas

La route qui menait de Montpellier à Palavas était un « chemin en mauvais état que la moindre pluie rendait impraticable » 4 et lorsqu’il ne pleuvait pas, les charrettes ou autres véhicules soulevaient une énorme poussière. En 1853, la route de Montpellier aux premières cabanes est classée parmi les chemins de grande communication ce qui va permettre de l’améliorer. Pour terminer le voyage jusqu’au grau de Palavas, il fallait prendre un bac qui se trouvait à la croisée du Lez et du Canal des Étangs, au lieu-dit les Quatre-Canaux, ou finir les derniers kilomètres en barque.

Paul Vigné d’Octon raconte, dans ses souvenirs d’enfance, comment le trajet s’effectuait jusqu’à la mer : « Les dimanches et jours de fêtes, dès potron-minet, de nombreuses familles montpelliéraines quittaient la ville pour aller faire trempette à la mer. La route, assez mal entretenue et poudreuses à souhait, s’emplissait de carrioles, de chars-à-bancs, de vieilles charrettes, de véhicules antédiluviens, sur lesquels on s’entassait joyeusement. Tout cela traîné selon la condition par des chevaux de labour, à large encolure, par des barbes petits et sveltes, par de maigres camarguais ou par d’apocalyptiques bourricots ».

Le petit train de Palavas 5

Sur la rive gauche du canal du Lez, le 6 mai 1872, la ligne de chemin de fer Montpellier-Palavas est inaugurée en grande pompe et le lendemain, prise d’assaut par le public, les wagons étaient bondés, il n’y eut pas assez de place pour tous.

À partir de ce moment-là, Palavas va connaître une croissance inimaginable pour « un pauvre pêcheur d’étang d’autrefois» 6 Imaginez une ligne de chemin de fer qui partait du centre-ville de Montpellier et qui aboutissait au pied de la plage de Palavas. (Fig. 13), (fig. 14).

6 mai 1872 – inauguration de la voie ferrée par les autorités officielles
Fig. 13 6 mai 1872 – inauguration de la voie ferrée par les autorités officielles.
(Coll. privée)
La gare de Palavas en 1945
Fig. 14 La gare de Palavas en 1945. (Coll. privée).

Le bac de Palavas

Le passage d’une rive à l’autre, à hauteur des plages a toujours été malaisé. Une grande partie de la population habitait rive gauche, groupée autour de l’église et de la redoute. Il fallait revenir jusqu’au pont situé quelques centaines de mètres en amont du Lez. (fig. 15) La solution d’un bac s’est très tôt imposée, et a fonctionné à l’identique pendant un demi-siècle. À la belle époque, un bac avait été mis en place, au début pour aller chercher de l’eau douce au puits de l’ermite rive droite. Ensuite ce bac sera très apprécié par les estivants, qui l’utiliseront jusqu’en 1965. Puis il a cédé la place en 1977 à un transbordeur aérien tel qu’il fonctionne actuellement. (Fig. 16), (fig. 17) et (fig.18).

Palavas, l’actuel pont de l’Union joint les deux rives
Fig. 15 Palavas, l’actuel pont de l’Union joint les deux rives. (Cliché : M.-J. Ars 1990).
Palavas, le bac entre les deux rives en 1914
Fig. 16 Palavas, le bac entre les deux rives en 1914. Une tonnelle protège les passagers du soleil.
Palavas, le bac vers 1963
Fig. 17 Palavas, le bac vers 1963. (Coll. Privée).
Le Transcanal à Palavas en 2021 et le phare de la Méditerranée
Fig. 18 Le Transcanal à Palavas en 2021 et le phare de la Méditerranée. (Cliché M.-J. Guigou).

L’accès à Carnon

Avant la Révolution, Carnon faisait partie de la paroisse de Pérols. À la création des communes, la plage de Carnon fut rattachée à celle de Mauguio. La ville de Pérols a été spoliée, en quelque sorte, de son accès ancestral à la mer. Avant la guerre de 14/18 on désignera la station balnéaire, tantôt Carnonville-la-Mer, tantôt Carnonville-la-plage. Lorsque le pont sera, enfin, posé sur le Canal des étangs en 1921, sur les cartes postales on lira Carnon-lès-Pérols, puis Carnon-Plage ; de nos jours c’est Carnon-Mauguio.

La diligence qui assure la liaison Montpellier-Carnon, jusqu’en 1921 attendait le bac, devant la maison du garde-canal, pour passer sur l’autre rive et transporter les voyageurs jusqu’au rivage. Elle sera en service jusqu’en 1928 puis sera remplacée par les autobus. (Fig. 19).

Depuis quand le bac de Pérols existait-il ? Je n’ai pas la date exacte, mais probablement en même temps que la construction du canal des étangs, au 18e siècle. Les écuries d’affenage pour le chemin de halage se trouvaient sur la rive sud du canal et la maison du garde canal sur la rive nord, le bac servait, au départ, à faire traverser les mules d’une rive à l’autre ainsi que les haleurs. Par la suite, il servira aux chasseurs, aux pêcheurs et baigneurs du dimanche, mais surtout aux premiers fermiers des mas. (Fig. 20).

Carnonville-sur-Mer vers 1910. La diligence attend le bac pour traverser.
Fig. 19 Carnonville-sur-Mer vers 1910. La diligence attend le bac pour traverser.
(Photo tirée de Montpellier Naguère de Mireille Lacave)
Le bac de Pérols permettant de joindre Carnon, en 1910
Fig. 20 Le bac de Pérols permettant de joindre Carnon, en 1910.
(Collection Gérard Bonafos).

Pour faciliter les relations entre Montpellier, Pérols et Carnonville-la-Mer, le 26 mars 1909, le ministre de l’intérieur admettait le projet de construction d’un pont, enjambant le Canal des étangs. La construction du premier pont en béton armé fut un désastre. Une formidable poussée décala le pont et il sera démoli. Il faudra attendre la fin de la guerre de 14/18, pour que l’on reparle de la construction d’un pont, cette fois-ci avec une structure métallique. Entre temps le bac avait repris du service.

Dans l’année 1921 un pont métallique enjambant le Canal du Rhône à Sète, tant attendu, entre Pérols et Carnonville-la-mer fut enfin posé et le Chemin Départemental N° 21, à partir du côté sud du canal jusqu’à la plage, put enfin être goudronné (la goudronneuse ne pouvait pas prendre le bac). Les premières automobiles, les jours d’affluence, y stationnaient en créant parfois des embouteillages. (Fig. 21) Enfin, en 1948, un nouveau pont en arc est construit, qui facilite l’entre dans la station. (Fig. 22), (fig. 23).

Le pont Lambert détruit en 1944 par l’armée allemande
Fig. 21 Le pont Lambert détruit en 1944 par l’armée allemande. (Collection privée).
Le pont de Carnon en béton de 1948
Fig. 22 Le pont de Carnon en béton de 1948. En fond, les cabanes de Pérols. (Coll. Léopoldine Dufour).
Le pont de Carnon en place depuis 1948
Fig. 23 Le pont de Carnon en place depuis 1948. (Cliché de Marie-José Ars - 2013).

Il existait un semblant de chemin en direction de Palavas, une piste de sable, mais c’était tout, Carnon était un « cul de sac ». Un changement important se produisit, à partir du 19 décembre 1928, date de l’inauguration de la passerelle 7 sur le canal en amont du grau à poutrelles ; elle permit aux véhicules et aux piétons de circuler d’une rive à l’autre, et de pouvoir se diriger vers Le Petit et Grand Travers. En fait Jean Cibrand avait offert une participation de 11 000 francs à la commune de Mauguio pour la construction de cette passerelle. (Fig. 24) En juillet 1970 on inaugure le port qui devient alors le nouveau centre-ville, rive gauche. « L’étang de Solignac est comblé, le grau est élargi et les cabanes qui le bordent sont démolies à coup de bulldozer. Le pont est abattu et remplacé beaucoup plus loin par une passerelle en béton. » 8 La rive droite, le berceau de Carnon est un temps désertée, et aura du mal à retrouver son âme. Aujourd’hui, sur la passerelle piétonne Mertem, on a créé un espace de restauration. (Fig. 25)

Carnon : le Bosquet, le grau à poutrelles et la passerelle de 1928
Fig. 24 Carnon : le Bosquet, le grau à poutrelles et la passerelle de 1928.
(Coll. privée).
Le port de Carnon, la passerelle piétonne des deux rives et son restaurant en 2020
Fig. 25 Le port de Carnon, la passerelle piétonne des deux rives
et son restaurant en 2020. (Collection Pierre Andrès).

La route des plages (chemin côtier départemental n°59)

Bien avant la seconde guerre mondiale, le projet d’une route littorale, entre Palavas et le Grau du Roi était dans l’air, les Ponts et Chaussées avaient déjà relié Palavas et Carnon, les deux stations balnéaires à la mode depuis la Belle époque. Le 20 octobre 1930, le Syndicat d’initiative de Montpellier souhaitait voir la réalisation, le plus rapidement possible, d’un chemin côtier départemental, reliant Palavas-les-Flots au Grau-du-Roi. Les travaux commenceront en 1938 et seront stoppés en 1942, par l’invasion de l’armée allemande en zone libre.

En 1940, les propriétaires des terrains longeant les plages entre Carnon-Est et le Grand-Travers s’étaient regroupés dans une association syndicale pour financer, sur 3 km, un chemin vicinal dans le prolongement de l’unique artère de Carnon, l’avenue Grassion-Cibrand, en direction du Domaine du Grand Travers, travaux stoppés, faute de main d’œuvre en 1942 et par l’occupation allemande.

Ils reprendront en 1952, là où ils avaient été stoppés, c’est-à-dire, à 1830 mètres à l’est du Domaine du Petit Travers et seront définitivement terminés en 1953. (Fig. 26), (Fig. 27).

La sortie de Carnon, l’avenue Grassion-Cibrand, le réservoir, le Mas du Petit Travers, et à l’horizon La Grande-Motte, en 1975
Fig. 26 La sortie de Carnon, l’avenue Grassion-Cibrand, le réservoir,
le Mas du Petit Travers, et à l’horizon La Grande-Motte, en 1975.
La dernière image de la route de la plage (en sens unique) en 2013
Fig. 27 La dernière image de la route de la plage
(en sens unique) en 2013. (Coll. privée).

Contrairement à la tradition orale, ce n’est pas l’armée allemande qui a tracé la route du littoral, ni l’armée américaine. Tout au plus, de 1936 à 1942, ce sont les réfugiés espagnols, réquisitionnés par le Commissariat au chômage, qui ont ouvert ce chemin.

À la fin de la guerre tout était à reconstruire, en particulier les ponts et les routes que les Allemands, en partant, avaient fait sauter. Il faudra attendre 1953, pour que soit terminée la route départementale N°59.

De 1952 à 1953, le département de l’Hérault va terminer la construction de la route touristique littorale entre Carnon et le Grau-du-Roi dont le tracé comprenait : l’avenue Grassion-Cibrand, le lotissement de Carnon-plage, le chemin d’exploitation créé par l’Association Syndicale à partir de la fin de l’avenue. En fait le Département se contentera de l’élargir, abandonnant le tracé prévu par l’Association Syndicale du chemin d’exploitation, et aura une orientation parallèle au rivage. Ce dernier traversera la quasi-totalité de la propriété des Consorts Grassion, tantôt en tranchée au travers des dunes, tantôt en surplomb.

Pour donner une valeur entière à la route touristique (vues sur la mer) les Consorts Grassion, vont consentir sur l’insistance des ingénieurs des Ponts et Chaussés, à céder au département les parcelles, côté mer, à l’est de la route, à la limite des Petit-Travers et Grand Travers. À la suite de tractations, un accord a été réalisé et matérialisé par une promesse de cession gratuite des terrains nécessaires à la création de cette route, soit une superficie de 34 596 m² cédés par les Consorts Grassion et 22 400 m² cédés par l’Association syndicale.

Palavas et Carnon : l’urbanisation

Jean-Marie Amelin, qui était professeur de dessin à l’école régimentaire du Génie de Montpellier dans la première moitié du XIXe siècle, a utilisé ses nombreux loisirs à parcourir tout le département et à ‘croquer’ les sites et les édifices qui lui paraissaient dignes d’intérêt.

Lorsqu’il vient en 1823 à Palavas, il voit la Redoute de Balestras désarmée et occupée par un simple vigile. Quand il revient en 1849 pour retoucher son croquis, la chapelle et la caserne des douaniers ont été construites et autour se serrent les cabanes des pêcheurs. Cabanes qui se louent déjà aux premiers amateurs de bains de mer venus en barque par les quatre canaux, puisqu’il n’y a pas encore de pont. « Palavas est composé de 26 habitations dont 3 en maçonnerie, les autres sont en jonc, parmi ces habitations il y a 2 cabarets… la population de ce hameau compte 120 individus tous occupés de la pêche » 9. (Fig. 28), (Fig. 29)

Jean-Marie Amelin : Le village de Palavas en 1849, la Caserne des Douaniers, la Redoute de Balestras, les cabanes des pêcheurs et l’église
Fig. 28 Jean-Marie Amelin : Le village de Palavas en 1849, la Caserne des Douaniers, la Redoute de Balestras, les cabanes des pêcheurs et l’église. (Médiathèque Émile Zola Montpellier Métropole Méditerranée).
Jean-Marie Amelin : le village de Palavas en 1849
Fig. 29 Jean-Marie Amelin : le village de Palavas en 1849.
(Médiathèque Émile Zola de Montpellier).

En 1863, Palavas est en train de devenir une station balnéaire et l’on peut lire sur un dépliant touristique : « Il y a trente ans à peine, à quelques mètres en avant du grau du Lez, isolées comme le vieil édifice de Maguelone, quelques cabanes, que venaient visiter parfois des chasseurs-canotiers descendant la rivière, se distinguaient disséminées sur l’emplacement de Palavas. Aujourd’hui, cette commune, où le syndic de mer exerce par privilège son autorité, compte près de six cents habitants, et, pendant la saison d’été, baigneurs et baigneuses viennent s’y réunir par milliers, dans l’espoir de ranimer des forces languissantes chez de frêles enfants » 10.

On connaît les peintures de Gustave Courbet de 1857 « souvenir des cabanes » et « la plage de Palavas », mais, en 1847, un peintre nommé Joseph Veyrat avait déjà accroché une toile à l’exposition des amis des arts à Montpellier. Son tableau intitulé « Les Cabanes de pêcheurs (environs de Montpellier) » avait eu une critique honorable de la presse :

« Les Cabanes, cette petite colonie habitée naguère par quelques pêcheurs ignorés, où l’on ne trouvait çà et là que de frêles chaumières protégées par un fossé verdâtre creusé dans le sable, est menacée de perdre bientôt le caractère de son originalité native. Dotées depuis peu d’un bureau de tabac, d’un agent de police 11 et de tous les grands bienfaits de la civilisation, les Cabanes vont devenir un vrai village.

Déjà le chaume disparaît pour faire place « au moellon » qui s’aligne ; le pêcheur fume le cigare de Tonneins et joue au billard. 12 Il gagne en bien-être ce qu’il perd en allures pittoresques. Hâtez-vous donc, artistes vous qui aimez la nature telle que Dieu nous l’a donnée ! Hâtez-vous d’écrire sur vos albums quelques pages de mœurs de cette petite peuplade ! Il y a encore de jolies marines à rapporter de cette excursion peu lointaine. Encore un peu de temps, et vous n’aurez plus qu’une plage maussade à étudier et une mer bleue sans premier plan » 13.

À partir de 1875 et de la création de la ligne de chemin de fer Montpellier-Palavas, la saison des bains de mer est lancée. On pouvait lire dans le Guide du Baigneur en 1875 :

« La saison des bains de mer à Palavas ne commence, pour les habitants de Montpellier, que dans la semaine qui suit la clôture des processions de la Fête-Dieu. Aucun projet de villégiature ne s’exécute avant cette époque. Cependant les premiers baigneurs arrivent vers le milieu du mois de mai. La durée moyenne de la saison est de quatre mois, et va jusqu’au 15 septembre. Les bains cessent à la fin de septembre, mais le séjour sur le bord de la mer se prolonge quelquefois jusqu’au 15 octobre » 14

Mais la fortune de Palavas fait le malheur de Carnon, et tout particulièrement de l’exploitant du bac qui mène à la plage :

« L’exploitation de la voie ferrée par la Cie Jorret 15 a transporté pendant la saison d’été des milliers de baigneurs qui se sont rendus à la plage de Palavas, au détriment de la plage de Carnon qui, autrefois très riante et très fréquentée, a été complètement abandonnée depuis la construction de ce chemin de fer. Je ne crains pas de dire que 10 à 12 personnes seulement, pendant toute la saison balnéaire ont pris des bains sur la plage de Carnon… »

Les Domaines viticoles de Palavas à La Grande Motte

L’expansion touristique des deux stations balnéaires ne s’est cependant pas faite seulement aux dépens d’un désert de dunes et de sable. Dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à la Seconde guerre mondiale, l’urbanisation de Palavas et de Carnon a grignoté des vignes nombreuses. Il faut imaginer durant toute cette période un lido cultivé au sein de propriétés viticoles actives.

Après la crise du phylloxéra (1873/1874) le secteur marécageux est recouvert de vignes, car le parasite ne résiste pas en milieu humide. André Grassion, négociant en vin, originaire du Puy-de-Dôme, époux de Gabrielle Frédot, fera l’acquisition, à partir de 1919, des propriétés du littoral, ayant appartenu autrefois à Charles d’Espous de Paul, en particulier : des terres à Carnon, les Mas du Petit et Grand Travers, de la petite et la Grande Motte, sauf la partie de la plage de l’Avranche qui sera achetée, en 1958, par les enfants de Guillaume Brionnet et Marie Cibrand, sœur de Jean Cibrand associé des Grassion.

M. Grassion avait toujours laissé un espace libre, sur l’emplacement de l’ancien grau du Petit Travers, car il pensait que tôt ou tard, la nature reprenant ses droits, la brèche risquait de se rouvrir. De nos jours, si cela arrive ce sera une catastrophe, car la mairie de Mauguio, récemment, y a fait construire des logements sociaux.

Encore en 1938, l’Annuaire de l’Hérault publiait le relevé systématique par commune des volumes de vins produits par les propriétaires déclarants. Ainsi à Palavas, les 150 hectares cultivés sur les deux rives du Lez produisaient en moyenne 5 000 hectolitres, les deux principaux domaines étant celui de Maguelone (famille Fabrège) rive droite, et celui de Saint-Maurice rive gauche entre Palavas et Carnon. Ne subsistent plus aujourd’hui que les vignes entourant la cathédrale de Maguelone (Fig. 30)

Les vignes de Maguelone sont gérées par un Centre d’aide par le travail
Fig. 30 Les vignes de Maguelone sont gérées par un Centre d’aide par le travail. (©Compagnons de Maguelone).

Pour Mauguio, dont relevait Carnon et toute la zone jusqu’à la Motte, les principaux propriétaires étaient alors Grassion-Frédot (la Grande-Motte, 5 800 hl), la Haute-plage (Jules Temple, 6 000 hl), le Petit-Travers (Etienne Léonce, 1 750 hl), la Petite Motte (Fontanieu et Grassion-Cibrand, 2 200 hl). Toutes ces terres ont changé assez souvent de propriétaires, au gré des héritages ou des spéculations foncières : toujours est-il qu’il ne s’agissait pas de dunes sablonneuses abandonnées à leur sauvagerie.

À Carnon, au bout de l’avenue Grassion-Cibrand commençait le Domaine du Petit-Travers.

Cette partie de plage que nous étudions fut, avant la Révolution, la propriété des Chevaliers de Malte. Le Général de Solignac avait fait l’acquisition de leurs biens saisis et vendus comme biens nationaux en 1825. C’est lui qui construisit la bergerie dite « Despous » sur la plage, près du Petit Travers. Probablement il y élevait des moutons de prés salés et exploitait la sagne, ce petit roseau de Camargue. Puis, le 5 juillet 1852, Napoléon de Solignac vendra les terres de son père à la famille d’Espous. À la fin du XIXe siècle, le domaine est divisé entre trois héritiers. « C’est à cette époque que seront construits les mas et bâtiments, correspondant aux trois domaines, dont la chapelle » 16.

  1. Petit Travers-et Grand Travers propriété de 80 hectares de vignes, attribués au vicomte Philippe d’Espous de Paul.
  2. La Motte et 120 hectares de vignes à Louise Charlotte Marie d’Espous de Paul épouse d’Antoine de Rovérié de Cabrières.
  3. Haute Plage, c’est une désignation nouvelle inventée par les D’Espous, propriété de 100 hectares de vignes attribuée au Comte Henry d’Espous de Paul.

Le domaine du Petit-Travers se composait de trois zones parallèles ; la première au nord, en bordure du canal latéral, était constituée par des lagunes et des marécages peu profonds ; la seconde, au centre, formée par l’aplanissement des dunes était à 1 m de hauteur en moyenne, par rapport au niveau des étangs, et était entièrement plantée en vigne ; la troisième était une succession de dunes de sable de hauteurs variables, comprises entre 2 m et 4 m : ces dunes recouvertes d’une végétation maigre s’abaissaient brusquement vers la mer qui se trouvait à une distance de 60 m du pied de ces dunes.

Philippe d’Espous de Paul qui hérita du Petit Travers et du Grand Travers, était un passionné de chevaux de course. Il se servait de ses domaines pour l’entraînement de ses purs sangs. L’entraînement se faisait sur la plage où le spectacle était permanent et où une foule de connaisseurs se pressaient pour voir courir les plus beaux chevaux de la région 17. La famille d’Espous était par ailleurs propriétaire d’un champ de course à Gramenet sur la route de Palavas.

Au Grand-Travers, un mas, au pied de la Tour Signal, avait été bâti près du chemin de halage, car il n’y a toujours pas de route pour accéder au domaine. En 1930, lors d’un changement de propriétaire, la description en était ainsi faite : « terrains de toute nature, pièces de terre, vignes, champs, rivages, marais, jonchères, salants, chemins, dunes, construction diverses pour habitation des ouvriers et régisseurs, celliers, écuries, matériel divers, le tout représentant une superficie de 193 hectares, 14 ares environ. » Les limites du Domaine étaient : au nord, les francs-bords du canal du Rhône à Sète, à l’est le Domaine de la Petite Motte, au sud les dunes longeant le rivage de la mer et à l’ouest le domaine du Petit Travers.

De villages en villes

Le 29 janvier 1850, les hameaux des Cabanes et de Balestras, dépendant de la commune de Mauguio, étaient érigés en commune, sous le nom de Palavas. Les terrains des trois communes voisines en furent distraits, à savoir : Mauguio, Villeneuve-lès-Maguelone et Lattes. Les premiers habitants, sont bien sûr les pêcheurs de la région, mais la population estivale grandit d’année en année, malgré les moustiques, le manque d’hygiène et les exhalaisons fétides de la « malaïgue » 18. Le 16 avril 1928, après délibération du Conseil Municipal, sous la présidence du maire François Molle, Palavas devient officiellement Palavas-les-Flots.

Palavas s’approvisionnait en eau douce au puits de l’ermite rive droite. En 1906, face à la demande d’eau toujours croissante due à l’augmentation de la population, on décide de construire un petit réservoir au sommet de la Redoute désaffectée de Balestras. (Fig. 31) Vers 1930, un second réservoir d’eau plus grand remplace l’ancien, au même endroit. Cela ne suffira pas, pour répondre à la population grandissante, il faudra, en 1943, pour construire un troisième Château d’eau, en entourant les édifices primitifs. Cachés à l’intérieur de ce dernier, la redoute et le petit réservoir tombent dans l’oubli. (Fig. 32)

La Redoute de Palavas, surmontée du premier réservoir d’eau, en 1906
Fig. 31 La Redoute de Palavas, surmontée du premier réservoir d’eau, en 1906.
(Coll. privée).
Palavas en 1943, le château d’eau en construction
Fig. 32 Palavas en 1943, le château d’eau en construction.
(Collection : ©David Mallen, avec son aimable autorisation).

La Redoute de Balestras 19 à l’intérieur du château d’eau de 1943, sera démontée pierre par pierre.

Les pierres manquantes ont été retaillées, puis la nouvelle Redoute de Ballestras a été remontée au milieu de l’Étang du Levant. Elle abrite aujourd’hui le Musée d’Albert Dubout, dessinateur humoristique qui a croqué, de façon caricaturale, la vie palavasienne, au XXe siècle.

Le château d’eau ; quant à lui, est devenu « le Phare de la Méditerranée ». En son sommet, on a édifié un restaurant tournant, il abrite, au rez-de-chaussée, l’office du tourisme et plusieurs expositions. La commune de Palavas-les-Flots a reçu la « Marianne d’or » décernée aux projets municipaux remarquables ! Il faut reconnaître que c’est une transformation incroyable. (Fig. 33)

La petite ville de Carnon-Plage prend son essor dans « les Années Folles » de l’entre-deux-guerres et se développe considérablement avec les congés payés de 1936. Le décalage temporel avec Palavas, voisine et rivale, tient à la difficulté d’accès à la station qui était tributaire du bac. Le pont enjambant le canal des étangs n’entra en fonction qu’au début des années 1920, qui permit aux automobiles et aux autocars d’arriver directement sur la plage. Rive gauche, il n’y a qu’une seule artère qui prend le nom des anciens propriétaires et bienfaiteurs de la station, les associés et amis André Grassion 20 et Jean Cibrand. Cette interminable avenue Grassion-Cibrand se prolonge jusqu’au Petit Travers.

La Redoute de Ballestras dans l’étang dit du Levant, et au second plan, le Phare de la Méditerranée
Fig. 33 La Redoute de Ballestras dans l’étang dit du Levant, et au second plan, le Phare de la Méditerranée. (Collection privée).

Chantal Fédière-Guiraudon, témoigne en 1946 des conditions d’accueil des vacanciers au lendemain de la guerre :

« Mes premières vraies vacances après les restrictions : 15 jours à la mer; j’avais 4 ans et demi et déjà vu la mer, mais de loin. C’est un bus qui s’arrêtait aux 4 canaux qui nous avait amené depuis Montpellier. Je me souviens du pont de bois assez fragile.

La location était rive gauche très rudimentaire, en rez-de-chaussée à même la rue qui n’était pas encore une avenue et se terminait quelques centaines de mètres plus loin barrée par des poteaux de bois et de fil de fer barbelé, avec une sentinelle qui veillait à ce qu’on ne franchisse pas l’obstacle. Je pense que la plage au-delà avait été minée et n’était pas encore déminée.

J’ai tout de suite adoré la mer et la baignade. Pour aller à la plage nous devions franchir un petit cordon dunaire planté d’oyat, de lys des sables, d’anthémis et autres plantes de la dune. Dans la petite cour de la location, nous avions la possibilité de faire des grillades de sardines. Le soir il nous fallait lutter contre les moustiques. Nous mettions donc nos pyjamas, au bas des jambes un lien de ficelle et nous faisions un feu de bois au milieu de la cour. À Carnon il y avait un bazar près de la placette du pont où l’on vendait tous les accessoires de la plage. Sur cette place s’était installé un petit manège et j’ai eu droit à un ou deux tours. »

Cabanes, villas et immeubles

Le lido, et plus largement le pourtour des étangs fait coexister trois types d’habitat, qui sont autant de strates chronologiques.

Les premiers habitants attirés par la pêche, se sont abrités dans des cabanes aux toits de chaume, telles qu’on en voit encore aujourd’hui en Camargue. Au fil du temps, elles se sont consolidées et rendues plus confortables. De génération en génération, les familles ont pu s’éloigner des activités piscicoles et transformer les cabanes en résidences secondaires, lieux de loisir le dimanche, ou se rapprocher de l’allure des petits pavillons de banlieue. Ce sont ces quartiers que l’on peut encore trouver bien vivants autour de l’étang de l’Or : cabanes de Mauguio à l’embouchure du Salaison, cabanes de Lunel, à l’extrémité orientale de l’étang, ou encore cabanes du Lez entre étang du Méjean et étang de l’Arnel. Ce sont aussi ces cabanes qui donnent leur pittoresque aux paysages des étangs. (Fig. 34) et (Fig. 35)

Claude Reynier (1942-2012) : La cabane de Timothée au bord du Lez
Fig. 34 Claude Reynier (1942-2012) :
La cabane de Timothée au bord du Lez.
José Ars (1923-2021), peintre du dimanche, devant la cabane de Timothée
Fig. 35 José Ars (1923-2021), peintre du dimanche, devant la cabane de Timothée. (Cliché M.-J. Guigou – 1988).

Sur le lido même, le phénomène est particulièrement visible à Palavas, du fait de son ancienneté relative par rapport aux deux autres stations. Le centre ancien de Palavas s’organise sur les deux rives du Lez avec les alignements de maisons de pêcheurs, reliquats de l’époque de la IIIe République. Mais les cabanes bordent toujours les canaux, qu’il s’agisse du grand canal du Rhône à Cette, ou des canalettes qui irriguent le centre ancien.

L’expansion démographique due au tourisme balnéaire a fait naître les chalets et villas de bord de mer tout au long des longues avenues longeant la côte, avenue de St Maurice à Palavas, avenue Grassion-Cibrand à Carnon. Les premières générations de villas appartiennent à des familles aisées de Montpellier ou de Nîmes, qui passaient leurs vacances d’été à la montagne, dans la fraîcheur de Lamalou ou de La Salvetat, et que la mode des bains de mer réoriente vers le littoral – malgré les moustiques. La ligne de villas du front de mer, les pieds dans l’eau, est plus prisée que celles sur l’autre trottoir qui regardent vers l’étang et ses eaux saumâtres. (Fig. 36)

Quelques rares hôtels se proposent au début du siècle. Ainsi à Carnon, une page publicitaire parue dans le Guide de l’Hérault de 1901 met en avant la présence de F. Porte, le directeur de l’Éden Concert de Montpellier, qui propose aux vacanciers un hôtel-café-restaurant avec salle de bal et de concert, cercle, salon de lecture, ainsi qu’un chalet et des appartements pour les familles.

À Palavas, c’est le Grand Hôtel qui tient la vedette, sur la rive gauche, proche à la fois de la gare et des quais. (Fig. 37) Durant la Grande Guerre, l’hôtel fut réquisitionné comme hôpital militaire. L’air marin était considéré comme un facteur de guérison pour les blessés. Ce qui entraîna l’apparition d’institutions médicales, installées sur la rive droite.

Carnon-Plage, rive gauche du canal du grau, Avenue Grassion-Cibrand vers 1930
Fig. 36 Carnon-Plage, rive gauche du canal du grau,
Avenue Grassion-Cibrand vers 1930. (Coll. privée).
Palavas. Le Grand Hôtel transformé en hôpital militaire pendant la guerre de 1914-18
Fig. 37 Palavas. Le Grand Hôtel transformé en hôpital militaire
pendant la guerre de 1914-18. (Coll. privée).

En marge du tourisme saisonnier se sont en effet développés des établissements pour accueillir, en cure, des enfants et des adolescents. Le premier du genre fut aménagé, rive gauche, près du cimetière, dans un simple baraquement, par le bureau de bienfaisance de l’orphelinat de Montpellier. Puis, Frédéric Fabrège, le propriétaire de Maguelone, donna un vaste terrain, rive droite, pour créer un centre hélio-marin pour les enfants. Faute de moyens, le projet sera retardé et stoppé par la guerre de 14/18. La paix revenue, l’œuvre des enfants de la mer, fondée par le comité de Montpellier, installa des baraquements où une centaine d’enfants passèrent une quinzaine de jours. Le Comité décida de construire un sanatorium pour soigner les enfants malades. La famille Giniez, fondatrice de l’œuvre fit l’acquisition d’un chalet et dans des baraquements et un poste de secours, accueillera toute l’année des enfants et démontrera les bienfaits de l’air marin sur leur santé. Le sanatorium Saint Pierre venait de naître, certes depuis 100 ans, il a subi de nombreux changements, mais sa réputation n’est plus à faire, on n’y soigne plus la tuberculose qui a pratiquement disparu, mais toutes sortes de pathologies infantiles. (Fig. 38), (Fig. 39) et (Fig. 40)

Le premier sanatorium de Palavas en 1919, le chalet Giniez-Mares
Fig. 38 Le premier sanatorium de Palavas en 1919,
le chalet Giniez-Mares (coll. privée)
Le second sanatorium, construit à 100 m à l’ouest du précédent : l’Institut marin St Pierre en 1937
Fig. 39 Le second sanatorium, construit à 100 m à l’ouest du précédent : l’Institut marin St Pierre
en 1937. (Coll. privée).
L’Institut St Pierre, vu du côté nord, disparaît sous le coup de pelleteuse en 1995
Fig. 40 L’Institut St Pierre, vu du côté nord, disparaît sous le coup de pelleteuse en 1995.
(Cliché M.-J. Guigou).

Pendant quelques décennies les deux stations ont vu s’étendre des architectures assez modestes, au caractère populaire affirmé, telles qu’on peut les apercevoir dans les années 1950-60 dans des photographies de familles. (Fig. 41), (Fig. 42)

1950 – Palavas-les-Flots, quelques tenues de plage masculines
Fig. 41 1950 – Palavas-les-Flots, quelques tenues de plage masculines. (Collection privée).
1966 ⎼ une pin-up à Carnon
Fig. 42 1966 ⎼ une pin-up à Carnon.
(Collection privée).

Enfin, dans l’évolution urbaine des stations viennent les immeubles, seuls capables d’accueillir le tourisme de masse, et qui sont d’autant plus denses que la station est plus récente. La Grande-Motte est conçue, dès son origine dans les années 1960, comme une ville, alors que Palavas propose des paysages plus composites, de même que Carnon malgré la réorganisation du centre-ville autour des bassins du port de plaisance. (Fig. 43) et (Fig. 44)

Le front de mer de Palavas de nos jours
Fig. 43 Le front de mer de Palavas de nos jours.
(Coll. privée).
Le centre de Carnon vu du port, de nos jours
Fig. 44 Le centre de Carnon vu du port, de nos jours. (Coll. privée).

Reste que la mythologie populaire du lido s’est pour une large part focalisée sur les espaces « sauvages » à bonne distance des stations. (Fig. 45, 46) L’histoire de la colonisation d’un lido sauvage peut se lire comme une succession d’épisodes de conflits ou de luttes sourdes entre des populations occupant les dunes et plages ou les abords des étangs, pour des activités piscicoles ou pour leurs loisirs, et de nouvelles catégories d’usagers appuyées sur les politiques municipales ou nationales d’aménagement et de tourisme. De même que les quartiers de ‘cabanes’ sont régulièrement menacés de mesures de normalisation, des usages populaires du lido se trouvent en butte à des politiques d’aménagement. De tels épisodes dans l’histoire du lido languedocien illustrent le bouleversement des « paysages » façonnés par les usagers de ces espaces littoraux.

J.-J. B. Laurens : Les grandes dunes
Fig. 45 J.-J. B. Laurens : Les grandes dunes. (Collection bibliothèque de Carpentras).
Le domaine du Grand Travers et la tour Signal en 1958
Fig. 46 Le domaine du Grand Travers et la tour Signal en 1958.
(Cliché de Sa Cha alias : Chantal Savanier).

L’organisation des loisirs

Les bains de mer sont l’élément premier et fondamental de la vogue des plages languedociennes. En tant que telles, la baignade et l’exposition au soleil ne réclament pas d’organisation ni d’infrastructures lourdes, et l’utilisation des longues plages quasi désertes sur tout le lido le montre bien.

L’accès aux plages

À partir de 1872, le « petit train » parti de Montpellier arrive en gare à quelques mètres de la plage, en plein centre du village, sur la rive gauche. Par la suite, les voitures automobiles envahissent progressivement les abords des plages.

À Carnon, ce sont des autocars qui déversent les citadins sur la place. L’atmosphère populaire des journées passées à la mer reste en mémoire :

« Mes premiers souvenirs des dimanches à Carnon, datent du début des années 1950. On prenait l’autobus au Cours Gambetta, au « Bar des autobus » le bien nommé, avec mes parents, mes frères et ma grand-mère maternelle. Arrivés à Carnon, rive droite, il fallait tout de suite retenir la mise de table au Kursall. Pour un prix modique, le patron, nous fournissait les couverts et une carafe d’eau et on prenait place sur la véranda en bois, face à la mer. On s’installait sur une table en planches posée sur des tréteaux et des bancs. Ma grand-mère, alors sortait un saladier de la cagette (haute et arrondie aux angles) à l’intérieur, des pommes de terre et des œufs cuits, qu’elle épluchait et écalait pour préparer la fameuse salade du pique-nique. Vite, nous allions prendre place sur la plage et installer notre parasol et nos serviettes. Quant aux vacanciers qui louaient pour un mois, eux ils laissaient les leurs, en permanence, toute la journée, personne n’aurait eu l’idée de les leur voler.

L’après-midi, pieds nus, sur la rive gauche, on allait acheter une glace, je me souviens du goudron chaud qui me brulait la plante de pieds, on faisait vite (les tongs n’existaient pas encore !)

Plus tard, dans les années 1960, le patron avait installé, dans la salle de restaurant, une table de ping-pong, un flipper et un juke-box où j’écoutais en boucle « Daniela » chanté par « Eddy Mitchell et les Chaussettes noires » L’après-midi, tous les ados se retrouvaient ensemble sous un même parasol. C’était le bonheur ! » 21

L’installation sur la plage reste peu organisée. Certes à Palavas, le Grand Hôtel offre le service de cabines de bains, et le casino Granier met à disposition de sa clientèle une tonnelle précaire. (Fig. 47) Mais la grande foule des baigneurs se déshabille sur le sable.

Le dames de la bonne société à l’ombre de la tonnelle
Fig. 47 Le dames de la bonne société à l’ombre de la tonnelle. (Coll. privée).

On constate aussi, au fil des générations de vacanciers, une grande continuité d’habitude de garer les véhicules individuels au plus près de la plage. (Fig. 48, Fig. 49 et Fig. 50)

Carnon au début du 20e siècle, en famille, en charrette
Fig. 48 Carnon au début du 20e siècle, en famille,
en charrette. (Coll. privée).
Plage de Palavas, rive droite, vue depuis le Casino, en 1928
Fig. 49 Plage de Palavas, rive droite,
vue depuis le Casino, en 1928. (Coll. privée).
La marque des voitures a changé, mais on se gare toujours sur la plage, en 1958
Fig. 50 La marque des voitures a changé, mais on se gare toujours sur la plage, en 1958. (Coll. privée).

Casino et Kursaal

Les stations balnéaires, comme les stations thermales qui les ont précédées, se doivent de posséder un Casino pour attirer la clientèle des vacanciers en dehors des heures de plage.

Palavas se flatte de posséder un casino, propriété de Marius Granier, installé rive droite face à la plage. On y vient boire, danser, jouer. On y vient par le train ou la diligence, mais aussi, pour quelques privilégiés, en automobile. Ouvert à partir de l’été 1882, le Casino fut un atout majeur pour la station, d’ailleurs, la saison estivale s’étalait sur 4 mois, le temps de son ouverture. Le Casino possédait une salle de spectacles où se produisirent les meilleurs artistes. Dans la nuit du 19 au 20 avril 1906, un incendie se déclare sur la scène de la salle de spectacle. Les salles de jeux et du restaurant sont détruites en partie. Pour ne pas perdre la saison, Marius Granier réalise une installation provisoire dans les vestiges qui furent rasés à l’automne. 22 L’été 1907, verra l’ouverture d’un nouvel établissement.

Au fil du temps, le Casino subira de nombreuses transformations, avec des ajouts en béton sur les façades, la salle de théâtre sera transformée en 1940 en cinéma, En 1968, il sera à nouveau démoli, pour faire place à l’immeuble que nous connaissons aujourd’hui. À la fin du 20e siècle, la salle de projection disparaîtra à son tour, le hall d’entrée du cinéma sera cédé à la ville pour accueillir des expositions, la municipalité agrandira l’espace par une véranda vitrée sur le trottoir, c’est aujourd’hui : la galerie municipale Gustave Courbet.

Le bâtiment initial, de style ‘chalet’ a progressivement perdu de son originalité au fil des transformations. Il peine aujourd’hui à se distinguer des immeubles voisins, et ne figure plus comme le monument emblématique de la station qu’il était entre les deux guerres. (Fig. 51, Fig. 52 et Fig. 53)

Le premier Casino inauguré en 1882
Fig. 51 Le premier Casino inauguré en 1882.
(Coll. privée).
1952 – Le Casino a subi quelques transformations
Fig. 52 1952 – Le Casino a subi quelques transformations. (Photo tirée de « La vie Palavasienne d’antan » de Marc Bourdallé).
Vue du Casino et de la galerie Gustave Courbet en 2019
Fig. 53 Vue du Casino et de la galerie Gustave Courbet en 2019. (Collection privée).

À Carnon, au début du siècle, la station balnéaire est moins avancée que sa voisine et rivale, faute d’un accès aussi commode que le train d’intérêt local. Cependant le directeur de l’Éden Concert de Montpellier a investi dans la station, ce qui permet de déplacer ses artistes sous contrat sur la côte pour la saison d’été. Un Kursaal, sans grand caractère, et construit en bois s’élève sur la place, près de la station d’autobus. Ultérieurement, il sera remplacé par un édifice tout aussi modeste installé le long de la jetée. (Fig. 54)

Vers 1960, Carnon, le canal et le nouveau Kursaal
Fig. 54 Vers 1960, Carnon, le canal et le nouveau Kursaal. (Collection privée).

Les campings

Même si la bourgeoisie montpelliéraine y possède volontiers une villa, Palavas et Carnon sont des stations populaires à mille lieues de leurs homologues sur la Manche ou la côte atlantique. Accueillant le public des « congés payés » avide de soleil, les deux stations voient leurs plages envahies par le camping. Les longues suites de dunes isolées sont favorables au camping sauvage, en particulier à l’est de Carnon. Ce sont des kilomètres de sable qui ont été libérés du vignoble par la coupure de l’Occupation. Les dunes sont devenues un enjeu stratégique. Des batteries anti-aériennes, des blockhaus furent construits le long du rivage, au bord des routes. (Fig. 55) Sur la plage des chevaux de frise, des pyramides de béton et un mur furent construit par l’Organisation Todt. Les plages, mais aussi les vignes, étaient minées et clôturées par des fils de fer barbelés, avec la fameuse pancarte « Archtung Minen » Les vignes n’étaient plus cultivées, les raisins pourrissaient sur les souches. À partir du débarquement en Normandie, du 6 juin 1944, la population du littoral héraultais est évacuée en masse (plus de 60 000 personnes sont déplacées). Aucun civil n’a plus accès à la côte, hommes et animaux ont dû trouver refuge à l’intérieur des terres. Le lido retourne ainsi à son état sauvage, et sa désertification favorisera, après guerre, son occupation par les campeurs avides d’espaces libres. (Fig. 56). Progressivement le camping s’organise, mêlant toiles de tentes, cabanes plus ou moins légales et premiers immeubles, comme dans la zone du Grand-Travers et du Copacabana. (Fig. 57)

Ruines d’un blockhaus sur le lido, en 1960
Fig. 55 Ruines d’un blockhaus sur le lido, en 1960. (Photo tirée de La Grande Motte, une histoire et des hommes par Elsa Schellhase-Monteiro).
Le camping sauvage
Fig. 56 Le camping sauvage.
(Collection privée).
Les campings du Grand-Travers et du Copacabana en 1958
Fig. 57 Les campings du Grand-Travers et du Copacabana en 1958.
(Collection privée).

Ailleurs, les campings sont plus denses, comme au grau du Prévost entre Palavas et Maguelone. C’est alors toute une petite ville de toile qui s’organise sur une étroite bande de terre. (Fig. 58)

1965 – Palavas, le camping Anthérieu, rive droite et le pont du Grau du Prévost
Fig. 58 1965 – Palavas, le camping Anthérieu, rive droite et le pont du Grau du Prévost. (Collection privée).

1971 : des hippies sur les plages de Palavas et Maguelone

À Paris, à Avignon, durant l’été 1971, la rumeur a couru, au sein de la communauté hippie, qu’un front de libération des jeunes était en train de se créer, à Palavas-les-Flots et Maguelone, sous la forme d’un « village sauvage ».

Le commandant de gendarmerie Gilbert Roquefort et sa brigade n’en crurent pas leurs yeux lorsqu’ils virent arriver, en groupe, cheveux longs, sacs à dos, guitare en bandoulière, en stop ou à pieds, les garçons en jeans, les filles en jupes longues, un bandana ou des fleurs dans les cheveux. Ils étaient partout dans Palavas, sur les quais, à la Mairie, sur la plage. Peu satisfaits de la société dans laquelle ils vivaient, ils voulaient tenter l’expérience de vivre d’une autre façon et de s’installer, ensemble, sur les terrains, rive droite, après le pont du grau du Prévost, jusqu’à Maguelone. Très à l’aise, au grand dam des puritains, ils se baignaient ou jouaient au ballon dans le plus simple appareil.

Le 8 août 1971, à 6 h du matin, un escadron de gendarmerie et une compagnie de CRS procédèrent à l’évacuation, sans incident, et conduisirent une partie d’entre eux, sur le plateau du Larzac ! D’autres ont repris la route, on en a dénombré un certain nombre à Sète.

Le passage des hippies marquera à jamais la plage de Maguelone qui va devenir, à son insu, une plage naturiste, ce qui ne sera pas du goût des Villeneuvois en colère qui, un été, pour retrouver la sérénité de leur plage familiale, viendront en tracteurs traquer les « culs nus » en les badigeonnant de peinture.

Pour ma part, ce ne sont que de bons souvenirs. On se retrouvait en famille, dès le mois de juin ; on y accédait en voiture par la route qui longeait l’étang de Pierre Blanche, on dépassait la colonie, on continuait sur la plage de galets après ‘la douane’ (l’ancien poste du Verdinel). On était presque aux Aresquiers. Il y avait un parasol tous les 100 m, on y faisait même la paella (aujourd’hui les feux sont interdits sur la plage). Malheureusement, la tempête de novembre 1982 a emporté la route et rouvert l’ancien grau du Verdinel. Les pêcheurs souhaitant fixer l’ouverture du grau, car les palourdes étaient revenues en nombre dans l’étang de Pierre Blanche, la municipalité donna son accord, à la seule condition que soit rétablie la route, mais ce ne fut pas le cas.

La Guinguette de Robinson

Ce qui rendait mythique la route côtière après Carnon, c’étaient, bien sûr, les dunes et l’immense plage vierge qui la longeaient, mais aussi, sans nul doute, un lieu ignoré des cartes routières, situé à 1830 mètres exactement, à l’est du Mas du Petit-Travers, à l’endroit où la construction de la route avait été interrompue en 1942, j’ai cité la ‘Guinguette de Robinson’ tenue par un certain René Laune, dit le Pinson. (Fig. 59)

Les grandes dunes à Robinson
Fig. 59 Les grandes dunes à Robinson.
(Collection privée).

C’est au printemps 1952, que René Laune bâtit une cabane avec du matériel abandonné à Fréjorgues par l’armée allemande. Bien sûr, il a l’autorisation du propriétaire M. Alfred Grassion 23 qui lui délivre un bail oral et à vie. Au début, ce n’est qu’une simple buvette avec ‘mise de table’ comme c’était la mode à l’époque. Puis au fil du temps, cela devint un restaurant, un magasin d’alimentation, et même un dancing. La convivialité de René, la cuisine de son épouse Marcelle, le lieu sauvage en pleine nature, le bouche à oreille, vont en faire un lieu à la mode où on viendra manger pour trois fois rien, mais aussi danser, prendre un bain de minuit, de nombreux étudiants s’en souviennent ! (Fig. 60)

L’entrée de Robinson
Fig. 60 L’entrée de Robinson. (Collection Jacky Laune).

Avec la mode des bains de mers, une petite colonie d’estivants campait autour de Robinson, diverses cabanes ou abris avaient été construits avec la permission de M. Grassion. Un car venant de Montpellier assurait une navette régulière, car la plupart des familles n’avait pas de véhicule. D’année en année, ce rassemblement augmentait et finissait par inquiéter la Préfecture. Des cabanes dans les dunes attendaient le retour des vacanciers. Le soir tombé, un groupe de vacanciers se réunissait au moment de l’apéritif, une cloche les appelait, comme dans les monastères, pour les repas. Ce furent d’abord des soirées prolongées, ensuite de grands repas de fêtes avec des amis, la famille, les campeurs voisins et les vedettes de passage. (Fig. 61)

Il y avait à Robinson un puits d’eau douce, ce qui raccourcissait le trajet pour la corvée d’eau des campeurs. Pendant longtemps, la famille Laune respectera le vieux droit coutumier : « cette eau je l’ai trouvée comment ne pas la donner » disait René. Il faisait chaud en été et la recherche d’eau entraînait des va-et-vient quotidiens à pied, la halte à Robinson évitaient d’aller jusqu’à Carnon. Une pause sur la terrasse à l’ombre des canisses était la bienvenue, on prenait un sirop et on avait une carafe d’eau.

Vue aérienne de Robinson et sa plage avant 1992
Fig. 61 Vue aérienne de Robinson et sa plage
avant 1992.

Les vedettes, les personnalités de passage dans la région ne manqueront pas d’y faire une halte et la renommée du lieu grandira encore.

Le 1er septembre 1959, la Préfecture diligenta une enquête sur le lieu-dit Robinson. Le brigadier-chef de police, adresse un rapport au maire de Mauguio : « m’étant transporté le 27 août 1959 au lieu-dit : « camping de Robinson », j’ai constaté que des tentes, cabanes en planches et même de vieux camions bâchés étaient posés dans les dunes ». Le 9 septembre 1959, c’est le Conseil départemental de l’hygiène qui s’en mêle, voici son rapport : « les terrains sont occupés par de petites habitations légères, type bungalow, préfabriqués, implantés dans les dunes, entre la route et la mer, à côté du restaurant Robinson et divers types d’abris (wagons transformés, tentes etc.) L’alimentation en eau est assurée par des forages pratiqués dans la nappe phréatique à 2 mètres de profondeur… Les W.C. sont insuffisants : trois pour le restaurant pourvus de fosses fixes. Chaque bungalow possède des W.C. chimiques… les eaux usées se perdent dans le sable… Aucun service de voirie régulier n’est organisé pour l’enlèvement des ordures ménagères. »

Officiellement, en considération de la salubrité publique et de la sécurité, un décret préfectoral, le 20 juin 1960, interdit ce camping sauvage et le maintien de ces habitations saisonnières qui doivent être démontées et enlevées, au plus tard le 30 septembre 1960. La vraie raison, c’est l’aménagement du littoral qui prévoie de laisser libre de toute construction, la bande des dunes comprise entre la mer et la route. Le Service Départemental de la construction indique dans son rapport du 16 août 1960, qu’il s’agit d’une agglomération de 32 chalets et 90 à 100 personnes et composée de constructions légères, dont une bonne partie peut être considérée comme des résidences secondaires. L’assainissement et l’alimentation en eau de cet ensemble ne peut se concevoir qu’à l’aide de réseaux collectifs, or ceux-ci ne sont pas réalisables.

Le propriétaire M. Grassion-Frédot, des terrains loués sur lesquels sont installés les chalets ainsi que l’établissement « Robinson » est mis en cause, dans ce rapport : « On est fondé à considérer que Mr Grassion-Frédot a fait acte de lotisseur sans en avoir déposé aucune demande à ce sujet. »

L’été suivant, rien n’a changé, malgré les procès-verbaux et les notifications aux occupants, les vacanciers occupent les lieux. Cependant, étant donné l’avancement de la saison balnéaire, la possibilité est offerte aux occupants de solliciter un délai pour tout enlever. Sur les 20 propriétaires restants, 17 bénéficieront de cette faveur et ce jusqu’au 30 septembre 1961. Le 7 décembre 1961, sur 32 baraques il ne reste plus que 16 habitations. 24 Les « réfractaires » ont comme chef de file M. Martel, minotier à Alès et le général Plan qui vont introduire un pouvoir devant le Conseil d’État.

En 1967, cela faisait des années que la police municipale de Mauguio et la Gendarmerie, essayaient en vain de mettre un terme au camping sauvage sur la plage de Carnon, en particulier près de la Guinguette de Robinson.

Mais cet été 1967, rien ne va plus, le 22 Juillet, Raymond Marcellin, ministre délégué, auprès du Premier ministre Georges Pompidou, chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire, vient inaugurer le port de la Grande-Motte et visiter l’aménagement du littoral. Il faut faire place nette et les procès-verbaux pleuvent. 25 Tous reconnaissent l’infraction, mais aucun n’a l’intention de partir et ils argumentent, retardant l’échéance. Après de nombreuses enquêtes, la Préfecture fermera l’établissement qu’elle jugeait insalubre et l’été 1988 sera le dernier à offrir les charmes du restaurant de Robinson. Ensuite les héritiers de la famille Grassion récupéreront cette bande de plage, en 1996 pour en faire don au Conservatoire du Littoral. Jusqu’au début du XXIe siècle, un autocar, sur la ligne Montpellier-Le Grau-du-Roi, s’arrêtait à Robinson. Les choses ont bien changé, la guinguette, la route ont disparu, aucun vestige sur la plage ne marque son emplacement, même pas un panneau pour s’en souvenir.

Le Mas du Petit-Travers

Un autre cas de figure dans les usages du cordon littoral est illustré par l’élevage de chevaux de promenade au mas du Petit-Travers par la famille Jalabert.

Le domaine est acheté en 1955 par le groupe Stulizer (dont le siège est à Paris), qui en confie le fermage dès 1956 à la famille Jalabert, originaire d’Aimargues.

Le 20 juin 1973, l’État faisait l’acquisition de 160 hectares environ, comportant des bâtiments d’exploitation du Domaine agricole du « Petit Travers » à la SCP du Domaine du Petit-Travers, ayant son siège à Paris, Alphonse Jalabert étant l’un des fermiers. Son fils, Louis Jalabert demanda à Philippe Lamour 26 d’intervenir, auprès de l’État, pour que sa famille continue à élever des chevaux affectés à la promenade, car dit-il : « vous savez combien nous sommes attachés à ce coin et mes deux fils s’y consacrent entièrement et nous aimerions poursuivre cela. »

La famille Jalabert, était fermière depuis 1956, du « Petit Travers », elle était propriétaire du fond d’exploitation de promenades équestres et de la manade. Elle avait investi dans un château d’eau, deux puits et une aire en ciment.

Mais, en 1977, l’État doit faire un choix d’attribution des bâtiments et des terrains. La décision est prise de maintenir la famille Jalabert qui était déjà fermière sur le terrain en 1972, avec l’accord de l’État.

Le 8 août 1980, une cession est faite par les services fiscaux à MM. Luc et Marc Jalabert, petits-fils d’Alphonse Jalabert, ancien fermier de la S.C.P. du Domaine du « Petit Travers », bâtiment compris, soit 1 ha 58 a et 62 ca, pour la somme de 460 000 Francs. 27 Le ministre de l’équipement considérant que cette vente permettra d’assurer en permanence une activité de promenade à cheval et manade, entrant dans le cadre de l’aménagement touristique de la Grande-Motte. L’activité sera maintenue pour une durée de 30 ans et devra s’exercer toute l’année avec 15 chevaux minimum. (Fig. 62)

En 1985, était inauguré en grande pompe, accolé au centre équestre de loisirs, un bar-restaurant, une guinguette transformée plus tard en une boite de nuit, « Le 50° à l’ombre ». En 2010, prenait fin la cession accordée aux Jalabert par l’État en 1980.

La Manade du Petit-Travers vers 1964
Fig. 62 La Manade du Petit-Travers vers 1964.
(Collection Renée-Claude Sutra).

L’aménagement étatique

Au début des années 1960, la presse, évoquant le futur aménagement du littoral languedocien, décrivait des kilomètres de plages désertes. Ces plages n’étaient pas aussi désertes qu’elles en avaient l’air. Cachées dans les dunes, des petites cabanes attendaient le retour des vacanciers, C’était typique et le camping sauvage allait bon train. Il n’y avait par ici, presque rien : des mas isolés, des vignes, des peupliers, des pins parasols, des dunes géantes, des plages immenses, des lapins, du vent et des moustiques ! Au Grau-du-Roi, à Carnon, à Palavas ou à Frontignan, des chalets avaient certes poussé, remplaçant peu à peu les cabanons des pêcheurs. Mais le lido ne bougeait pas, il était le domaine des dunes et de la plage plate de sable fin. On venait par familles entières, en voiture, en autobus ou par le petit train de Palavas, pour voir la mer, déguster ses produits, pêcher, se baigner, un peu à la façon de vacances de M. Hulot.

Dès 1962, en catimini, le Ministère de la Construction fit procéder, par des négociateurs divers à un certain nombre d’acquisitions. Le prix de ces transactions devenant le prix de référence pour les achats futurs.

Une mission interministérielle d’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, également connue sous le nom de « Mission Racine » (du nom de son président le conseiller d’État Pierre Racine), fut créée par décret du 18 juin 1963, pour conduire de grands travaux d’infrastructure en vue de développer le littoral de la Méditerranée dans les départements du Gard, de l’Hérault, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales. Cette mission fut lancée à l’initiative de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Elle a fonctionné de 1963 à 1983 28.

Pierre Racine croyait, dur comme fer, à l’explosion du tourisme sur nos côtes. Il voulait faire des 180 kilomètres de côtes, de la Camargue aux Pyrénées, la nouvelle Floride pour accueillir chaque année des millions d’estivants. L’avenir lui donnera raison.

C’est à la Société d’Aménagement de l’Hérault (S.A.D.H.) créée le 12 juin 1964, pour une durée de 20 ans et présidée par Jean Bene 29 qu’incombera l’aménagement de l’unité Grande-Motte-Carnon. Les investissements porteront sur des milliards de francs.

L’État engagera alors une lutte contre les moustiques et contre le vent (grâce au reboisement de milliers d’hectares), puis, ce sera l’approvisionnement du littoral en eau potable, la création de routes et de ports de plaisance. Des sociétés d’économie mixte prendront, ensuite, le relais de l’État pour effectuer des travaux d‘infrastructure : parkings, adductions d’eau, de gaz et d’électricité, voies d’accès aux ensembles commerciaux, etc.

De la Mota de Cotieux à La Grande Motte

Après le Grand-Travers, on pénétrait dans le domaine « Grande-Motte », sur la commune de Mauguio. Depuis des siècles, on appelait ce lieu la Mota de Cotieu, le Moutas ou, plus simplement, la Motte.

Ce tumulus – cette motte ? visible de tout l’étang, aurait servi de tombeau à un prince égyptien 30 mais rien n’est sûr, car aucune fouille, à ma connaissance, n’a été effectuée à ce jour.

Au XIXe siècle, La Motte est un vaste territoire, mais toujours pas desservi par une route. Le chemin de halage du canal latéral, construit au début du siècle par le général de Solignac, sert d’accès aux diverses propriétés, ainsi que le chemin de la Pataquière qui se perd en sentier à travers les dunes du Grand-Travers 31. Ce chemin disparaîtra lorsqu’on nivellera les dunes pour planter de la vigne.

Les vignes de la Motte seront détruites par le gel de l’hiver 1956. Monsieur Grassion procédera à leur arrachage et plantera à la place des peupliers, dans le but de fabriquer de la pâte à papier. Indirectement, cette forêt de peupliers sera à l’origine du choix d’implanter la ville nouvelle. D’après Jacques Brionnet de Carnon, Georges Pompidou, alors premier ministre de Charles de Gaulle, survolant en hélicoptère les 8 kilomètres de plages vierges, aurait dit, en apercevant cet îlot de verdure : « C’est là qu’il faut construire ». (Fig. 63) (Fig. 64)

Le restaurant du Moutas en 2003
Fig. 63 Le restaurant du Moutas en 2003. (Photo Marie-José Ars Guigou).
La maison du régisseur du domaine de la Motte
Fig. 64 La maison du régisseur du domaine de la Motte. (Collection Yvette Pagès).

Au moment de la Mission Racine en 1963, les derniers propriétaires de la Motte étaient M. Biquet pour La Petite Motte, M. Grassion pour La Grande-Motte et M. Temple pour Haute Plage.

« C’était un vrai paradis ! On appelait cette côte « la mer sauvage » car on voyait les poissons à deux mètres du rivage. Il n’y avait quasiment personne, hormis des ouvriers agricoles, des pêcheurs et des braconniers. Pour les gens de la ville, on était « des indigènes ». Avec la création de La Grande-Motte, c’est tout un peuple qui a disparu. » 32 Les bâtiments agricoles abritent aujourd’hui la « Maison des Associations » et sur les terres est né un quartier résidentiel de villas.

Le domaine de la Petite Motte relevait de la commune de Mudaison. « C’est en 1924 que le terme de « Petite Motte » apparaît pour la première fois » 33. En effet, la commune de Mudaison en 1924 consent à la société de Camille Reboul un bail de 12 ans, société qui prend le nom de « Petite Motte » Le maire socialiste François Monier construisit une école pour les enfants du personnel. En 1936, la Mairie procéda à une nouvelle adjudication et c’est Achille Briol et Fernand Valette qui remportèrent l’offre. Le domaine sera vendu en 1948, au couple Dovieh.

D’après les souvenirs de Mlle Jaujou, à la Petite Motte, « il y avait toujours à manger et dormir, pour les gens de passage ; ils travaillaient deux jours, puis ils partaient, ils dormaient dans des demi-futs sur de la paille. Quand il y avait le garde, elle mettait un drap blanc, pour prévenir les trafiquants d’alcool et les braconniers. Pour aller chercher le docteur, il fallait traverser à la nage le Vidourle, le vélo sur l’épaule »… une autre époque ! (Fig. 65)

1935 - École de la Petite Motte, 1ère institutrice Mlle Jaujou
Fig. 65 1935 - École de la Petite Motte, 1ère institutrice Mlle Jaujou, (avec l’aimable autorisation de Frédéric Géniez, son gendre)

Lors de l’implantation de la station de la Grande Motte, sur le rivage, il y avait d’immenses dunes. L’une, haute de 5 mètres et plus grande que les autres, sera conservée par l’architecte Jean Balladur comme point originel de la station. Ce sera le Point Zéro. (Fig. 66)

La Motte originelle, alias le Point Zéro
Fig. 66 La Motte originelle, alias le Point Zéro. (Photo tirée du livre de Jean Balladur).

Un étang et un port

En 1966, après un déminage complet du lido, le Délégué à l’Aménagement du Territoire, Olivier Guichard, lance les travaux de creusement du futur étang du Ponant.

En effet, pour tracer la route d’accès à la Grande Motte, l’ingénieur des Pont et Chaussées avait besoin de matériaux solides, pour les soubassements, car la future route départementale N°62 doit traverser des zones plates et marécageuses. (Fig. 67) L’idée géniale est d’avoir pensé à récupérer ces matériaux dans le lit du Vidourle et de créer l’étang du Ponant. L’embouchure du Vidourle est un delta, dont la principale artère canalisée se jette dans la mer au Grau-du-Roi et l’autre se jette dans l’étang du Ponant, véritable étang artificiel qui débouche à la Passe des Abîmes. C’est un lieu protégé par le Conservatoire du littoral, une réserve naturelle des hérons cendrés, des canards, des mouettes, des aigrettes blanches, des cormorans noirs, entouré de pins parasols.

Véritable havre de paix, il est un atout pour la station balnéaire et cela dès le début.

Vue aérienne de la plage du Petit-Travers, et de la nouvelle route en 2015
Fig. 67 Vue aérienne de la plage du Petit-Travers, et de la nouvelle route en 2015. (Conservatoire du littoral).

Puis, c’est l’enrochement des premières digues, qui va servir au creusement du port. Le 22 Juillet 1967, le port est inauguré. La Grande-Motte a eu la particularité d’ouvrir son port, avant que les premiers appartements soient occupés, les bateaux sont arrivés avant les habitants. (Fig. 68)

1966 – Les digues du futur port de la Grande-Motte : le début du creusement du port. La route D.59 longe encore le rivage
Fig. 68 1966 – Les digues du futur port de la Grande-Motte : le début du creusement du port. La route D.59 longe encore le rivage. (© « Hérault » Richesses de France – éditions J. Delmas et Cie).

Une ville nouvelle

La Grande-Motte, son architecture futuriste et ses pyramides inventées par Jean Balladur sont, aujourd’hui, connues dans le monde entier et la ville a obtenu, en 2010, le label « Patrimoine du 20e siècle » accordé par le Ministère de La Culture. Pourtant, il y a seulement cinquante ans, il n’y avait presque rien. (Fig. 69)

Le premier commerce à s’installer fut la station-service portuaire, puis au « Grand Pavois » le restaurant l’Estrambord, suivi de l’agence du Crédit Lyonnais, du bar « le Dellos » où ils demeurent encore aujourd’hui.

En 1970, La Grande-Motte : au premier plan la station-service portuaire et le port. Sur le quai les 2 premières pyramides, la Provence et le Grand Pavois
Fig. 69 En 1970, La Grande-Motte : au premier plan la station-service portuaire et le port. Sur le quai les 2 premières pyramides, la Provence et le Grand Pavois. On devine les bâtiments agricoles d’Haute Plage et au loin l’étang du Ponant et la Passe des Abîmes.

À l’époque le Crédit Lyonnais était particulièrement concerné par le développement du Languedoc-Roussillon, et à ce titre il a financé 70 % du premier programme du lancement de La Grande-Motte. Fin juin 1968, il a confié l’agence à un jeune démarcheur de 30 ans à qui il a demandé de développer le crédit immobilier. Jean Guigou témoigne : « c’était une vraie révolution, vendre du crédit à la consommation était déjà peu courant, alors du crédit immobilier encore moins, jusque-là c’était le privilège du Crédit Foncier ».

Nous avons vécu, mon mari et moi, la naissance de la Grande-Motte. Ce fut une aventure pleine d’enthousiasme. Avec les premiers commerçants de la station, nous nous retrouvions chaque weekend pour la pose d’une première pierre ou l’inauguration d’un nouvel immeuble. Dans cet immense chantier, nous avions fini par nous prendre pour des pionniers. J’avais même proposé, un soir, que l’on inscrive nos noms sur une plaque pour se souvenir de ce moment. J’ai su plus tard, que l’idée avait fait son chemin, puisque l’Association des Pionniers de la Grande-Motte existe ! (Fig. 70)

La Grande-Motte, vue depuis la plage du Grand-Travers, en 2015
Fig. 70 La Grande-Motte, vue depuis la plage du Grand-Travers, en 2015.
(Collection privée).

Conclusion. Un avenir incertain

Ainsi s’achève ce tour d’horizon du littoral héraultais qui, comme nous l’avons démontré, depuis plusieurs décennies est un lieu vers lequel convergent de multiples activités humaines. Si la colonisation est la mise en valeur d’un espace sauvage, alors, le lido héraultais a bien été colonisé. Ses dunes et sa plage ont été occupées par des villages de pêcheurs, par de grandes propriétés agricoles et viticoles, par les vagues de touristes, et aujourd’hui par une population résidente nombreuse. Les paysages du lido, tel qu’ils nous apparaissent au début du XIXe siècle en ont été bouleversés en profondeur.

Pourtant, l’histoire mouvementée des graus, s’ouvrant ou se refermant selon les caprices de la mer, met en évidence la fragilité de ce cordon de terre. Même si des actions de prévention sont mises en place, ce lido, ce bourrelet de sable, qui est né d’un réchauffement climatique pourrait bien disparaître à cause du même phénomène. En 1986, il a fallu voter une loi dite « loi littoral » pour freiner les convoitises touristiques, éviter les débordements et mieux protéger la côte. Ainsi, l’aménagement du littoral a créé des zones de protection de la nature et des sites touristiques.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Une maniguière est un piège fixe construit sur une digue composée à la base de pierres, puis de terre, d’environ quatre mètres de largeur. Sur la pêche en étang à l’aide des maniguières, voir GUIGOU 2003.

2. Le fleuve côtier qui prend sa source à St Clément-de-Rivière et traverse du nord au sud Montpellier, se canalise à partir du Port Juvénal, coupe le canal des Étangs aux 4 canaux à Palavas et débouche au grau du Lez ou de Palavas. (Source : dictionnaire topographique de l’Hérault. M. Eugène THOMAS).

3. JOLIVET 2009.

4. JOLIVET – GENELOT 1999 ? (Rapport préfectoral de 1853).

5. Le Petit train de Palavas sera supprimé en 1969, au grand dam des Montpelliérains et des Palavasiens qui y étaient très attachés et qui en parlent encore avec nostalgie.

6. Titre d’un documentaire des années soixante sur un pêcheur palavasien surnommé « Dudule ».

7. Le conseil municipal de la commune a voté un projet d’un montant de 33 000 frs. Ce dernier approuvé par le Préfet pour une durée de 10 ans, renouvelable. La passerelle devait reposer sur les murs des quais existants, avec une longueur de 17,50 m et 4,30 m de largeur totale. Sur les portes étaient empilées de lourdes poutrelles de bois qui permettaient de fermer le grau en cas de mauvais temps. Son entretien et de ses abords restaient à la charge de la commune.

8. « Raconte-moi Carnon » par Léopoldine Dufour.

9. Notes de Jean-Marie Amelin (Médiathèque Émile Zola de Montpellier Méditerranée Métropole – en ligne).

10. Sources : Laure Gigou, conservateur départemental des musées de l’Hérault.

11. En 1841, la commune de Mauguio avait décidé d’installer un agent municipal aux Cabanes, chargé de la police et de recevoir les actes d’État-Civil.

12. Les Palavasiens jouent encore au billard, dans une belle salle municipale réservée à cet effet.

13. Sources : Laure Gigou, conservatrice départementale des musées.

14. JOLIVET GENELOT 1999.

15. Henri Jorret, industriel parisien avait obtenu le 25 août 1865, le marché pour la construction de 5 lignes de chemin de fer dans l’Hérault ; il créa la Cie de chemin de fer d’intérêt local du département de l’Hérault.

16. HUSSON 2013.

17. JEANJEAN 1992.

18. Malaïgue ou malayga : mauvaise eau : phénomène biologique de putréfaction de l’eau des étangs en cas de fortes chaleurs par manque d’oxygène, l’hydrogène sulfuré se libère.

19. En changeant d’emplacement le toponyme a pris deux « LL ».

20. André Grassion, originaire du Puy de Dôme, époux de Gabrielle Frédot, négociant en vin, avait une distillerie à Lunel (Hérault). Il avait acquis une grande partie des anciennes propriétés de Charles d’Espous de Paul qui comprenaient des terres à Carnon, les mas du Petit Travers et du Grand Travers et de la Motte où il exploitait des vignes.

21. Témoignage personnel de l’auteure.

22. JOLIVET 2009.

23. Alfred Grassion, fondateur et lotisseur de Carnon-plage (avenue Grassion-Cibrand) né à Lempdes (Puy de Dôme) le 6 juin 1886, décédé à Clermont Ferrand, le 7 décembre 1977. Marié avec Angèle Cibrand. D’où Jean Grassion-Cibrand né le 21 avril 1914, célibataire, décédé en 1999).

24. AD Hérault : 1158 W 58.

25. AD Hérault : 1077 W 104.

26. Philippe Lamour, président de la Compagnie Bas-Rhône Languedoc.

27. Désignation des immeubles cédés : une maison de maître, une écurie, une sellerie, une pièce à usage de buvette, une construction à usage d’habitation servant de logement au personnel, un garage, une ancienne porcherie aménagée en écurie, un hangar, un poulailler, une station de pompage, une citerne, une aire cimentée un bâtiment accolé à l’ancienne cave. Équipement : électricité, eau courante, canalisation d’égout à l’entrée de la propriété et 2 puits.

28. Elle est notamment à l’origine de la création des stations balnéaires de Port-Camargue, la Grande-Motte, Le Cap d’Agde, Gruissan, Port Leucate, Port Barcarès et Saint Cyprien (source Wikipédia).

29. Alors président du Conseil Général de l’Hérault. https://ecomnews.fr/article/Histoire-station-grande-motte-sest-creee.

30. Source : Henri Prades et le groupe archéologique Painlevé : La colonisation antique des rivages lagunaires du Languedoc.

31. HUSSON, page 106.

32. Le 21 juillet 2004, Frédéric-Jacques Temple, 83 ans, accordait une interview à Midi Libre où il évoquait avec nostalgie la Haute Plage.

33. HUSSON.