Description
Guillaume d’Orange, Ysoré et Bernard des Fossés
sur un chapiteau roman de la basilique Saint-Julien de Brioude

* Alice Colby-Hall, professeur de littérature française, a obtenu son doctorat de l’Université de Columbia et, bien qu’officiellement à la retraite, continue à donner des cours sur la littérature médiévale française et à diriger des recherches dans ce domaine. Ses intérêts comprennent la vieille épopée française, roman courtois, l’histoire de la langue française, et de la vieille occitan (ancien provençal) littérature. Elle est l’auteur de Le Portrait en douzième siècle Littérature française: un exemple de la stylistique originalité de Chrétien de Troyes (1965) et de nombreux articles sur les origines des épopées du cycle de Guillaume d’Orange. En 1997, elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre français de la Culture. À l’heure actuelle, elle termine un livre intitulé Guillaume d’Orange et les légendes épiques de la basse vallée du Rhône.
À la basilique Saint-Julien de Brioude, les piles romanes de la nef se composent d’un noyau carré autour duquel sont engagées quatre colonnes couronnées de chapiteaux à trois faces. Sur la face sud d’un chapiteau de la première pile sud, un chevalier chrétien reconnaissable à son écu oblong et un chevalier sarrasin qu’identifie son écu rond s’attaquent à la lance, et, sur la face ouest, on aperçoit derrière le dos du Sarrasin et au-dessus de son cheval la tête gigantesque d’un Sarrasin décapité et à côté de la tête coiffée d’un turban un petit cavalier sans armes. En outre, sur la face est, une sorte de dragon se mord la queue au-dessus du cheval du chrétien.
Sachant que Guillaume d’Orange avait laissé son bouclier à la basilique, Émile Mâle se demande si l’un des combattants ne serait pas « le fameux Guillaume de Gellone, le héros du Charroi de Mines et de la Prise d’Orange » mais l’éminent historien d’art ne fait pas mention du combat de Guillaume avec le géant sarrasin Ysoré dans le Moniage Guillaume, qui date de la seconde moitié du XIIe siècle. D’après la première rédaction (ou rédaction courte) de cette chanson de geste, le héros dépose son écu sur l’autel de la basilique Saint-Julien avant de se retirer du monde dans le val de Gellone, à la condition, cependant, qu’il pourra reprendre cet écu si l’empereur Louis lui demande son secours. Vraisemblablement, il récupéra l’écu pour se battre contre le géant sarrasin Ysoré, mais la fin de la rédaction manque. D’après la seconde rédaction (ou rédaction longue) du Moniage, Guillaume est sans écu avant et après son entrée en religion et réussit à décapiter Ysoré sans la protection de cette arme défensive. Dans cette version, c’est un petit homme pauvrissime appelé Bernard des Fossés qui héberge Guillaume dans sa cabane aux fossés de la ville de Paris et qui apporte la grosse tête du Sarrasin au roi Louis après le départ de Guillaume. Pour récompenser Bernard des services rendus, le roi l’investit d’une rue de Paris et lui donne une épouse, des vêtements, des draps de soie, un cheval et un palefroi. À mon avis, on voit sur le chapiteau de Brioude Guillaume, Ysoré, la tête de celui-ci et Bernard des Fossés sur son palefroi. Le sculpteur de Brioude a dû connaître une version du Moniage qui plaisait aux habitants de la région et aux visiteurs parce que l’on y avait inséré l’histoire glorieuse du bouclier déposé à la basilique, mais, pour interpréter la présence de l’animal mythique, il faut se reporter aux Étymologies d’Isidore de Séville, rédigées au début du VIIe siècle. Ce savant prélat nous apprend que « chez les Égyptiens, avant l’invention des lettres, on représentait l’année par un dragon se mordant la queue parce qu’elle revient à son point de départ ». Autrement dit, c’est le symbole du temps circulaire, du temps de l’éternel retour. Étant donné que l’ouvrage encyclopédique d’Isidore connut une grande vogue au Moyen Âge, le dragon sur ce chapiteau pourrait signifier que le combat de Guillaume n’est qu’un exemple parmi d’autres de la lutte contre le Mal, qui se répétera jusqu’à la fin du monde.
Wilhelm Cloetta a cherché à démontrer que le bouclier de Guillaume ne figurait pas dans le Moniage primitif, auquel remontent les deux rédactions françaises et la version norroise du XIIIe siècle fournie par la Karlamagnùs saga, mais l’auteur de la rédaction longue ne justifie jamais l’absence du bouclier. Son public est-il censé savoir que cet objet se trouve déjà à Brioude ? Ou est-ce à cause de la pesanteur du bouclier que Guillaume ne l’emporte pas avec lui, comme l’affirme l’érudit allemand, en se fondant sur le voyage de Guillaume à Laon dans Aliscans ? Il est vrai que dans cette chanson de geste le héros se débarrasse de sa targe lourde dans une abbaye à Étampes mais seulement après avoir appris qu’il n’aura rien à craindre à la cour royale de Laon. Sur le chemin du retour, il découvre qu’un incendie a détruit l’abbaye et la targe. Guillaume a dû remplacer sa targe, car, en arrivant à Orange, il est protégé par un escu quand il se bat contre les Sarrasins qui font le siège de la ville. Bien que les mots targe et escu soient souvent synonymes, l’escu est généralement un bouclier oblong et la targe un bouclier carré échancré à l’un des angles. Quand la targe est ronde, les auteurs l’indiquent clairement. Dans la branche IX de la Karlamagnùs saga, un chevalier du nom de Grimaldus, enrôlé dans l’armée de Charlemagne mais peu enclin à combattre les Sarrasins pour aider son seigneur, prête son cheval, son heaume, sa lance et son épée à Guillaume, qui s’est approché de lui revêtu d’une chape. Guillaume se fait coller une barbe noire pour ressembler au poltron et parvient à décapiter le roi Madul, qui joue le rôle d’Ysoré dans cette version de l’histoire, mais l’auteur n’explique pas pourquoi Grimaldus, qui est très riche et possède des armes en abondance, ne donne à Guillaume ni bouclier ni haubert. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2011 |
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Nombre de pages | 4 |
Auteur(s) | Alice Mary COLBY-HALL |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |