Description
Au sommaire de ce numéro
Les Mariannes dans l'Hérault
et leur place dans l'histoire
PRÉFACE
Il y a cent ans, ou un peu plus, la République s’établissait en France, et suscitait, parmi ses partisans, un enthousiasme dont le souvenir s’est, aujourd’hui, forcément dissipé. Alors, on aimait assez la République pour voir en elle non seulement, dans l’abstrait, la négation ou l’absence des rois, mais une sorte de nouvelle reine. Et puisque les souverains déchus (les rois, les empereurs) avaient répandu leurs effigies, les républicains ont voulu que des effigies de République à forme humaine remplacent, pour l’œil comme pour l’esprit, dans l’art officiel comme dans le décor quotidien, celles des hommes réels qui l’avaient précédée.
C’est ainsi que sont entrés les bustes (dits « Marianne » dans les édifices publics, et jusque dans les mairies de village, dont ils constituent aujourd’hui un attribut familier. Ainsi, dans certaines régions (dont la nôtre) on a tenu à ériger l’effigie républicaine jusque sur la place publique. C’est de cette coutume qu’il s’agit ici.
***
Pourquoi la représentation visuelle de la République a-t-elle été féminine ? Pourquoi l’a-t-on souvent appelée, familièrement, Marianne ? Pourquoi, surtout, le zèle républicain des provinces françaises a-t-il été si inégal, au point que le phénomène des Mariannes de place publique, notoire en Languedoc, soit, dans beaucoup d’autres régions, totalement ignoré, — ce sont des problèmes qui ont été récemment étudiés et que la présente revue n’avait pas à reprendre.
Il fallait en revanche décrire et analyser l’état présent des choses, et c’est ici que le travail de M. et Mme Piacère est exemplaire et même novateur.
Avec le temps, ces monuments, souvent modestes, avaient souffert. La fonte ou la pierre ne sont pas aussi impérissables que leur dureté le laisserait croire ; l’usure, l’érosion, les ont affectées. Des monuments ont été mutilés sous Vichy pour des raisons politiques bien connues ; d’autres ont été ôtés ou déplacés pour des raisons d’aménagement de la voirie ; parfois, simplement, démolis par accident. Et puis, surtout, ils ont été victimes d’un mépris assez général et multiforme. Une colonne de la République érigée en l’honneur de 1889 (le premier Centenaire de la Révolution), un buste de Marianne républicanisant (si l’on peut dire) une fontaine, ce n’est pas le genre de choses que les Guides usuels incitent le touriste à contempler. La littérature touristico-commerciale, à prétention artistique, est souvent a priori méfiante à l’égard d’édicules récents (un siècle c’est bien peu pour l’archéologie), parfois médiocres d’exécution, parfois même procurés en série par l’art industriel ; sans même parler des préventions d’ordre politique qui ont pu s’adresser à des constructions édifiées en leur temps par la Gauche la plus hardie.
Pour toutes ces raisons, le stock de nos Mariannes risquait de s’empoussiérer. La tendance aujourd’hui, heureusement, s’inverse et le travail de nos amis Piacère en constitue l’une des meilleures preuves. Pourquoi ce changement ? Il nous parait clair qu’il est issu de deux raisons, bien différentes en principe, mais convergentes dans leurs effets : le regain d’attention à l’histoire républicaine, regain suscité notamment par le Bicentenaire de la Révolution (1989) et celui de la République (1992), et, d’autre part, la modernisation de la notion de Patrimoine, où l’on accepte aujourd’hui d’inclure des manifestations et des productions culturelles que refusait l’archéologie élitiste de la tradition.
On étudie les Mariannes de l’Hérault, et on les restaure. On en prend conscience, et l’on en prend soin. Le travail des érudits et l’œuvre des « collectivités locales » s’entraînent et se répondent. Le souci de réchauffer et d’honorer l’idéal républicain et celui de révéler une intéressante originalité régionale se marient chez les uns et chez les autres. Tel est bien le climat intellectuel qui aide à comprendre la naissance de l’ouvrage qu’on nous a demandé de présenter ici.
***
Comme on voit, l’intérêt que l’on porte en 1995 aux Mariannes de l’Hérault n’est pas tout à fait identique à celui qu’on leur portait il y a cent ans. Un monument n’a pas tout à fait le même sens à l’heure où on le bâtit et à l’heure où l’on en fait l’étude. Il y a plus de politique au départ, plus d’archéologie à l’arrivée. Il n’y avait guère de sensibilité régionale ou régionaliste dans la multiplication des Mariannes de place publique occitane, il y en a aujourd’hui beaucoup plus que des traces. A la limite, le risque serait même qu’il y en eût trop ! Car il serait fâcheux de résorber dans une sorte de folklore régional une pratique artistique qui a tout de même voulu témoigner d’une ambition française, voire internationale, la République, la Liberté…
Puissent les érudits et les élus de l’Hérault avoir beaucoup d’émules, en Occitanie, et au delà !
Maurice AGULHON
Informations complémentaires
Année de publication | 1995 |
---|---|
Nombre de pages | 128 |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |