François Rouan dit Montaigne (1914-1992)

Publication du
G.R.E.C. n° 228-229-230-231
(2e semestre 2021)

p. 33 à 42

Dossier coordonné par Pierre-Joan Bernard et Jean-Claude Richard Ralite

Introduction

« L’unique chose qui m’importe
– disait-il à ses fils –,
c’est ce que tu fais, pas ce que tu dis 1. »

Cet article est une première approche de la biographie de François ROUAN, plus connu sous le pseudonyme de MONTAIGNE. De nombreuses allusions lui sont faites dans les principaux textes sur les maquis de Lozère, de l’Hérault et du Gard 3 et dans l’ouvrage de H. R. Kedward sur les maquis 4. Des informations essentielles apparaissent sur sa vie dans l’ouvrage d’Évelyne et Yvan BRÈS 5. Il a été désigné chef du maquis de Bir-Hakeim, après le décès de ses deux premiers commandants, Jean CAPEL, dit commandant BAROT (mai 1943-28 mai 1944) et Paul DEMARNE (28 mai-4 août 1944). Pour autant, il a tellement cultivé la discrétion que l’on ne fait que répéter d’une bio à l’autre les mêmes informations. Certes, il existe un entretien constitué par une conversation, fort intéressante, entre un père et son fils, mais il se clôt alors qu’ils vont aborder la Seconde Guerre mondiale 6. D’autant que la période postérieure à la guerre (Indochine et « retour en France ») n’a pas donné lieu à des recherches significatives. De même, deux éléments essentiels de sa vie ne sont pas mis en lumière. Il n’a jamais renié sa culture chrétienne. Ainsi, a-t-il pu épouser des combats qui pouvaient apparaître comme contraires à la doctrine catholique et soutenir des idéaux communisants. D’autre part, selon ses fils, il a toujours été fervent européen, même lorsqu’il critiquait les décisions des instances européennes.

Nous reprendrons dans ce travail les divers éléments communs de biographie en les confrontant aux diverses archives consultées, à ses confidences à ses fils et aux dires de ceux-ci. Quelques questions et quelques informations amenées par Jean-Claude RICHARD-RALITE m’ont conduit à creuser, dès maintenant, un peu plus ce travail et je l’en remercie chaudement, même si je n’ai pas encore de certitudes sur les réponses.

Fig.1 : Portrait de François Rouan en habit de militaire (© Documentation J.C. Richard, 2021)
Fig.1 : Portrait de François Rouan en habit de militaire
(© Documentation J.C. Richard, 2021)

L’environnement familial

François ROUAN est né le 26 juin 1914 à Foix (Ariège) de Pierre, François ROUAN, peintre décorateur, né à Marseille le 24 mars 1858, et d’Élisabeth, Marie FABRÈGUE, sans profession, née à Montpellier le 3 mars 1874. Son éducation est catholique.

En premières noces Pierre, François avait épousé Élisabeth, Jeanne FABRÈGUE, née à Lourdes (Hautes-Pyrénées) le 25 décembre 1856 et décédée à Foix le 28 juin 1892. Veuf, Pierre, François doit gérer deux enfants 7, Marcel, né en 1885 et Henri né en 1889. Une demi-sœur de sa première épouse vient aider la famille. Elle a 19 ans. Rapidement, « [Pierre, François] s’est pris d’affection et d’amour pour cette fille en qui il retrouvait les qualités de sa première femme » 8. Elle décède en1925 après lui avoir donné, selon la formule consacrée, au moins cinq enfants. François ROUAN a alors quatre frères : Marcel, Henri (ses deux demi-frères), Charles Gaston (appelé Gaston), né le 24 novembre1894 et Adolphe, Édouard né en 1899 et deux sœurs (Suzanne et Paulette) 9.

Il poursuit des études au Lycée Gabriel-Fauré de Foix auquel des classes d’enseignement primaire supérieur étaient annexées. Il devient interne dès 11 ans, et ce jusqu’à ce qu’il obtienne le brevet d’Enseignement primaire supérieur, section Arts et Métiers. La scolarité en internat est-il lié au décès de sa mère cette même année ? C’est probable, toujours est-il, qu’après son brevet, il quitte Foix pour les Bouches-du-Rhône, où il rejoint son frère, Gaston. Ce frère est lui-même ingénieur des Arts et Métiers. Toute l’éducation de François a été imprégnée de culture catholique qu’il n’a jamais reniée.

Errances diverses et formatrices

François rejoint, donc, Marseille pour suivre la formation des Arts et Métiers à Aix-en-Provence, mais vient-il volontairement suivre la voie empruntée par son frère ? On peut en douter même s’il commence une formation du même type, qui ne l’enchante guère. Si l’on ajoute que ses relations avec son frère et sa belle-sœur, sans enfant, semblent tendues, on comprendra pourquoi il décide de fuguer. Il n’a que dix-sept ans et sera retrouvé au bout de deux mois, alors qu’il se prépare à quitter Bordeaux sur le San Pedro pour un voyage d’un an. Pendant ces deux mois il a travaillé pour les Ateliers et Chantiers Maritimes du Sud-Ouest et de Bacalan Réunis. Il y a été chaudronnier, puis graisseur sur les moteurs diesel ou électriques, joignant ainsi une formation pratique à la formation théorique. Tout cela étant apprécié aux Arts et Métiers, à son retour il est plutôt bien accueilli par le directeur, Monsieur LUC. Cependant n’ayant pas obtenu la note de 14 nécessaire pour briguer le titre d’ingénieur, il rentre à Foix, avec le seul titre de « ancien élève des Arts et Métiers ». Il est embauché successivement par le service vicinal de la préfecture comme dessinateur, puis comme géomètre avec le génie rural. En 1933, il obtient un diplôme d’hydraulique délivré par l’institut polytechnique de Grenoble ; « À dix-neuf ans, son diplôme en poche, il décide de partir en Afrique, où il signe un contrat pour le chantier de construction du chemin de fer Abidjan-Niger » 10. Il y passe une année, logé dans un wagon de première classe, et vivant dans une ambiance de camaraderie et de bonne humeur.

Dès 1928, à Foix, il avait adhéré aux jeunesses communistes, sans renier totalement les valeurs chrétiennes de son éducation. Par chance à ses yeux, les Arts et Métiers d’Aix-en-Provence étaient, selon ses dires, une « école à 85 % marxiste ». Mais, en septembre 1934, il est exclu du parti communiste pour « trotskysme » ce qui était le principal motif d’exclusion à cette époque. En fait, tout désaccord avec l’alignement de l’orientation politique d’un parti communiste sur la ligne officielle décidée à Moscou devenait du trotskysme. De plus, la victoire des nazis en Allemagne marquant l’échec de la ligne politique du parti communiste d’Allemagne (KPD),imposée par le Comintern, rendait le mot d’ordre trotskyste d’alliance de toutes les organisations ouvrières et de création de milices ouvrières antifascistes justifiées, malgré le passé conflictuel entre communistes et socio-démocrates, bien avant que l’Internationale communiste n’appelle à un front populaire. En ce qui concerne François ROUAN, il n’existe aucune trace d’adhésion à une organisation se réclamant de l’ancien chef de l’Armée rouge. Les quelques archives 11 regroupant des documents dits trotskystes ne font pas apparaître de groupe trotskyste à Aix. Un groupe existait à Marseille, dont un des cadres, Gottlieb dit Pero, avait rencontré Trotski, lorsque ce dernier, de retour d’une conférence à Copenhague, était reparti de Marseille vers son exil turc (décembre 1932). Ce groupe existait toujours en 1934 et publiait dans un bulletin d’information en janvier et mai, « d’importantes contributions aux débats internes ». Cependant l’attitude ultérieure de François ROUAN, clairement internationaliste et critique vis-à-vis de l’URSS, peut laisser penser à une proximité au minimum intellectuelle avec les adeptes de la révolution permanente.

Se préparer aux combats et agir lorsqu’il est besoin

François ROUAN a eu la possibilité de faire une préparation militaire supérieure comportant un tronc commun de six journées, organisée par l’Armée de terre ; puis une prolongation de trois semaines, dans un centre de formation de l’une des trois armées. Aussi, selon son livret matricule d’officier, il accomplit son service militaire pour 2 ans au 28e régiment de Tirailleurs tunisiens (RTT) basé à Bizerte, à compter du 5 octobre 1934. Voici ce que ROUAN en dit lui-même :

Ce 28e RTT comportait un bataillon stationné en Corse, un bataillon disciplinaire ; tu demandes à y être affecté pour conduire les travaux de terrassement à Bonifacio (…).Tu es intéressé par la réalisation des liaisons téléphoniques, et il s’agit de relier par câbles souterrains de nombreux blockhaus avec des centraux téléphoniques, afin d’équiper une ligne de défense devant les lourds nuages qui s’amoncellent en face en Italie 12.

Puis il est dirigé vers l’École militaire d’infanterie des chars de combat (EMICC) de Saint-Maixent le 2 octobre 1935 commandée depuis peu par le général de brigade MICHELIN (juin 1930-octobre 1935). Nommé sous-lieutenant de réserve d’infanterie métropolitaine en avril 1936 et réaffecté au 28e RTT à sa sortie de l’école (avril 1936), il est libéré du service actif le 1er octobre 1936.

1) En Espagne

Selon des informations pour l’instant non vérifiées, sous-lieutenant, il rejoint Barcelone, depuis Marseille, en uniforme sur le navire « Ciudad de Barcelona », affrété par Carlo Rosselli, aux côtés d’Italiens et d’Allemands. Il est peu après « porté déserteur par l’autorité militaire pour ne pas avoir répondu aux ordres de mobilisation d’avril et octobre1938 » 13. Le tribunal militaire de la 17e région militaire le casse aussi de son grade en décembre1938, il redevient seconde classe. Dans un document militaire de 1952 le terme de « déserteur » est remplacé par celui d’insoumis. À Barcelone, il rencontre Miguel ARCAS (andalou, anarchiste et officier de cavalerie), à la caserne Lénine, d’où il se prépare à partir pour l’Aragon. François ROUAN y découvre, essentiellement, deux formations : les anarchistes des colonnes Durruti et Ascaso (CNTFAI) et les communistes internationalistes dissidents (POUM et « trotskystes »). Il choisit la colonne Ascaso et combat sur le front d’Aragon. À leur création, il rejoint les Brigades internationales et participe à toutes les luttes jusqu’aux dernières en Catalogne. Blessé, il ne rentre en France, par le col du Perthus, que très peu de temps avant la fin de la guerre d’Espagne ; il est arrêté au Boulou (Pyrénées-Orientales). Dans l’état actuel des recherches en archives, le nom de ROUAN n’existe pas dans la guerre d’Espagne. Mais, selon ses fils, François ROUAN a utilisé quatre pseudonymes. Or pour l’instant seuls deux sont connus. Il peut aussi bien avoir utilisé un autre nom pour aller combattre en Espagne car l’utilisation de son vrai nom pouvait s’avérer dangereux 14. On ne trouve aucune information sur le passage de frontière dans les Archives départementales des Pyrénées Orientales, par où il dit être passé. Il existerait des preuves sur cette période espagnole dans un carton qui reste pour l’instant introuvable. Seule une photo semble témoigner de sa présence en Espagne.

On peut cependant penser que cette période entre 1936 et 1938 fut particulièrement importante pour sa « formation personnelle et politique ». La rencontre avec d’autres antifascistes, internationalistes allemands ou italiens mais aussi étatsuniens ou britanniques le confirme dans ses idéaux de fraternité antifasciste et de fidélité dans ce combat. Elle l’aidera aussi à constituer sa brigade en 1943 avec des personnes dont il pourra être absolument sûr.

2) Dans la drôle de guerre

À son retour, en décembre 1938, il est condamné à deux ans de prison et cassé de son grade par le tribunal militaire de la 17e région et « remis 2e classe ». Amnistié, il rejoint la Côte d’Ivoire. On sait que les députés socialistes Joseph ROUS, des Pyrénées Orientales, et Camille PLANCHE, de l’Allier, avaient demandé le 17 décembre qu’« une amnistie pleine et entière [soit] accordée à tous les Français, qui, étant partis ou retenus en Espagne depuis le 19 juillet 1936 et jusqu’au 1er janvier 1939, n’ont pu répondre pendant cette période à l’ordre d’appel les invitant à remplir leurs obligations militaires légales ou y ont manqué de ce fait ». Dans les motifs, les deux députés appelaient à l’indulgence pour ces Français poursuivis et condamnés pour désertion ou insoumission. « Passé en domicile », selon l’expression militaire, dans la subdivision de Dakar le 17 février 1939, il est affecté au Bataillon de tirailleurs sénégalais (BTS) n°5 (Génie) à compter de cette date.

Mobilisé le 29 août 1939 au 5e BTS, puis rappelé sous les drapeaux par ordre de mobilisation générale du 2 septembre 1939, on l’affecte à la Compagnie européenne, dépôt de guerre n°5, le 11 octobre1939. Passé au dépôt isolé des troupes coloniales (DITC) le 1er novembre 1939, il embarque à Port-Bouët, quartier portuaire d’Abidjan, le 18 novembre 1939. Pendant le voyage, ROUAN est réintégré dans son grade de sous-lieutenant de réserve (décision ministérielle de décembre 1939). Il débarque à Marseille le 6 janvier 1940 et se trouve promu lieutenant le 25 janvier ; il passe alors au 26e régiment de Tirailleurs sénégalais (RTS) le 25 avril 1940,lequel, avec les renforts venus d’Afrique, permet de créer deux nouveaux régiments, les 25e et 26e RTS qui vont former la 8e division légère d’Infanterie coloniale (DLIC), aux ordres du Général GRANSARD constituant avec la 84e Division d’Infanterie nord-africaine le Xe corps de l’armée de Paris du général HÉRING.

Le 5 mai 1940, le 26e RTS est le dernier régiment colonial mobilisé. Il est composé de l’état-major du 12er régiment d’Infanterie coloniale dissout, avec à sa tête le colonel PERRETIER, et de trois bataillons, formés d’éléments provenant des différents territoires de l’AOF (Mali, Sénégal,…). Il est réuni au camp de Souges, commune de Martignas-sur-Jalle, près de Bordeaux, le 12 mai 1940. Il séjourne jusqu’au 8 juin 1940 à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), puis embarque en chemin de fer vers le nord et est arrêté à Épône près de Mantes, sur la Seine. Les Allemands sont là et attaquent en force entre l’Eure et la Seine ; les voies sont coupées. Le 26e sert d’arrière-garde, la retraite commence en suivant une ligne à peu près droite de Mantes à Civray-sur-Charente. Le 26e utilise chaque obstacle naturel pour entrer au contact de l’ennemi et ralentir son avance. Le dernier contact sans combat est à Magnac sur Touvre près d’Angoulême. Le 26e RTS, avec deux bataillons, contrôle la rive sud de la Seine, le troisième bataillon est à Rosny-sur-Seine, où il assure la liaison avec le RICM. Le 13 juin à l’aube, faisant effort en direction de Saint-Illiers, le 78e GRD, le 3e bataillon du RICM et le 3e bataillon du 26e RTS, aux ordres du colonel PERRETIER, opposent à l’ennemi une vive résistance, le contenant sur un front d’une dizaine de kilomètres aux lisières sud de la forêt de Rosny. Isolé, le 3e bataillon du 26e RTS continue de résister jusqu’au soir, au prix de lourdes pertes, l’ordre de décrocher ne lui étant parvenu que tardivement. En effet, le corps d’armée a donné, dans l’après-midi, l’ordre à la 8e DLIC de s’aligner ligne Dreux, Saint-Léger-en-Yvelines. Le 14 juin, le 26e RTS doit s’installer à une quinzaine de kilomètres au nord de Chartres, après une étape de quarante kilomètres. Le régiment n’atteint son nouveau secteur que le 15, en début d’après-midi. Du 16 au 18 juin 1940, le 26e RTS combat contre le 1er Reiterregiment du Général KURT FELDT. La 8e DLIC est déployée sur un front de plus de 30 kilomètres ; c’est dans ces circonstances que vont se dérouler le 16 juin 1940 sur le territoire des communes de Chartainvilliers, Feucherolles, Bouglainval et Néron de terribles combats qui verront succomber au moins 56 soldats du 26e RTS, sans compter les exécutions sommaires. Une stèle, dans le carré du monument aux morts du village, rappelle le sacrifice de ces hommes. ROUAN était chef de section.

Le 17 juin, le 26e RTS dont certains éléments n’ont eu connaissance de l’ordre de repli qu’en fin de journée, décroche difficilement au cours de la nuit, harcelé par des tirs d’artillerie et talonné par des détachements légers de blindés et de motocyclistes. De petites colonnes filent vers le sud à marche forcée, la nuit tombée, laissant derrière elles ceux qui ne peuvent suivre ce train d’enfer.

Selon le rapport officiel de l’état-major de la 8e DLIC, le 26e RTS a perdu du 8 au 25 juin 1940, 52 officiers sur 84 et 2 446 hommes sur 3 017. Ce sont les pertes les plus importantes de cette division, et elles figurent parmi les plus élevées des unités combattantes françaises en 1940. La période reconnue pendant laquelle la 8e DLIC (dont le 26e RTS) a combattu s’étend officiellement du 10 au 24 juin 1940 15. Au moment de l’armistice, ROUAN est en Dordogne avec ses Tirailleurs. Il décide de les ramener en Côte d’Ivoire.

3) En Afrique

Mobilisé jusqu’en juillet 1940 comme lieutenant dans le 26e RTS, il se replie avec sa section et se trouve démobilisé à Rivesaltes le 5 juillet 1940. Mais, ROUAN est libérable à la colonie (Côte d’Ivoire). Dirigé « avec ses Sénégalais » vers le DITC de Marseille le 11 juillet 1940, ils embarquent à Marseille sur le s/s Banfora le 13 septembre à destination d’Oran. Le 15 octobre, ils sont à Casablanca où ils prennent le s/s Marrakech pour débarquer à Dakar le 21 octobre 1940. Rouan est affecté au RTSCI à compter du 16 octobre. Il est enfin mis en congé illimité le 30 octobre 1940.Pendant les combats, il reçoit la Croix de guerre et est promu capitaine.

Il réside officiellement en Afrique occidentale française. Il est encore considéré comme fonctionnaire colonial lorsqu’il passe en Gold-Coast (actuel Ghana) en septembre 1940, pour souscrire un engagement dans les FFL comme sergent 16. Il entre en contact avec le Special Operations Executive (SOE) et tente à plusieurs reprises de rejoindre Londres, mais échoue. En revanche, on lui conseille de rejoindre la France pour y organiser des actions de résistance. Venu en mission en Côte d’Ivoire, il est arrêté, à Niabé, ville frontière avec la Gold Coast, le 18 décembre 1940. Il participait à une tentative de préparation du ralliement de l’Afrique de l’Ouest à la France libre. Il est ramené en France sur le s/s explorateur Grandidier le 18 janvier 1941. À son arrivée à Marseille, il est arrêté pour désertion, et condamné. Incarcéré au Fort Saint Jean, il s’évade en février 1941. Sa résistance sur le sol français peut débuter.

4) En France

Le 24 octobre 1942, François ROUAN, domicilié rue Font-Froide à Perpignan, épouse, à Perpignan, Marguerite, Thérèse BANET, née le 3 janvier 1920 à Pollestres (Pyrénées-Orientales), demeurant rue Gustave Courbet à Perpignan chez ses parents Hippolyte, André, Pierre BANET, agriculteur, et Marie, Marguerite Sabine CAMPS, sans profession. Les témoins sont Adolphe BLAZY, de Foix (Ariège), et Benoit GRAU, de Vernajoul (Ariège) 17. Marguerite travaille au Grand Hôtel, place Saint-Jean à Perpignan. Ce second témoin est l’associé de François. Son père, Albert GRAU, avait fondé à Vernajoul une entreprise de travaux publics. François a investi une forte somme dans cette entreprise, qui fait des travaux pour les PTT à Montpellier. Cette somme, importante, devait être rendue en cas de rupture entre les actionnaires.

Les diverses évocations du parcours de guerre de François ROUAN 18 aussi justes qu’elles soient ne permettent pas toujours de comprendre le processus de construction de la Brigade Montaigne.

Le terme de brigade renvoie aux Brigades internationales, MONTAIGNE est le nom de guerre attribué à ROUAN par le groupe de jeunes résistants du Corps-franc de la Libération de l’AS de Montpellier, alors que François n’a pas encore dû « prendre le maquis ». Cette brigade regroupait de nombreux Allemands sortis un à un des camps dans lesquels la France du Front populaire les avait emprisonnés. François ROUAN parlait, lui, de Brigade Thaelmann. « C’était un véritable maquis MOI, c’est à dire du Mouvement ouvrier internationaliste » 19.

« Le chef régional « Maquis » pour R3, Villars [André PAVELET], ancien chef de cabinet du général DE LATTRE DE TASSIGNY, décide de réunir tous les petits groupes épars. Il désigne ‘MONTAIGNE’ [François ROUAN] pour effectuer cette opération en Lozère avec les Cévennes pour point de rassemblement » 20. Comment répondre à l’inquiétude des dirigeants de la Résistance face à l’arrivée en grand nombre de réfractaires au STO, refusant d’aller travailler en Allemagne sans pour autant être prêts à prendre les armes. Le choix de l’AS semble avoir été de les rassembler en petits groupes capables de profiter de la topographie et de la végétation touffue des Cévennes. Au moment opportun ces maquis pourraient intervenir en soutien au débarquement.

MONTAIGNE et sa Brigade MOI s’installent d’abord fin août 1943 au Bancillon (Lozère, commune de Saint-Germain-de-Calberte), puis à Flandre (lieu-dit de Saint-Germain), à Nozière (au nord-ouest de Saint-Germain, au nord du Tarn) et à la Fare (Saint-Étienne-Vallée-Française). Fin novembre Louis VEYLET et son groupe (réfractaires au STO et Allemands, tous recherchés) s’établissent à proximité, à Ferrus (col de Laupiès). Tous se trouvent donc près du col de Jalcreste. En février 1944, les hommes du groupe de Louis VEYLET et ceux du groupe MONTAIGNE s’installent au hameau abandonné de La Fare pour former la Brigade Montaigne. Le regroupement continue après l’occupation de Lasalle conjointement par le maquis AS de Lasalle et la Brigade Montaigne. À la demande de Victor (Miguel ARCAS), Lasalle et ses environs sont occupés les 30 et 31 janvier pour dissuader, voire empêcher la milice d’y parader et d’y sévir. À l’issue de cette occupation, Victor suit la brigade Montaigne à La Fare.

Paul HARTMANN raconte les débuts du maquis Montaigne :

Il [Fritz NICKOLAY 21], nous informa de la constitution du comité « Freies Deutschland » (Allemagne libre) pour l’Ouest. Sur ordre de la direction du Parti communiste allemand pour la partie sud de la France, basé à Lyon, il nous annonça que tous les camarades maîtrisant la langue française devaient être affectés dans les villes pour le travail d’information politique auprès des soldats d’occupation. Il fut recommandé aux autres de s’associer aux FTPF. Sur décision de la direction du parti à Lyon, et en accord avec les camarades français, une unité de partisans antifascistes allemands devait être mise sur pied sous l’appellation « Les Francs-Tireurs de l’Allemagne Libre ». Dans un premier temps cependant, nous devrions nous associer à un groupe de jeunes Français et de quelques émigrés étrangers. Tous les préparatifs étaient déjà effectués pour que nous puissions passer pour des bûcherons. En petits groupes, nous avons traversé la vallée du Rhône, densément occupée par les nazis, en direction des Cévennes. Notre première station fut La Fare près de St-Germain de Calberte, un petit hameau de montagne de Lozère abandonné depuis une cinquantaine d’années dont la fontaine était tarie et les maisons étaient partiellement en ruines. Le groupe de maquisards y était formé d’environ 20 jeunes Français réfractaires au STO. Une direction militaire et politique fut constituée en commun et l’unité fut divisée en groupes. Son commandant était le jeune lieutenant MONTAIGNE, son adjoint notre camarade allemand Ernst BUTZOW, alias le grand Ernst, et notre officier politique était notre camarade Otto KÜHNE. À côté de la recherche de nourriture, l’armement était sans aucun doute notre préoccupation majeure. Ce sont les paysans qui ont fourni les premières armes, à nous partisans. Il s’agissait de carabines et de fusils allemands datant de la première guerre mondiale que les soldats français avaient ramenés chez eux, à l’époque, et conservés comme souvenir. Ils les utilisaient en partie légalement et en partie illégalement pour chasser le sanglier. Sciemment, ils n’avaient pas obéi à l’ordre des autorités fascistes d’occupation de remettre la totalité de leurs armes. Les ayant soigneusement cachées, ils les remirent alors aux maquisards 22.

À partir de La Fare, Hans MOSCH, ancien des BIet de Gurs, circula dans la région pour essayer de regrouper les Allemands disséminés et parfois isolés. C’est ainsi qu’il « récupéra » à La Fabrègue Lisa OST et Hedwig RAHMEL-ROBENS, anciennes des BI, elles aussi. Cette brigade regroupe essentiellement des Allemands, auxquels on peut ajouter des Autrichiens, des Espagnols, des Tchèques, des Yougoslaves, un pasteur luxembourgeois et vingt Français 23.

Le travail en commun entre MAZEL (PEYTAVIN, chef départemental de l’AS), MISTRAL (COMBARMOND, qui assure l’équipement et le ravitaillement de la Brigade), et MONTAIGNE, soutenu par des réunions auxquelles se joignait VILLARS qui se déroulaient au col de Jalcreste à l’hôtel Nogaret, semble fructueux du moins pour ce qui concerne le rassemblement, l’équipement et même l’armement.

Les 11 février 1944, Les GMR accompagnés de quelques gendarmes, bien renseignés sur les endroits où pouvaient se cacher les maquis, poursuivent les recherches entre les cols de Laupiès et Jalcreste. Puis le 12, ils descendent vers Saint-Germain-de-Calberte et détruisent le hameau de La Fare.

La brigade Montaigne doit déménager ; elle s’installe d’abord une quinzaine de jours à Malzac, puis fin février emménage au Galabartès, au sud-est de Malzac dans une ferme abandonnée. MONTAIGNE réussit à convaincre un couple de fermiers d’accueillir Lisa et Hedwig, dans l’appartement inoccupé à l’étage de leur maison.

L’attrait exercé par le maquis Bir-Hakeim dans les Cévennes (secteur Gard-Lozère) provoqua l’absorption par ce dernier de la brigade Montaigne. ROUAN devient un des principaux lieutenants de Jean CAPEL, chef du maquis, aux côtés de DEMARNE et de ROQUEMAUREL https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article1860624. Dans son état des services validé par la commission départementale de l’Hérault, MONTAIGNE indique : « tous unis dans la lutte pendant l’année 44, combats de Caux (juin 44), combats de Mourèze et de Carabotte (juillet 44), combat du Roc des Vierges (juillet 44) et combat contre des colonnes allemandes (août 44) ». Cette partie, que je ne traiterai pas dans ce texte, est bien documentée par les ouvrages présentés en note 2.On y voit ainsi des visions différentes voire opposées entre les textes d’É. et Y. BRÈS et ceux de G. BOULADOU.

Cependant, sans rentrer dans une caractérisation« politique » de ce maquis, on peut noter que, dans un témoignage postérieur à la guerre, Paul HARTMANN écrit : « à cette époque nous étions rattachés à une unité gaulliste ». Max DANKNER précise même qu’à son avis : « une erreur involontaire a été commise par la direction du Parti à Lyon : c’est de ne pas nous avoir dirigés dès le début sur un groupe FTP… Cela provient aussi du fait que les camarades MOSCH et ROBENS se trouvaient déjà dans cette « situation » en étant en relation avec le lieutenant « MONTAIGNE » ». Il est intéressant de voir qu’y compris dans les rangs d’étrangers, on ne voit que deux résistances, une gaulliste et une communiste. De plus, ce n’est pas à proprement parler un maquis gaulliste (au sens politique du terme) mais c’est un maquis unitaire.

Toujours est-il que, le 28 mai 1944, La Parade, hameau du Causse Méjean est le lieu d’un terrible combat entre les hommes du maquis Bir-Hakeim et les troupes d’Occupation. Le maquis est partiellement démantelé, on compte trente-quatre morts dans les rangs biraquins (19 Français, 10 Espagnols, 3 Allemands, 1 Autrichien et 1 Belge) et vingt-sept maquisards arrêtés. Le village est pillé par les troupes d’Occupation. Le lendemain, 29 mai, les vingt-sept sont exécutés au ravin de la Tourette à Badaroux (15 ou 16 Français, 5 ou 6 Espagnols, 2 Belges, 1 Allemand, 1 Tchèque et 1 Yougoslave).L’attaque allemande contre le maquis Bir-Hakeim provoqua au total la mort de soixante-et-un combattants. CAPEL, mort à La Parade sera remplacé par DEMARNE, qui sera tué le 4 août 1944, et c’est alors MONTAIGNE qui prend la responsabilité d’un Bir-Hakeim en grande partie détruit. D’autres souhaitaient eux-mêmes remplacer DEMARNE comme FIOL, au titre d’adjoint de DEMARNE, ou SERY, en tant que militaire de carrière.

Le 14 juillet 1944, Marguerite ROUAN est arrêtée sur dénonciation. L’entreprise GRAU-ROUAN travaillait alors pour les PTT ; un conducteur de travaux, Marcel P., surveillait les travaux. Il était l’époux d’Adrienne O., cousine éloignée de Marguerite ROUAN. Adrienne se plaignait que les ROUAN possédaient des tickets de rationnement en trop grand nombre. De plus elle affirmait que le mari de sa cousine était un responsable du maquis. Il ressort des investigations policières 25 qu’il existe en réalité plusieurs rivalités ou jalousies ayant entraîné les événements. D’une part, entre Monsieur GRAU, témoin de mariage de François, et la famille ROUAN, mais qui se trouvait surtout être son associé dans l’entreprise de travaux publics qui œuvrait alors à Montpellier. D’autre part, une jalousie entre Adrienne O. épouse de l’employé de l’entreprise et sa cousine éloignée, Mme ROUAN. Fin 1943, déjà, une première menace faite publiquement sur un chantier de l’entreprise (Place de la Comédie et rue Boussairolles) n’est pas suivie d’effet. En juin 1944, ayant aperçu en ville ROUAN, l’épouse P. (comme la désigne le rapport de police) déclare devant témoins que « la prochaine fois [elle] le ferai[t] arrêter ». Le 14 juillet 1944, l’arrestation de Marguerite allait enfin dénouer l’ensemble des fils au profit de ceux qui les avaient tirés. Selon l’inspecteur de Police judiciaire chargé du dossier 26 : « La femme P. se fit conduire chez RISPOLI 27, commissaire de Police des renseignements généraux, [absent, voit un autre policier qui en désespoir de cause l’emmène chez Rispoli et] le prévint que les ROUAN étaient en ville. Il se rendit alors chez la dame ROUAN, qu’il estimait en fuite et procéda à son arrestation ». Il avait emmené avec lui plusieurs miliciens et trouva sur place un autre groupe de miliciens « alertés » par GRAU. Le fils de François et Marguerite, alors bébé, est laissé à la garde des grands-parents. Torturée par la Milice, Mme ROUAN parvint, cependant, à s’évader le 25 juillet 1944 de la caserne de Lauwe de Montpellier (ancien petit séminaire Saint-Firmin). Après son évasion, ses parents et son fils seront utilisés comme otages. L’un des libérateurs raconta plus tard à François fils, que le greffier avait écrit sur le livre d’écrou : « François ROUAN, né le 8 juin 1943, terroriste ».

Le procès se déroula en juin 1945 et aboutit d’une part à la condamnation de Mme P. à 5 ans de prison, réduits à 2 ans pour des raisons psychiatriques, son mari et M. GRAU ne passant pas devant la cour. Par ailleurs, François ROUAN fut relaxé (en 1945 aussi) des charges d’escroquerie aux tickets de rationnement en raison de leur utilisation pour la Résistance.

MONTAIGNE participe à la libération de Montpellier en compagnie d’Andrew CROFT chargé d’appliquer l’opération « Blanche Neige », c’est-à-dire rendre la vie difficile aux Allemands pressés de rejoindre le gros de leurs forces avant d’en être coupés par nos armées d’invasion. « La nationale 9 allait être intensément attaquée par air et notre rôle était de les empêcher d’utiliser les routes secondaires. Le 15 août était pour nous aussi le jour J 28 ». L’arrivée du maquis de Mourèze, le 25 août est acclamée et MONTAIGNE, son chef, est porté en triomphe.

Fig. 2 : Andrew Croft, François Rouan et son lieutenant Delrieu à Mourèze en août 1944 (© Clichés Cpt Croft 1944, documentation J.C. Richard 1980_2021)
Fig. 2 : Andrew Croft, François Rouan et son lieutenant Delrieu à Mourèze en août 1944 (© Clichés Cpt Croft 1944, documentation J.C. Richard 1980_2021)
Fig. 3 : Montaigne, Lieutenant Celigny, radio et officier de renseignement anglais, et Delrieu à Mourèze en août 1944 (© Clichés Cpt Croft 1944, documentation J.C. Richard 1980-2021)
Fig. 3 : Montaigne, Lieutenant Celigny, radio et officier de renseignement anglais, et Delrieu à Mourèze en août 1944
(© Clichés Cpt Croft 1944, documentation J.C. Richard 1980-2021)

Après la « libération » de Montpellier, François ROUAN rejoint la Brigade légère du Languedoc du 27 août 1944 au 14 septembre 1944. Il est blessé à la tête le 12 septembre 1944 dans la région de Dijon où « séjournait » la Brigade légère. Le 15 septembre il est « engagé volontaire pour la durée de la guerre », et fait les campagnes d’Alsace (participe entre autres à la libération de Saint-Louis) et d’Allemagne au sein du 18e RTS de la 1ere Armée ; il est nommé capitaine le 3 janvier 1945 par décision du général commandant la 1ere Armée.

Quelques questions restent en suspens : A-t-il été parachuté en France le 11 juin 1941 et où (près de Font-Romeu dans les PO, l’Aude ou l’Ariège) pour y organiser des maquis (AS) ? Les archives des Pyrénées-Orientales n’en ont aucune trace, mais son livret militaire en fait état 29. Y a-t-il eu difficultés, après la mort de DEMARNE, pour le désigner chef du maquis Bir-Hakeim ? Quel rôle militaire a joué la Brigade Montaigne ? Pour quelles raisons la mission britannique de CROFT d’août 1944 s’est-elle retrouvée auprès de MONTAIGNE ?

L’essentiel des années d’après-guerre sera consacré à la mémoire de ses camarades. Le 20 mai 1948 : le monument aux « Biraquins » est inauguré. Mais il n’est pas certain que François y ait participé.

Dans les documents conservés dans les archives de la famille et classés par Marguerite, on trouve douze discours de François datés de 1980 à 1991. Tous portent sur la solidarité, la liberté, le refus de l’oubli mais sans haine, la vigilance face aux montées de l’extrême droite et à ses discours nauséabonds qui propagent les « idées antisémites et racistes » 30. Pour commémorer l’appel du 18 juin il met en parallèle le discours positif et combattant du général DE GAULLE, avec celui défaitiste et d’obéissance aux futurs vainqueurs du maréchal PÉTAIN et conclut qu’« il fallait avoir le courage de choisir entre sa consigne et sa conscience » 31. « Les résistants étaient tous volontaires, pas de liens hiérarchiques entre eux, au sens d’une quelconque subordination de forme dans les rapports, mais la conscience d’une responsabilité et d’une fraternité dont la vie ordinaire n’offre pas d’exemples » 32, déclare-t-il en 1984. « Nous sommes les survivants et les témoins actifs de cette période. Nous avons en commun un patrimoine de compréhension et de souvenirs car nous avons combattu animés d’un même idéal, celui de la Résistance qui portait en lui le refus de la lâcheté, l’amour de la liberté et le respect des différences, qui s’appelle la tolérance » 33. Et pour terminer ce florilège, peu avant son décès, il constatait que « la fin de la guerre froide, la fin du régime des superpuissances et la fin du monde bipolaire sont liés. En ce qui concerne l’Europe, en tout cas, une course de vitesse est engagée pour une union continentale qui, dans le respect des identités nationales, saurait faire prendre conscience à tous ces peuples de leur identité commune pour peu que les responsables politiques, économiques, sociaux et culturels, s’arrachant enfin à leurs pitoyables querelles, se donnent la peine de mesurer les enjeux et sachent en persuader leurs citoyens » 34. Il décède le 26 mars 1992 à Montpellier.

Éléments pour une conclusion provisoire

Orphelin de mère, interne à onze ans, envoyé dans une famille, certes proche par le sang, mais qui ne semble pas l’avoir compris, il a fait des choix dans la vie collective (Corse, Espagne, Maquis) et des choix de combat contre les injustices. Il a pleinement « utilisé » les marges pour se construire. Il n’a jamais renié sa culture catholique, écrivais-je en introduction. En effet, même lorsqu’il adhérait aux Jeunesses communistes, ou lorsqu’en Indochine ou en Afrique il s’opposait à la colonisation, il le faisait au titre de l’humanisme chrétien. Pour autant, il a combattu le communisme officiel, celui de Moscou et des partis inféodés, en restant fidèle à des thèmes comme la libération des peuples (Espagne, Résistance, Afrique et Indochine), le refus de toutes les oppressions et dictatures, l’humanité, la fraternité et l’internationalisme des combattants. Un dernier point, à ce niveau de la recherche, m’amène à affirmer l’aspect européen de ses combats, comme il le dit dans ce discours de 1984 : « Sachez que « Bir-Hakeim » est typiquement un maquis Corps franc de la libération, tel que le voulait Jean MOULIN, organisateur et unificateur de la Résistance, où la présence à la fois d’officiers français, d’anciens combattants de la guerre d’Espagne, d’hommes d’âge mur et d’expérience ayant fait guerre et guérilla, connu les prisons et les camps, aux côtés de jeunes Français, de réfractaires au STO en Allemagne, brûlants de patriotisme, ont donné à « Bir-Hakeim » un tonus anti nazi et baroudeur, une homogénéité et une détermination reposant sur la fraternité des camarades de combat à la vie à la mort ». (Discours de La Parade, 1984) ou celui-là antérieur d’un an : « Le combat pour la paix et le désarmement, au nom des droits de l’homme, au nom de la vie, n’est ni un thème politique, ni une affaire d’idéologie. On ne bâtit pas l’avenir sur la haine, sur des rancunes, des préjugés, des regrets, mais au contraire, sur la confiance, et sur les valeurs essentielles que sont la tolérance, la fraternité, la solidarité, le respect de la dignité de l’homme, de sa personnalité, de ses droits, de ses justes biens » (allocution au Conseil départemental de l’Hérault pour le 39e anniversaire de la Libération, 1983).

NDLR : Ce texte est une version condensée de l’article de Pierre CHEVALIER, « ! L’unique chose qui m’importe – disait-il à ses fils –, c’est ce que tu fais, pas ce que tu dis ! » : François ROUAN (Foix 1914-Montpellier 1992), Le Midi Rouge, n° 30, décembre 2017, p. 9-27.

Stèle en mémoire de François Rouan au cimetière de Mourèze (photographie P.J. Bernard).
Stèle en mémoire de François Rouan au cimetière de Mourèze (photographie P.J. Bernard).

NOTES

  1.François ROUAN, Dire ou ne pas dire, Paris, Cadastre-zéro, 2017, p. 11. Dans cet ouvrage, François Rouan, fils ainé de François Rouan, rappelle des souvenirs de ses parents en les tutoyant.

  2.Jacques-Augustin BAILLY, La Libération confisquée. Le Languedoc 1944-1945, Paris, Albin Michel, 1993. Gérard BOULADOU, Les maquis du Massif central méridional : 1943-1944, Nîmes, Lacour Rediviva, 2016. Gérard BOULADOU, L’Hérault dans la Résistance : 1940-1944, présentation de Jean-Claude Richard, Nîmes, Lacour, 1992. Éveline & Yvan BRES, Un maquis d’antifascistes allemands en France (1942-1944), Montpellier, Les Presses du Languedoc / Max Chaleil Éditeur, 1987. Henri CORDESSE, Histoire de la Résistance en Lozère 1940-1944, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1999. Christian FONT & Henri MOIZET, Maquis et combats en Aveyron. Chronologie 1936-1945, Rodez & Toulouse, ONAC Aveyron, ANACR Aveyron, CRDP Midi-Pyrénées, 1995. René MARUEJOL, Aimé VIELZEUF, Le maquis Bir-Hakeim, nouvelle édition augmentée, préface d’Yves Doumergue, Genève, Éditions Famot, 1972. Aimé VIELZEUF, Au temps des longues nuits, préface de Pierre Villeneuve, Nîmes, Peladan ed., 1969. Le Maquis école de La Picharlerie (1943-1944), Mende, ONACVG Lozère, 2e édition révisée, 2010.

  3.AERI, La Résistance en Lozère, CD rom.

  4.Harry Roderick KEDWARD, À la recherche du maquis, la Résistance dans la France du sud, 1942-1944, Paris, Éditions du Cerf, 1999 (extrait de l’entretien avec François Rouan, le 25 février 1982, à Montpellier, pages 341 à 345).

  5.Évelyne et Yvan BRES, Un maquis d’Antifascistes Allemands…, op. cit.

  6.Entretien entre François Rouan et son fils ainé, François, dans l’atelier de ce dernier en 1982 ou 83.

  7.Dans le registre matricule de François Rouan, n° 957, classe 1934, il est noté en troisième ligne de la rubrique : « Décision du conseil de révision et motifs : famille de 8 enfants vivants, le conscrit compté ». Le chiffre 8 est inscrit en rouge.

  8.Entretien entre François Rouan, doc. cit.

  9.Il manque donc un enfant dans le décompte que j’ai fait à partir de l’état civil des Archives départementales de l’Ariège. Est-il d’Élisabeth, Jeanne ou d’Élisabeth, Marie ?

 10.François ROUAN, op. cit., p. 18.

 11.Centre d’Études et de Recherches sur les Mouvements Trotskyste et Révolutionnaires Internationaux de Paris (CERMTRI), Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine de Nanterre (BDIC), International Institute of Social History d’Amsterdam (IISH) ou les Trotsky’s papers de la Hougton Library (Harvard university), complétées par le Lubitz’ Trotskyananet-Rresearch facilities-Public Archives. Philippe ROBRIEUX, Histoire intérieure du Parti communiste, tome 4, Paris, Fayard, 1984.

 12.François ROUAN, op.cit. p 17-18.

 13.SHD Dossier Rouan, Capitaine de l’Armée, GR 8YE 80885, état des services de Rouan, doc. n° 885/41.

 14.Ainsi, en août 1936, La Lutte ouvrière, (journal de l’un des courants trotskystes) fait état de la condamnation, en juillet 1936, par le tribunal permanent des forces armées de Marseille, à dix mois de prison pour insoumission de Maurice Lœuillet, étudiant à Aix-en-Provence parti aider la République espagnole.

 15.Bulletin officiel du Ministère de la Guerre, Unités combattantes des Campagnes 1939-1945, (Période du 3 septembre 1939 au 8 mai 1945), Paris, Charles Lavazelle & Cie, 1955, p. 58.

 16.Sur son Livret matricule d’officier il est indiqué page 2 : passé aux FFL en Gold Coast le 22 septembre 1940.

 17.Courrier du service de l’état civil de la mairie de Perpignan (Pyrénées-Orientales) en date du 25 octobre 2015.

 18.SHD Dossier Rouan, capitaine de l’Armée, GR 8YE 80885, document 80/885/41 et SHD Dossier Rouan, Résistant, GR16 P 521618, document 184, état des services.

 19.François ROUAN, op.cit., p. 24.

 20.Evelyne et Yvan BRES, op. cit., p. 112. Cette information vient de Francis [Peytavin].

 21.Friedrich Nikoley (1909-1953), Fritz Nickolay, selon Paul Hartmann, a rejoint le Parti communiste d’Allemagne en 1928. Il a travaillé à partir de 1943 en tant que membre du Travail allemand dans la Résistance. De 1943 à 1945, il prend la direction du KPD à Lyon et assure la liaison avec les combattants allemands du mouvement Free Germany for the West (CALPO).

 22.Paul HARTMANN, « Avec des armes de la première guerre mondiale », in Dora SCHAUL, Résistance, Errinerung deutscher Antifaschisten, Francfort-am-Main, Röderberg-Verlag GmbH, 1973, p. 184. Traduction Bernard Doncker.

 23.Une liste constituée par la Verband Deutscher in der Résistance, in den Streitkräften der Antihitlerkoalition und der Bewegung « Freies Deutschland » e.V. (DRAFD e.V, c’est à dire « Association des Allemands dans la Résistance, forces armées de la coalition anti-Hitler et mouvement ! Free Germany ! eV ») donne les noms suivants : Beisecker, Norbert (11.7.1917) ; Bucher,Fred ; Butzow, Ernst (26.9.1905) ; Dankner, Max (6.5.1911) ; Frank, Max ; Hartmann, Paul (4.11.1907) ; Hasselbring, Heinz (14.3.1903) ; Herger, Felix (20.1.1904) ; Hilgert, Richard (4.2.1905) ; Kalb, Martin, (26.11.1906) ; Klausing, Karl (11.2.1902) ; Kühne, Otto (12.5.1893) ; Leiphold, Hermann (12.8.1904) ; Lindner, Anton ; Mayer, Hermann (6.12.1906) ; Mosch, Hans (2.6.1906) ; Mundt, Gustav ; Nett, Willi ; Ost, Lisa ; Rahmel-Robens, Hedwig (9.11.1896) ; Robens, Christian ; Stanick, Richard (15.9.1901) ; Stierwald, Albert (1.1.1903) ; Volz, Andreas (23.4.1891) ; Walter, Kurt ; Weyers, Hans (13.9.1902). On peut y ajouter : Bull (ou Dull), Karl ; Feiler, Werner ; Danzer, Emile ; Heinz, Karl ; Huber, Paul ; Muller, Willi ; Reichard, Hans ; Rucktaschel, Albert ; Schwarz, Emmanuel ; Stanick, Richard. Frankel Ernst, Krainer Hans et Trinka Karl étaient autrichiens. Selon le CDRom de l’AERI, rubrique « Brigade Montaigne », il y avait aussi les Tchèques Vorel Joseph et Skovoda, Paul, deux Yougoslaves et un Polonais.

 24.Ces deux phrases sont librement inspirées de la biographie de Jean Capel par André Balent dans le Maitron : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article18606

 25.Archives départementales de l’Hérault, 59 W 53, jugement du 18 juin 1945.

 26.AD Hérault, 59W53, rapport daté du 8 février 1945.

 27.Ce commissaire des R.G. écrivait à l’Intendant Marty à propos de Rouan en 1943 : « Son passage, sous son véritable état-civil, « Rouan François » a été relevé à Mende les 20, 22 et 23 décembre 1943. L’arrestation de Rouan devrait être facilement réalisable » (Éveline et Yvan Brès, op. cit., p. 117).

 28.Andrew Croft, témoignage, in John HARRIS, Jean-Claude RICHARD (coord.), « La libération de Montpellier (1944), d’après les témoignages inédits d’Andrew Croft, François Rouan et Gilbert de Chambrun », Études héraultaises, NS.9, 1993, p. 59 à 72.

 29.États de service de Rouan François, document numéroté 885/41.

 30.Archives famille Rouan, discours de 1983.

 31.Idem, discours pour le 18 juin sans précision d’année.

 32.Idem, discours pour la libération de Montpellier.

 33.Idem, 23e congrès de l’Union des Résistants, Déportés, Internés et Familles des Morts de l’Hérault, 1988.

 34.Idem, La Parade, 1990.