Du privé au public… un aménagement identitaire de la nature
Du parc à la nature sauvage chapitre 9.
Du privé au public… un aménagement identitaire de la nature
Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe
p. 119 à 134
Ce changement de statut fut corollaire du long cheminement qui amena à la vente du domaine et à son nouvel aménagement. A partir du plan de 1895, qui est toujours la référence, va être observé de façon chronologique le démembrement qu’il subit et comment il passa du statut de privé à celui de public. Et ce à travers les délibérations du conseil municipal, les bulletins municipaux, les livres de comptes et semainiers du château et les documents (plans, photos, dossiers, témoignages) recueillis par les associations L’escolo dou Vidourle de Lunel et Archéologie et histoire des pays de Lunel et Mauguio. Suivant le parcours inverse qui avait amené le premier Paul Manse à remembrer les terres pour agrandir sa propriété, le domaine allait en effet peu à peu connaître un morcellement aboutissant à sa vente, comme beaucoup d’autres domaines autour de lui. A l’issue du processus, devait s’opérer un déplacement de valeur, du patrimoine familial à l’identité villageoise.
9.1. Des grandes propriétés à la trajectoire similaire
L’histoire du château de Lunel-Viel, de son parc et de son domaine viticole, ne prend en effet tout son sens que replacée dans son contexte, celui du mode de vie et des aspirations de la bourgeoisie de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Deux exemples, choisis parmi d’autres car très documentés, de familles bourgeoises établies en Camargue, les Sabatier au château d’Espeyran et les Fabrège à Maguelone, en sont très représentatifs. Entre la haute bourgeoisie de la finance que représente la famille Sabatier, de vieille fortune, et la moyenne bourgeoisie commerçante de fraîche ascension à laquelle appartiennent les Fabrège, les Manse, notaires et juristes, incarnent l’horizon social de la « bonne bourgeoisie », née souvent de la Révolution 1. Trois horizons, marqués par d’amples écarts de fortunes qui sautent aux yeux lorsque l’on visite les lieux où ils investirent et, parfois, résidèrent. Trois horizons, mais pourtant une nette convergence autour de valeurs communes, le sens de la famille, condition de durabilité des patrimoines, la réussite sociale fondée sur l’honorabilité et le sens du devoir, enfin l’affirmation d’une responsabilité sociale qui dicte l’action 2. Les trois niveaux s’expriment dans trois champs distincts : exaltation du mode de vie châtelain à Espeyran où l’on vit peu mais intensément en fêtes et chasses de visibilité nationale, gestion en bon père de famille à Lunel-Viel où le château, une grande demeure en réalité, rayonne dans un cercle local, voire régional, enfin ambition intellectuelle autour de l’ancienne cathédrale de Maguelone.
En ces trois lieux de Camargue et du pays lagunaire, les trois familles sont tôt happées par la « fièvre viticole » du second Empire, et investissent massivement dans cette agriculture industrielle qui promet d’amples et rapides profits. Sur cette promesse, on achète de la terre, beaucoup de terre, on draine et on remembre pour faire naître de grands, de vastes ou d’immenses vignobles. Partout, les photos du tournant du XXe siècle montrent le même spectacle d’interminables rangées de vignes plantées au plus dense, au point que l’on ne sait plus où l’on est. Cette monotonie exprime ad nauseam l’exploitation de la nature végétale, à qui l’on assigne la charge de maintenir et mieux encore d’élever le niveau de vie des propriétaires. Le moteur de ce boom économique toussote pourtant au fil des crises viticoles, une à deux par décennie : attaques phytosanitaires et méventes par surproduction soulignent bientôt les limites de ce mode de développement.
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9.2. Un morcellement du domaine qui débute dès 1954
9.3. Le parc, entre privé et public
9.4. Fin d'une vie de château
NOTES
1. DAUMARD, 1987.
2. CÉSAR et al., 2016.
3. SIATEO : Syndicat Intercommunal d’Assainissement des Terres de l’Étang de l’Or.
4. SQUOSSINO : CICB fabrique de meubles, actuellement MPB, fabrique d’éléments en béton moulé.
5. Mairie de Lunel-Viel, n°30, 1991, p. 4.
6. Mairie de Lunel-Viel, n°36, 1992, p. 5.
7. Mairie de Lunel-Viel, n°30, 1991, p. 5.
8. Mairie de Lunel-Viel, n°30, 1991, p. 3.
9. Mairie de Lunel-Viel, n°33, 1991, p. 4.
10. Mairie de Lunel-Viel, n°45, 1991, p. 7.
11. Notons au passage que les fouilles archéologiques qui précéderont l’aménagement seront très riches sur l’habitat du Xe siècle.
12. VALANTIN, 2008.
13. Mairie de Lunel-Viel, n° 37, 2017.
14. SYMBO : syndicat mixte du bassin de l’Or.
15. AUDURIER-CROS, 1992, p. 39-40.
16. CELLIER, GIRARD, RAYNAUD, 2021.
17. MATHEVET, BÉCHET, 2021.
18. Les cigognes : Autrefois très répandue dans toute l’Europe, l’espèce a profondément décliné au tournant du XXe siècle. Principale cause de la diminution des populations : la chasse, très active en France. Malgré une réintroduction de l’oiseau, la cigogne reste menacée par les modifications du paysage : assèchement des zones humides, régulation des fleuves ou encore agriculture intensive et utilisation massive de pesticides. Sa protection demeure donc une priorité.
19. Mairie de Lunel-Viel, n°33, 1991, p. 17.