La Grande Collecte 1914-1918 aux Archives départementales de l’Hérault

Le renouvellement des sources pour une histoire intime et personnelle de la Grande Guerre

* Attaché de conservation du Patrimoine,
Chef du service Archives anciennes et privées aux Archives départementales de l’Hérault

Un exemple de cliché collecté : portrait en pied d’Aimé Larruat (1876-1951)
Fig. 1 - Un exemple de cliché collecté : portrait en pied d’Aimé Larruat (1876-1951), gendarme à la prévôté du quartier général du 14e corps d’armée, 24 novembre 1915. (Arch. Dép. Hérault, 130 PRI 2, fonds Aimé Albert Larruat).

La Grande Collecte 1914-1918 » :
une opération d’envergure de collecte d’archives

Depuis novembre 2013, pour commémorer la première guerre mondiale, les Archives départementales de l’Hérault participent à la « Grande Collecte 1914-1918 ».

Initiée par quatre institutions (les Archives de France, la Bibliothèque Nationale de France, la Mission du Centenaire et Europeana 1914-1918), cette campagne nationale a permis aux particuliers qui conservent des documents de cette époque de se rendre dans les services d’archives pour les faire numériser, afin de sauver ceux-ci de l’oubli ou de la disparition. (Fig. 1)

Le principe est simple : chaque contributeur est reçu aux Archives départementales par un archiviste qui sélectionne avec lui quelques-uns de ses documents en fonction de leur intérêt, les fait numériser sur place, puis les lui restitue. Cette collecte est aussi celle d’histoires familiales, recueillies lors d’un entretien, ce qui permet de contextualiser la production et la transmission familiale de ces archives. Les contributions sont ensuite déposées par les archivistes sur le portail européen
https://www.europeana.eu/fr/collections/topic/83-world-war-i
pour les rendre accessibles à un public plus large.

Point de collecte parmi une centaine d’autres, répartis sur tout le territoire national, les Archives de l’Hérault ont ainsi reçu, de novembre 2013 à septembre 2015, environ 320 contributions : d’abord du 9 au 16 novembre 2013, puis pendant une deuxième semaine en janvier 2014, et enfin à raison d’un jour par mois au premier semestre 2014.

L’opération a été renouvelée à l’automne 2014 à l’occasion des commémorations de l’Armistice et les deux jours de collecte des 14 et 15 novembre ont confirmé l’engouement du public pour cette période souvent marquante de leur histoire familiale : 44 personnes sont venues faire numériser leurs archives (un CD des images numérisées leur a été remis à l’issue de la numérisation). Elles ont pu également être interrogées sur leurs souvenirs dans le studio d’enregistrement des Archives. En 2015, la collecte se poursuit à la demande des particuliers qui n’ont pas pu participer ; un archiviste les reçoit, selon les propositions, sur rendez-vous.

Plus de 20 000 images ont été réalisées par les Archives de l’Hérault depuis 2013. Les carnets de route journaliers (ou carnets de guerre) écrits à la main par les soldats, la correspondance des poilus avec leur famille, les cartes postales à caractère patriotique, les photographies de groupe ou les portraits, les médailles et diplômes militaires, l’artisanat de tranchée figurent parmi les documents les plus souvent conservés par les particuliers. Ces documents, d’une richesse historique remarquable, permettent à l’Historien de restituer avec émotion et précision l’enfer des tranchées ou le déchirement des familles qui attendent, dans l’angoisse, des nouvelles d’un proche sur le Front. (Fig. 2)

Cahier illustré de souvenirs de guerre de Louis Nougaret (1891-1977)
Fig. 2 - Cahier illustré de souvenirs de guerre de Louis Nougaret (1891-1977), sergent fourrier au 81e régiment d’infanterie (Arch. Dép. Hérault, 59 PRI 2, fonds Louis Nougaret).

Si la majorité des contributeurs n’ont fait que prêter leurs documents pour une numérisation et une mise en ligne, on peut cependant souligner quelques dons (12) allant du simple carnet à des fonds beaucoup plus conséquents comme celui de l’ancien doyen de la Faculté de Médecine de Montpellier Jules Euzière (29 caisses d’archives soit 15,25 mètres linéaires de documents !), qui fut mobilisé dans plusieurs ambulances militaires, puis s’est ensuite spécialisé dans le traitement des maladies mentales des poilus victimes de chocs post-traumatiques 1.

Un accès spécifique aux fonds numérisés de la guerre 1914-1918 sur le site Internet des Archives départementales

En présence de fonds importants et riches, les Archives départementales ont obtenu le dépôt provisoire aux Archives des corpus les plus intéressants, pour les numériser intégralement. Les images ainsi produites sont progressivement mises en ligne sur le portail des Archives (https://pierresvives.herault.fr/) et liées à un instrument de recherche décrivant chaque unité documentaire le plus précisément possible (la description archivistique des fonds comprend toujours au minimum le nom et la biographie du poilu, l’unité militaire de ce dernier en développé et en abrégé, l’analyse, la typologie et les dates des documents). Leur accès a en outre été facilité par la création d’un formulaire de recherche spécifique consacré à la guerre 1914-1918 : https://pierresvives.herault.fr/175-recherche.htm?searchString=guerre+14&search=&idtf=175.

Ce formulaire, mis en ligne au printemps 2014, permet d’accéder directement à tous les fonds numérisés par les Archives départementales concernant la première guerre mondiale, tant privés que publics, qu’ils soient conservés chez des particuliers ou aux Archives.

Les fonds privés conservés par des particuliers et dont la numérisation est consultable via le formulaire sont tous issus de la Grande Collecte 1914-1918 et sont pour la plupart totalement inédits. Le formulaire permet également la consultation de fonds d’origine privée, donnés ou déposés aux Archives départementales, et regroupés dans la sous-série 1 J (Documents isolés ou petits fonds d’origine privée), dans d’autres sous-séries de J pour les ensembles plus volumineux (comme celui du poilu Jean Pouzoulet 2 (172 J), du pasteur protestant Elie Gounelle (218 J)…), et dans la série Fi consacrée aux fonds figurés (fonds de plaques de verre stéréoscopiques Giscard-Ruf (41 Fi), fonds Louis de Lambert (32 Fi)…).

Le choix a également été pris d’intégrer au formulaire de recherche les fonds d’archives publiques déjà numérisés en lien avec la guerre 1914-1918. Sont ainsi accessibles les plans extraits des dossiers d’administration communale de la Préfecture de l’Hérault (sous-série 2 O) relatifs à la première guerre mondiale et concernant essentiellement les monuments aux morts érigés dans chaque commune au sortir de la guerre (ces plans sont aussi consultables par le formulaire Cartes et plans). Un lot d’affiches patriotiques et de souscription pour les emprunts de la Défense nationale, provenant de la commune de Saint-Chinian, peut également être consulté. Enfin, quelques témoignages oraux de poilus recueillis dans les années 1980 par l’Office d’action culturelle du département, conservés sur leur support d’origine aux Archives départementales, ont été numérisés et intégrés au formulaire 1914-1918, permettant ainsi, alors que tous les poilus sont désormais décédés, de proposer à la recherche historique, outre des archives classiques, des archives orales où il est possible de saisir au mieux l’émotion des acteurs du premier conflit mondial relatant, au soir de leur vie, leur expérience du feu.

Le formulaire de recherche Guerre 1914-1918 permet à l’internaute de structurer l’interrogation des fonds numérisés puisqu’il est possible, pour lancer une requête, de saisir des critères spécifiques : recherche en « texte libre » permettant d’interroger en plein texte la description des unités documentaires, recherche par année, recherche par lieux.

Il est également possible d’afficher la totalité du corpus et l’ensemble des fonds numérisés en cliquant directement sur Rechercher, puis en navigant ensuite dans les résultats qui s’affichent. Enfin, on peut choisir d’afficher la liste des lieux mentionnés dans les documents (il s’agit de la liste alphabétique des termes d’indexation géographique de chaque unité documentaire) : ceci permet par exemple de sélectionner tous les fonds concernant Verdun ou un secteur spécifique du Front. (Fig. 3)

Affichage d’un résultat après une requête dans le formulaire consacré aux archives numérisées de la guerre 1914-1918 sur le site Internet des Archives départementales de l’Hérault.
Fig. 3 - Affichage d’un résultat après une requête dans le formulaire consacré aux archives numérisées de la guerre 1914-1918
sur le site Internet des Archives départementales de l’Hérault.

Deux compléments très utiles à la recherche et facilitant l’accessibilité des fonds ont aussi été rédigés : il s’agit d’un index des poilus, classés par lieu de naissance (ou d’incorporation), ainsi que d’un tableau des unités militaires présentes dans les fonds.

Les archives de poilus numérisées par les Archives départementales ne concernent pas que des conscrits originaires de l’Hérault. Les soldats sont originaires de toute la France, car l’Hérault attire depuis plusieurs décennies de nombreuses personnes venues d’autres départements, souvent avec leurs propres archives familiales (un nombre conséquent de contributeurs se sont installés dans l’Hérault au moment de leur retraite). Un index par lieu de naissance ou, à défaut, par lieu d’incorporation (pays, département, ville), fournit ainsi l’origine géographique des poilus (26 départements français sont actuellement représentés, ainsi que la Belgique puisqu’un contributeur a donné aux Archives les documents de son grand-père, fantassin belge en 1914).

De la même manière, il est apparu judicieux de proposer un tableau des unités représentées dans les fonds numérisés. Les archives personnelles de poilus apportent souvent des informations et des points de vue inédits sur de nombreuses unités engagées dans le conflit. Le tableau des unités présente et classe les fonds par arme (Terre, Air, Mer…), puis par type d’unité (pour la Terre : artillerie, infanterie, génie…), et enfin par numéro d’unité. L’internaute s’intéressant de la sorte uniquement à un régiment en particulier saura immédiatement si un fonds numérisé concerne l’objet de sa recherche.

La description des fonds et documents suit les normes internationales de description archivistique (norme ISAD-G) et est toujours élaborée de manière identique. Chaque ensemble documentaire est identifié par sa cote, un intitulé général (par exemple : Fonds Pierre Eloi Caizergues (1887-1954), maréchal des logis au 56e régiment d’artillerie de campagne (56e RAC), puis au 9e régiment d’artillerie de campagne (9e RAC) : journal de guerre manuscrit (2 août 1914 – 6 avril 1918)), la description physique des images (caractéristiques techniques de numérisation et nombre de vues), le contexte (nom, dates de naissance et décès du poilu, biographie), la présentation du contenu documentaire (par exemple, description précise du contenu d’un carnet ou, même mieux, transcription intégrale du carnet lorsque le contributeur a déjà effectué ce travail titanesque et qu’il a accepté de partager le fruit de sa saisie), nom du propriétaire des documents originaux, et indexation géographique (régions, départements et communes cités dans le document).

Enfin, une vignette présentant l’une des premières images du dossier décrit, située à gauche de la description du fonds permet, d’un simple clic, l’accès aux documents numérisées. (Fig. 4)

Photographie prise par Frédéric Esquirol, sergent au 59e régiment d’infanterie
Fig. 4 - Photographie prise par Frédéric Esquirol, sergent au 59e régiment d’infanterie, dont la légende précise « Voici la coupe d’une des tranchées occupées par le 59e [régiment d’infanterie] et faite par nous ; au dernier plan, abri contre les éclats d’obus. Les Allemands sont à Perthes, à 350 ou 400 m de cette tranchée. 19 décembre 1914 ». Toute la lassitude des combattants se lit sur le visage du poilu au premier plan… (Arch. Dép. Hérault, 31 PRI 2, fonds Frédéric Esquirol).

Diversité et richesse des fonds privés collectés

La diversité des documents et objets confiés par les contributeurs lors de la Grande Collecte illustre à elle seule le poids majeur que conserve la première guerre mondiale dans les mémoires familiales françaises. Ces documents, reliques ultimes du premier conflit mondial, ont traversé les décennies, transmis de génération en génération, conservés précautionneusement en souvenir d’un aïeul combattant. Il est ainsi possible de dresser une typologie des documents le plus fréquemment confiés aux Archives.

Les archives militaires officielles, tels les livrets militaires individuels (permettant de retracer le parcours militaire d’un poilu de sa conscription à sa libération des obligations militaires), les certificats de bonne conduite (délivrés à l’issue du service militaire lorsque le conscrit n’a pas purgé de peine ou commis d’infraction) et les citations constituent la typologie de documents qui a été le plus régulièrement proposée aux Archives. Ces documents sont utiles pour retracer le parcours d’un poilu, mais ils demeurent purement administratifs et ne permettent pas d’appréhender le vécu réel du soldat. Les médailles (croix de guerre, légion d’honneur, médaille militaire, médaille serbe…) et les diplômes commémoratifs peuvent également être associés à ces « archives administratives officielles ».

En revanche, l’une des surprises majeures de la Grande Collecte a été sans conteste le très grand nombre de journaux intimes, de carnets de notes, de carnets de guerre (environ 90 !) qui nous ont été confiés. Ces écrits du for privé, source historique extraordinaire, prennent la forme matérielle d’agendas, de cahiers, de carnets ou de calepins, sur lesquels le soldat note au jour le jour ce qui lui advient, les affectations de son régiment, et – plus rarement, il est vrai – ses états d’âme. Le plus souvent, les carnets de guerre sont écrits au crayon et témoignent, dans leur matérialité, des conditions parfois bien difficiles dans lesquelles le poilu a pu griffonner quelques mots, sous un bombardement ou dans l’humidité d’une tranchée. Certains journaux sont écrits à l’encre (écriture au crayon à encre ou à la plume), illustrés et parfois très soignés. Ces documents, rédigés à chaud, au cœur de l’action, sont une source extraordinaire pour l’Historien, car le carnet de guerre n’est, à l’origine, destiné qu’à son auteur et ne masque ainsi pas la réalité crue des faits vécus. Il répond en cela parfaitement aux critères de véracité du témoignage sur la première guerre mondiale que définit Jean Norton Cru, en 1929 dans son ouvrage Témoins 3, lorsqu’il analyse finement les témoignages écrits d’anciens combattants de la première guerre mondiale. Les journaux, rédigés en captivité dans des camps en Allemagne, peuvent aussi être associés à ce type de source, dont l’authenticité en fait des documents prisés de l’Historien. (Fig. 5)

Journal de guerre manuscrit de Raymond Lavaud (1892-1916)
Fig. 5 - Journal de guerre manuscrit de Raymond Lavaud (1892-1916), sergent puis aspirant au 409e régiment d’infanterie
(Arch. Dép. Hérault, 46 PRI 2, fonds Raymond Lavaud).
Recto d’une carte postale patriotique française représentant l’empereur Guillaume II et son fils le Kronprinz, pendus et sanguinolents, octobre 1914
Fig. 6 - Recto d’une carte postale patriotique française représentant l’empereur Guillaume II et son fils le Kronprinz, pendus et sanguinolents, octobre 1914
(Arch. Dép. Hérault, 51 PRI 2, fonds Ulysse Vidal).

Des témoignages écrits et souvenirs de poilus rédigés à postériori ont également été confiés et numérisés. Ce type de document est lui aussi très intéressant mais doit être utilisé par l’Historien avec prudence car, lors de la rédaction, le travail de mémoire a déjà fait son œuvre et le souvenir mis par écrit postérieurement aux faits se nourrit toujours des lectures ultérieures du poilus, de ses réflexions et d’une analyse distanciée de l’événement. La relation des faits n’est donc plus aussi directe. Parfois ce type de document est agrémenté de chansons (patriotiques ou grivoises), de poèmes et de dessins. (Fig. 6)

La correspondance de poilu adressée du Front à sa famille, ainsi que celle, provenant de l’arrière, reçue de la famille, constitue le troisième type de documents confiés. Il peut s’agir de lettres, de cartes postales avec photographies personnelles au dos ou de cartes postales commerciales. Le quotidien des poilus se partage entre la réalité des tranchées et l’échappatoire que constitue la correspondance avec leurs proches. Les lettres rendent souvent compte des préoccupations des soldats, de leurs colères, de leurs joies, leurs espoirs et leurs peurs, mais aussi maintiennent un lien avec leur vie de civil, antérieure au conflit. La rhétorique patriotique est récurrente et le discours est souvent policé pour déjouer la censure militaire qui contrôle l’intégralité du courrier. Le poilu cherche également bien souvent à préserver ses proches de l’arrière en ne leur dévoilant pas ce qu’il vit réellement au quotidien et qu’il peut confier en revanche à son carnet de guerre. Les fonds de correspondance consultables en ligne sont parfois très conséquents et peuvent être constitués, pour certains ensembles, de 1 200 à 1 300 lettres. L’abondance de cette correspondance et les multiples carnets de guerre précédemment évoqués témoignent assurément d’une génération d’hommes formée à l’écriture grâce à l’école primaire de Jules Ferry, obligatoire depuis les années 1880. (Fig. 7)

Lettre de Denis Cros, chasseur au 7e bataillon de chasseurs alpins, écrite au Hartmannswillerkopf (Vosges)
Fig. 7 - Lettre de Denis Cros, chasseur au 7e bataillon de chasseurs alpins, écrite au Hartmannswillerkopf (Vosges) et relatant ses conditions de vie au Front, 16 mai 1915
(Arch. Dép. Hérault, 78 PRI 2, fonds de la famille Cros).
Cliché pris dans une tranchée de premières lignes par Matthieu Ciffre (1896-1916)
Fig. 8 - Négatif souple au gélatino bromure d’argent d’un cliché pris dans une tranchée de premières lignes par Matthieu Ciffre (1896-1916), sergent au 86e régiment d’infanterie, [1915]. Les négatifs confiés aux Archives ont été numérisés et convertis en positifs avant d’être mis en ligne (Arch. Dép. Hérault, 119 PRI 2, fonds Matthieu Ciffre).

Les photographies, confiées elles aussi en nombre, constituent également un ensemble typologique majeur de la Grande Collecte. Elles se présentent sous différentes formes et supports (tirages photographiques de petit format dans leurs boîtes et pochettes d’origine ou organisées dans des albums, négatifs souples au gélatino-bromure d’argent, clichés sur plaques de verre…) et abordent des thématiques variées : portraits et photographies de groupe de soldats, scènes de tranchées, scènes de vie quotidienne, photographies témoignant des nouvelles formes de combat (aviation, artillerie de tranchées, chars d’assaut, emploi des gaz et protection par des masques…). Les photographies personnelles réalisées par les poilus attestent assurément d’une volonté de pouvoir garder trace de l’expérience vécue et de témoigner. (Fig. 8)

Le fonds de photographies du lieutenant de réserve Xavier Paul Fluhr (1885-1956), officier interprète au 38e corps d’armée est à ce titre tout à fait remarquable 4. Donné aux Archives lors de la Grande collecte par le petit neveu du lieutenant Fluhr, le fonds est constitué d’un ensemble de près de 400 clichés saisissants pris par l’auteur, essentiellement en Champagne 5 et au Chemin des Dames, ainsi que d’un second ensemble de photographies de provenance allemande, saisies sur des prisonniers allemands interrogés par l’officier interprète. Parmi ces dernières photographies, un lot de clichés concerne des revues de troupes sur le Front par le maréchal Hindenburg, une visite de Guillaume II en Champagne, et un grand nombre de photographies aériennes des lignes françaises et allemandes. (Fig. 9)

L’un des clichés exceptionnels pris par l’officier interprète Xavier Paul Fluhr (1885-1956)
Fig. 9 - L’un des clichés exceptionnels pris par l’officier interprète Xavier Paul Fluhr (1885-1956) dans le secteur de Tahure, en Champagne, en 1917 (Arch. Dép. Hérault, 1 J 1756, fonds Xavier Paul Fluhr).
« 24 décembre [19]16, entrée de Douaumont repris »
Fig. 10 - Plaque de verre stéréoscopique de type commercial, légendée « 24 décembre [19]16, entrée de Douaumont repris » (Arch. Dép. Hérault, 49 PRI 1, fonds de clichés stéréoscopiques sur plaques de verre).

De nombreuses plaques de verre à vues stéréoscopiques 6, représentant des scènes de combat (souvent reconstituées) ou des champs de bataille parsemés de victimes, ont également été confiées et numérisées ; elles sont soit de type commercial (plaques vendues sur les champs de bataille dès les années 1920 dans le cadre du développement du tourisme mémoriel lié à la visite des champs de bataille), soit d’origine personnelle (version positive et négative) lorsque le poilu disposait d’un appareil de prise de vue spécifique. Certains contributeurs ont parfois confié l’appareil de lecture des plaques de verre stéréoscopiques, appareil que les Archives ont choisi dans ce cas de photographier pour documenter l’ensemble de façon plus complète. (Fig. 10)

Enfin, les objets d’artisanat de tranchées fabriqués à partir de cartouches, douilles d’obus ou autres reliques de combat ont été systématiquement photographiés par les Archives lorsqu’ils étaient associés à un fonds d’archives de poilu.

Chaque participant de la Grande Collecte, si humble que soit sa contribution, est ainsi venu partager un trésor de son histoire personnelle et intime, et apporter un maillon à la chaîne des passeurs de l’histoire. La perspective de voir pérennisée une partie de leur patrimoine familial par la numérisation a assurément motivé les particuliers à se manifester lors de cette opération jusqu’alors inédite.

Conclusion

Les Archives départementales de l’Hérault ont gagné en notoriété auprès des usagers : les types de sources conservés dans nos fonds sur le premier conflit mondial se sont diversifiés, offrant ainsi une opportunité extraordinaire pour la recherche historique comme en témoigne un article paru dans Le Monde en octobre 2014 intitulé : « Boire et déboires pendant la Grande Guerre » (http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/10/17/boire-et-deboires-pendant-la-grande-guerre_4508005_3448834.html7. Dans cet article, l’auteur cite en effet Maurice Berruyer, sergent au 111e RIT, grand-père paternel d’un contributeur qui avait apporté son carnet de guerre, actuellement numérisé et mis en ligne sur le site des Archives départementales (ce carnet n’était auparavant jamais sorti du cercle familial).

La centaine de fonds privés numérisés provenant de la Grande Collecte permet assurément de renouveler l’histoire des poilus héraultais – et de nombreux autres départements – et de fournir à la recherche historique un matériau inédit sur le conflit. Plusieurs fonds personnels confiés pour numérisation concernent par exemple le 122e régiment d’infanterie territoriale, dont le recrutement est exclusivement héraultais. Ce sont ainsi au moins 5 fonds de simples soldats, de sous-officiers et d’officiers du même régiment qui permettent de mieux comprendre le vécu quotidien des poilus aux différents niveaux de décision ou d’exécution des ordres (chacun rapportant dans ses archives ses observations, sa perception de l’événement, ses choix en fonction de sa position d’exécutant ou de décideur).

La Grande Collecte 1914-1918 représente enfin une possibilité extraordinaire donnée à tous les Héraultais d’assurer la préservation, la pérennisation et la patrimonialisation de la mémoire de leurs aïeux en ouvrant ce patrimoine intime à la recherche historique. (Fig. 11)

« Le rêve du poilu » : dessin de l’artiste peintre Fernand Bertrand (1878-1924)
Fig. 11 - « Le rêve du poilu » : dessin de l’artiste peintre Fernand Bertrand (1878-1924), dessiné au recto d’une carte postale adressée à son épouse alors qu’il est mobilisé comme observateur dans l’aviation (Arch. Dép. Hérault, 77 PRI 1, fonds Fernand Bertrand).

NOTES

1. Le fonds Jules Euzière, conservé en sous-série 229 J, est actuellement en cours de classement et sera accessible au public en 2016.

2. Voir au sujet de ce fonds : Duvaux, Julien « La collecte des archives privées aux Archives départementales de l’Hérault ou comment aborder l’histoire de l’Hérault sous un angle plus intime », Études héraultaises, n° 43, 2013, p. 195-205.

3. Cru, Jean Norton, Témoins : essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929, 727 pages ; réédition Presses universitaires de Nancy, 1993 et 2006.

4. Conservé sous les cotes 1 J 1756 et 1 J 1757, le fonds Xavier Paul Fluhr sera accessible en ligne en 2016.

5. Xavier Paul Fluhr assiste notamment à la remise de la Légion d’honneur à l’aviateur Georges Guynemer le 5 juillet 1917 et en conserve plusieurs clichés inédits.

6. On appelle vue stéréoscopique une plaque de verre qui offre, à l’aide d’une visionneuse, une vue en relief saisissante de réalité. Le relief est obtenu par jeu d’optique. Chaque œil perçoit l’une des deux photographies et c’est la superposition de ces deux vues qui produit la sensation du relief.

7. Consulté le 6 septembre 2015.