La collecte des archives privées aux Archives départementales de l’Hérault
La collecte des archives privées aux Archives départementales de l’Hérault
ou comment aborder l’histoire de l’Hérault sous un angle plus intime
– attaché de conservation du Patrimoine (Archives départementales de l’Hérault)
P. 195 à 205
Les archives privées 1, qu’elles soient personnelles et familiales, d’entreprises ou associatives, cultuelles ou d’érudits, sont une source extraordinaire et permettent aux historiens une approche moins administrative de l’Histoire, une approche plus intime et plus personnelle. Actuellement les Archives départementales de l’Hérault conservent à Pierresvives environ 2 kilomètres linéaires (km./l.) d’archives privées sur les 35 km./l qu’abrite le bâtiment. La collecte des archives privées – devenue une évidence pour l’archiviste du XXIe siècle – obéit à des règles particulières et doit faire l’objet d’une réflexion spécifique tant dans les thématiques de prospection que dans la typologie des fonds qui sont susceptibles d’entrer dans un service d’archives.
Historique et statut juridique des archives privées :
Une lente prise en compte des archives privées par les archivistes depuis la Révolution
Sous l’Ancien Régime, chaque fief, terre, domaine, maison possède ses titres de propriété plus ou moins anciens. La Révolution française bouleverse cette situation en affirmant le droit sacré de la propriété, en sécularisant les biens du clergé et en séquestrant les biens des émigrés (lois de 1790 et 1792). Les archives sont alors transférées dans les dépôts publics de Paris (Archives nationales) et des chefs-lieux provinciaux.
Ce regroupement de papiers privés rend le tri nécessaire (il est déterminé par l’utilité des papiers séquestrés pour la gestion des biens). La loi du 7 messidor an II en pose les règles en décidant de la destruction immédiate des titres purement féodaux, et en conservant les titres domaniaux qui permettent à l’État ou aux futurs acquéreurs de biens nationaux d’asseoir leur propriété.
Les archives privées rejoignent les Archives nationales et les Archives départementales où se forment alors de vastes collections d’archives privées issues des séquestres. Ces archives subissent tri et reprises de documents par les acquéreurs de biens nationaux. Après 1815, princes et familles revenus d’émigration obtiennent de rentrer dans leurs biens et récupèrent en partie leurs papiers ; les séries constituées se vident partiellement. En 1856, une nouvelle série d’archives – la série AB XIX – est créée aux Archives nationales pour accueillir les papiers privés entrés par voie extraordinaire 2 et les distinguer des archives publiques.
En 1891, le Marquis de Vogüé, président de la Société de l’Histoire de France, expose dans un discours tous « les services que peuvent rendre les archives privées et les devoirs qui incombent à ceux qui les possèdent ». Il souligne l’intérêt historique de ces archives pour écrire l’Histoire nationale et incite les grandes familles à confier leurs archives à des services publics d’archives. La même année, une sensibilisation des historiens aux archives privées est opérée par la publication de l’ouvrage de Charles-Victor Langlois et Henri Stein : Les archives de l’Histoire de France. Le but des auteurs est d’inciter les propriétaires privés à communiquer leurs fonds aux historiens sérieux afin d’amorcer un recensement des fonds.
En 1949, Charles Braibant, directeur des Archives de France, crée aux Archives nationales la sous-section des archives économiques, privées et du microfilm. Ce nouveau service s’occupe exclusivement des archives de personnes, de familles, d’entreprises, de presse et d’associations ; il doit recenser, classer et inventorier les archives privées chez leurs propriétaires et en assurer la sauvegarde par micro-filmage ou favoriser leur acquisition par les dépôts publics pour garantir leur conservation définitive et leur utilisation par les historiens.
Aux archives départementales, la prise en compte des archives privées est progressive. Longtemps occupés par l’organisation des dépôts, le classement et la rédaction des inventaires, les archivistes départementaux n’ont accordé qu’une importance secondaire aux archives privées, laissant bien souvent aux bibliothécaires le soin de collecter les papiers privés. Les entrées par acquisitions sont restées longtemps suspectes dans les services territoriaux. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, s’amorce une prise de conscience progressive de l’intérêt des fonds privés. Les archivistes départementaux commencent à susciter dons et legs, procèdent à des achats ou classent des fonds en mains privées. La campagne active de collecte dans les dépôts départementaux est toutefois engagée de façon plus marquée après la Seconde guerre mondiale, pour intégrer les fonds recueillis dans les séries F et J.
Le statut juridique des archives privées : une définition « en creux »
Le Code du Patrimoine définit les archives dans son Article L 211-1 (« Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité »). Les archives publiques (définies dans les articles L 211-4 et L 212-1) sont ensuite identifiées comme étant :
les documents procédant de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements et entreprises publics ;
les documents procédant de l’activité des organismes de droit privé chargé de gestion des services publics ou de mission de service public ;
les minutes et répertoires des officiers publics et ministériels. C’est à contrario de ces articles que les archives privées sont définies dans l’article L 211-5 (« Les archives privées sont l’ensemble des documents définis à l’article L. 211-1 qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 211-4. »). L’énonce est simple, mais l’interprétation plus complexe et, dans la pratique, l’archiviste s’aperçoit souvent qu’un même ensemble peut mêler archives privées et archives publiques (par exemple, les papiers d’hommes politiques).
Après avoir défini les archives privées, les articles L 212-15 à L 212-37 s’attachent à régler leur régime juridique. Or les articles L 212-15 à L 212-28 ne concernent que les archives privées classées « Archives historiques », soit une toute petite part des archives privées. Les autres archives privées suivent donc, comme tout bien meuble appartenant à des personnes privées, le régime de droit commun fixé par le Code civil.
Quand des archives privées sont entre les mains de leur propriétaire privé, ce dernier est libre d’en disposer comme il l’entend 3. Les archives privées sont donc un bien meuble comme un autre dont la disposition est réglée par le Code civil. Elles sont aussi réputées propriété de leur possesseur 4 et la possession illégitime est alors difficile à contester (à la différence des archives publiques mieux protégées). À la disparition de leur propriétaire, le sort des archives privées doit également être envisage dans le cadre des dispositions générales du droit civil 5.
Typologie des producteurs d'archives privées et modalités d'entrée dans un service d'archives
La typologie des fonds privés
La notion de fonds d’archives privées regroupe plusieurs types d’archives.
Les archives de personnes et familles, constituées de documents familiaux et de gestion personnelle, forment le premier type de fonds. Les archives de personnes comprennent aussi les archives professionnelles d’architectes, d’artistes, de journalistes, d’hommes de lettres, etc., pourvu que les papiers aient été produits ou reçus dans cadre de l’exercice privé de leur activité. Parfois, certaines personnes privées produisent des archives de statut juridique mixte (les archives qu’elles produisent peuvent être publiques quand elles sont produites dans le cadre d’une activité publique d’homme politique ou d’enseignant-chercheur du secteur public, par exemple).
Les archives d’associations (que ces dernières soient non déclarées, déclarées, reconnues d’utilité publique ou agréées) forment le second type de fonds privés. Les associations sont des éléments essentiels de la vie de la société en France et leurs archives reflètent aussi l’évolution de la société. Les archives de syndicats ainsi que les archives cultuelles depuis 1905 sont assez semblables aux archives d’association et entrent dans la même typologie de fonds privés.
Enfin, les archives d’entreprises forment le dernier grand ensemble de fonds d’archives privées. Elles ont suscité un vif intérêt de la part des archivistes et historiens des l’immédiat d’après-guerre. Aujourd’hui beaucoup d’entreprises ont pris en compte l’organisation et la conservation de leurs archives pour assurer une bonne gestion des documents utiles à la vie de l’entreprise et pour faciliter une réflexion sur l’identité même de l’entreprise.
Modalités d'entrée dans un service public d'archives
Six modes d’enrichissement des collections existent : deux à titre définitif et onéreux (achat et dation), trois à titre définitif et gratuit que l’on regroupe sous la terminologie de « libéralités » (donation entre vifs, don manuel et legs) et enfin un à titre précaire et gratuit (le dépôt). Seules les personnes physiques peuvent recourir a toutes ces formules ; les personnes morales (associations, entreprises, syndicats…) ne peuvent employer que le don ou le dépôt. Les archives privées acquises définitivement entrent dans les collections publiques et deviennent un moyen d’exercer les missions de service public de l’institution. Tout en restant par nature privées, elles acquièrent le bénéfice de la protection accordée aux biens du domaine public, c’est-à-dire l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité et l’insaisissabilité.
Des entrées à titre définitif et onéreux : achat et dation
L’achat présente comme avantage de garantir la pleine et entière propriété du bien acquis. L’achat, qui ressort du droit commun des transactions (sauf pour les préemptions), peut revêtir deux formes : l’achat de gré à gré et l’achat en vente publique.
L’achat de gré à gré se conclut avec un particulier ou dans le commerce spécialisé (marchands d’autographes et papiers anciens, bouquinistes…). Deux logiques opposent souvent archivistes et marchands : la logique de « respect de l’unité des fonds » que prône l’archiviste n’est pas forcément en adéquation avec la logique marchande conduisant à scinder les fonds en petits lots pour isoler les autographes et vendre le fonds plus cher.
En fonction de ses projets, l’archiviste peut participer à des ventes aux enchères ou avoir recours au droit de préemption. Les commissaires-priseurs ont obligation d’aviser les archives lorsqu’une vente d’archives privées est organisée (envoi de catalogue au moins 15 jours avant la vente). Cette mesure doit permettre le repérage préalable de pièces susceptibles d’enrichir les collections et d’identifier les éventuels documents publics qui seront alors retirés de la vente. L’archiviste intervient dans les mêmes conditions qu’un particulier dans une vente publique et participe au jeu des enchères en fonction de son budget. Il peut donner un ordre d’achat ou enchérir au téléphone. Si le lot mis aux enchères est particulièrement important, l’archiviste peut demander l’exercice du droit de préemption (droit régalien permettant à l’État lors d’une vente publique de se substituer aux droits et obligations de l’adjudicataire).
La dation pour paiement, instituée en 1968 par André Malraux, a pour objectif de favoriser l’enrichissement du patrimoine culturel. Ce dispositif permet à un débiteur de se libérer en donnant en paiement une chose autre que la chose due. Cela consiste en la remise à l’État d’œuvres d’art, de livres, d’objets de collection ou de documents de haute valeur historique ou artistique. Les archives privées peuvent faire l’objet d’une dation.
Des entrées à titre définitif et gratuit : les libéralités
Le terme de « libéralités » réunit la donation entre vifs, le don manuel et le legs.
La donation entre vifs est un contrat par lequel le donateur cède immédiatement, gratuitement et à titre définitif un bien de son patrimoine à une personne consentante. Le contrat formalisé devant notaire est soumis à l’enregistrement. La donation est recommandée pour les archives lorsque survient une succession difficile entre héritiers, ou lorsqu’il existe une indivision. La donation pour les archives est irrévocable.
Le don manuel est un don effectué par simple remise matérielle d’un bien meuble par un donateur à un bénéficiaire sans acte authentique formalisant le don. Dans le don manuel, c’est la possession et elle seule qui vaut titre ; le don est donc effectif dès la simple entrée en possession du bien (ce que l’on désigne par le terme de « tradition »). Pour les archives, le don manuel est adapté au don de pièces isolées de valeur marchande faible. La formule juridique est souple, sans frais, aisément praticable. Le don manuel est irrévocable.
Le legs est une disposition contenue dans un testament par laquelle l’auteur du testament destine à une autre personne tout ou partie des biens qu’il laissera à son décès. Les legs doivent obligatoirement figurer dans un testament rédigé par une personne sous l’une des trois formes prévues par le Code civil (legs universel, legs à titre universel ou legs à titre particulier). Le legs peut s’appliquer aux archives privées et peut concerner les services d’archives.
Une entrée à titre précaire et gratuit : le dépôt
Le dépôt est un contrat par lequel une personne (le déposant) confie un bien meuble de son patrimoine à une autre personne (le dépositaire) qui accepte de le garder et s’engage à le lui restituer quand la demande lui est faite. C’est ainsi un contrat gratuit, formé par consentement réciproque, qui n’entraîne pas transfert de propriété. Le service d’archives dépositaire est tenu d’apporter les mêmes soins dans la garde des archives déposées que dans celle des archives qui lui appartiennent ; les archives déposées bénéficient en outre du régime général de protection contre les actes de malveillance institué en faveur des collections publiques.
Le dépôt ne peut être effectué que par le propriétaire du fonds déposé. Le service d’archives se fonde sur la bonne foi du déposant (il ne peut exiger de titres de propriété). Le service d’archives doit s’informer par un entretien préalable avec le déposant de sa situation familiale (ascendants, conjoint, frères, sœurs, enfants…). En cas d’indivision, il faut recueillir l’assentiment de la majorité des 2/3 des indivisaires (Code civil, article 815-3).
Le dépôt est la seule modalité de remise formalisée par un contrat sous seing privé (contrat sur papier blanc, sans en-tête, en autant d’originaux qu’il y a de signatures chaque page est paraphée, la dernière est datée et signée). Le contrat doit stipuler l’identité des parties, la nature du dépôt, les conditions mises par le déposant, la personne qui se substitue à lui en cas d’empêchement et les clauses préservant le service public de tout abus (en cas de retrait, possibilité de micro-filmage/numérisation du fonds et de dédommagements). Révocable à volonté, le dépôt est par essence fragile. Il doit être réservé aux archives de personnes morales en activité qui ne peuvent se dessaisir définitivement de leurs archives (associations, syndicats, partis politiques….)
Bilan de sept années de collecte aux Archives départementales de l'Hérault (2005-2012)
Une politique de collecte organisée
La collecte des archives privées s’exerce dans un cadre concurrentiel avec d’autres services d’archives publics et d’autres institutions à vocation patrimoniale (bibliothèques et musées notamment). Dans le cas de libéralités, le donateur exerce son libre-choix et désigne l’institution qu’il souhaite voir accueillir ses archives. Pour des achats, les services d’archives doivent nécessairement se concerter. La ligne de partage est classiquement fixée selon la pertinence des pièces convoitées au regard des collections existantes.
Il appartient aux services d’archives publics d’afficher clairement leur politique en faisant connaître leurs points forts et leur savoir-faire : pérennité et sûreté de la conservation, qualité du traitement scientifique et de la mise en valeur des fonds et enfin, sécurité de la communication.
Dans la collecte d’archives privées, la chance et le hasard jouent beaucoup. Mais pour définir une politique d’acquisition, d’autres paramètres entrent en jeu, notamment les bonnes relations que se doivent d’entretenir les archivistes avec les propriétaires et producteurs d’archives,les chercheurs et les professionnels du marché de l’autographe et du document ancien.
La politique d’acquisition d’un service d’archives doit se définir dans le cadre d’un projet scientifique rigoureux. Il faut savoir établir une juste analyse de l’existant pour enrichir ensuite utilement les collections. L’archiviste doit privilégier certains critères dans ses choix d’acquisitions : critère territorial du fonds, originalité du fonds (ne pas collecter des fonds semblables en grand nombre dont il suffit de conserver quelques échantillons représentatifs). Dans le cas de petits fonds et pièces isolées, il faut chercher au maximum à combler les lacunes des fonds existants.
La collecte thématique peut aussi être favorisée par les campagnes nationales thématiques incitées par les Archives de France (collecte des archives d’architectes dans les années 1980, des archives de la Résistance dans les années 2000…), ou émaner d’initiatives locales (actuellement les Archives départementales de l’Hérault organisent la collecte d’archives protestantes avec la faculté de théologie protestante de Montpellier). Enfin, l’actuel projet d’établissement Pierresvives a orienté les Archives départementales vers la collecte d’archives du sport (comités départementaux), d’archives d’architecture (visites et prospection auprès des architectes locaux) et d’archives en lien avec l’éducation populaire (archives d’associations essentiellement).
Pour prospecter efficacement, les services publics d’archives doivent assurer une veille attentive du marché. Celle-ci consiste à dépouiller les catalogues de ventes publiques et la presse spécialisée. Ils doivent aussi rendre visite régulièrement aux libraires anciens, bouquinistes, marchands d’affiches et d’autographes, fréquenter les manifestations et marchés aux vieux papiers, les vide-greniers, les puces… L’intérêt évident de ce type de démarche est de pouvoir entretenir de bonnes relations avec les professionnels, qui souvent, avant d’intégrer des lots intéressants à leur catalogue, préviennent ainsi les Archives départementales.
Sept années de collecte d'archives privées aux Archives départementales de l'Hérault
Depuis 2005, les Archives départementales de l’Hérault ont collecté 66 fonds d’archives privées, représentant 525 ml d’archives. Le classement des fonds s’oriente prioritairement vers les fonds nouvellement entrés afin de non seulement permettre une mise à disposition plus efficace des archives pour les chercheurs mais aussi témoigner de la réactivité des archivistes vis-à-vis des donateurs et déposants.
Au cours des sept dernières années de collecte, donateurs et déposants ont permis l’entrée aux Archives départementales de plusieurs fonds remarquables et emblématiques du territoire héraultais, illustrant la diversité des types de fonds privés. Il s’agit ainsi de fonds de familles (157 J Fonds de la famille Grasset-Morel, 167 J Fonds de la famille Mourgue… ), de fonds d’archives politiques (143 J Fonds Adolphe Benamour, premier secrétaire du Parti socialiste de l’Hérault ; 191 J Fonds Raout Bayou, sénateur, député, conseiller général et maire ; 210 J Fonds André Vézinhet, sénateur, député et président du Conseil général de l’Hérault…), de fonds d’associations (181 J Fonds de la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance-section Hérault, 194 J Fonds de l’Association des familles du village de Maurin… ), de fonds d’entreprises (159 J Fonds de l’armateur agathois Bousquet…) ou de fonds d’archives cultuelles (plusieurs dépôts effectués par l’Archevêché de Montpellier : 163 J Fonds des registres de catholicité de l’Évêché ; 170 J Fonds des paroisses de l’Hérault…).
L’architecture audacieuse du nouveau bâtiment Pierresvives a aussi suscité le dépôt de fonds d’architectes héraultais dont l’un des principaux est constitué par le fonds d’archives de l’architecte montpelliérain, Philippe Jaulmes (200 J Fonds Philippe Jaulmes). Philippe Jaulmes a exercé à Montpellier de 1955 à 1992. Il a d’abord travaillé dans les années 1950-1960 avec l’architecte Jean de Richemond sur des projets communs (Faculté des sciences et restaurant universitaire notamment), puis il s’est ensuite associé avec Claude Deshons. L’agence Jaulmes-Deshons a marqué le paysage architectural montpelliérain, signant notamment la réalisation de la Faculté de Lettres et de l’Hôtel de ville de Montpellier. Philippe Jaulmes, président-fondateur de la société « Les ateliers du cinéma total » en 1963, est aussi l’inventeur d’un procédé de projection cinématographique hémisphérique, dit « Panrama », dont il réalise un prototype expérimental à Clapiers. Le fonds Jaulmes est essentiellement constitué de dossiers de projets comprenant les réflexions préparatoires et esquisses, le dossier d’exécution du projet, les plans et calques. Le fonds aborde aussi les recherches de Philippe Jaulmes dans le domaine du cinéma hémisphérique.
Mais certains fonds d’archives privées, plus humbles, récemment accueillis aux Archives départementales permettent aussi de refléter la vie des Héraultais de façon personnelle et intime. Ces témoignages plus modestes, ces « tranches de vie », sont tout aussi essentiels pour restituer l’Histoire des Héraultais. Ont ainsi été recueillies les archives de Jean Pouzoulet, vigneron biterrois, qui témoigne dans un journal intime particulièrement poignant de l’horreur des combats de la guerre de 1914-1918 (172 J Fonds Jean Pouzoulet) 6, ou plus simplement les archives personnelles et professionnelles de Marie-Louise Molinier (née en 1896), couturière à Béziers, constituées à la fois de son diplôme de première communion et de confirmation (1907), de portraits photographiques (1920-1930), de cahiers d’écolière [vers 1907], d’un dossier des successions familiales (1923-1963), d’une collection de faire-part de naissance et mariage (1920-1966), de pièces de comptabilité (1927-1953) et de correspondance (1929-1949). Ces pièces uniques, humbles, sensibles, qui reflètent une vie et témoignent d’une existence méritent assurément d’être conservées dans un dépôt d’archives publiques pour en permettre une exploitation scientifique.
2012 : une année faste pour les fonds privés.
Les Archives départementales ont acquis au cours de l’année 2012 plusieurs fonds d’archives privées particulièrement intéressants pour l’Histoire du département. Trois acquisitions méritent d’être spécifiquement signalées.
La première d’entre elles est un recueil de poèmes du poète breton Tristan Corbière (1845-1875), intitulé « Armor » 7 (Fig. 1) et illustré de 8 eaux-fortes réalisées par Jean Moulin (1899-1943), sous le pseudonyme de Pierre Romanin. (Fig. 2 et 3). Jean Moulin, haut fonctionnaire, exerça les fonctions de sous-préfet à Châteaulin (Finistère) de 1930 à 1933. Pendant son séjour breton, il rencontra Max Jacob et, sur son conseil, illustra la réédition de l’ouvrage de Tristan Corbière, publié en 1935. L’exemplaire acquis par le département (196 J 54) a appartenu à Laure Moulin, sœur de Jean Moulin, et est accompagné d’un portrait photographique de Jean Moulin, réalisé par les Studios Harcourt (Paris), dont seuls six exemplaires sont actuellement connus 8. Les eaux-fortes de Romanin qui illustrent les massacres perpétrés en Vendée sous la Révolution semblent résonner de nos jours comme une prémonition du destin tragique de Jean Moulin en 1943. Elles nous rappellent, a posteriori, par la représentation crue des charniers, la libération et l’ouverture des camps de concentration nazis au printemps 1945…
La seconde acquisition notable est un reportage photographique (comprenant 63 clichés), réalisé en 1930 par le photographe Henri Manuel (1874-1947) sur la colonie pénitentiaire pour enfants d’Aniane (27 Fi 4) (Fig. 4). En 1900, Henri Manuel ouvre un studio spécialisé dans le portrait des personnalités du monde de la politique, des arts, du spectacle et du sport. De la Première guerre mondiale jusqu’en 1944, il réalise aussi des reportages en tant que photographe officiel du Gouvernement. Selon l’historienne Françoise Denoyelle, « de 1906 à 1938, Henri Manuel travaille pour trente revues de mode et plus particulièrement pour La femme de France (1922-1935), Les grandes modes de Paris (1906-193 1), Les modes de la femme de France (1922- 1935), Le petit écho de la mode (1928-1936) » 9. Entre 1921 et 1931, il réalise une commande sur une vingtaine de prisons et neuf institutions pour mineurs relevant du Ministère de la Justice (les neuf reportages concernent les établissements d’Aniane, Belle-Île, Saint-Maurice, Saint-Hilaire, Eysses, La Petite Roquette, Cadillac, Doullens et Clermont-de-l’Oise). En 1923, avec Jacques-André Boiffard et Man Ray, il illustre la première édition de Nadja d’André Breton publié dans la collection blanche chez Gallimard.
L’album photographique relatif à la « Maison d’éducation surveillée d’Aniane (Hérault) » a été réalisé en 1930. L’exemplaire acquis par le Département de l’Hérault est celui du photographe ; deux autres exemplaires sont par ailleurs connus : l’album personnel du directeur de l’établissement (actuellement conservé par Madame Michèle Gay, à Aniane 10) et l’exemplaire du ministère (actuellement conservé à Vaucresson, au Centre national de formation et d’études de la protection de la Jeunesse).
Le reportage consacré à la maison d’Aniane offre un regard intérieur sur cet établissement qui tentait de réinsérer de jeunes condamnés par le travail (les archives de l’établissement sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault sous la cote 1803 W). Les conditions de vie difficiles, les rudes travaux, la promiscuité et les maladies sont illustrés de façon magistrale dans ce reportage construit selon une trame narrative précise et chronologique. Feuilleter l’album permet de suivre le parcours des jeunes détenus, depuis leur arrivée en gare d’Aniane, leur accueil dans le bureau du directeur de l’établissement, jusqu’à leur installation dans les dortoirs, les ateliers de chaudronnerie ou les chantiers de travaux agricoles (Fig. 5), L’infirmerie et le quartier cellulaire (Fig. 6) sont aussi illustrés. L’album se clôt par une photographie emblématique présentant de jeunes détenus quittant, baluchons sur le dos, le quartier cellulaire de la maison d’éducation surveillée.
Enfin, le journal manuscrit du général d’Empire montpelliérain Jacques David Martin de Campredon (1761-1837), qui couvre les années 1817 à 1836, constitue la dernière acquisition d’importance (1 J 1677) pour l’année 2012 (Fig. 7). Ce remarquable lot, constitué de 26 cahiers manuscrits, retrace en 520 pages les activités, les relations, les réflexions et la correspondance du général sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, témoignant de la persistance de la mémoire napoléonienne après la chute de l’Empire. Jacques David Martin de Campredon, né à Montpellier le 13 janvier 1761, mène une brillante carrière des armes dans le corps du génie et connaît un avancement rapide sous la Révolution et l’Empire. Chef de bataillon en l’an V, il est distingué par le général en chef Napoléon Bonaparte, qui lui fait rapidement obtenir sa nomination comme général d’artillerie. En 1806, Jacques David Martin de Campredon s’illustre comme commandant du génie à l’armée de Naples et est promu par Napoléon 1er au grade de général de division. Placé sous les ordres de Joseph Bonaparte, frère de Napoléon devenu roi de Naples, le général Martin de Campredon occupe même en 1809 le poste de ministre de la Guerre du Royaume de Naples.
En 1813, il participe avec les troupes napolitaines à l’expédition de Russie puis défend, au cours de la retraite, la place de Dantzig, dirigée par le général Rapp. Fait prisonnier, il est ensuite envoyé à Kiev d’où il se rallie à Louis XVIII en 1814. À son retour en France, il prend sa retraite et quitte l’armée. En 1818, Louis XVIII le nomme inspecteur général des écoles militaires (poste qu’il occupe jusqu’en 1831). Enfin Jacques David Martin de Campredon est appelé à la Chambre des Pairs par ordonnance royale le 11 septembre 1835, deux ans avant de décéder à Montpellier 11.
Le journal des activités du général est donc tout à fait intéressant puisqu’il constitue, pour la période 1817-1836, un véritable répertoire de lectures, de sorties au spectacle (théâtre, concerts…) et de soirées mondaines parisiennes et montpelliéraines, dont la relation est savoureuse. Le général note également les nombreux échanges et conversations qu’il a avec d’autres officiers et hommes politiques, bonapartistes pour la plupart. Le document témoigne du grand intérêt du général pour les analyses d’histoire militaire et politique (il recueille de nombreux témoignages inédits auprès d’anciens proches de l’Empereur) et aussi pour les inventions scientifiques et techniques qui passionnent l’officier supérieur du génie.
La collecte des archives privées est donc un complément nécessaire et indispensable aux fonds publics conservés. Les fonds privés éclairent l’Historien sur les ressorts intimes de la décision (dans le cas de fonds politiques par exemple, ou dans le cas de fonds familiaux) ; ils permettent une approche plus totale du fait historique et sont en cela irremplaçables. Les nouveaux locaux de Pierresvives sont désormais un écrin merveilleux (conservation idéale, outils de classement fonctionnels…) pour accueillir les fonds privés et pour les valoriser grâce à toute l’infrastructure humaine et matérielle dont bénéficie le site.
Annexe
Le fonds Jean Pouzoulet (172 J) :
un témoignage héraultais exceptionnel sur la Première guerre mondiale
Le fonds Jean Pouzoulet (172 J) a constitué l’une des principales entrées de fonds privés aux Archives départementales de l’Hérault pour l’année 2008.
Biographie et composition du fonds
Jean Pouzoulet est né le 2 novembre 1894 à Castelnau-de-Guers. En 1914, il est appelé puis mobilise au 23e Bataillon de chasseurs alpins. Il combat successivement comme chasseur (1915), puis caporal (à partir de 1916) dans les secteurs suivants du Front : Vosges 12 (14 janvier 1915 – 30 juillet 1916), Somme 13 (1er août – novembre 1916), Vosges (21 novembre 1916 – 30 janvier 1917), Aisne (avril 1917), Champagne 14 (mai 1917), Chemin des Dames 15 (1er août – 2 novembre 1917), Front italien (4 novembre 1917- 12 avril 1918), Poperinghe en Belgique (mai – juin 1918), Champagne (juillet 1918), Aisne et canal de la Sambre l’Oise (septembre – novembre 1918), et enfin Nord (novembre 1918).
Il est gazé sur le front de Champagne, prés de Ménil-les-Hurlus, le 1er août 1918 puis évacué 15 jours dans une ambulance militaire à l’arrière. En 1919, Jean Pouzoulet participe l’occupation de l’Allemagne puis est démobilisé en septembre 1919. De retour a Castelnau-de-Guers, il reprend son activité de viticulteur et se marie en 1923. Il reçoit la Médaille militaire en 1959 et décède à Castelnau-de-Guers le 8 juin 1981.
Le fonds Jean Pouzoulet (172 J) est particulièrement intéressant pour le témoignage qu’il fournit sur la vie quotidienne d’un chasseur alpin pendant la Première guerre mondiale. Le « Journal résumé de la guerre 1914-1918 » (172 J 2) (Fig. 8) relate avec précision l’enfer des combats en premières lignes et la tension permanente à laquelle est soumis le combattant sous le feu. Jean Pouzoulet a participé à toutes les opérations majeures du front occidental. Il rapporte, dans son journal rédigé entre 1933 et 1937 à l’intention de ses enfants, ses souvenirs de combattant de premières lignes dans une langue crue et particulièrement vivante (voir ci dessous quelques extraits choisis).
Le fonds présente aussi l’intérêt de pouvoir être documenté par des pièces d’identité personnelles (172 J 1), de la correspondance (172 J 3), des photographies prises au Front par l’intéressé (172 J 6) (Fig. 9 et 10), ainsi qu’une série de portraits et clichés militaires (172 J 4-5, 7-9). Enfin, les archives de Jean Pouzoulet sont complétées par un ensemble conséquent de photographies familiales postérieures à la Première guerre mondiale (172 J 10-15). À la veille des commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale, le fonds Pouzoulet constitue ainsi un témoignage de première main sur le traumatisme enduré par les combattants de première ligne, comme l’illustrent les extraits suivants :
Extraits choisis du « Journal résumé de la guerre 1914-1918 » (172 J 2)
13 février 1915, secteur de Vosges (Wesserling) : « Le 13 février, nous passâmes par les armes un chasseur alpin du 28e bataillon pour refus d’obéissance en première ligne ; mon escouade fut désignée de corvée pour enterrer le fusillé ».
6 mars 1915, secteur des Vosges (attaque du Reicharkerkopf) : « Nous grimpons la montagne boisée de sapins, l’ennemi surpris n’oppose pas de résistance et nous ne lui en donnons pas le temps ; il se replie sous notre progression. À ce moment, l’artillerie allemande concentre ses feux sur la position ; toutes les batteries de la région convergent leurs feux sur nous. Un train blindé tire aussi avec ses puissantes pièces ; on a l’impression d’être sur un volcan ; la montagne est secouée de la base au sommet ; on dirait que la terre s’ouvre sous nos pieds ; les cris des blessés et la vue des premiers morts baignant dans une flaque de sang que la neige rendait plus rouge m’étreint le cœur ; cependant, avant le départ, ordre nous est donné de prendre la montagne le plus vite possible : « Pas de prisonniers », avait dit le commandant, « Dépêchez-vous et profitez de la surprise pour exploiter à fond le succès ! ».
14 Juin 1915, secteur des Vosges (préparatifs de l’attaque de Metzeral) : « Notre compagnie, la 4e, partit en corvée en direction des lignes, les uns portant une pelle, les autres une pioche ; en arrivant dans un pré, on nous aligna sur plusieurs rangs, pioches et pelles accouplées, pour creuser les tombes des futurs morts du lendemain. Cette corvée s’accomplit sans bruit, la tristesse était sur tous les visages car chacun se disait en lui-même : « Est-ce pour moi que je creuse cette fosse ? » ; un cimetière était ainsi constitué à recevoir les morts de l’attaque. »
15 juin 1915, secteur des Vosges (attaque de Metzeral) : « L’heure approchant, les ordres traditionnels arrivent du capitaine : « Faites passer – dit-on de la part du capitaine – que tout le monde s’équipe » et l’ordre est transmis de bouche en bouche jusqu’à la gauche de la compagnie. Équipé, tout le monde l’était d’ailleurs en permanence ; quelques minutes après : « Faites passer de mettre baïonnette au canon ! », Rosalie 16 scintille au soleil de juin, le fusil baissé dans un petit déclic caractéristique. On s’aperçoit que l’ordre a déjà été exécuté ; troisième ordre : « Sac au dos et plus que 3 minutes avant l’attaque ! » Qui n’a pas vécu ces minutes ne peut se les représenter Quelques mots sont encore écrits à la hâte et glissés dans le portefeuille par plusieurs d’entre nous ; un dernier adieu à une mère, un père, des frères, une fiancée, etc. Si le destin veut que la mort nous frappe cette dernière lettre parviendra-t-elle sans doute à son destinataire. Que c’est triste, pensions-nous à 20 ans, falloir mourir par un temps aussi beau, un soleil aussi pur. Tous les visages reflétaient l’angoisse et la tristesse dans l’âme pendant ce petit laps de temps et comme pour abréger l’attente et chasser le cafard tout le monde boit un peu de rhum qui nous avait été distribué dans la matinée ; le vin de midi sentait l’éther, tout cela avait pour but de stimuler l’élan de la troupe pendant l’attaque. Les chefs de section, montre en main, faisant les recommandations à leurs hommes, attendaient le moment de l’attaque. Tout à coup !, dominant les éclatements et le crépitement des mitrailleuses boches qui, sentant l’heure proche, commençaient à tirer, on entend la voix perçante du capitaine Loire crier : « 4e compagnie, en avant ! Clairon Roux, sonnez la charge ». Le clairon exécute la sonnerie pendant que déjà bondissant hors des tranchées, on s’élance en avant en tirailleur, baïonnette au canon, au milieu d’une grêle de balles, criant à pleins poumons : « En avant ! ». À peine avons-nous parcouru quelques mètres que Rabantil, Poudeyroux, Petazi, le lieutenant Malavielle tombent à mes côtés ; chaque pas, chaque souffle semble être le dernier ; les blessés crient de toutes parts ».
22-23 août 1915, secteur des Vosges (combats du Lingekopf) : « Notre séjour dans ce secteur était pénible, souvent sous de violents bombardements, la chaleur et la soif car nous ne touchions qu’un quart de vin et un quart de café par jour Pour étancher notre soif nous étions obligés de boire de l’eau d’une source coulant au fond d’une tranchée dont les abords étaient pleins de cadavres et avaient mauvaise odeur De temps en temps, la section de brancardiers divisionnaire apportait du chlore pour répandre sur la tranchée et se sauvait au plus vite.
Le ravitaillement nous parvenait la nuit pour tout le lendemain un peu de bœuf bouilli – comme d’ailleurs d’ordinaire – était notre nourriture, mais les nerfs tendus, le cœur serré par l’appréhension de la mort qui nous guettait à tout instant nous enlevait tout appétit et les mouches aux multiples couleurs attirées par l’odeur fétide qui se dégageait s’en donnaient à cœur joie dans cette marmite encore pleine et abandonnée en plein soleil.
C’est pendant cette période de tranchées que nous avons reçus les premiers gaz asphyxiants que les boches commençaient à utiliser ainsi que les liquides enflammés. Sur les pentes de la colline du Lingekopf qui avant la guerre était recouverte de sapins, ce n’était que terre pulvérisée, jonchée de cadavres, d’équipements et armes de toutes sortes, abris effondrés, terrain défoncé par les mines 17 et les obus d’où émergeaient encore quelques troncs d’arbre rongés par la mitraille ; tel était le tableau qui s’offrait à la vue du combattant.
Pendant ces deux journées d’attaques, le 22 et 23 août, les trois compagnies avaient perdu près de trois cents hommes ; mais les prisonniers faits avouaient avec crainte combien l’élan de cette attaque les avait surpris et avec terreur l’importance de leurs propres pertes. Ainsi nos morts étaient vengés ».
4 novembre 1916, secteur de la Somme (veille de l’attaque de Sailly-Sallisel et du bois Saint-Pierre- Waast) : « Je me rappelle la nuit précédent celle de l’attaque, nous trouvant en réserve à quelques centaines de mètres des 1ères lignes, à proximité des pièces d’artillerie avec mon ami Pujol Emile (de Pomérols) et Rigaudis (de Béziers), nous regardions le champ de bataille en avant de nous, pareil à une vision d’enfer, le bombardement ininterrompu des pièces ou l’éclatement des obus sans distinction de coups ; un roulement sans fin, les fusants illuminant le ciel de leurs éclairs rouges, ou l’incendie de quelques villages sur la ligne de feu ; et c’est le cœur gros que tous les trois nous contemplions les lignes pensant que dans quelques heures, nous allions être dans la fournaise et heureux de pouvoir passer ensemble ces quelques instants nous rappelant non sans amertume notre cher pays.
Hélas ! Le lendemain, Rigaudis était porté disparu au cours de l’attaque avec le lieutenant Gervasy, notre commandant de compagnie, de qui il était l’ordonnance. »
11 novembre 1918, secteur d’Etroeungt (Nord) : « Le jour de l’Armistice, 11 novembre, se passa à Boué, village évacué par la population civile et dépourvu de tout, pas même une bonne bouteille à boire ; les officiers avaient pris soin de prendre toutes les bouteilles de vin cacheté que possédait encore la coopérative du bataillon.
En cette journée mémorable finissait les souffrances physiques et morales endurées au long de cette terrible guerre, et le spectre de la mort, planant toujours autour de soi, s’éloignait et laisait place aux projets d’avenir et à la bonne humeur que peut avoir un homme de 20 ans. »
NOTES
1. Le présent article s’appuie essentiellement sur l’ouvrage de référence Les archives privées, manuel pratique et juridique, publié sous la direction de Christine Nougaret et Pascal Even à La documentation française en 2008.
2. Les archivistes distinguent classiquement les entrées d’archives par voie ordinaire (archives publiques des administrations entrant par voie de versement) de celles réalisées par voie extraordinaire (archives qui entrent dans un service d’archives par voie de don, d’achat…).
3. Cf. article 544 du rode civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ».
4. Cf. article 2279 du Code civil : « En fait de meubles, la possession vaut titre »
5. Cf. article 539 et 811 du Code civil « à défaut d’héritiers, la succession est acquise à l’État ».
6. Voir annexe spécifique sur ce fonds en fin d’article.
7. « Armor » est un extrait de l’ouvrage de Tristan Corbière initialement publié au XIXe siècle sous le titre « Les Amours jaunes ». L’ouvrage n’a été publié en 1935 qu’à 150 exemplaires (un exemplaire est conservé et présenté au Musée Jean Moulin, à Paris).
8. Information aimablement communiquée par Monsieur François Berriot.
9. Françoise DENOYELLE, « Le studio Henri Manuel et le ministère de la Justice : une commande non élucidée », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » [En ligne], Numéro 4/2002, mis en ligne le 18 mai 2007, consulté le 23 février 2013. URL : http://rhei.revues.org/56
10. Cet exemplaire a fait l’objet, en 2002, d’une édition commentée par Monsieur Jean-Claude Richard dans les Cahiers n° 14 d’Arts et Traditions rurales, intitulée « Reportage photographique sur la Colonie pénitentiaire d’Aniane (Hérault) : soixante-quatre photographies originales » l’édition est accompagnée d’une étude sur « Henri Manuel : un photographe glorieux, les studios Manuel : un destin tragique ».
11. Jacques David Martin de Campredon décède à Montpellier le 11 avril 1837 ; il est inhumé au cimetière protestant de la ville. Son nom est inscrit sous les voûtes de l’Arc de Triomphe à Paris.
12. Il participe dans les Vosges à l’attaque de Metzeral le 15 juin 1915 et aux combats du Lingekopf du 12 août au 7 septembre 1915.
13. Jean Pouzoulet relate les attaques du Chemin creux le 3 septembre 1916, de la ferme de l’Hôpital le 4 septembre 1916, de Rancourt le 14 septembre 1916, de Sailly-Sallisel et du bois Saint-Pierre-Waast le 5 novembre 1916.
14. Il participe en Champagne aux attaques sur le Fort de Brimont, près de Reims, et aux rudes combats de la Cote 108.
15. Jean Pouzoulet est engagé dans le secteur de Craonne, au moment où se déroulent les mutineries de 1917.
16. « Rosalie » est le surnom donné par les « poilus » à la baïonnette française du fusil Lebel.
17. Minen : obus allemands de tranchée.