Une histoire des salins de l’Hérault

Les étangs héraultais ont durant des siècles, alimenté de nombreux marais salants. Ces marais s’égrenaient comme un chapelet tout le long de notre littoral. Aujourd’hui seuls de vastes espaces saliniers, anciens marais, subsistent encore ; ils témoignent de l’intense activité du sel, durant des siècles. Aujourd’hui, et par la prise en compte de facteurs économiques, cette activité a disparu. L’on ne voit plus comme nous le décrivent certains cartulaires dès le Xème siècle, ces écamelles 1 de sel qui marquaient la ligne d’horizon de nos paysages littoraux. Cependant en les observant, l’activité salinière a effectivement disparu, mais notre regard est souvent accroché sur ces alignements de piquets qui émergent de la surface de nos étangs. Ce sont des témoins vivants de cette culture du sel, qui durant des siècles a donné matière d’existence à ces grands espaces.

Grâce à cette activité, si tenace et si longue sur notre littoral, ces grands espaces ont été préservés. Ils sont aujourd’hui gérés par les collectivités territoriales, et voués à demeurer « zone naturelle ».

Il est intéressant que les Études Héraultaises, donnent un peu de place à cette épopée du sel « héraultais ». D’autant que des espaces, autrefois sauniers, ont complètement disparu des cartes. Les salins de Luno près d’Agde, ceux de Mèze et ceux de Gramenet près de Lattes en sont un exemple. Pour les autres, à la seule lecture de ce texte, il vous sera facile d’aller sur place et de rêver un peu de cette culture où beaucoup de saliniers ont, par leur sueur et leur volonté, laissé une mémoire du sel.

Les salins de l’Hérault au Moyen Âge

Ces salins ont, durant le haut Moyen Âge, eu une forte activité. Ils font partie, comme nous le précise A. Dupont 2, du groupe Occidental, en opposition aux salins qui s’étalent outre Rhône et ceux de Peccais. C’est au travers des cartulaires que l’on arrive à mesurer cette activité où bon nombre de propriétaires en majorité religieux font de la culture du sel, une manne pour leur revenu. Les évêques, qu’ils soient de Maguelone, de Narbonne ou les Prieurs des abbayes de Gelonne, d’Aniane, de Lagrasse, y sont tous biens présents. Pour les laïques, on y rencontre, les vicomtes de Narbonne, de Melgueil ou de Béziers, ainsi que des Templiers et des Juifs.

Autour de l’étang de Capestang, des petites exploitations salinières existaient. En 855, un acte de Charles le Chauve concède ces salins à l’abbaye de Lagrasse dans les Corbières cet acte est d’ailleurs confirmé par Charles le Simple en 908. Cet étang est asséché aujourd’hui.

On retrouve l’existence de ces salins grâce au testament établi en 990 par la vicomtesse Adélaïde de Narbonne. Celle-ci avait acquis ces salins de Bernard de Béziers et plus tard les cédera au Monastère d’Aniane.

L’inventaire des biens des évêques de Béziers, daté de 1110, révèle que ces exploitations salinières sont gérées par un groupe de propriétaires dont on ignore l’identité. Il y est également indiqué que le projet d’assèchement de l’étang de Montady, dont les eaux se mêlent à l’étang de Capestang, risque de porter préjudice à la production salinière de cet étang.

En 990, le vicomte de Béziers et d’Agde donne par testament une partie de ses salins de Sérignan au chapitre de St-Nazaire à Béziers et l’autre partie à l’abbaye de St-Thibéry à Sérignan.

Une autre abbaye du sel, elle aussi difficile à localiser est celle de St-Génies. On sait seulement qu’elle est "juxta mare" et qu’elle perçoit des ressources importantes grâce à l’exploitation du sel. Le 3 mars 1054, elle est vendue, par le comte Pierre Raymond aux chanoines de St-Nazaire de Béziers. Cet intéressant document contient l’inventaire du matériel et des sels existants sur les salins.

On pense que cette abbaye était située au Sud-Est de Sérignan, sur la rive droite du cours inférieur de l’Orb. Cette localisation est donnée par André Dupont.

Les étangs du Bagnas et de Luno dépendent du chapitre de l’évêque de Béziers et d’Agde. Le cartulaire de ce chapitre ne contient pas de texte précisant l’existence de salins situés sur le pourtour de ces étangs.

Plus proche de Montpellier, l’étang de Thau alimente de nombreux salins, vraisemblablement sur l’emplacement de ceux qui ont été exploités dès 1780, avec les salins de Villeroy, d’Héricourt et du XVème dit de Marseillan, ainsi que ceux de Mèze.

Flandrine de Mèze, fille de Beranger de Vallauche, donne en 1176, à l’abbaye de Valmagne, des salins situés probablement dans les environs de Mèze. À Marseillan, une sentence arbitrale règle la répartition, entre les consuls de la ville et l’évêque d’Agde en 1183, de la contribution dûe aux tailles perçues grâce aux salines.

La culture du sel est également présente autour de Montpellier. Proche de Frontignan, l’étang d’Ingril est utilisé sur sa partie Nord-Ouest pour l’exploitation salinière. Un acte du 10 avril 1338 attribue à Pictavin, évêque de Maguelone, un certain nombre de salins et notamment ceux qui bordent l’étang du Nigril (Ingril).

Autour des étangs de l’Arnel et de Vic, proches de Villeneuve-lès-Maguelone, l’exploitation du sel est tout aussi importante. Elle fait souvent l’objet de contrat de « fermage », où les modalités d’exploitation sont stipulées avec un maximum de précisions. Dans l’accord conclu entre Guillaume de Frédol et l’évêque de Maguelone à la fin du XIème siècle, il est surtout question de mise à l’abri de la récolte de sel ainsi que de la date de récolte. Effectivement aujourd’hui encore, c’est le souci du saunier. Il est toujours difficile de décider de la date de début de récolte et de la façon dont on va conserver le sel que l’on a fraîchement récolté.

Au Moyen-âge, les camelles ou tas de sel présentent des hauteurs faibles, de l’ordre de 4 à 5 mètres au maximum contre 20 mètres aujourd’hui pour Aigues-Mortes. Le sel récolté, durant cette époque était plus friable que les sels d’aujourd’hui. En conséquence leur vulnérabilité aux pluies était bien plus importante. En effet le sel récolté à cette époque était un sel « magnésien », issu de saumures très chargées en sels secondaires, riches en magnésium. Ce sel que nos parents appelaient « sel monté », est plus vulnérable aux pluies que les sels actuels. Les camelles de sel étaient protégées par des fascines ou fagots ou d’enganes 3 que l’on appelle aussi « manouls » ou sagne dans la région de Montpellier. Ces fagots étaient liés entre eux, avec des cordes. Cette opération de couvertures de camelles était aussi importante que la récolte de sel elle-même.

Dans une donation entre Pierre de Lavérune et ses fils à l’évêque de Maguelone, Jean de Montlaur, en septembre 1181, il est question d’un marais salant situé à proximité du château de Villeneuve dans la paroisse de Ste-Marie d’Exindre. Ce salin est situé sur les bords de l’étang dit de l’Estagnol, au Nord des anciens salins de Villeneuve. Le texte laisse supposer que le personnel masculin et féminin est employé à la préparation du sel.

Sur les bords de l’étang de Vic, des salins sont en activité au XIIe siècle. Ils appartiennent en propre à l’évêque de Maguelone. Le 12 mai 1266, un certain Raymond Audin reconnaît, au nom de sa sœur, quatre salins que celle-ci tient de l’évêque de Maguelone, "confrontant la mer et les étangs". La comtesse de Melgueil, elle aussi, est propriétaire de salins à Villeneuve. Un acte de novembre 1169 en témoigne.

L’étang de Mauguio alimente les salins de Porquières à Pérols. Un diplôme de Louis Le Pieux, du 21 octobre 837, confirme au monastère d’Aniane leur possession de "inter mare et stagnum". En 1174, le comte de Toulouse, Raymond V, cède aux chanoines de Maguelone la dîme du sel récolté sur ces salins. D’autres salins sont mentionnés, bordant tous l’étang de Mauguio. Tous ces salins qui semblent être implantés dès le IXe siècle, ne cessent de se développer entre le Xe et le XIIIe siècle. C’est pour le Languedoc une économie régionale très vivante. Ils feront au fil du temps l’objet de querelles, entre barons et évêques’ qui tour à tour essaient d’exercer un monopole sur la production du sel. C’est d’ailleurs ce qui fera dire à Fernand Benoit, que l’embellie du sel est née avec l’implantation de nos abbayes.

Les techniques d'exploitation et les moyens mis en œuvre dès cette époque

Les techniques d’exploitation comme le dit Jacques le Gof, Jean de Romefort 6 ou le géographe espagnol M.J. Vila Valenti pour les salines d’Ibiza et de Formentera diffèrent peu par rapport à celles d’aujourd’hui, seule la mécanisation, a fait son œuvre.

Principe de production et méthode de gestion des eaux salées sur un salin du midi du la France

Un marais salant a pour mission essentielle de concentrer de l’eau ayant une teneur en sel marin, jusqu’à la saturation de celui-ci. Ce qui veut dire qu’un salin situé en bord de mer, concentre les eaux de 29 grammes par litre pour de l’eau de mer à la saturation, c’est-à-dire 260 grammes par litre.

Pour cela, le saunier, qui a la responsabilité de la gestion des eaux contenues sur un salin, les fait circuler au fil du temps, afin de les amener à saturation. L’eau douce contenue dans les eaux, s’évapore et le sel se concentre jusqu’à la phase de 260 grammes par litre. Dès que cette concentration est atteinte, les saumures sont étalées dans des cristallisoirs pour faire déposer le sel. Dans nos régions la période où le salin fonctionne correspond grossièrement, du mois de mars au mois de septembre, période de la récolte du sel.

Les engins et matériaux de construction utilisés au Moyen-âge

Les écrits anciens nous disent en particulier pour les salins qui se trouvent en bordure de mer, que les eaux pour alimenter le salin provenaient de « salivades », c’est-à-dire des entrées d’eaux naturelles dues en hivers à de fortes mers. Ces eaux une fois piégées par le cordon littoral étaient utilisées en partie durant la compagne de production. Ces surfaces se nomment les « enfores », ou « partènements extérieurs ».

Les mouvements d’eaux destinés à les faire circuler étaient assurés par des sortes de norias 7, des « automata » sur les surfaces évaporatoires. Ces norias étaient actionnées par du bétail, bien souvent par des mules.

À Istres, en 1067 il est rapporté qu’une machine spéciale et automatique, « altométarius », déversait l’eau de mer dans un conduit dit « cursia, destiné à amener l’eau de mer dans les tables ». Le terme « cursia » est dit aujourd’hui : courroir, c’est un chenal en planches ou argile qui conduit les eaux dans une surface de concentration des eaux. Ce courroir, s’il est en argile a le plus souvent son fond tapissé de cailloux afin d’éviter les enlèvements de particules de sol. Je pense que le terme « table » est inapproprié dans la mesure où les tables se trouvent à la fin du dispositif de concentration des saumures et qu’il s’agit certainement des « partènements » ou surfaces préparatoires.

Le cloisonnement des étangs, les « espares » comme on les appelle sur certains salins, est réalisé par des sortes de digues de faibles hauteurs. Les plus importantes peuvent atteindre 50 centimètres de hauteur et autant de large. Il n’existe pas sur les salins, de matériaux « durs » capable de protéger efficacement les pieds de talus. Les sauniers ont eu recours et cela depuis le moyen-âge au moins, aux matériaux « in situ ».

Confection d'une digue de marais salants (croquis ci-après)

Schéma de confection de digues ou cairels.
Fig. 1 - Schéma de confection de digues ou cairels.

Ces digues sont constitués de deux flancs destinés, eux-mêmes soutenus par des piquets de pin ou de châtaignier, à contenir des matériaux qui ont pour but de barrer le passage à l’eau salée, pour passer d’un étang à un autre. Cette eau, pour se concentrer, doit cheminer lentement sur l’ensemble des surfaces du salin au fur et à mesure de sa gradation.

Les flancs de cette digue, que l’on nomme « cairel » ou « levadon », sont constitués de fagots de cannes de Provence ou de tamaris (voir fig. 1). Pour l’Hérault c’est surtout le tamaris qui est utilisé ; ce n’est qu’après la révolution, lorsque la vigne sera plus présente dans nos contrées, que le tamaris cèdera sa place aux fagots de sarments de vignes, qui d’ailleurs ont été utilisés sur nos salins héraultais jusqu’aux années 1940. Ces fagots seront alors remplacés par la vulgaire planche en bois de pin, non « nouée ».

Entre ces deux fagots, le salinier constitue un merlon d’argile ou de matériau pris sur place, qui est soutenu de part et d’autre par les fagots que l’on appelle bien souvent fascines. Ce matériau d’apport est ensuite damé. Sur certains salins, pour améliorer l’étanchéité des digues, on interpose des algues entre le cœur de digue et les fascines ou fagots.

Une autre technique est aussi utilisée dans l’Hérault, c’est la technique dite de l’« engazonnage ». Cette technique bien plus simple, est utilisée pour les surfaces très éloignée des tables saunantes, celles qui reçoivent les eaux en sel. Le procédé consiste une fois que le merlon d’argile est constitué de semer ou de transplanter des salicornes sur chacun des flancs de la digue. Le développement racinaire des plants permet de stabiliser la couche supérieure du corps de digue et par conséquent d’en réduire l’érosion notamment par les pluies.

Une décision capitale pour les salins de l'Hérault...
celle d'Henri IV

Les salins de l’Hérault ont eu une activité soutenue au moins jusqu’en 1596, date importante pour tous ces salins qui bordaient nos étangs. L’impôt du sel ou plus exactement les impôts sur le sel sont très importants et de plus sont très injustes, du fait que le royaume français est divisé en territoire de gabelles. La carte des gabelles (fig. 2) précise pour chaque province, le taux de l’impôt, il était alors facile pour un faux saunier, de s’emparer de sel provenant de zones faiblement taxée et de « passer » dans une zone plus taxée, où moyennant une ristourne les faux sauniers peuvent y trouver leur avantage. Les provinces dites franches taxaient le minot de sel jusqu’à 8 livres, alors que les provinces à « grandes gabelles » taxaient le minot jusqu’à 61 livres. Pour le Languedoc et la Provence, la gabelle variait selon les diocèses de 15 à 57 livres le minot, d’où l’importance des opérations de faux saunages.

Carte générale des gabelles
Fig. 2 - Carte générale des gabelles

Les salins de l’Hérault ont eu une activité soutenue au moins jusqu’en 1596, date importante pour tous ces salins qui bordaient nos étangs. L’impôt du sel ou plus exactement les impôts sur le sel sont très importants et de plus sont très injustes, du fait que le royaume français est divisé en territoire de gabelles. La carte des gabelles (fig. 2) précise pour chaque province, le taux de l’impôt, il était alors facile pour un faux saunier, de s’emparer de sel provenant de zones faiblement taxée et de « passer » dans une zone plus taxée, où moyennant une ristourne les faux sauniers peuvent y trouver leur avantage. Les provinces dites franches taxaient le minot de sel jusqu’à 8 livres, alors que les provinces à « grandes gabelles » taxaient le minot jusqu’à 61 livres. Pour le Languedoc et la Provence, la gabelle variait selon les diocèses de 15 à 57 livres le minot, d’où l’importance des opérations de faux saunages.

Les salins de l’Hérault sont de petites dimensions, ils produisent de 20 à 60 000 minots. Un minot de sel pèse en moyenne 48 kilogrammes de sel, pour une contenance approchant les 50 litres. Les surfaces mises en saunaison sont de l’ordre de 20 à 60 hectares. C’est dire que les unités de production sont réduites. Seul le groupe de salins de Peccais couvrent 1500 hectares environ. Pour chaque unité salinière, il est nécessaire d’avoir un détachement de gabelous et un bureau d’enregistrement. Le gardiennage des camelles de sel s’effectue jour et nuit, il est permanent et particulièrement couteux pour les fermiers généraux. De plus comme ces salins sont espacés, il est difficile d’organiser un gardiennage commun. Les « fuites » de sel atteindront un tel niveau en fin des années 1590, qu’Henri IV, sur les conseils de Sully, pressé par une demande des fermiers généraux, décide que les salins de Villeneuve, Frontignan, Mèze, Marseillan et Porquerargues seront « noyés », terme utilisé à l’époque pour mettre en œuvre des moyens qui garantiraient la non saunaison d’un salin. Le plus souvent, le procédé consiste à creuser un chenal de l’étang vers le salin, et de rompre l’ensemble des divisions de ce dernier. Dans l’Hérault, tous les salins en activité en 1596, sont donc noyés, seuls subsisteront les salins de Peccais, près d’Aigues-Mortes dans le Gard, et ceux de Peyriac de Mer dans l’Aude.

Pour noyer les salins, le roi exige le creusement d’une roubine qui permet à l’ensemble de la surface salinable d’être recouverte d’une épaisseur d’eau suffisante afin que les eaux de l’étang voisin ne puissent, par le biais de l’évaporation naturelle, atteindre la saturation. Dans certains salins encore subsiste cette « roubine du Roi », à Salin de Giraud, c’est le canal dénommé « bras de fer ».

À dire vrai, il est difficile d’affirmer que ces salins de l’Hérault ont vraiment été « noyés » dès 1596. Comme on va le voir par la suite, ces salins auront une renaissance après la révolution de 1789.

Sur les demandes pressantes figurant sur les cahiers de doléances, la gabelle fera l’objet des premières mesures prises par le nouveau régime. Elle est abolie en avril 1790, et, de fait, les besoins en sel iront grandissants du fait de la production de soude factice par le procédé Leblanc pour alimenter l’industrie savonnière marseillaise qui est en pleine extension. Les salins de l’Hérault ont donc vécu cette renaissance. Ces terres longtemps abandonnées ont repris une activité au point que la santé des proches habitants s’en est fortement améliorée, à en croire les témoignages de cette époque.

Le prospectus, établi l’An IV par les nouveaux propriétaires des salins, destiné à récupérer des fonds privés pour le « rétablissement des salins de Villeneuve-lès-Maguelone 8 », cite les paroles des habitants de Villeneuve : « Nous profitâmes du séjour que nous fîmes en cette commune pour y prendre, avec ses habitants, de nouveaux renseignements sur l’objet de notre acquisition. Ils nous assurèrent que naguère le sel se formait naturellement dans son enceinte, et que tous les habitants des lieux circonvoisins y venaient annuellement en extraire une quantité prodigieuse. En ouvrant les annales du pays nous lûmes qu’un pareil établissement existait il y a un siècle, et qu’alors cette contrée fût saine, populeuse et fleurissante. Mais que depuis qu’il a été supprimé par l’égoïsme destructeur et vorace des agents de l’ancien régime, la mort y a tous les jours exercée des ravages qui ne pourraient augmenter encore si son rétablissement n’avait pas lieu…. »

À la lecture de ce document, il y a lieu de penser que dans le Languedoc les « gabelous » ne faisaient pas la loi et que le sel « sauvage » qui se produisait par évaporation naturelle était récupéré par les proches habitants des lieux. Il faut savoir que sur certains salins de Provence notamment, les gabelous n’hésitaient pas à envoyer des chevaux qui avaient pour mission de piétiner les endroits où le sel se formait naturellement afin d’éviter le faux saunage. Certaines parcelles de terrain portent encore au cadastre la dénomination « les piétinés ».

Un siècle après la décision d’Henri IV, en 1698 Lamoignon de Basville, précise que « presque toutes les lagunes de la côte méditerranéenne sont susceptibles d’être utilisées pour la production de sel. Cependant les fermiers réduisent à deux les centres de production, Peccais et Peyriac Mandirac Sigean ». Il précise aussi que « les propriétaires qui sont près du canal des launes souffrent beaucoup, parce qu’ils sont inondés au moyen de ce canal, qu’originellement les fermiers généraux avaient creusé pour submerger en été les marais où il se formait beaucoup de sel, dont il se faisait un grand faux saunage 9 ».

Les chemins du sel

Les nombreux chemins saliniers qui sillonnaient notre département, facilitaient le négoce du sel produit sur nos salins. L-J Thomas 10 signale l’existence de trois chemins qui entre le IVème et le XIème siècle, parcourent le Languedoc occidental d’Ouest en Est. Il signale que le chemin du sud qui existait déjà au XIème siècle est appelé « lou cami salinié » suivi par Théodulphe, évêque d’Orléans, dans son voyage dans le midi. Ce transit de sel rejoignait celui produit en Provence sur le Rhône, ce qui explique la valeur importante de la place de Pont-Saint-Esprit, véritable plaque tournante du commerce du sel du Midi, pour desservir, l’Auvergne, le Dauphiné, la Savoie et le Valais. Il est aussi question d’un « camin salinié » qui reliait le port de Lunel en passant par Melgueil et Pont Trinquat et se dirigeait vers les salins de Frontignan et Villeneuve 11.

Cependant, ces salins de l’Hérault connaîtront peu les marchés du sel à l’exportation. Ces marchés sont surtout prisés par les salins du Languedoc oriental. On peut considérer en effet que les salins d’Aigues-Mortes, dits de Peccais, comme ceux du bassin de Fos, font partie des salins orientaux et sont résolument tournés sur Marseille. Peccais choisira d’abord Lunel et le port de la ville d’Aigues-Mortes après la construction du port par Saint Louis. On apprend dans un texte adressé à Saint Louis par les habitants d’Aigues-Mortes que « le roi fasse une levée de terre avec les ponts nécessaires, depuis le monastère de Psalmodi jusque vers le domaine d’Anglas, afin que les eaux des marais n’incommodent pas le public, et que les gens à pied et à cheval, les bêtes de somme et les charrettes puissent aller en toute sécurité d’Aigues-Mortes à Porquières et aux environs, de telle sorte que les gens de Valliguières et de Bagnols, qui vont charger du sel à Lunel et ailleurs pour en assurer l’exportation, abandonneront ces lieux et viendront désormais à Aigues-Mortes : d’où il reviendra un grand profit au roi » 12.

Les débuts chaotiques des salins de l'Hérault durant la première moitié du XIXème siècle

La loi du 30 mars 1790 abolit la gabelle et laisse le sel en vente libre. Le prix de cette denrée s’établit aussitôt de 5 à 8 francs les cents kilogrammes, mis à « bord de char au départ du salin ». C’est dire que le sel est un produit qui devient rare et par conséquent cher. Il atteindra en 1793 des prix excédant les 20 francs. Une loi est aussitôt établie, le 27 septembre 1793…, qui limite le prix à 20 fr les cents kg. La libre concurrence et l’accroissement de consommation de sel, notamment pour l’industrie chimique naissante dans notre région, pour alimenter les soudières du bassin de Fos-sur-Mer, à l’aide du procédé Leblanc, eurent pour conséquence l’accroissement des salins existants et la création de nouveaux établissements.

Ce n’est qu’en 1806 que le rétablissement de la gabelle est décidé par Napoléon. Les finances de l’État sont telles que de nouveaux impôts devaient être créés. Après la proclamation de l’Empire, malgré les campagnes victorieuses de Napoléon, les années 1805 et 1806, furent marquées par des difficultés financières, soit « poursuivre dans la voie tracée en 1789 et élever l’impôt foncier, soit changer de cap en se tournant vers l’impôt de consommation 13 ». C’est donc le 24 avril 1806 que l’impôt du sel est rétabli. Napoléon ne souhaitait pas présenter cet impôt comme le rétablissement de la gabelle, « il faut orner les impôts pour qu’ils paraissent moins lourds » disait-il. Aussi, la loi d’avril 1806 avait-elle pour but de dégrever la contribution foncière et devait être exclusivement affectée à l’entretien des routes et aux Pont et Chaussées. On connaît la suite…

Malgré tout cela, ce nouvel impôt vient mettre un frein dans la consommation des sels de ménages. Les investissements réalisés pour répondre aux nouveaux besoins sont moins utilisés, et les prix du sel chuteront jusqu’à atteindre les 4 francs, contre les 7 francs correspondants. Les salins de l’Hérault sont les premiers concernés par cette décision.

Ils sont tous nouvellement équipés et remis en route par la bourgeoisie locale, tels que les Durand, Cauvy, Rey, Nahmens, Vialar, Billoin, Blanchard etc. Heureusement, jusqu’en 1813, les choses pourront se maintenir en l’état et les salins continueront à produire à leur capacité nominale, du fait de l’augmentation des besoins pour la production de soude, de l’agrandissement de la zone de chalandise avec l’ouverture vers l’Europe et le territoire de l’Empire français, malgré la baisse des prix de vente.

Durant cette période faste, les nouvelles mises en exploitation des salins de l’Hérault, ont procuré du travail à un grand nombre d’ouvriers. Ils ont aussi permis d’utiliser et de maintenir en état de salubrité des terrains qui auparavant décimaient les populations par leur insalubrité. Le commerce du sel donnait aussi beaucoup d’activité au port de Sète.

En 1814, l’Empire tombe et les limites de la France se restreignent. Certains salins comme celui du Bagnas, (Agde), qui expédiait la plus grosse partie de sa production en Sardaigne, se retrouve sans débouchés. De plus la décision d’augmenter la taxe du sel contribue elle aussi à faire chuter les débouchés du sel et par conséquent les salins deviennent non rentables et proches de la ruine. On note pour l’Hérault entre la période 1814-1830, que des salins conservent sur leur graviers plus de quatre années de récoltes de sel et les prix chutent jusqu’à 0,61 franc les cents kilogrammes. On est hélas loin des 7 francs et encore plus des 20 francs de 1793. Le prix moyen est loin de donner un bénéfice aux producteurs. Les salins du Languedoc sont alors plongés dans une période de disette grave. Pour les salins de l’Hérault, c’est le salin de Villeroy qui pratiquera les périodes de chômage les plus importantes. Pour le personnel employé sur ces salins, les choses vont mal puisque l’on peut citer qu’entre la période des moissons et des vendanges, le nombre de personnes qui étaient employées pour la récolte du sel se situait autour de mille à quinze cent.

De 1830 à 1840, l’économie reprend et la fabrication des soudes pour les besoins de plus en plus croissants des savonniers de Marseille permet un redémarrage de l’activité salinière. Le développement du commerce maritime, permet aussi de vendre en plus grande quantité à l’exportation. Du sel produit à Sète ou sur le salin du Bagnas est expédié à Buenos Aires par exemple, à partir du port de Sète. C’est à cette époque que le salin de Villeneuve se dote d’un chenal permettant d’approvisionner le port de Sète via les Aréquiers. Il en est de même pour les salins du Bagnas. Les salins de Villeroy, après plus de vingt ans de souffrance, reprennent de l’activité.

En 1840, les salins de l’Hérault jouissent aussi d’un phénomène inattendu les inondations des salins de Peccais dues aux crues du Rhône. Ces salins ne reprendront leur activité normale qu’après cinq années de très lourds travaux. En 1841, les seuls salins de l’Hérault ont fourni plus de 113 000 tonnes de sels au commerce français qui est pour le sel de mer de 216 000 tonnes, soit près de la moitié. La production moyenne des neuf salins de l’Hérault en fonctionnement en 1841 est de 60 000 tonnes. Les expéditions de sels en 1842 atteignent 63 000 tonnes et en 1846 plus que 21 000 tonnes.

Un document de septembre 1839, donne l’estimation du cubage de sels présents sur les graviers des salins du Bagnas, Villeroy et Mèze.

— Pour le Bagnas, 30 000 tonnes pour une récolte moyenne de 18 000 tonnes.

— Pour le salin de Mèze, 3 500 tonnes pour une moyenne de 3000 tonnes.

— Pour le salin de Villeroy, 7 000 tonnes pour une moyenne de 14 000 tonnes.

Tableau des récoltes moyennes sur les salins de l'Hérault en 1851

On constate que sur ces salins la production moyenne est inférieure de près de 25 % à celle des salins de Provence du fait de leur position par rapport à leur prise d’eau initiale. La concentration de l’eau contenue dans les étangs est inférieure à celle de l’eau de mer.

La production moyenne pour les salins de l’Hérault est de 60 000 tonnes contre 285 000 tonnes pour la production de sel de mer de l’ensemble des salins du littoral. Le Var produisait 35 000 tonnes, les Bouches du Rhône 74 000 tonnes, le Gard 85 000 tonnes, l’Aude 27 000 tonnes alors que les Pyrénées-Orientales ne produisaient que 3 000 tonnes. C’est dire aussi que le département de l’Hérault comptait dans la production nationale.

Tableau des récoltes moyennes sur les salins de l'Hérault en 1851
Fig. 2B - Tableau des récoltes moyennes sur les salins de l'Hérault en 1851

Durant cette période difficile, les propriétaires des salins ont tout fait pour trouver des méthodes de travail qui leur permettraient de réduire leurs coûts de revient, ainsi que des procédés qui leur amèneraient des revenus supplémentaires. Pour cela il faut rendre hommage à Antoine-Jérôme Balard, et je cite ce que disait un grand saunier de l’époque, H. Vivarès dans la pétition qu’il adressait au Ministre de l’Intérieur pour lui signifier l’état de « misère » dans lequel se trouvaient les salins du Languedoc. En fin de pétition, il ajoute cette lueur d’espoir, pour la filière salinière : « Enfin, Monsieur le Ministre, nous devons, pour rendre hommage à la vérité, porter à votre connaissance les découvertes qui ont été faites dans nos salines depuis l’administration de nos fermiers, par suite de la manière intelligente avec laquelle ils ont secondé les travaux d’un jeune chimiste, dont la place est déjà marquée à côté des grands noms scientifiques que nous citons avec orgueil. C’est dans les eaux-mères du salin de Villeneuve, que Monsieur Balard fit la découverte du corps simple, auquel il donna le nom de brome. Encouragé par ce succès, il prit, lui aussi, après de nombreuses observations aux salins de Villeneuve et du Bagnas, la nature sur le fait, en découvrant une série de procédés naturels, formant les sulfates de soude et de magnésie, par des moyens aussi simples que le sel marin… »

Les nouveaux procédés sauniers sur les salins de l'Hérault : les produits dérivés des eaux-mères des marais salants

Grace aux découvertes d’A.-J. Balard, les sauniers avides de nouvelles ressources vont se lancer dans l’aventure de la production des produits dérivés des eaux mères. C’est tout d’abord sur les salins du Bagnas que les premières installations et les premiers procédés seront mis en œuvre de façon industrielle. Il faudra ensuite attendre deux ans pour que le salin de Villeroy soit doté d’installations beaucoup plus complexes telles que des fours et autres installations de distilleries.

Pour mettre en œuvre tout cela, le 23 octobre 1836, un traité est passé entre Émile Gabourleau, avocat de Montpellier, son frère Amédée, la Compagnie Lichtenstein et Vivares, propriétaires du salin du Bagnas, près d’Agde et du salin de Villeroy. Cette association, c’est le terme employé selon l’usage de l’époque, a "pour but de retirer de l’eau de mer des substances autres que le sel marin et, notamment, les sulfates de soude et de magnésie".

Elle met en commun la matière grise, en l’occurrence Antoine-Jérôme Ballard, les fonds nécessaires apportés par les frères Gabourleau, les matières premières par Lichtenstein et Vivares. Ce type de structure de société est très courant en ce début du XIXème siècle. Elle a l’avantage d’être légère et peut se modifier sans problème avec l’accord des quelques intéressés. Les frères Gabourleau sont nommés gérants de l’entreprise.

Un nouveau procédé d'extraction de sulfate de soude est découvert au salin du Bagnas

Le 18 novembre 1836, A.-J. Balard dépose un brevet pour le procédé propre à extraire du sulfate de soude des eaux de la mer. Une correspondance d’un responsable du salin du Bagnas du 23 février 1836, E. Bonafous, adressée à Balard, rue de l’Argenterie à Montpellier, nous donne une idée de l’état d’esprit du moment :

Vous recevrez à la garde de Dieu et sous la conduite de Roqueblave, le muletier du salin, quatre tonneaux de sel de Glauber portés par nos deux charrettes, le tout arrivant, je l’espère, sans manque ni dommage. Le même jour de votre départ, il a plu toute la matinée ; la camelle n° 1 (de sulfate de soude) n’a pas souffert. Elle sera couverte (avec des roseaux) ce soir non sans peine… Tout le sel récolté ces jours derniers est dans une cabane qui est pleine jusqu’à la bonde… ».

E. Bonafous nous apprend que, sous la conduite de Balard, il a récolté du « sel » (sulfate de soude) et que ce sel est mis à l’abri. À des fins d’analyse, il s’en fait expédier quelques kilos afin d’étudier le dépôt.

Le 12 février 1840, se réunissent A.-J. Balard et quelques autres négociants de Montpellier. Il y a là, les anciens actionnaires de la société ainsi que d’autres négociants et banquiers de la région de Montpellier, Louis Serre, Rigal, Vivares Eugène et Hilaire.

Les salins de l'Hérault, les premiers à mettre au point les procédés Balard

A partir de cette date, ces messieurs réunis décident que la fabrication de produits chimiques extraits de l’eau salée, autres que le sel marin, prendrait un essor important sur cinq salins de la côte méditerranéenne qui sont : Villeroy, Villeneuve, Frontignan, Bagnas et Aigues-Mortes.

Balard perçoit un huitième des bénéfices et ne finance en rien les installations. Il se borne à apporter "son industrie scientifique", procédé de fabrication et tour de main, et, en cas de pertes enregistrées par la société, il est convenu qu’il n’en supportera pas les conséquences. Rigal, propriétaire de nombreuses affaires de sel à Montpellier, et notamment des caves de Roquefort, est nommé gérant de l’affaire.

Balard, compte tenu de ses nouvelles occupations parisiennes, ne peut pas apporter les soins journaliers à cette affaire. Il lui est simplement demandé de "diriger d’une manière générale les unités de production qui exploitent ses brevets". Pour cette supervision, une indemnité de 1 500 F par an lui est allouée (un ouvrier gagne à cette époque : entre 1,5 et 2 F par jour). Il est prévu aussi que Balard participe aux réunions mensuelles pour délibérer "des mesures à prendre qui présentent un intérêt".

Le 2 mars 1841, les mêmes associés concluent un traité à Marseille avec les producteurs de sel de Provence.

Balard se déplace peu sur les salins de l’Hérault et confie la supervision à Vivares, salinier de métier, qui connaît bien les mouvements des eaux sur un salin.

Le 10 décembre 1840, il rédige un rapport à Balard sur la fabrication du sel de Glauber (sulfate de soude). Il lui rend compte de ce qu’il fait et lui demande si les consignes sont bien remplies. Le 29 décembre 1842, Balard découvre l’acide oxalique ; le procédé de fabrication d’alun, à partir des eaux mères du salin du Bagnas, voit le jour. Ce n’est qu’en 1844 que la production d’alun sera mise au point dans l’alunerie du Bagnas.

Une usine de production d'Alun au salin du Bagnas

L’alun est un sulfate double très utilisé au début du XIXème siècle pour fixer les teintures. Le site du Bagnas fut choisi par Balard pour la bonne et simple raison que les sols de ce salin sont très argileux, donc très imperméables. Les eaux mères des marais salants ont, durant l’hiver, déposé le sulfate de magnésium et sont alors conservées dans des bassins. L’été suivant, elles sont concentrées par évaporation naturelle. Le dépôt des sels mixtes que Balard appelle sels d’été, est dissous. On obtient alors par refroidissement, du sulfate double de potasse et de magnésie assez pur qui peut être employé directement à la production du carbonate de potasse. Balard est très lié à la famille Bérard qui dirige l’usine de produits chimiques de la Paille à Montpellier. Jacques-Etienne Bérard, chimiste français, naquit le 12 octobre 1779 à Montpellier. Bérard eut Balard comme élève et le fit admettre dans le vaste laboratoire de la Paille, lui permettant de connaître les procédés de l’industrie. Cette usine fabrique du sulfate d’alumine. Une liaison existe alors entre Montpellier et le Bagnas.

L’alunerie est opérationnelle dans les années 1844-1845. Jules Usiglio, de nationalité italienne, est titulaire en France de plusieurs brevets. Il est choisi par Balard pour le seconder dans la supervision des procédés de production, notamment, pour la mise en route de l’alunerie.

De 1846 à 1848, cette alunerie bat son plein. En janvier 1848, on effectue des travaux d’agrandissement. Usiglio a des difficultés parce que "les eaux mères et le lavage des boues" ont fourni plus d’alun que l’on comptait en obtenir. L’atelier fournit deux types d’aluns, repérés par un "2" imprimé sur le sac pour le double et un "3" pour le triple.

L’usine de la Paille fait des convois de 8 barriques de sulfate d’alumine sur 2 charrettes, soit 3 300 kilos de poids des futailles "rendant poids égal d’alun". En retour, les deux charrettes de la Paille ramènent 3 000 kilos d’alun.

Ce qu’il reste aujourd’hui, de cette période faste, où avant la découverte de mines de sulfate de magnésium en Allemagne on croyait que "fortune était faite" grâce aux procédés Balard. Pour le Salin de Villeneuve et ceux du Bagnas, il y a les pompes Balard, et le salin Balard, preuves tangibles de la production de sels magnésiens au cours de la moitié du XIXème siècle. À Villeroy, il y avait encore des vestiges d’usines qui aujourd’hui ont complètement disparu.

Cette activité dans les salins de l’Hérault a occupé beaucoup de main d’œuvre et passionné un grand chercheur qui est à l’origine de la table de concentration de l’eau de mer, Jules Usiglio. Ce document est aujourd’hui utilisé par tous les scientifiques. Il a fait l’objet d’un dépôt de brevet en 1879. Sachez que l’eau de mer en question est celle prélevée sur la plage de Villeroy…

La position des salins sur le littoral héraultais

Position des salin de l'Hérault au XIXe siècle.
Fig. 3 - Position des salin de l'Hérault au XIXe siècle.

Le salin de Luno

Durant le siècle dernier neuf salins étaient en fonctionnement sur le littoral héraultais. Le salin de Luno était situé au pied de la montagne d’Agde, très à l’écart de la voie ferrée de Sète à Agde. Cependant la proximité du port d’Agde lui donnée un sérieux gage de prospérité.

Il fut construit entre 1845 et 1847. Les travaux s’élevaient en 1849 à 350 000 fr, avec un fond de roulement nécessaire de 50 000 Fr. Les travaux consistèrent à cloisonner l’intérieur de l’étang de Luno en commençant par créer une contre digue sur son pourtour. Ce salin a été racheté par la toute nouvelle Compagnie des Salins du midi en 1865, neuf années après sa création.

Ce salin était bien exposé aux évaporations. Ce qui lui donnait un bel atout pour son maintien en activité. Son sel présentait cependant une particularité peut être due au type se sol très limoneux : le sel de Luno était moins dur que les sels produits sur les salins voisins. Il se récoltait donc plus facilement mais compte tenu de sa friabilité, les saliniers enregistraient des « taux de criblure » plus importantes, de plus en cas de forte pluie ce sel avait tendance à se dissoudre plus facilement.

Ce salin n’a plus été mis en production à partir de 1921. Sa surface totale était de 59 hectares pour 6 hectares de tables saunantes. Sa production la plus importante : 1911 avec 4 700 tonnes, pour une moyenne de 3 000 tonnes par an.

Le système de récolte utilisé en 1922 était la brouette.

Les salins du Bagnas

Ce salin, situé entre Sète et Agde, le long du Canal du Midi, est prédisposé à écouler son sel vers les deux ports. Sa surface totale est de 190 ha pour 13,6 ha de surfaces saunantes. La production moyenne de ce salin est de 12 000 tonnes. En 1919 il a même produit près de 16 000 tonnes. Il a été mis en chômage en 1923. Ce salin dès l’année 1920 n’a pratiquement plus produit de sel.

C’est en 1790 que le Marquis de Polastron vend le Domaine à un notaire de Sète, M. Bousquet, agissant pour le compte d’un groupement de négociants et de propriétaires montpelliérains.

Il semblerait que dans un premier temps, d’après le registre des délibérations, quatre propriétaires seulement possédaient la totalité de la surface du salin du Bagnas.

Le 1er Brumaire de l’an XIII, les choses se compliquent. On retrouve quarante-trois personnes possédant ensemble 120 actions. C’est à partir de cette date, du fait du nombre très important d’actionnaires, que le salin sera géré à partir d’un conseil d’administration que l’on appelait à l’époque l’« assemblée ». Une hiérarchie est organisée avec en tête un directeur général.

Cette organisation se retrouvera dans les archives de ce salin. Les documents sont soigneusement classés, et il est possible de connaître au jour le jour le travail qui était réalisé sur ce site.

Dans les années 1855, la construction de la ligne de chemin de fer qui relie Sète à Agde isole le salin de ses écoulages naturels vers le canal du midi. Le 29 octobre 1860, la rivière Hérault inonde le salin, l’eau se trouve alors prisonnière au point que ce salin perd l’ensemble de sa production de sel par dissolution. Un procès aura lieu, des ouvrages seront pratiqués sous la voie, afin que la libre circulation des eaux puisse se réaliser.

Ce salin fera au début du XIXème siècle, profitant des victoires napoléoniennes, commerce avec la Sardaigne qui affectionnait particulièrement le sel de ce salin qui était de couleur fortement « rouge ». En effet les sols des tables salantes, contiennent de l’alumine et de l’oxyde de fer. C’est aussi à cause de cette couleur persistante que ce salin, malgré sa bonne capacité production, près de 12 000 tonnes, a été arrêté bien avant la grande vague des fermetures des salins de l’Hérault qui se situe en 1968-70. Il faut noter que les salins de l’Aude de capacité inférieure à celle du Bagnas ont été maintenus en activité et ce jusqu’aux années 2005-2006.

Le Salin de Mèze

Ce salin construit sur la côte nord de l’étang de Thau, et fut mis en service en fin d’année 1830, était très à l’écart des voies de communication. De plus, sa faible capacité de production, de l’ordre de 1 500 tonnes par an, le rendait aussi peu rentable. Sa surface totale était de 36 ha, dont 30 hectares étaient en production effective, pour 3 hectares de tables saunantes, qui produisaient un sel de mauvaise qualité. Ce salin était ceinturé par les chemins de la Rouquette, celui de la Prade et au sud par l’étang de Thau. Ce salin était équipé de quatre puits à roue, qui avaient pour fonction d’élever les eaux sur les pièces saunantes. Ces dernières étaient situées contre les berges de l’étang de Thau, au sud de la ligne de chemin de fer. Deux grands bâtiments existaient sur ce salin celui des douanes et la maison du saunier.

Ce salin sera repris par une compagnie composée de négociants locaux, « Compagnie des salins de Mèze », constituée le 16 juin 1835 chez maître Charamaule, notaire à Mèze. Cette compagnie est détenue par Louis Serre, négociant à Montpellier, sous la raison sociale : « Louis Serre et Compagnie ».

Un inventaire des camelles de sel présentes sur ce salin le 4 septembre 1839, réalisé par Eugène et Hillaire jeune Vivarès 14, estime à 70 542 minots de sel soit environ 3 400 tonnes, réparties sur 4 camelles. La hauteur de ces camelles variait de 4,5 à 5 mètres, les longueurs allaient jusqu’à 50 mètres en pieds de tas. Par rapport au salin de Villeroy ou du XVème, ces camelles sont relativement basses, puisque celle de Villeroy pouvaient atteindre 7 mètres de haut. C’est dire que les surfaces des cristallisoirs des salins de Mèze étaient plus réduites.

Ce salin finira par être affermé par la société Rigal et Cie. Le 20 octobre 1840, la Compagnie Rigal, fermière du salin de Mèze, passe un contrat de vente de sel avec les marchands de sel de Mèze, Jacques Laurent et Simon Fourcade. Le sel fourni provient exclusivement des salins de Mèze et de Sète.

La quantité livrée annuellement est de 9 000 quintaux soit 450 tonnes, « sel qu’il faut annuellement pour la consommation de la place de Mèze ». Le prix en vigueur pour le client est de 1 Fr les 100 kilogrammes. Le prix d’une journée de travail durant la récolte du sel est de 3 Fr.

Le système de récolte usité sur ce salin est « la banaste ».

Ce salin sera fermé en 1876, par suite d’une inondation causée par la construction de la ligne de chemin de fer d’intérêt local reliant saint Chinian à Montbazin. En effet, les 12 et 13 septembre 1875 et 15 décembre 1876, de violents orages d’équinoxe ont éclaté sur ce salin en particulier. Du fait de la retenue au sud de celui-ci par la digue de remblai de la voie ferrée, les eaux n’ont pu être évacuées. Le salin a été inondé et presque entièrement détruit.

Le salin de Gramenet

Ce salin a été construit dans les années 1820. En 1825, il fait déjà partie du groupe des salins de l’Hérault géré par les Durand, banquiers à Montpellier. En 1825, le salin de Frontignan envoie sur Gramenet, 300 gerbes de sagne destinées à couvrir les camelles de sel récolté.

À l’inventaire de 1838, sur ce salin il y a 12 mules, soit la présence de trois puits à roue.

La position géographique de ce salin est idéale pour alimenter par voie d’eau le marché de Montpellier.

Ce salin sera donné à ferme par ses propriétaires Frédéric et Achille Durand de Montpellier, à Louis Serres et Compagnie, ainsi que Lichteinstein et Vialars de Montpellier, le 13 novembre 1841, pour neuf années. Ce salin était en pleine production. J.-G.-A. Lichteinstein était alors associé à Rigal. Dans le cadre de cette association des « Salins de l’Hérault », R. Rigal avait réussi à créer plusieurs compagnies qui géraient de façon « indépendante » une grande partie des Salins du Midi et notamment ceux d’Aigues-Mortes, Hyères et Villeroy mais aussi une partie des salins de l’Aude.

En 1851 ce salin produit en moyenne 3 000 tonnes de sel. Il cessera de fonctionner dans le début des années 1860.

On aperçoit encore lorsque l’on longe la route qui relie Montpellier à Palavas, parallèlement à l’ancienne voie de Chemin de fer, à hauteur du giratoire qui dessert Villeneuve lès Maguelone, les bâtiments de ce salin. Ce salin prélevait ces eaux dans l’étang du Prévôt.

Le Salin de Villeneuve-lès-Maguelone

Ce salin est situé en partie sur la partie Nord de l’étang de Vic, entre les villages de Villeneuve et de Frontignan. Ce salin existait déjà au Moyen Âge ; on ne peut aujourd’hui que difficilement le localiser. Cependant tout porte à croire, compte tenu de la topographie des lieux actuels, que l’endroit idéal pour faire sauner des marais est bien l’endroit où est situé ce salin. C’est en 1792 que Louis-Marie Blanchard, ingénieur des Ponts et Chaussées de l’arrondissement de Sète, acquiert l’ensemble des terres constituant le salin actuel, hormis le clos dit du « Vaguaran », situé sur l’étang de Vic. Il cède la moitié de ses parts à Antoine Billoin, ingénieur en chef du département.

Au cours de l’an IV de la République, nos deux propriétaires, décident de créer une société par actions, dont le nombre est fixé à cent. Un prospectus afin de rassembler les actionnaires est mis en circulation. Le prix de l’action est de 40 000 livres.

Récolte sur le salin de Villeneuve en 1904.
Fig. 4 - Récolte sur le salin de Villeneuve en 1904.

La situation géographique de ce salin constitue un avantage important, notamment la proximité du canal des étangs qui « procurera la plus grande facilité et le moins de frais possibles dans l’exploitation des sels qui en seront extraits ; on pourrait ainsi voiturer le sel jusqu’au Rhône et au canal des deux mers ». Un appontement sera créé au lieu-dit « le grand trou » près des Aréquiers, où les barques de sel prendront la direction du port de Sète par le canal des étangs. Nos deux ingénieurs englobent dans la société la construction d’ateliers de salaison dans les murs de Villeneuve, compte tenu de l’abondance des poissons et de l’activité de pêche des hommes de ce village. Ils y ont constaté que de nombreux poissons ne sont pas valorisés. Le sel est pour eux un élément complémentaire au développement de cette commune.

Les travaux de construction du salin dureront plus de trois ans. La période inflationniste obligera les entrepreneurs à revoir leur budget, au point que le 1er Floréal an IX deux nouveaux actionnaires principaux viendront s’ajouter : Pierre Leque et Jean Delmas, tous deux entrepreneurs montpelliérains. Le capital social est alors constitué de deux cents actions dont cinquante actions pour chaque protagoniste.

La surface de ce salin est de 144 hectares, dont 15 de cristallisoirs. Il a toujours appartenu à des propriétaires privés, il faisait partie avec celui de Frontignan, des seuls salins dont la Compagnie des salins du midi n’était pas propriétaires. Ce salin a rapidement était donné en fermage à la Compagnie Rigal qui détenait la Compagnie des Salins de l’Hérault. A cette compagnie est venu s’adjoindre la Compagnie Louis Serre, ensuite L.S. Nahmens qui par la suite sera le seul fermier de ces salins. En effet ce dernier réussira à prendre en fermage tous les salins de l’Hérault sauf celui de Sète. Il aura en particulier sous sa coupe les salins de Frontignan, Villeneuve et celui du Bagnas.

Par son dynamisme entrepreneurial, ce salin sera équipé dès 1901, de matériel spécifique moderne pour l’époque. Un système de broyage mécanique avec des meules en pierre puis en fonte sera mis en place et fonctionnera de façon efficace. Il en est de même pour la mise en camelle des sels, où la aussi il équipera ce salin d’un système de transporteur à bande, qui hissera le sel jusqu’au sommet de la camelle, d’où les gains de temps et de productivité.

Ce salin sera relié au réseau ferré, par un embranchement particulier situé au Mas d’Andos, qui permettra d’expédier le sel par voie ferroviaire.

On distingue sur cet en-tête de lettre d'un détaillant de sel de Montpellier de 1847, les camelles de sels couvertes de sagnes ainsi que les quatre puits à roue qui servaient à mouvoir les eaux sur le salin.
Fig. 5 - On distingue sur cet en-tête de lettre d'un détaillant de sel de Montpellier de 1847, les camelles de sels couvertes de sagnes ainsi que les quatre puits à roue qui servaient à mouvoir les eaux sur le salin.

Historique des systèmes de récolte

La récolte à la Banaste :

C’est le système utilisé depuis la nuit des temps, elle consiste à récolter le sel en constituant des petits tas de 1 mètre de hauteur maximum. Le sel une fois égoutté est chargé dans des corbeilles formées d’écorce de châtaignier, armées de branches de tamaris d’une contenance de 40 kilogrammes environ. Une fois la corbeille remplie, elle est chargée à dos d’homme qui la transporte jusqu’à la camelle de sel où elle est déversée.

La récolte à la brouette :

En 1890, c’est le système de récolte qui est utilisé le plus souvent sur les salins de l’Hérault. La récolte à la banaste, comme en témoignent beaucoup de photos de l’époque, était encore en usage en 1915 sur les salins de l’Aude. La récolte à la brouette a été abandonnée sur les salins de l’Hérault vers 1920.

La récolte sur wagonnet et voie Decauville

D’inspiration des systèmes utilisés dans les mines pour le transport des minerais, le salin de Villeneuve est doté d’un équipement de voie Decauville. C’est une méthode que l’on utilise dès la fin du XIXème siècle sur les sites industriels et particulièrement sur les chantiers miniers. Elle consiste à mettre en place des éléments de voie ferrée portable, de dimensions réduites. Un élément mesure 3 mètres de long pour une voie dont l’écartement est de 50 centimètres. La mise en place bout à bout de chaque élément est réalisé par les actions coordonnées de deux hommes.

Le travail de récolte consiste alors à charger les wagonnets constitués en rame de 25, et de contenance de 900 à 1 000 kilogrammes, simultanément. Pour cela, il y a sur le chantier autant de « leveurs » que de wagonnets. Le wagonnet est chargé en une demi-heure. La voie est alors déplacée, par une traction mécanique, pour accueillir une nouvelle tranche de récolte. Le tracteur utilisé est un « Crochat » équipé d’un moteur Baudoin.

Un très bon leveur pouvait récolter dans la journée 24 tonnes de sel en 8 heures de travail effectif.

La récolte semi-mécanique

En 1962, pour soulager le travail des hommes du sel, est mis en place un récolteur mécanique de sel. Le travail consiste alors à récolter le sel à l’aide d’un système de pelle tractée. Le sel est alors « raboté » et chargé sur la rame de wagonnets rangés en ligne sur la voie dite « Decauville ». Ce système sera utilisé jusqu’en 1964.

La récolte mécanique

Le transport du sel sera assuré par des convois de remorques de type agricole. Ces tracteurs seront utilisés sur les salins de l’Hérault jusqu’aux années 1965 où l’on passera alors à un autre système de récolte mécanique. Pour ce salin la production moyenne était de 7 000 tonnes. Elle a parfois atteint des records… en 1878 avec près de 11 000 tonnes mais aussi 2 000 tonnes en 1875.

La ligne de wagonnets est remplacée par un cortège de remorques à bascule tractée mécaniquement. Ce système de récolte sera le dernier mis en œuvre sur le salin, jusqu’en 1968. Cette année sonnera l’arrêt définitif de l’activité de production de ce salin. Il faudra attendre 1970, pour ne plus voir se détacher sur l’horizon des tables saunantes, les camelles de sel, "veilleurs attentifs" qui durant près de deux siècles par leur présence, attestaient que l’activité salinière omniprésente veillait au biotope de ces marais.

Récolte avec Decauville.
Fig. 6 - Récolte avec Decauville.

Le salin de Frontignan

Comme le salin de Villeneuve ce salin est né, à la fin du XVIIIème, fondé par l’acte social reçu par Péridier, notaire, le 23 Messidor an III (11 juillet 1795) de la République. Les statuts originaux de cette société, analogues d’ailleurs à ceux des salins de Villeneuve, ont été révisés le 2 juillet 1883 afin de les mettre en « harmonie avec les progrès du mouvement financier et individuel ».

Les fondateurs de ces salins sont, pour la majorité, des propriétaires négociants de Frontignan et de Montpellier. Leur association formera définitivement « l’entreprise des salins de Frontignan ».

Le salin est construit durant la période de crise économique. Les travaux commencent le 9 Thermidor an III. Le premier travail consiste, pour les actionnaires, en la construction de la chaussée et de la clôture du salin. Le travail commence dans un premier temps où les journées se rémunèrent 35 à 50 sols. En assignat, le louis d’or représente 700 livres mais, en peu de temps, la progression du coût des travaux rend le coût très important et « cette chaussée de 2 953 toises se termine en deux mois de travail ».

Salin de Frontignan. Le premier élévateur de sel en 1910. Il fonctionne à l'électricité.
Fig. 7 - Salin de Frontignan. Le premier élévateur de sel en 1910. Il fonctionne à l'électricité.

La construction du poste des sauniers, l’installation et la mise en place des premiers puits à roue sont réalisés durant l’an IV. Afin de mieux travailler les terrains, il est ensuite procédé au pompage des eaux stagnantes sur les surfaces afin de voir ainsi les « sols s’endurcir et se bonifier ». Durant cette période, les travaux seront faits à l’économie ; les grosses pluies de Vendémiaire (fin septembre) an IV ont détruit une grosse partie des chaussées du fait de la qualité des travaux précédents. Par la suite, un empierrement et un engazonnage ont été nécessaires.

Les diverses spéculations utiles pour garantir la première mise de fonds ne couvrent pas l’inflation, et les actionnaires sont contraints d’effectuer comme pour Villeneuve une mise additionnelle qui permettra la première récolte de sel.

Le coût global de l’acquisition des terrains et de la construction du salin est de 76 371 livres en numéraire. Au 1er Germinal de l’an V, une nouvelle assemblée générale modifie le mode de gestion de ce salin. Il est géré par trois syndics qui sont les sieurs Peridier, Guinard et Poisson La Chabeaussiere. Ce dernier est l’ancien directeur du salin de Villeroy, qui durant la période révolutionnaire a manqué à plusieurs reprises perdre la vie, essentiellement à cause des Marseillanais, qui revendiquaient la propriété du sel récolé sur ce salin.

La réalisation de ses travaux a, comme à Villeneuve, connu beaucoup d’aléas dans son déroulement. Les premiers rapports aux assemblées générales font état de la « prétention des ouvriers de Frontignan qui ont forcé le directeur à les employer et à les payer chèrement ».

Durant les premières années de l’ère libre, la gestion du salin est assurée par les trois syndics, sorte de comité de surveillance des actionnaires qui agit directement sur le directeur de l’établissement. Des observations faites le 25 Fructidor de l’an VI par le citoyen Argelies, un associé de l’entreprise, on retient que le saunier Vivarez est un ouvrier employé durant la campagne de production. Il propose, afin de ménager ses services et de s’assurer de l’exclusivité de ces derniers, de l’embaucher de façon définitive. C’est ce personnage qui sera bien plus tard l’auteur du « manuel du saunier », qui est actuellement déposé au musée de Frontignan. Ce document a le grand mérite de nous donner les méthodes de production du seul au milieu du XIXème siècle, et l’on constate que les méthodes utilisées alors, sont toujours mises en œuvre.

Ce salin couvre une surface 149 hectares pour 14 hectares de cristallisoirs. Sa production moyenne est du même ordre de grandeur que celle de Villeneuve soit 7 000 tonnes de sel par an. Ce salin est relié au réseau ferré par un embranchement particulier qui le relie à la gare de Frontignan.

Ce salin a lui aussi fermé ses portes en 1968, comme suite à l’absorption des Salins de Giraud par la Compagnie des Salins du Midi dune capacité de près de 800 000 tonnes de sel. Ce dernier dont l’origine remonte à 1856, période du début de l’industrialisation du bassin Méditerranéen, a été conçu pour répondre aux besoins grandissants de la chimie française. En effet la chimie pour mettre en œuvre ses procédés a un grand besoin de chlore. Ce chlore était obtenu par un procédé chimique puis électrochimique à partir du sel. En 1968, les besoins en chlore de la chimie sont tels que le sel marin ne suffit plus pour approvisionner le marché. Une autre ressource salée est mise au point, c’est le sel produit sous forme de saumure à partir de couches souterraines de sel. C’est la naissance de la saline de Vauvert. Le sel de Salin de Giraud au fil des ans n’aura plus son utilité, Pechiney, alors propriétaire de Salin de Giraud décide de céder cette activité salinière à la Compagnie des Salins du Midi. La Compagnie des Salins va alors trouver des marchés vers l’exportation. Les salins de l’Hérault, comme celui de Frontignan avec ses 7 000 tonnes, ne seront plus maintenus en activité, du fait de cette arrivée massive de sel sur le marché.

Ce salin, comme tous les salins « mis en sommeil » de cette période, va donc retrouver sa plénitude d’antan, et attendre peut être une nouvelle vie, le jour où l’homme considèrera que le sel marin est préférable au sel raffiné, celui qui est produit à partir de la dissolution de sel gemme à l’aide d’eau douce… la saumure ainsi obtenue est alors portée à ébullition, le sel se dépose au fond des poêles, il est ainsi récupéré…

Ce salin, comme tous les salins « mis en sommeil » de cette période, va donc retrouver sa plénitude d’antan, et attendre peut être une nouvelle vie, le jour où l’homme considèrera que le sel marin est préférable au sel raffiné, celui qui est produit à partir de la dissolution de sel gemme à l’aide d’eau douce… la saumure ainsi obtenue est alors portée à ébullition, le sel se dépose au fond des poêles, il est ainsi récupéré…

Le Salin de Villeroy (Sète)

L’histoire de ce salin a déjà fait l’objet d’une étude parue dans la revue Études Héraultaises N° 28-29, 1997-1998/pages 131-141. « Les salins de Sète ou l’esprit d’entreprise au XVIIIème siècle ».

Les salins de Villeroy. Récolte à la brouette dans les années 1910 environ.
Fig. 9 - Les salins de Villeroy. Récolte à la brouette dans les années 1910 environ.

Le Salin du Quinzième (Marseillan)

Gravure de 1845 montrant une camelle de sel couverte avec des gerbes de sagnes. (Villeneuve ou Frontignan).
Fig. 10 - Gravure de 1845 montrant une camelle de sel couverte avec des gerbes de sagnes. (Villeneuve ou Frontignan).

Ce salin a fonctionné jusqu’en 1951 où sa dernière récolte s’est élevée à 8 707 tonnes de sel. Ce salin a fonctionné depuis la fin du XIXème siècle, en même temps que le salin de Villeroy. Sa production moyenne était de l’ordre de 5 500 tonnes de sel par an. Il était alimenté par l’étang de Thau.

Sa surface de tables saunantes était de 8,5 ha et sa surface totale de travail couvrait cent hectares.

Le mode de récolte utilisé était la banaste pour faire place à la brouette et ensuite par système Decauville, par voie mobile. La caractéristique de ce salin est que durant la récolte les wagonnets étaient poussés à la main uniquement par la force humaine. Le sel récolté n’était pas lavé, il était expédié directement par l’embranchement particulier SNCF avec une capacité moyenne d’expédition de 50 tonnes par jour.

Le personnel employé sur ce salin était de 9 ouvriers permanents et durant la récolte 70 personnes étaient nécessaires.

La qualité des sols orientait le sel produit vers le marché agricole moins exigeant que le marché alimentaire.

Le Salin des Conseillers ou salin de Pérols

Il était situé à la pointe extrême Est de l’étang de Mauguio. Ce salin a été construit au milieu du XIXème siècle par des saliniers franc-comtois, afin de rivaliser avec les salins du midi de la France. Ils ont du faire preuve de beaucoup de patience pour arriver à leur fin. En effet, le site choisi par ces saliniers de l’Est de France, montre qu’ils n’avaient pas mesuré en s’installant sur les bords de l’étang de Mauguio les difficultés qu’ils allaient rencontrer pour produire du sel. C’est dire que ce salin ne produira que très peu de temps avec un sel de très mauvaise qualité. On appelle encore aujourd’hui ce salin, le Salin du « Poivre », c’est dire que la couleur de ce sel est encore restée dans la mémoire collective. De plus on l’appelle aussi le Salin des « Conseillers », tout simplement lorsque ces messieurs de Franche-Comté sont venus dans le Midi de la France pour rivaliser avec les sels du Midi, les conseillers qu’ils ont eus n’étaient pas des saliniers. Sa production moyenne ne dépassera pas 2 000 tonnes. Ce sel sera d’ailleurs uniquement expédié par voie d’eau en utilisant le canal des étangs.

Ce salin qui portait le nom de salin de Porquières, existait dès le IXème siècle comme en atteste le diplôme de Louis Le Pieux 15, du 21 octobre 837, qui confirme au monastère d’Aniane leur possession de "inter mare et stagnum". En 1174, le comte de Toulouse, Raymond V, cède aux chanoines de Maguelone la dîme du sel récolté sur ces salins. D’autres salins sont mentionnés, bordant tous l’étang de Mauguio. Tous ces salins qui semblent être implantés dès le IXe siècle, cessent de se développer entre le Xe et le XIIIe siècle. C’est pour le Languedoc une économie régionale très vivante. Durant cette période, leur mode d’exploitation varie peu. Les propriétaires sont tous des seigneurs féodaux, pour qui les salins sont des compléments de ressources domaniales. Ils sont donnés en culture moyennant une redevance annuelle à des négociants, des marchands de Montpellier, ou des gens d’affaires. Un certain Guillaume Fredol, habitant de Montpellier, prend en exploitation ces salins pour le compte des évêques de Maguelone. Les modalités d’exploitation font l’objet d’un véritable contrat entre l’exploitant et le propriétaire. Le sel sera retiré du salin, tous les quinze jours ou chaque mois, sous l’approbation du représentant de l’évêque.

La dîme du sel est perçue par le représentant avant que le sel ne sorte du salin. Le saunier ou le quartenier (muletier) en assure le transport.

Pour ce salin, nous ne disposons pas pour le XIXème siècle de documents de gestion, nous savons seulement que ce salin disposait de 2 mules, c’est dire qu’il n’existait sur ce salin qu’un seul puits à roue soit une récolte de 1 000 tonnes au maximum.

Ce salin cessera d’être exploité en 1860, date à laquelle les Salins du midi le rachèteront afin d’éviter une forme de concurrence.

Prospectus des Salins du Midi vers 1920. On ne parle pas encore de la Baleine arrivée surie marché du sel en 1936 avec B. Rabier, inspirée de la bande dessinée
Fig. 11 - Prospectus des Salins du Midi vers 1920. On ne parle pas encore de la Baleine arrivée surie marché du sel en 1936
avec B. Rabier, inspirée de la bande dessinée " Gédéon traverse l'Atlantique ".

Notes

 1.  Camelle : tas de sel pouvant atteindre jusqu’à 5 mètres de haut. Ce mot vient de Camello, qui en provençal veut dire « tas de foin » selon le « trésor du félibrige » de F. Mistral. Il existe beaucoup de termes sauniers empruntés à l’agriculture. On parle aujourd’hui encore de « gerbeuse » pour désigner l’engin qui met le sel en gerbe, par analogie là aussi avec les gerbes de blé ou de foin.

 2.  A. Dupont L’exploitation du sel sur les étangs du Languedoc (XI-XIIIème siècles) dans les Annales du Midi Janvier 1958 page 7-25.

 3.  Sorte de petites cannes des marais que l’on appelle en réalité le chaume, qui sert aujourd’hui encore pour recouvrir dans certaines régions les toits des maisons. Dans nos régions on l’appelle « la sagne ».

 4.  [Appel de note manquant] A. Dupont, Annales du Midi LXX 1958. Page 25 L’exploitation du sel sur les étangs de Languedoc du IXe au XIIIe siècle.

 5.  [Appel de note manquant] J. Le Goff, Production du sel en Méditerranée ; in Bulletin Philologique et Historique des comités des travaux historiques et scientifiques année 1958 Paris imprimerie Nationale. Page 156.

 6.  Jean de Romefort. Bulletin philologique 1958 page 170.

 7.  In Vita Hilarii, où cet évêque avait fait confectionner ces machines à son retour de mission en Afrique. Fernand Benoît in Revue des Études Ligures 1952 n°34 page 296 n° 1.

 8.  Prospectus « rétablissement des salins de Villeneuve-lès-Maguelone à 4 500 toises de Montpellier ». An IV de l’imprimerie de Fontenay-Picot.

 9.  Lettre de Basville à Desmarets du 11 janvier 1712. Archives nationales G7 317.

10. L.-J. Thomas – Notice sur l’origine de Montpellier dans Cahiers d’Histoire et d’Archéologie du Gard 1932 p. 126-134.

11. A. Leenhard, Les salins du Languedoc. Bellegarde Imprimerie Sadag 1939. Page 8 et 9.

12. L. Ménard, Histoire de Nismes Tome I Preuves page 78 textes pages 329-330.

13. Ph. de Tronjolly. Les Gabelles in Annuaire des Douanes 1896 page VIII.

14. H. Vivarès était très proche de Roch Rigal, mais aussi de L. Serres alors banquier à Montpellier. Les Vivarès sont installés sur le port de Sète, mais sont aussi gérants de salins notamment celui de Frontignan.

15. G. Boudet – La renaissance des salins du midi de la France au XIXème siècle. CSME Marseille 1993.