Description
Une famille de bourgeoisie languedocienne :
les Fromiga (XVIIIe – XXIe siècles)
*Docteur en Histoire, professeur au Lycée Clemenceau, Montpellier
La trajectoire des Fromiga est significative des tentatives d’ascension bourgeoise aux XVIIIe et XIXe siècles. Venus de l’Aude et installés à Montpellier au début du XVIIIe siècle, ils y ont connu le classique glissement de la marchandise vers la robe. Ils ont aussi mis en oeuvre une bonne stratégie matrimoniale, comme en témoignent les alliances avec les Cambis ou les Girard (anoblis sous la Restauration). Une branche cadette s’est déplacée vers Mèze et le bassin de Thau où elle s’est alliée avec la famille Bessier. Mais elle a connu des revers de fortune semblant remettre en cause son installation dans l’élite sociale. Une partie de la descendance a tenté avec succès diverses adaptations dans le sud-ouest sur la façade atlantique, une autre semble avoir migré vers les États-Unis.
Les Fromiga ont fait en outre l’acquisition de biens fonciers (aux terroirs de Lattes puis de Mèze) et ont tenté de se lancer dans l’aventure de la vigne.
Cette recherche se veut une contribution à la réflexion menée par les historiens sur l’ascension sociale et sur le lien entre généalogie et histoire.
The trajectory of the Fromiga family is a significant example of the upward mobility quest of the bourgeoisie in the XVIII and XIX cent. They came from the Aude and settled in Montpellier at the beginning of the XVIII cent., where they followed the classic shift from dealing in merchandise to the garb of office. They also implemented a very sound matrimonial strategy, as can be seen from the marriages with the Cambis or the Girard (given titles of nobility under the Restoration). A younger branch moved near to Mèze and the Thau Basin where they married into the Bessier family. But they did meet with reversals in fortune that seemed to call into question their establishment within the social elite. One part of their descendants successfully tried different directions in the south-west on the Atlantic coast area, another lineage seems to have migrated to the United States.
The Fromiga family furthermore undertook the acquisition of property (on land in Lattes and then Mèze) and attempted to begin a venture in vineyards.
This research article is a contribution to the exchange of views led by historians regarding social upward mobility and the link between genealogy and history.
La trajectòria dels Fromiga es significativa dels ensags d’ascension borgesa als sègles XVIII et XIX. Venguts d’Aude et installats a Montpelhièr a la debuta del sègle XVIII, coneguèron la classica lisada de la merça vèrs la rauba. An tanben aplicat una bona estrategia matrimoniala, coma ne fan testimoniatges las alianças amb los Cambis o los Girard (anoblits jos la Restauracion). Una branca cabdèta se mudèt vèrs Mesa et l’Estanh de Tau, ont s’aparentèt amb la familha Bessier. Mas coneguèt de malastradas que gaireben causèron la falhida de son installacion dins l’eleit sociala. Una partida de la descendéncia ensagèt, amb astre, divèrsas adaptacions dins lo Sud-Oèst sus la faciada atlantica, una autra sembla aver migrat vèrs los Estats-Units.
Los Fromiga faguèron en mai l’aquisicion de bens immòbles (dins los terradors de Lattas e de Mesa) e s’azardèron de se bandir dins l’aventura de la vinha.
Aquela recèrca se vòl èstre una contribucion a la reflexion menada pels istorians sus l’ascension sociala e sus lo ligam entre genealogia e istòria.
En Languedoc, comme dans le reste du royaume, la poussée de la bourgeoisie caractérise le dernier siècle de l’Ancien Régime ; la Révolution ne fait que la confirmer car elle permet à cette dernière de supplanter la noblesse en tant que catégorie sociale dirigeante ; le XIXème siècle est en effet celui du triomphe de la bourgeoisie, celui des bourgeois conquérants, tant au point de vue politique qu’au point de vue économique (en Languedoc s’impose la bourgeoisie viticole). Mais le modèle nobiliaire n’en reste pas moins très attractif. Bien des familles bourgeoises en ascension sont parvenues dès l’Ancien Régime au seuil du Second Ordre, d’autres – et tel est le cas des Girard, une famille apparentée aux Fromiga – ont été anoblies au XIXème siècle.
La famille Fromiga, dont la trajectoire va être ici reconstituée, participe à cette grande poussée bourgeoise, même si elle ne s’est guère élevée au-dessus de ce que l’on appelait autrefois la bonne bourgeoisie, et que l’on qualifierait aujourd’hui de moyenne bourgeoisie. Elle a connu une nette ascension au dernier siècle de l’Ancien Régime, avec le glissement classique de la marchandise vers la robe, et une solide stratégie matrimoniale. Son élan s’est poursuivi au XIXème siècle, au-delà de la Révolution pour ce qui est de la branche aînée, mais s’est partiellement et momentanément cassé, pour ce qui est de la branche cadette, témoignant des vicissitudes toujours possibles dans l’ascension bourgeoise.
Le parcours des Fromiga s’est déroulé au sein d’une aire géographique assez large : d’abord à Montpellier puis sur les rives du bassin de Thau, et enfin pour ce qui est du XXème siècle, dans le sud-ouest de la France, sur la façade atlantique, sans oublier, semble-t-il, une migration vers les Amériques.
Leur trajectoire, contrairement à celle d’autres familles languedociennes appartenant au même milieu, reste peu connue, mais mérite du fait de sa richesse de l’être davantage.
D’autre part, comme l’ont montré divers travaux d’histoire sociale ou plus précisément de généalogie sociale, le particulier exprime le général et le destin individuel est indissociable du destin collectif. La reconstitution de ce parcours familial se veut aussi, par conséquent, une contribution à la réflexion menée depuis longtemps par les historiens de la société sur la bourgeoisie et l’embourgeoisement.
Les Fromiga sont-ils, à leur niveau, représentatifs de l’évolution qui, aux XVIIIème – XIXème siècles, a vu les bourgeois devenir conquérants ?
De la marchandise à la robe
La présence des Fromiga à Montpellier est attestée depuis le début du XVIIIème siècle. En 1712, Hugues Fromiga y épouse, à Notre-Dame des Tables, Françoise Blancher. Il est le fils de Bernard Fromiga et d’Anne Varennes, du lieu de Villepinte en Lauragais, au diocèse de Saint-Papoul (165 feux en 1693, 160 en 1709), région dont leur famille est certainement originaire, Fromiga étant un ancien fief de l’abbaye de Lagrasse (un allodium de Fromiga est mentionné en 1521).
La venue des Fromiga à Montpellier3 reste largement inexpliquée, mais sans doute Hugues Fromiga n’a-t-il pas résisté à l’attrait d’une ville devenue une vraie capitale provinciale. En ces premières années du XVIIIème siècle qui sont aussi les dernières du siècle de Louis XIV, Montpellier, en effet – le temps des affrontements religieux n’étant plus qu’un lointain souvenir – recommence à avoir grande allure. Elle est une capitale politique et administrative : siège du gouverneur du Languedoc, de l’Intendant (alors M. de Basville), des Etats du Languedoc (conjointement avec Toulouse), et de prestigieuses cours souveraines : la Cour des Comptes, Aides et Finances (CCAF), et le Bureau des Finances ou des Trésoriers de France. Mais elle est aussi une capitale économique aux activités anciennes : le verdet, l’industrie textile (la fabrication des couvertures de laine), et le négoce, qui sans égaler en importance celui de la fin du Moyen-Age, fait preuve d’une certaine vitalité : la ville accueille en 1691 une bourse des marchands et en 1704 une chambre de commerce. Son université jouit d’un grand prestige : la faculté de médecine en particulier, mais sont aussi enseignés le droit, la théologie et les arts (l’architecte Antoine Giral vient d’édifier le collège des Jésuites) ; en 1706 est fondée la Société Royale des Sciences. Montpellier est à la fois une ville marchande et une ville savante.
La bourgeoisie – dans laquelle viennent s’intégrer les Fromiga – y est en plein essor, qu’il s’agisse de la bourgeoisie de fonction, les gens de robe : les Messieurs de la CCAF, mais aussi le vaste monde des hommes de loi, notaires, professions libérales… ou de la bourgeoisie d’affaires, les marchands : négociants, financiers, marchands-fabricants… Cette bourgeoisie – devenue parfois noblesse de robe – ne cesse d’étendre son emprise foncière (dans la basse plaine au terroir de Lattes en particulier). L’élévation du montant des dots témoigne de son enrichissement.
La population recommence à augmenter, et la ville s’agrandit : depuis Colbert se développent les faubourgs (notamment celui de Saint-Denis). Le paysage urbain commence à changer, à donner une plus grande place à la beauté : la reconquête catholique a permis la reconstruction des églises, en 1688 commencent les premiers terrassements pour l’aménagement de la place royale du Peyrou, l’Arc de triomphe est édifié en 1691, en 1723 l’esplanade est aménagée, et les Messieurs de la Cour des Comptes continuent à faire construire – entre cour et jardins – de magnifiques hôtels particuliers.
Le XVIIIème siècle, dit des Lumières, va être pour Montpellier, selon la maxime de Michelet, reprise par l’historien Henri Michel : « Le Grand Siècle, le XVIIIème siècle, je veux dire ».
Informations complémentaires
Année de publication | 2017 |
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Nombre de pages | 16 |
Auteur(s) | Didier PORCER |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |