Saint-Saturnin de Tourbes, une église gothique des Temps modernes ?

Saint-Saturnin de Tourbes,
une église gothique des Temps Modernes

L’église paroissiale Saint-Saturnin de Tourbes a été élevée pendant la grande période de construction consécutive à l’ère de prospérité que connut le Bas-Languedoc dans la deuxième moitié du XIIIsiècle 1. Elle incarne les innovations des modes de construction et les évolutions du goût alors en faveur. Pourtant, l’édifice fut sérieusement endommagé lors d’un raid de Huguenots en 1574 et reconstruit au XVIIsiècle.

Les étapes de la reconstruction sont particulièrement bien documentées par les rapports de visite de deux évêques de Béziers, celui de Jean de Bonsi de 1605 2 et celui de son frère et successeur Clément de Bonsi 3 de 1635. Le rapport de ce dernier est singulièrement riche puisqu’il rassemble les différentes transactions passées depuis 1605. Ces informations peuvent aussi être complétées par les pièces de procédures provenant du fonds du grand archidiacre de Saint-Nazaire de Béziers relatives à la reconstruction de l’église pour la période 1635-1642 4.

Ainsi la lecture du bâtiment peut-elle s’éclairer à la lueur des sources et l’analyse monumentale de l’église participe au renouvellement de la question de la reconstruction des églises après les guerres de Religion 5. Que recouvrent alors les interventions du XVIIe siècle ?

La construction de Saint-Saturnin de Tourbes à l’époque gothique n’est pas documentée mais l’analyse stylistique permet de la situer au XIVsiècle. La première mention de l’église Saint-Saturnin apparaît en 990 dans les archives de Béziers et elle est citée comme paroisse en 1160 6. Saint-Saturnin était un prieuré dépendant du chapitre cathédral de Béziers dont le grand archidiacre était le prieur 7. Quant à la seigneurie de Tourbes, de même que Pézenas, elle dépendait directement des Trencavel et fut cédée à Simon de Montfort en 1209 8. Après avoir été rachetées par un riche bourgeois installé à Montpellier, Raymond Salvignac, les deux seigneuries furent vendues au roi de France en 1262.

Les interventions du XIXsiècle se soldèrent par des travaux de consolidation de la maçonnerie, exécutés dans le mur sud de la nef en 1858 9, et l’installation d’une porte dans la façade occidentale, bordée de pilastres supportant un entablement, vers le milieu du siècle 10. L’église fut inscrite sur la liste supplémentaire des Monuments Historiques le 1eravril 1935. En 1950, fut menée une campagne de remise en état des maçonneries et des toitures 11.

Une église gothique

L’édifice, de 35 m de long, est composé d’une nef trapue et massive de 21 m de long sur 14 m de large et d’un chevet plus étroit, d’une largeur dans œuvre de 9 m, déployé sur 14 m de profondeur en arrière du mur diaphragme (Fig. 1). En dehors de la sacristie accolée contre les élévations nord du chevet et de la chapelle nord de la première travée, constructions modernes, le volume originel de l’église s’élargit au niveau de la dernière travée de la nef sur deux chapelles latérales. Au début du XVIIsiècle, nous savons qu’une chapelle était dédiée à la Sainte-Croix et l’autre à Saint-Michel 12.

Plan d'après le plan de masse de l'église de Tourbes
Fig. 1 - Plan d'après le plan de masse de l'église de Tourbes, 1/200e, R. Rolland, 1988.

L'édifice

L’église comprend une nef à un vaisseau de trois travées, ouvrant sur une chapelle latérale au nord et au sud de la dernière travée, et un chœur composé d’une travée droite et d’une abside à sept pans (Fig. 2). Nef, chœur et chapelles latérales sont voûtés d’ogives. Les branches d’ogives mais aussi les arcs doubleaux et formerets, sont soulignés par un tore central à listel en fort relief détaché des tores latéraux par une profonde gorge. Les tores latéraux des arcs doubleaux et des arcs diagonaux s’effilent et pénètrent la maçonnerie. Les supports des voûtes sont ainsi allégés avant de retomber sur les chapiteaux. Dans l’abside, de simples colonnettes réceptionnent par l’intermédiaire de chapiteaux les arcs diagonaux. En revanche, un ensemble plus important composé de trois colonnettes appuyées contre un dosseret reçoit la retombée des arcs doubleaux.

Vue intérieure prise en direction du chœur
Fig. 2 - Vue intérieure prise en direction du chœur.

La plus grande part de l’espace réservé à la sculpture monumentale se retrouve sur les chapiteaux. Là, se déploie un registre de feuillages sous un tailloir en tablette polygonal. Dans les chapelles latérales, les corbeilles des chapiteaux sont lisses. Un décor plus discret apparaît sur les clefs de voûte. À l’abside, le large disque de la clef est creusé en cuvette et délimité par un rebord (Fig. 3). Il est sculpté de l’Agnus Dei, porteur de la croix et de l’étendard. Sur la face latérale, les armoiries portées par un écu représentent un château de sable. La clef de la travée droite du chœur et celles des deux premières travées de la nef, présentent des armoiries peintes. Un bouquet de feuilles en occupe également le fond à la deuxième travée de la nef (Fig. 4). Dans les chapelles latérales, une couronne de feuilles aux extrémités recourbées orne la clef au nord, de même qu’à la dernière travée de la nef, alors qu’au sud, des branches de feuillages sortent de la bouche d’un masque (Fig. 5).

Clef de voûte de l'abside.
Fig. 3 - Clef de voûte de l'abside.
Clef de voûte de la deuxième travée de la nef.
Fig. 4 - Clef de voûte de la deuxième travée de la nef.
Clef de voûte de la chapelle latérale sud
Fig. 5 - Clef de voûte de la chapelle latérale sud.
Vue de l'église prise depuis le sud-est
Fig. 6 - Vue de l'église prise depuis le sud-est.

Le chevet, facetté après la travée droite par les pans tournants, est unifié par un glacis continu qui ceinture les contreforts et les murs (Fig. 6). Il relie cette partie aux contreforts des chapelles latérales de la dernière travée de la nef et ainsi la nef au chevet. La largeur de l’église a demandé un puissant système d’épaulement assuré par de profonds contreforts.

À l’intérieur, le chœur offre la singularité d’être parcouru dans la partie inférieure par un cordon reliant les supports entre eux (Fig. 2). Il répond au glacis extérieur et donne une unité à l’ensemble. Les fenêtres devaient prendre leur départ plus bas que le niveau actuel. La ligne des piédroits descend encore sur 50 cm environ, adoptant alors une hauteur plus conforme aux modèles gothiques. Le parti architectural originel devait être plus proche de l’abside vitrée que ce qui est encore visible de nos jours et le pan axial devait être ajouré. Il n’a été obturé que dans un deuxième temps. Nous savons qu’en 1635, l’évêque Clément de Bonsi commande un retable à placer au-dessus de l’autel 13.

Vue de l'église prise depuis le sud-ouest.
Fig. 7 - Vue de l'église prise depuis le sud-ouest.

Les fenêtres, composées de deux lancettes surmontées d’un oculus quadrilobé, éclairent le chœur, les chapelles latérales et l’élévation sud de la nef. L’élévation nord, elle, est obscure. Cavet et tore moulurent l’encadrement des fenêtres et s’interrompent selon le système de la pénétration. Ils procurent un fort relief au pourtour des baies. Le mur diaphragme séparant le chœur de la nef et rétrécissant ce dernier, est percé d’une rosace dont le remplage n’a pas été conservé. Une rose est ouverte dans la façade occidentale. Les douze rayons sont ceinturés d’une couronne de quadrilobes et les écoinçons ajourés permettent une plus grande diffusion de la lumière. Au sud de la façade occidentale, l’amorce du mur gouttereau et le départ des arcs nous révèlent que l’édifice était prévu pour être, pour le moins, plus long d’une travée (Fig. 7).

La sculpture monumentale des chapiteaux du XIVesiècle

Les chapiteaux de la première moitié du XIVsiècle sont encore identifiables dans la nef et à la retombée sud de l’arc d’entrée du chœur. Ils se caractérisent par un registre de motifs feuillagés sculptés sur la corbeille. Cette dernière est soulignée par un astragale, profilé par une fine moulure torique, et est couronnée d’un tailloir en tablette, saillant et octogonal. Les espèces végétales sont taillées dans la pierre avec réalisme et même une certaine préciosité dans l’indication des menus détails. Ainsi, à la retombée sud du chœur, les bouquets de feuilles de chêne jouent-ils de l’alternance des deux ramures au départ de la tige et d’une feuille en position retournée (Fig. 8). Dans la nef, dans les premier et troisième chapiteaux sud, les feuilles polylobées s’étalent sur toute la hauteur de la corbeille. Le ciseau a pu ainsi jouer du relief et des jeux de courbes et de contre-courbes des feuillages, donnant un certain rythme à un motif d’une exécution assez lourde. Le motif de la simple feuille lobée, assemblée en bouquets dans le premier chapiteau nord de la nef, ou placée à l’extrémité d’une large tige en saillie dans le deuxième chapiteau sud (Fig. 9), est d’une exécution plus soignée. Il s’apparente au motif de la feuille de liseron appréciée des sculpteurs gothiques. Le tailleur de pierre a pu ainsi égayer les motifs avec la représentation des nervures en relief.

Chapiteaux sud de l'entrée du chœur.
Fig. 8 - Chapiteaux sud de l'entrée du chœur.
Deuxièmes chapiteaux sud de la nef.
Fig. 9 - Deuxièmes chapiteaux sud de la nef.

L’analyse du bâtiment permet de mieux cerner la période de construction de l’édifice gothique. Les chapiteaux traités en tablettes sont sculptés de motifs feuillagés et les tores des arcs diagonaux et doubleaux se rassemblent par trois au-dessus du chapiteau, dégagés les uns des autres par une large gorge. Le tore central est à listel et les tores latéraux retombent par le système de la pénétration. Le répertoire ornemental, le système de pénétration et le profil des moulures permettent de proposer une datation de la première moitié du XIVsiècle pour la construction, époque à laquelle l’artifice de maçon qu’est le système de la pénétration se diffuse progressivement à partir des grands chantiers des cathédrales, comme celle de Narbonne par exemple, dans des édifices de moindre importance comme la collégiale de Capestang, située dans l’Hérault, ou l’église abbatiale de Valmagne.

Les différentes étapes de la reconstruction de l'église au XVIIesiècle

Un village touché par les guerres de Religion

En 1574, les Huguenots, « ceux de la Religion préthenduerefformée », prirent le village de Tourbes, pillèrent et saccagèrent l’église paroissiale 14. Les sources rapportent que l’église avait alors été « ruynée et desmolye la plus grande partie ». Lors de la visite du cardinal de Bonsi en 1605 15, il est précisé qu’une partie a été recouverte mais qu’elle n’est pas suffisante pour recevoir l’office divin. Ce dernier est célébré dans la chapelle des Pénitents Blancs, et ceci depuis 1574. En 1635, il l’était encore dans la même chapelle.

En 1605, Jean de Bonsi demanda de reconstruire l’église sur toute la longueur. La décision fut suivie d’un long procès entre les consuls et les habitants, et le grand archidiacre de la cathédrale de Béziers qui était aussi le prieur, à propos de la prise en charge des travaux. Il se prolongea sur une période de vingt ans. C’est par une transaction de l’évêque du 13 mai 1624 qu’une solution fut trouvée pour mener à bien la reconstruction de l’église. Dans le projet primitif, il était envisagé que l’église puisse être agrandie. Il était encore d’actualité en 1629 mais il ne fut pas mené à terme en raison des ravages causés par la peste qui emporta cette année-là 400 habitants 16.

Les conditions de la transaction de 1624

Depuis un contrat de l’année 1476, le prieur était dégagé des réparations à faire à l’église en contrepartie d’une somme de vingt livres annuelles versée à la fabrique 17. Il ne voulait donc pas subvenir aux frais de la reconstruction de l’église. Afin de pouvoir couvrir l’ensemble des dépenses, le cardinal de Bonsi proposa d’ajouter les recettes de la vente des reliques et d’autres biens aliénés par les consuls tels que les cloches. Ceci ne fut pourtant pas suffisant. Aucune suite n’ayant été donnée, l’affaire fut portée devant la cour du Parlement de Toulouse. La sentence du Parlement obligea l’archidiacre à subvenir aux travaux. Pour ce faire, le sixième des biens aliénés par les consuls devait être mis entre les mains de ce dernier pour pourvoir aux réparations qui devaient être exécutées dans un délai de deux années.

Toutefois l’arrêt ne fut pas suivi. Le conseil général se rapprocha alors des habitants pour que la communauté subvienne aux dépenses et mette fin au procès. Il fut décidé que les habitants et taillables contribueraient pour les deux tiers, le prieur, le grand archidiacre Gabriel de Faure, pour un tiers 18. Le prieur devait renoncer à ses revenus sur le champ appelé « l’œuvre », racheté alors par les habitants et qui demeura affecté à la fabrique pour les réparations, mais aussi à la restitution des revenus provenant de la vente des reliques et des cloches. Les parties devaient payer 1 500 livres par an à l’entrepreneur, 500 pour le prieur et 1 000 pour les consuls.

Les modalités de paiement étant définies, il importait d’arrêter celles de la reconstruction. Il était ainsi précisé que « l’église paroissiale Saint-Saturnin sera relevée et rebâtie de neuf sur les vieux fondements d’icelle, en mesme ordre, haulteur, largeur et épaisseur des murailles à pierre et à chaux, qu’elle était anciennement avec son clocher et couvert, de portes, serrures et vitres en meme estat qu’elle était auparavant la ruyne et demolition d’icelle ». Les matériaux présents sur le site pouvaient être réutilisés, « les vieux matteriaux tant de bons pierres, tuiles et ferremens quy se trouvaient en ce qui reste de present en lad. Eglise, fourniront respectivement à la décharge des parties par le prix faict ». Une somme correspondant à deux années de travaux fut alors fixée à 3 000 livres.

Prix-fait et lenteurs de la reconstruction de l'église

Le prix-fait fut délivré le 18 mai 1626 à Pierre Crouzals, maître-maçon et habitant de Béziers, pour la somme de 10 300 livres 19. Le chantier commença en 1629, année pendant laquelle la peste fit rage et emporta 400 habitants 20. Il fut donc interrompu pendant une année. Le maître d’œuvre se tourna vers les consuls pour le paiement de son travail mais n’obtint pas de résultat. Le chantier fut arrêté et ne redémarra pas malgré les nombreuses transactions. Les affaires ne furent relancées qu’en 1631, après que le grand archidiacre eut exigé la reprise des travaux le 10 août 1631 21. Il réclama que les consuls déchargeassent le maître-maçon de quelques travaux n’étant pas de première nécessité tels que le « pavement de la nef » et « quelques autres choses ».

Le chantier fut donc rouvert et les travaux étaient bien engagés en 1635 puisque le chœur était alors voûté, ainsi que les deux dernières travées de la nef. Il ne restait que la travée occidentale à couvrir. Il était alors précisé que la rente du prieuré était de 1 450 livres. Le 19 Janvier 1637, le prieur Jean de Moussac régla au « maître entrepreneur » la quittance de 766 livres 13 sous et 4 deniers, les consuls ne soldant à ce terme que 321 livres 22. Avec la quittance des 321 livres, la vérification de tous les comptes fut effectuée le 13 juin 1639 23. 60 livres furent réglées au maître vitrier, 110 livres au maître-maçon, 108 livres au maître tuilier pour la quantité de 600 tuiles, 28 livres au maçon, 7 livres pour la porte et 1 livre pour quelques charrois. L’église était alors bien couverte, vitrée et fermée par une porte.

Une église gothique des Temps modernes ?

L’église du XIVsiècle s’était effondrée et il fallait la reconstruire. Les sources parlent de « recouvrement » à effectuer à l’église et précisent qu’elle « sera relevée et rebâtie de neuf sur les vieux fondements d’icelle, en mesme ordre, haulteur, largeur et épaisseur des murailles à pierre et àchaux ». La réédification à l’identique a été le principe adopté avec le remploi de matériaux qui n’ont, semble-t-il, été que peu endommagés. « Les vieux matteriaux tant de bons pierres, thuiles et ferremens quy se trouvaient en ce qui reste de present en la dite eglise, fourniront respectivement à la décharge des parties par le prix faict ». Le contexte de la reconstruction était difficile et le parti adopté a été le plus économique.

Dans le chœur, il apparaît clairement que les voûtes ont été remontées et que les chapiteaux ne sont pas, en grande partie, du XIVsiècle. Les fenêtres à deux lancettes du XIVsiècle ont été raccourcies et ont été obturées dans la partie inférieure. L’étude détaillée de la sculpture des chapiteaux permet de mesurer l’intervention du XVIIsiècle. Tous les chapiteaux de l’abside sont des productions de cette période.

Les trois chapiteaux recevant la retombée de l’arc doubleau de l’abside et des arcs diagonaux, au sud et au nord, sont établis sur le même modèle (Fig. 10). La corbeille, soulignée par un astragale, est délimitée au registre inférieur et supérieur par une baguette. Elle suit un profil concave et est dénuée de tout ornement. Un tailloir saillant à frise d’oves couronne l’ensemble. La sculpture monumentale s’inscrit néanmoins dans le prolongement de la période gothique. Le tailloir est traité en tablette et s’il ne suit pas un tracé octogonal, il est polygonal, à trois pans pour la retombée centrale ou en pointe pour les latérales.

Premiers chapiteaux nord de l'abside.
Fig. 10 - Premiers chapiteaux nord de l'abside.
Deuxième chapiteau nord de l'abside
Fig. 11 - Deuxième chapiteau nord de l'abside.

Les chapiteaux des arcs diagonaux se caractérisent par une variété de décors qui peut être répertoriée en trois catégories. La première est une variante de celle des arcs doubleaux. Une frise d’oves couronne la corbeille ronde et lisse du deuxième chapiteau nord 24 (Fig. 11), sous un épais tailloir épannelé, ou intégrée au tailloir du premier chapiteau sud, terminé par une volute aux angles. Le motif de la volute est employé dans le deuxième chapiteau sud et le troisième nord. Il supporte l’avancée latérale en pointe du tailloir. Des bouquets feuillagés sont sculptés sur la corbeille.

Enfin, des motifs gras et empâtés sont dégagés en relief de la corbeille du troisième chapiteau sud et du premier chapiteau nord. Ils sont associés à un tailloir composé de plusieurs tablettes pentagonales. Tailloir et motifs s’inscrivent dans la continuité du répertoire floral gothique en adoptant un parti ornemental proche, bien qu’appauvri. Ce décor apparaît aussi sur les chapiteaux de l’entrée du chœur, à la retombée nord de l’arc doubleau et des diagonaux, et dans la nef, aux deuxième et troisième chapiteaux nord (Fig. 12).

Deuxièmes chapiteaux nord de la nef.
Fig. 12 - Deuxièmes chapiteaux nord de la nef.
Clef de voûte de la première travée de la nef
Fig. 13 - Clef de voûte de la première travée de la nef.

Si les voûtes s’effondrèrent en 1574, elles furent réédifiées sur le modèle existant et probablement en remployant une part importante du matériel lapidaire in situ. Les interventions les plus marquées sont identifiables dans le chœur, sur tous les chapiteaux de l’abside, alors que dans la nef la conservation des chapiteaux gothiques a été plus importante. Ils se trouvent à l’entrée du chœur, au sud, et dans la nef, sur toutes les retombées sud et dans la première au nord. Peut-on en déduire qu’une partie de l’élévation sud est restée en place jusqu’au niveau des chapiteaux ? D’autre part, la réédification à l’identique s’est effectuée tant que le matériel lithique a pu être remployé. Lorsqu’il a fallu tailler de nouveaux chapiteaux, les tailleurs de pierre le firent au goût du temps, celui du XVIIe siècle. Il en est de même pour la clef de voûte de la première travée de la nef. Cet espace n’était pas encore couvert en 1635 et la clef est sculptée d’un blason couronné d’un heaume aux plumes retombant de chaque côté (Fig. 13), normes de représentation employées à cette époque. Lors de cette campagne, l’église a aussi bénéficié de nouveaux aménagements : une ample sacristie de deux travées au nord du chœur 25.

Les guerres de Religion n’ont pas provoqué de ravages uniquement à Tourbes et les campagnes de reconstruction des églises dans la moyenne vallée de l’Hérault se sont bien souvent prolongées au cours du XVIIe siècle. Les Huguenots s’emparèrent de Lodève en 1573 26. Les voûtes de la nef de la cathédrale, détruites, furent remontées en 1634 sur le modèle de celles du chœur et les chapiteaux reçurent de simples moulures pour seul décor 27. C’est aussi probablement à l’identique que furent réédifiées les voûtes de l’église proche de Saint-Pargoire 28. La date de 1610 est, en effet, gravée sur la clef de voûte de la dernière travée de la nef. Ici, la réfection de l’église est intervenue assez rapidement et ne provoqua pas de longues transactions. En effet, le rapport de visite de l’église par l’évêque Clément de Bonsi en 1635 précisait que la nef était bien voûtée 29.

Ainsi, l’église paroissiale Saint-Saturnin de Tourbes est-elle un édifice intéressant à double titre. D’une part, elle incarne les recherches architecturales menées dans la première moitié du XIVe siècle, époque à laquelle la composition d’un édifice harmonieux répond à des rapports de proportions équilibrés. La largeur de la nef et la profondeur du chœur correspondent aux deux-tiers de la longueur de la nef. L’adoption de la nef à vaisseau unique, dont la dernière travée s’élargit de part et d’autre sur une chapelle latérale, le chevet heptagonal toujours plus étroit, l’ouverture à la lumière à l’est et au sud, la présence du cordon intérieur et du glacis extérieur qui réunissent les différentes parties de l’édifice, sont autant d’éléments qui caractérisent les églises de cette première moitié du XIVe siècle et qui se retrouvent pour partie dans bien d’autres édifices des diocèses de Béziers et d’Agde mais aussi de la moyenne vallée de l’Hérault.

De l’église détruite par les raids des guerres de Religion, bien des parties ont été réédifiées à l’identique dans la première moitié du XVIIe siècle au cours d’un chantier qui n’en finit pas de s’étirer. Voûtes, retombées et une part importante des clefs de voûte et des chapiteaux ont été conservées et scrupuleusement remontées. Les profils gothiques habituels de cette période, tores, tores à listel, gorges et retombées par le système de la pénétration en sont autant de preuves, de même que la plus grande part des fenêtres et de leurs remplages. Pourtant, un nombre important de chapiteaux a été taillé lors de cette campagne, onze au total ainsi que probablement deux clefs de voûte. S’ils sont empreints du style propre à leur époque, ils n’en demeurent pas moins intégrés au programme général et ne forment pas de véritable rupture. Dès que l’église fut couverte, le chantier s’arrêta au plus tôt. Le couvrement du clocher resta inachevé et l’église ne fut pas pourvue de porte digne de ce nom ou de portail.

Notes

1. Si les sources ne permettent pas de dater la construction de l’église gothique, l’analyse stylistique du bâtiment peut proposer une période située dans la première moitié du XIV siècle. Cf un chapitre consacré à l’église dans Adeline BÉA, L’art gothique en Bas-Languedoc : l’affirmation d’une architecture régionale (XIIIe-XVesiècles). Thèse nouveau Régime, sous la direction de Mme Michèle Pradalier-Schlumberger, Université de Toulouse-Le Mirail, 2001, p. 158-163. L’église avait fait l’objet de notices succinctes É. SABATIER, Études et notes archéologiques sur les châteaux et églises de l’ancien diocèse de Béziers, Béziers, Éd. Carrière, 1856, p. 38-39 ; Émile BONNET, Antiquités et monuments du département de l’Hérault, Montpellier, Éd. Ricard, 1905, p. 712. La notice de F. Robin s’était attachée aux caractères stylistiques de l’édifice gothique, Françoise ROBIN, « Tourbes, église paroissiale Saint-Saturnin », Midi gothique, de Béziers à Avignon. Coll. Les Monuments de la France gothique, Éd. Picard, 1999, p. 357-360.

2. Archives Communales de Béziers (dorénavant A.C.B.). GG, 1599-1605, Registre des visites pastorales, visite du cardinal de Bonsi de l’église paroissiale de Tourbes le 20 septembre 1605, f° 11 et 12.

3. A.C.B., GG, Registre des visites pastorales, visite de Mgr Clément de Bonsi de l’église paroissiale de Tourbes le 20 septembre 1635. Registre retranscrit par le chanoine Segondy, Bibliothèque Municipale de Montpellier (B.M.M.), Ms 452 (I-II), Chanoine SEGONDY, Visites pastorales de Mgr Clément de Bonsi.Béziers, f0 534.

4. Archives Départementales de l’Hérault (A.D.H.), G 527, Tourbes, prieuré du grand archidiacre. Pièces de procédure entre Jean de Moussac, grand archidiacre de Saint-Nazaire et prieur de Tourbes, Me François Louis de Saint-Simon frère de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et capitaine d’une compagnie des gardes du roi, et Me Simon Azémas prieur de Notre-Dame de Fraisse, en vue de contribuer à la bâtisse de l’église de Tourbes, 1635-1642.

5. Pour des informations complémentaires sur cette période, consulter Hélène ROUSTEAU-CHAMBON, Le gothique des Temps modernes : architecture religieuse en milieu urbain, Éd. Picard, 2003, 327 p.

6. F.R. HAMLIN, Les noms de lieux du département de l’Hérault. Nouveau dictionnaire topographique et étymologique, Poussan, Éd. A. Cabrol, 1983, p. 390. Parrochia de Torreves, 1160 Prioris de Torreves, 1297.

7. B.M.M., Ms 452, f° 521. « Le prieuré est uny de temps immémorial au grand archidiacre, quy en tire la rente ».

8. Jean NOUGARET, Pézenas, Hérault, coll. Images du Patrimoine, 180, Montpellier, Association pour la connaissance du patrimoine en Languedoc-Roussillon, 1998, p. 6.

9. A.D.H., 2 O 311/7, Affaires communales. Tourbes, église paroissiale (1810-1935). Devis des réparations urgentes à faire à l’église de Tourbes, réparations, architecte J. Montgaillard, 8 novembre 1858.

10. É. Sabatier précisait dans sa notice sur Tourbes, écrite en 1856, « que ce n’est que depuis peu de temps (vers le milieu du XIXesiècle) qu’il y a été pratiqué une porte ». É. SABATIER, Études et notes archéologiques sur les châteaux et églises de l’ancien diocèse de Béziers, Béziers, Éd. Carrière, 1856, p. 38.

11. Archives de la Commission des Monuments Historiques, dossier 998. Tourbes, Église Saint-Saturnin (1907-1950).

12. A.M.B., GG, 1599-1605, f° 12.

13. B.M.M., Ms 452 I-II, f° 524.

14. A.C.B., GG, 1599-1605, f° 12. La visite de 1605 précise bien que l’église fut abattue. B.M.M., Ms 452, f° 534. Dans la transaction du 13 mai 1624, il est donné tous ces détails.

15. A.C.B., GG, 1599-1605,f° 12.

16. B.M.M., Ms 452, f° 520 v°.

17. B.M.M., Ms 452, f° 524 v°.

18. B.M.M., Ms 452, f° 535 et 536.

19. B.M.M., Ms 452, f° 520 v°.

20. B.M.M., Ms 452, f° 520 v°.

21. B.M.M., Ms 452, f° 520 v°.

22. A.D.H., G 527, 13 mai 1637.

23. A.D.H., G 527, Vérification de tous les comptes et sommes payées à Me Crouzals du prix fait du bâtiment de l’église de Tourbes faite entre Me de Moussac grand archidiacre et les consuls et députés de Tourbes, 1639.

24. La numérotation des chapiteaux sud et nord de l’abside est établie de l’ouest vers l’est.

25. B.M.M., Ms 452, f° 520, « il y a une sacristie belle et grande pour les prêtres… ».

26. Cf. la présentation générale de F. Robin, Françoise ROBIN, Midi gothique op. cit., p. 28-29.

27. Cf. le détail du prix-fait passé avec le maître-maçon de Pézenas Charles Viguier. Françoise ROBIN, Midi gothique op. cit., p. 302 et Ernest MARTIN, Histoire de la ville de Lodève depuis ses origines Jusqu’à la Révolution, Montpellier, 1903, Rééd. Marseille, 1979, 3 vol.

28. Cf. Adeline BÉA, L’art gothique op. cit., catalogue, p. 316.

29. B.M.M., Ms 452, f° 175 V°.