Saint-André-de-Sangonis et le mal contagieux de 1720
Saint-André-de-Sangonis et le « mal contagieux » de 1720
*Conservateur en chef du patrimoine (er)
P. 81 à 88
Le dépouillement d’un dossier des archives du village de Saint-André-de-Sangonis (haute vallée de l’Hérault) consacré à la menace de peste de 1721-1722 après l’épidémie marseillaise montre quelles mesures sont mises en œuvre. Il indique les fermes privations de libertés décidées pour éviter l’épidémie menaçante. Elle n’atteindra finalement pas cette zone. Le croisement avec d’autres sources d’archives permettra certainement d’affiner encore l’approche, en particulier sur le plan économique.
The research of an archive file in the village of Saint-André-de-Sangonis, (Haute Vallée de l’Hérault), that dealt with the threat of plague in 1721-1722 after the Marseille epidemic, showed what measures were being implemented. It indicates a decision of a firm lack of freedom to avoid the threatening epidemic. Ultimately the epidemic did not reach this area. Cross referencing with other archival sources will certainly further clarify the research, particularly in economic terms.
Lo despolhament d’un dorsièr dels archius del vilatge de Sant Andriu de Sangònis (nauta valada d’Erau) consacrat a la menaça de la pèsta de 1721-1722 aprèp la reba marselhesa mòstra quinas mesuras son mesas en òbra. Indica las fèrmas privacions de libertat decididas per defugir la marrana menaçaira. En finala arribarà pas dins aquel airal. Lo crosament amb d’autras sorsas d’archius permetrà saique d’afinar encara l’apròcha, en particular sul plan economic.
Le cadre d’une enquête plus large dans les archives communales de St-André-de-Sangonis nous a amené à examiner le dossier répertorié « Peste de 1720 ». La mission des archives départementales en 2003 (complété en 2018) a entrepris de classer ces documents conservés dans les locaux de la mairie de la ville.
Le dossier « peste » est classé sous la cote GG11, il comprend au total moins de 50 pièces d’intérêt très inégal. Saluons le travail des collaborateurs des archives départementales qui avec cet inventaire sommaire, ont rendu ces documents utilisables.
Le dossier des « délibérations consulaires » complète le précédent. Il est conservé aux archives de la commune mais présente l’avantage d’avoir été numérisé par les archives départementales. Le volume qui nous intéresse ici est en accès libre sous la cote Saint-André-de-Sangonis. 34PUB7, il s’agit d’un volume relié qui couvre la période 1701-1726, numéroté de 1 à 473, numérisé en 2012 et dont l’ancienne référence était BB4 1.
Nous allons d’abord rappeler les conditions de propagation de cette épidémie partie de Marseille en 1720 et, après avoir présenté sommairement le village de Saint-André-de-Sangonis, nous verrons les conséquences du « mal contagieux » pour les habitants.
1 La peste de Marseille, dernière grande épidémie de peste en occident
Nous ne reviendrons pas ici en détail sur la naissance et les diverses péripéties du mal. Sur ce sujet la bibliographie et les informations de ce numéro d’« Études Héraultaises » 2 complètent nos données.
Rappelons seulement qu’un navire marseillais, le « Grand Saint-Antoine » de retour d’un commerce avec des ports de méditerranée orientale, voit huit de ses occupants mourir subitement. Le bateau arrive en rade de Marseille le 25 mai 1720 nanti d’une cargaison très importante, en particulier d’étoffes, à écouler à la foire de Beaucaire. Devant la menace le navire et ses occupants sont mis en quarantaine. Pour diverses raisons, dont peut-être les intérêts financiers que le premier échevin de la ville a dans la cargaison, cette quarantaine a été incomplète et mal sécurisée. Dès la mi-juin, des passagers sont autorisés à sortir et le 20 juin c’est probablement le premier décès de peste dans la ville. Il sera suivi de nombreux autres dès la fin du mois de juillet 1720.
L’épidémie progresse rapidement en foyers. Dès fin juillet, la maladie est hors de Marseille, elle atteint Aix et le Luberon. En août, c’est au tour de la Haute Provence et de divers villages autour de Marseille d’être touchés. À la fin de l’année, Arles ou Tarascon sont atteints, puis la maladie diffuse dans la Lozère actuelle, le Gévaudan.
La Provence orientale est également concernée début 1721 (Toulon, Ollioules, La Valette, etc.). À l’été 1721, la maladie frappe Avignon et le Comtat Venaissin comme la principauté d’Orange, alors qu’elle tend à disparaître à Marseille.
L’avancée est timide d’abord dans le Gévaudan et les Cévennes à partir de novembre 1720. La réaction des autorités centrales du Languedoc paraît tarder à venir alors que la première ligne de blocus le long du Rhône a été franchie. Ce n’est qu’en août 1721, au plus fort d’une deuxième vague, qu’un blocus sévère et armé est organisé autour du Gévaudan 3. La limite sud en est assurée par le Tarn, axe relativement aisé à garder et surveiller, ce qui est moins le cas ailleurs. Dès septembre 1721, l’emprise devient plus large. Elle est proche de Saint-André-de-Sangonis (moins de 40 km à vol d’oiseau) puisque à la hauteur de la rivière Arre, sur un axe est-ouest Le Vigan/St Hyppolite dans l’actuel département du Gard. Dans le Languedoc on peut considérer que l’épidémie a disparu à l’automne 1722.
Le danger est donc aux portes du centre-Hérault et cette proximité est un facteur de risque. Celui-ci provient des déplacements de population et ce malgré une répression terrible : on fusille, pend ou casse la tête, sans hésiter à qui franchit les limites du blocus et les lignes de défense. L’Hérault actuel, les diocèses de Montpellier, Béziers et Lodève, ne seront finalement pas atteints. Les mesures, quoique tardives 4, mises en œuvre sous l’autorité du Duc de Roquelaure, gouverneur du Languedoc et de Louis Bernage, Intendant, ont démontré leur efficacité 5.
2. Saint-André au début du XVIIIe siècle
Une occupation des lieux est mentionnée (villa) dès le XIIe siècle comme dépendance monastique avec une église paroissiale. Il existe un château épiscopal plus tardivement au XIIIe siècle, époque où St André est cité comme castrum 6. L’enceinte de la fin du XIIIe/début du XIVe siècle est encore aujourd’hui bien visible dans le parcellaire, quoique en grand partie détruite, entourée de fossés d’une douzaine de mètres de large. Les destructions les plus importantes sont traditionnellement attribuées aux « troubles de religion » du XVIe siècle. Le château contrôlait la route de Montpellier à Lodève et le passage sur l’Hérault par un bac face au castrum de Gignac. La rue de Gignac (aujourd’hui de la République) en suit le tracé. La route royale de Montpellier à Lodève et la construction d’un pont sur l’Hérault à la fin du XVIIIe siècle évite le centre ancien mais favorise le développement de faubourgs dont l’extension a commencé assez tôt, comme le montrent divers indices 7.
Saint-André au début du XVIIIe est un village de plaine à 32 kilomètres de Montpellier, d’environ 2 000 hectares dans la moyenne vallée de l’Hérault réparti entre la Lergue à l’ouest et le fleuve Hérault à l’est dans un terroir aux multiples sources et propice à l’agriculture. La plus grande part du terrain est exploitée pour la production de céréales indispensables aux animaux et la nourriture des hommes. La rentabilité en est faible (4 pour 1). Le vignoble couvre de belles étendues et environ 41 % du terroir en 1732 pour une production annuelle moyenne de moins de 8 000 hectolitres. Oliviers, amandiers, souvent complantés avec la vigne et de nombreux potagers aux alentours immédiats, dessinent le paysage.
Selon un dénombrement du subdélégué en 1761, le village compte 1 359 âmes. 380 feux sont dénombrés lors de la convocation des États généraux en 1789, soit une légère augmentation. Il comprend deux paroisses Saint-André et à l’écart vers la Lergue, la paroisse de Cambous. Le village de Saint-André relève du diocèse civil de Lodève. L’évêque-comte en est le seigneur. Le subdélégué qui réside à Lodève est tout à la fois représentant de l’Intendant et viguier du prélat, c’est l’interlocuteur direct du village. Il s’agit en cette période d’épidémie des années 1720-1722 de monsieur de Mongenel et plus tard, Bonnafous lui succédera. L’évêque de Lodève depuis 1692 est Jean-Antoine Phelypeaux et le restera jusqu’en 1732. Saint-André est donc un village assez banal dans le paysage du grand Lodévois. Il se remarque toutefois par les qualités agricoles de son territoire et sa position de contrôle d’un passage de L’Hérault situé sur l’axe de Montpellier à Lodève, qui a déterminé cette implantation.
3. La maladie est dans le Gévaudan, le village s’organise
Les inquiétudes
Le 10 janvier 1721 8, la maladie est dans le Gévaudan depuis l’automne mais il n’y a rien d’alarmant encore, on s’interroge. Pastourel premier consul de Saint-André, s’adresse aux « conseillers politiques ». La communauté s’inquiète car des précautions ont été prises en divers lieux de la province. « Nous sommes entièrement dépourvus de grains ? déclare Pastourel ? et si la maladie arrive il serait nécessaire d’y pourvoir. Comment nourrir la population ? La communauté n’a d’autres solutions que d’en acheter. Elle voit grand et se propose d’acquérir 200 setiers pour l’importante somme de 1 500 livres. Comment faire ? elle n’a pas l’argent nécessaire. Il faut demander à l’Intendant de la province la possibilité d’emprunter. On ne sait si la demande a été effectivement faite ou exprime seulement l’inquiétude naissante des habitants. La documentation disponible ne révèle rien sur les suites données à cette proposition. Naissent également des inquiétudes sur le prix de la viande. Elles s’exprimeront plus vigoureusement en juin 1721 alors que le tenancier de la ferme de boucherie disparait et ne semble pas tenir les engagements de son bail. C’est à cette occasion que le mot « peste », mot tabou, est ouvertement prononcé « et que pour la susdite peste qu’il pourrait y avoir ». Il s’agit de mieux alerter sur la dangerosité de ce qui n’était jusque-là que le « mal contagieux » 9.
Mais que se passe-t-il alors que l’on annonce que la maladie n’est pas très lointaine, comment se préparer à son éventuelle arrivée, comment la combattre ? On ne connait alors pas de remèdes, le bacille responsable ne sera mis en évidence qu’à la fin du XIXe siècle. Le mécanisme de la peste en ce début du XVIIIe siècle demeure effrayant. L’observation a permis cependant d’arriver à certains constats. Si du côté de Montpellier les médecins de l’université pensent que le mal n’est pas contagieux, du côté de Marseille on a bien vu que la manipulation d’étoffes du « Grand St Antoine » a été suivie d’une poussée de peste. La méfiance vis-à-vis des étoffes et de leur contact est de règle sans en expliquer le phénomène (rôle de la puce du rat). Les médecins constatent que les gens isolés risquent beaucoup moins d’être contaminés et la théorie la plus fréquente veut que la maladie soit véhiculée par l’air. Air vicié ? d’où les parfums divers ? et contacts sont à éviter, c’est ce qui explique les mesures demandées par les autorités de la province de Languedoc. La maladie est dans le Gévaudan. Il convient de prendre garde aux étoffes qui en proviennent et « d’en faire exclusion » 10. L’Intendant demande des comptes et son subdélégué lodévois y veille. Mais bien d’autres interdits vont contraindre la population.
Les barrières et les interdits
En juin 1721, Pierre Favier 11 devenu premier consul depuis avril, rapporte devant les conseillers les instructions reçues du Duc de Roquelaure. Personne ne songe à les discuter. Sans doute la peur terrible que provoque cette maladie suffit-elle à faire taire les éventuelles critiques. Roquelaure ordonne de faire fermer le village et de le faire garder car dit-il : « nous sommes menacés de la contagion ». Il demande que le conseil général de la commune prenne les décisions en correspondance et fasse établir des barrières de protection. Mais on ne fermera complètement qu’après la moisson qui se profile. Il faudra réaliser des fossés de dix pieds de large et autant de hauteur, les trois ouvertures du village seront fermées de barrières qu’il importe de construire sans tarder. A chacune d’entre elles, quatre gardes et un commandant seront placés pour empêcher tout accès sans les autorisations. C’est aux habitants de s’organiser pour tenir la garde à tour de rôle. Le dossier conserve une lettre du même duc de Roquelaure adressée au Consul. « J’ai reçu, dira-t-il en substance plus tard en août 1721, une plainte de M. Boussinesq qui est systématiquement affecté comme caporal à la garde alors qu’il a toujours été officier ». Il est demandé de veiller à le réintégrer dans ses droits ce qui ne sera pas effectif ? du moins l’imagine-t-on ? qu’après un deuxième rappel du gouverneur. Que se cache-t-il derrière cette rétrogradation 12 ? Les autorités de la province entendent bien que chaque habitant participe à la garde et être informées en cas de difficulté 13. (Fig. 1)
Chaque année, 60 à 80 hommes du village vont se louer, en particulier du côté d’Agde, pour les travaux des champs dont la moisson 14. Ils ne pourront pas partir cette année car il est décidé qu’aucun billet de santé ne sera délivré aux habitants. Les travailleurs moissonneurs qui se sont rendus depuis Arles en Camargue y ont propagé l’épidémie, inutile de renouveler la malheureuse expérience 15. Pour construire les barrières, ces travailleurs sont sollicités mais ils prétendent ne pas pouvoir exécuter les travaux déclarant que ceux auxquels ils sont liés par contrat « veulent leur faire des frais » pour les obliger à tenir leur engagement. On peut imaginer qu’il s’agit là d’une surenchère pour tenter de faire monter l’offre. « Il est bien juste que la communauté soit préférée aux étrangers principalement cette année dont on ne voit aucun travailleur étranger » 16, déclare le conseil de la communauté ne mesurant pas la contradiction que contient sa remarque, soucieux du soutien aux saint-andréens.
Immédiatement, la communauté prend conscience des frais à engager et s’accorde pour solliciter l’autorisation d’emprunter la somme de 150 livres. Celle-ci sera finalement accordée le 29 juin 1721 et l’emprunt effectué auprès du Recteur des pauvres du village. Le dossier d’archives en livre le bilan comptable 17.
À partir de septembre 1721, les choses s’accélèrent 18. Durant le mois d’août, plusieurs ordonnances du duc ont précisé les ordres. Le 3, l’ordonnance détaille les mesures à prendre, le 17, c’est l’interdiction de commercer avec le Gévaudan ou la maladie existe, le 25 elle porte sur la garde à assurer, le 30 sur les étoffes du pays de Languedoc et la façon de les gérer. Fin 1721 ce sera le temps du blocus du Languedoc 19. Mais il existe également des mesures plus générales comme l’obligation du certificat de santé pour circuler. Il atteste la bonne santé du titulaire ou du moins qu’il n’a pas fréquenté de zones à risques. Très vite les foires de la province comme celle du Caylar, non loin de Saint-André 20, seront interdites du fait des rassemblements qu’elles provoquent. Pour obéir et mettre en œuvre ces décisions, les conseillers de Saint-André décident de ne laisser subsister que deux ouvertures d’accès au village, l’une sur le chemin de Gignac, l’autre sur la route de Clermont. À chacun de ces passages, trois soldats et un caporal veilleront et ne pourront quitter leur poste qu’à 9 h du soir les portes fermées, pour reprendre du service à 5 h le matin. Les clés seront déposées chez le 1er Consul. Un officier de santé décidera avec le premier consul des ouvertures des portes. Pour plus de sureté, aux endroits mal sécurisés, les maisons seront fermées « (celles) qui aboutiront à la campagne seront cramponnées » 21. Les consuls sont chargés de tout organiser, de voir quels matériaux se procurer, comment organiser le transport etc. Ces travaux ne sont pas mis en œuvre immédiatement et il faut attendre l’assemblée du 1er octobre pour apprendre que les fermetures seront construites « dès le lendemain » 22. Mais s’agit-il d’un engagement ferme ? (Fig. 3)
Toutes les barrières seront ouvertes « pendant la vendange ». Ensuite, deux le resteront alternativement en commençant par celle de la route de Gignac puis celle de la route de Clermont 23 et enfin celles du chemin de Montpeyroux, puis de Béziers « au fond de la grande rue ». Après les vendange, on en fermera deux pour ne conserver que celles vers Gignac et vers Clermont. Il n’y a plus de traces aujourd’hui de ces constructions mais en examinant la comptabilité de ces travaux, ainsi que les reçus conservés 24 pour justifier l’emprunt, on en apprend un peu plus.
Il s’agit de solides constructions de chaux et de pierres pour lesquels on doit se procurer du bois, des traverses, des clous, des soliveaux de bois, des piquets et où il y a des frais importants « pour des journées qu’il a employées à la bâtisse des barrières » dit le maçon. Un menuisier doit intervenir ainsi qu’un gypier. On achète diverses fournitures (plâtre, tuiles, bois, etc.) y compris quelques outils manquants, des tuiles pour la « couverture des corps de garde », « une poutre pour mettre au-dessus des deux barrières » 25. Un serrurier y travaille également. La dépense totale avec les frais annexes semble atteindre, d’après nos calculs entre 110 et 120 livres, somme non négligeable, à mettre en regard des 150 empruntées.
Plus curieusement, dans ces dépenses sont comptabilisés 6 livres et 9 sols « pour avoir battu la caisse soir et matin » lors de la contagion entre le 16 décembre 1721 et le 24 avril 1722 soit 4 mois et 9 jours au plus fort du confinement de la population 26. « Battu la caisse » pour informer la population, l’autoriser à sortir, entrer dans les habitations ou les deux peut-être ? (Fig. 4)
Qui peut circuler ?
Ne peuvent entrer que les voyageurs munis d’autorisations. Il faut veiller à ne pas refuser les voitures avec des documents correctement rédigés « en ce qu’ils demeurent (les consuls) responsables des frais qu’ils courent aux marchands » 27 : l’activité économique reste un souci, la diffusion des marchandises y participe en particulier pour la nourriture des confinés. Il convient de prendre garde aux étoffes qui proviennent du Gévaudan. Leur manipulation peut provoquer la maladie 28. L’Intendant demande des comptes et son subdélégué lodévois y veille. Cette interdiction de circulation des étoffes est renouvelée en novembre 1721 quand on aborde la question du passage du fleuve Hérault 29. Cependant, il y a des contrevenants. Le 3 août 1721 Monsieur de Mongerel, Viguier de Lodève et subdélégué de l’Intendant développe les instructions du Duc de Roquelaure. Il demande en particulier l’affichage de la condamnation d’un certain Bessaire du Gévaudan. Nous n’en connaissons pas la teneur mais il est fort à parier qu’elle est exemplaire 30. Franchir les limites de « la ligne » a entrainé la condamnation à mort de contrevenants ! Mais le Duc peut aussi faire preuve de clémence. Ainsi dans le village, deux gardes ont hébergé deux paysans bien pourvus de certificats de santé mais en omettant d’avertir les consuls ou le bureau de santé. Après quelques jours de prison à St André les dénommés Poujol et Oullier seront relâchés. Ils sont assez punis comme cela pour cette fois, écrit le Duc, une amende suffira 31 mais attention de ne pas récidiver. La menace n’est pas dissimulée. En octobre 1721, Monsieur de Mongerel prévient depuis Lodève 32 que le brigadier des armées du roi au Vigan l’a informé que trois hommes ont franchi la ligne du Gévaudan sous le feu des sentinelles. Ils ont pu traverser la rivière Arre et se dirigent vers le secteur de Montpellier ou celui de Lodève. C’est une mise en garde de ne pas les laisser aller plus avant. Rattrapés la sanction serait terrible. L’ont-ils été ?
Le passage du fleuve Hérault doit être surveillé et nul doute que la rivière forme une frontière intérieure. Les consuls fourniront un homme de plus car tous les jours, un garde avec « un fusil en bon état » sera envoyé pour être sentinelle au bateau de Carabote. L’homme en question devra « savoir lire » les certificats de santé et signer. Tout voyageur sans les documents nécessaires sera mis à l’écart et selon les règlements, les gardes en informeront les consuls en « bureau de santé » 33. On ne doit se servir du bac que pour le strict besoin du moulin. À tel point que les instructions indiquent qu’il sera le soir enchainé au port, la chaine fermée avec un cadenas 34. (Fig. 5)
Dès fin 1721, se posent des questions de commodité. « Il (le premier consul) avait fait faire plusieurs ouvertures ou fossés sur la place publique » pour récupérer des pierres nécessaires à la construction des barrières. Ces fossés posent de sérieux problèmes lors des pluies (écoulements) et il faut apporter de la terre pour les combler, au moins pour une part, « depuis le grand portail jusqu’au niveau de la fontaine » 35.
Nous avons des indices assez sûrs du déroulement de l’opération de confinement dans ce village qui peut-être n’est pas très différent de ce point de vue, de ses voisins de la vallée de l’Hérault. Si on résume le déroulé des événements, nous savons que dès janvier 1721, les habitants sont alertés d’un risque. En juin les premières instructions tombent mais elles ne seront vraiment suivies d’effet qu’après septembre 1721. Les barrières qui ferment la ville sont construites entre octobre et décembre de cette même année et la population est empêchée de sortir ou d’entrer librement jusqu’en avril 1722. Les routes sont gardées le jour, les barrières soigneusement fermées la nuit. Deux ouvertures seulement sur les deux plus grands axes peuvent laisser passer le ravitaillement, mais dûment muni de lettre de voiture et de certificats de santé. À partir du printemps 1722, la contrainte se relâche sans céder toutefois totalement. En juin, la communauté doit solliciter l’autorisation de pratiquer des ouvertures « plus convenables » pour que chaque habitant puisse « conduire et faire les gerbes », les aires à battre se trouvant en extérieur. Elle souhaite faire ouvrir la barrière du chemin de Béziers comme le chemin de la place 36.
Le point d’orgue est atteint dans le courant du mois de juillet 1722. Le délégué de l’Intendant se penche sur le devenir des étoffes venant du Gévaudan avant que les « lignes » du blocus ne soient établies. La décision est de mettre en quarantaine toutes les étoffes conservées dans les boutiques et les entrepôts, elles seront « mises à l’écart pendant 20 jours », après quoi, « les dernières lignes pourront être levées ». Le premier Consul porte à la connaissance de l’assemblée des conseillers politiques cette information qui marque la fin du « mal contagieux » pour le village et ailleurs 37.
En conséquence, c’est donc vers le mois de mai 1722 que les habitants commencent à retrouver la « vie d’avant » après environ une année de contrôle dont plus de quatre mois très stricts. À l’automne de la même année la maladie a disparu du Gévaudan.
Cette documentation donne une image incomplète de la situation et pourra être utilement confrontée avec d’autres sources archivistiques. Le ralentissement des activités économiques et les difficultés sociales qui n’ont pu qu’en résulter ne sont par exemple, que très faiblement perçues. L’impact du confinement mesuré sur l’ensemble des villages de la moyenne vallée de l’Hérault indiquerait la réalité du caractère général des observations résultant de l’exploitation de ce modeste fonds d’archives de Saint-André-de-Sangonis.
BIBLIOGRAPHIE
APPOLIS 1951 : APPOLIS (Émile), Un pays languedocien au milieu du XVIIIe siècle. Le diocèse civil de Lodève. Étude administrative et économique, Albi 1951.
BUTI 2020 : BUTI (Gilbert), Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence 1720-2020. Éditions du Cerf, 2020.
FABRE 1991 : FABRE (Ghislaine), Dossier d’inventaire topographique établi en 1991, 1993 et 1995. Inventaire général, 1991. Disponible sur : « https://ressourcespatrimoines.laregion.fr/collections/architecture-et-objets » (Consulté en novembre 2020).
MOLINER 1985 : MOLINER (Alain), Une épidémie qui s’éteint en Vivarais : la peste de 1721 dans Études Héraultaises, 1984, n° 5-6, page 19-24.
SIGNOLI, TZORTZIS 2018 : SIGNOLI (Michel), TZORTZIS (Stéfan), La peste à Marseille et dans le sud-est de la France en 1720-1722 : les épidémies d’Orient de retour en Europe. Dans Cahiers de la Méditerranée, 96, 218, pages 217-230.
(Et voir la bibliographie générale consacrée aux épidémies.)
NOTES
1. Il est consultable à l’adresse suivante : https://archives-pierresvives.herault.fr/.
2. En dernier lieu voir BUTI 2020.
3. 33 000 hommes et 3 000 cavaliers assurent la surveillance autour du Rouergue, Vivarais et du Gévaudan. BUTI 2020.
4. Molinier 1984, note18. Les autorités pensaient initialement pouvoir pratiquer un recul successif de la ligne de blocus ceci afin d’éviter un blocus total du Languedoc.
5. Louis de Bernage (1663-1737) est Intendant de Languedoc de 1718 à 1725. Ne pas confondre avec son fils Louis-Basile de Bernage qui lui succédera entre 1725 et 1743. Le duc de Roquelaure (1656-1738) est lieutenant général des armées, commandant en chef de la province de Languedoc.
6. FABRE 1991.
7. Une maison commune est indiquée route de Béziers hors du centre, l’espace devant les remparts est donnée comme place publique très tôt au XVIIIe et le plan terrier de 1779 reflète une extension déjà ancienne. À la fin du XVIIIe siècle, il y a 83 maisons intra-muros mais 334 hors les murs (FABRE 1991).
8. AD34. Delib. 307-308.
9. AD34. Delib. 339-340.
10. AC. St-André. 7 septembre 1721.
11. Le 26 avril 1721, comme chaque année au mois d’avril, on procède au renouvellement par moitié des conseillers politiques. Six sont renouvelés et les consuls sont changés. Tout s’effectue sous le contrôle du représentant du viguier de Lodève dans la seigneurie du comte-évêque où se trouve Saint-André. Le système de désignation-élection des consuls est assez complexe (Appolis 1951).
12. AC. St André. Août et rappel de septembre 1721.
13. AC. ST André. Lettre du subdélégué de Lodève aux consuls, septembre 1721.
14. Délibération du 22 juin 1721, N° 337 et 338.
15. BUTI 2020.
16. AD. Délibération n° 342-345. 25 juin 1721.
17. AC. St-André. Autorisation du 29 juin 1721. AC. St-André. Bilan comptable en plusieurs exemplaires sans date mais P. Favier est premier consul soit entre avril 1721 et avril 1722. Probablement établi début 1722.
18. AD34. Délibération du 9 septembre 1721, n° 340 à 342.
19. Le blocus général du Languedoc s’appuie à l’est sur le Rhône à l’ouest sur l’Orb. Moliner 1984.
20. AC. St André 7 octobre 1721.
21. AD34. Délibération du 9 septembre 1721 n° 340-342.
22. AD34. Délibération n° 342. Comment la communauté a-t-elle répondu à l’injonction en plus de la construction des barrières, de creuser des fossés pour protéger le village des intrusions ? Ces réouvertures annoncées de l’ancien fossé médiéval de la « place publique » ou se trouvaient des pierres « depuis plus de cent ans » en ont-elles fait fonction ? Ce qui revient à fermer un peu plus le noyau médiéval, alors densément peuplé, autour de l’église ?
23. Nous apprenons par une délibération de la communauté du 1er janvier 1722 que le corps de garde de la route de Clermont est, au moins partiellement, dans la propriété de Mademoiselle Villar. Celui du chemin de Montpeyroux est dans celle de Guillaume Bajes. Ces habitants demandent, ce qui sera accordé, le paiement des frais occasionnés par l’éclairage des lieux toutes les nuits.
24. AC. St-André à partir de décembre 1721.
25. AC. St-André, reçu d’achat daté du 15 juin 1722.
26. AC. St-André reçu du 15 juin 1722.
27. AC. St André. Lettre de monsieur Gastourel, ancien capitaine à St André. 30 (?) octobre 1721.
28. AC. St-André. 7 septembre 1721.
29. AC. St André. Lettre aux consuls du 20 novembre 1721 ou il est rappelé que les règles applicables au moulin de Carabotte à Saint-André le sont également pour le moulin de Gignac.
30. AC. St-André. Lettre de M de Mongerel aux consuls le 3 août 1721.
31. Délibération du 1er octobre 1721 et AC du 9 octobre 171.
32. AC. Lettre de M. de Mongerel, 18 octobre 1721.
33. Les consuls et autres personnalités sont regroupés comme dans tous les villages, en « bureau de santé », groupe chargé du contrôle, de faire remonter les informations et de l’exécution des ordres en période d’épidémie.
34. AC. St-André. 18 novembre 1721, ordre du duc de Roquelaure ; Lettre aux consuls 20 novembre 1721.
35. AD34. Délibération 20 décembre 1721. N °355-356.
36. AD34. Délibération du 7 juin 1722. N° 367-368.
37. AD34. Délibération du 5 juillet 1722. N° 368-369.