Reddition d’une Unité de la Marine Allemande
au Pont de Cholet, Montpellier le 23 Août 1944

La fin du mois d’août 1944, à Montpellier, comme dans tout le Languedoc-Roussillon, a été à la fois difficile et dangereuse car les troupes allemandes stationnées dans le Sud-Ouest avaient reçu l’ordre, après le débarquement des troupes alliées en Provence le 15 août, de rejoindre le plus rapidement possible la vallée du Rhône afin de s’opposer à l’avancée des Alliés. Par tous les moyens, les troupes allemandes ont traversé notre région durant la dernière quinzaine du mois. Les trains constituaient normalement un moyen rapide et massif à cet effet mais le danger résidait dans les attaques de l’aviation alliée. C’est ce qui s’est passé à l’entrée de Montpellier où un important convoi venu des Pyrénées-Orientales a été stoppé et a dû se rendre. En voici une relation avec des témoignages peu connus.

Avant de découvrir le texte de M. Louis Clouscard qui détaille les conditions dans lesquelles s’est rendue une Unité de la Kriegsmarine, il est indispensable pour la bonne compréhension des événements, de faire un retour 70 ans en arrière, et l’extrait de la carte d’État-Major (1936) joint, (Fig. 1) va nous y aider. Le pont de Cholet (Fig. 2) est un petit pont à une seule voie au dessus de la voie ferrée, elle-même en voie unique, de la Compagnie du Midi avant sa fusion avec le P.O. (Paris-Orléans). Celle-ci partait, contrairement à la voie d’intérêt local qui desservait Saint-Paul-et Valmalle – Aniane, de la gare principale et reliait Paulhan par Cournonsec et Montbazin. De là une ligne se dirigeait vers Clermont-l’Hérault et Lodève, une autre vers Pézenas et Vias et une bifurcation pour Bédarieux où à son tour elle se divisait en deux, vers Mazamet – Toulouse et vers Saint-Affrique et le Larzac. Ce pont, au milieu des vignes, permettait de rejoindre Lattes par le chemin de Maurin 1. La voie ferrée existe toujours au milieu des broussailles, (Fig. 3) le pont a été refait en béton et élargi. À son débouché, le chemin de Maurin est devenu la place Itzak-Rabin.

Carte de situation des ponts de Cholet et de Brigaud d'après la carte d'État-Major de 1936
Fig. 1 - Carte de situation des ponts de Cholet et de Brigaud
d'après la carte d'État-Major de 1936.
Vestiges de la voie ferrée Montpellier-Paulhan
Fig. 2 - Vestiges de la voie ferrée Montpellier-Paulhan
Montpellier, le pont de Cholet
Fig. 3 - Montpellier, le pont de Cholet

Des le 17 août 1944, suite au débarquement du 15 Août en Provence, l’ordre de repli est lancé par le Commandement de la Wehrmacht, et renouvelé le 18 pour toutes les Unités du Sud-Ouest et du Sud. Les Unités de la Kriegsmarine, stationnées à Port-Vendres depuis le 12 Novembre 1942, quittent la ville en deux groupes : le premier, sous les ordres du Capitaine de Frégate Walter Denys, Commandant du port de Port-Vendres, le 19 vers 16 heures, après avoir détruit les infrastructures portuaires et militaires à l’explosif. Il rejoindra Nîmes, ayant traverse Montpellier ou ses environs sans encombre, et sera rattaché au Kampfgruppe Schwerin à son arrivée à Remoulins le 22 août.

Le second, sous les ordres du Capitaine de Corvette Ernst Bettin, compose essentiellement d’Unités d’Artilleurs de Marine, la MAA 615, était parti vers 12 heures. À Narbonne, il réquisitionne un train qui, au petit matin du mercredi 23 août, à l’entrée de Montpellier, sera mitraillé par l’aviation alliée et stoppé suite à une avarie de la motrice (230 C 234). Le mécanicien Victor Vernhet, brûlé, survivra, mais le chauffeur, grièvement blessé, décédera malgré les soins prodigués par le Docteur Réveillé.

Le train est arrêté près du Poste 4, au PK 79 – 460, à 200 mètres environ avant le pont de Bringaud, près de la gare de triage d’Arenes 2. Il est situé près de l’actuelle concession automobile Opel et du Marché-Gare et conserve ses apparences de l’époque. Les soldats quittent le train pour échapper à de nouveaux mitraillages et se dispersent dans les vignes attenantes qui arrivent presque au pont de l’avenue Clemenceau.

Les raisins sont mûrs et la vendange commence avec un peu d’anticipation ! Contrairement à quelques souvenirs évoqués par des soldats de ce groupe, il n’y avait pas de maquisards en armes dans ces vignes. Le « Maquis Bir-Hakeim » sera le premier à entrer dans Montpellier en fin de matinée du 25 août par l’avenue de Lodève et les Halles Laissac (témoignage d’un membre présent et toujours en vie de ce maquis – H. T).

Document 1

Rapport de Louis Clouscard, OPA aux Renseignements Généraux

La reddition des 1 500 soldats allemands qui eut lieu le 23 Août 1944, vers les 19 h 30, au Pont de Cholet, au S.O. de Montpellier, a été traitée dans les circonstances suivantes : le 23-8-1944, à 8 heures, l’inspecteur principal Schlafhauser, dit « Marcel », du service des RG de Montpellier, prit le commandement de ce service, notre Commissaire Rispoli ayant été blessé dans la matinée en sortant de chez lui par des membres de la Resistance, il fut transporté aux Cliniques Saint-Charles, blessé d ‘une balle dans la jambe.

Les troupes allemandes ayant évacué la ville dans la journée du 19-8-44, la Resistance décida de mettre en place les nouveaux Chefs de service dans la Police et c’est ainsi que le 21-8-44, mon chef de Brigade prit le commandement du commissariat des RG. Je fus chargé par ce dernier d’assurer la liaison et de porter les ordres du nouvel Intendant, Gitard, et de son chef de cabinet Jamard, qui avaient occupé le commissariat de Police du 3ème arrondissement, place de la Comédie ; c’est ainsi que je portais l’ordre d’arrêter le Préfet Régional Michel, le Préfet Délégué Rebouleau (fusillé), l’Intendant de Police Hornus (fusillé) et le Commissaire Divisionnaire Jouve, ainsi que le Commissaire Cohadon.

Après l’arrestation de l’Intendant de Police Hornus, le nouvel Intendant prit possession de l’Intendance de Police, Avenue Georges Clemenceau. C’est ainsi que le 23, au matin vers 8 heures, je me trouvais à l’Intendance venant prendre des ordres, le portail de la porte d’entrée étant fermé. Je fus informé par un gardien que des civils demandaient à nous parler pour nous faire une communication ; m étant présenté, j’appris que des soldats allemands voulaient se rendre à la Police. Ayant informé mon chef de service, je suis parti avec l’inspecteur de SN Jean Aimé, des RG, et d’un interprète d’origine alsacienne M. Jeager, et quelques civils.

Arrivés au boulevard Berthelot, nous avons vu huit soldats allemands armés qui se trouvaient dans une villa ; après avoir décliné notre qualité, ils ont déclaré vouloir se rendre à des forces de police. Ils nous ont remis leurs armes et nous ont suivis jusqu’au Lycée de Jeunes Filles, rue Ernest Michel. Nous les avons remis à un poste de garde de Police qui occupait le Lycée.

Ancien prisonnier, je connaissais un peu l’allemand, et j’ai appris ainsi par ces prisonniers de guerre allemands que d’autres soldats, au nombre de mille environ, se trouvaient à la gare d’Arènes et que beaucoup avaient l’intention de se constituer prisonniers.

Nantis de ces renseignements, l’inspecteur Jean, l’interprète et moi-même, et quelques civils, nous nous sommes dirigés vers la gare d’Arènes. Sous le pont du chemin de Maurin, avant d’arriver au dépôt des machines de la SNCF, nous avons été arrêtés par des soldats allemands qui, armés de fusils-mitrailleurs lourds, le corps entouré de bandes de cartouches de mitrailleuse, interdisaient le passage à tout civil en direction du pont de Cholet.

Jean, l’interprète et moi-même, nous nous sommes avancés et avons parlementé avec cet[te] avant-garde, leur demandant de voir leur commandant, et au moyen de notre interprète les conditions furent les suivantes : l’interprète irait, accompagné d’un soldat, voir le commandant et la colonne, et un soldat allemand était pris en gage par les civils qui se trouvaient assez loin de notre groupe.

L’interprète devait demander au chef des forces allemandes s’il désirait se rendre comme d’après les propositions des premiers soldats qui s’étaient rendus à nous quelques instants plus tôt.

Le sous-officier allemand m’ayant laissé passer, par la suite, je partis en direction du pont de Cholet.

Tout le long de la route, sur 1500 mètres environ, des soldats allemands de toutes armes, fantassins, aviateurs, marins, employés de gare, des civils venant des régions de l’Europe orientale, autrichiens, allemands, slaves, hongrois, ainsi que des russes (mongols) qui avaient été enrôlés, se trouvaient assis dans le fossé bordant la route, je rencontrai ainsi un groupe de blessés, tout noirs de poudre, sales, j’engageais la conversation avec le peu d ‘allemand que je connaissais et le peu de français qu’ils parlaient, j’appris qu’au petit jour, ils avaient été mitraillés par l’aviation alliée, la locomotive étant hors d’usage. Ils étaient arrêtés et attendaient actuellement les ordres de leurs chefs. Je compris que leur moral n’était pas des plus fameux et qu’ils languissaient que la guerre finisse. Je leur appris que des soldats s’étaient déjà rendus à la Police, le matin. Je leur indiquais quelles étaient leurs chances de revenir en Allemagne, leur expliquant que les troupes alliées se trouvaient à Nîmes, à 40 kilomètres de Montpellier, que toutes les issues étaient occupées par des patriotes et que l’aviation alliée était en relation avec eux, les derniers chars « Tigre » étant passés depuis deux jours, au nombre de 57, venant de la route de Lodève, se dirigeant vers la vallée du Rhône, seul passage leur permettant de se replier vers l’Allemagne. Je faisais savoir aux blessés qu’ils trouveraient tous les soins dans les divers hôpitaux de la ville.

Et c’est ainsi que sur 1 500 mètres environ, je racontais tous les détails que j’avais en ma possession, essayant de les démoraliser, leur faisantcomprendre que leur retour en Allemagne était impossible et que toute défense serait vouée à l’échec et qu’ il ne leur restait plus qu’à se rendre en se constituant prisonniers. Si cette fin de la guerre était souhaitée par la majorité, ils me firent comprendre qu’ils dépendaient encore de leur chef et m’encouragèrent à aller le trouver. Seuls quelques allemands étaient pour continuer la lutte, mais ils n’étaient pas la majorité dans cette troupe composée de gens de divers pays annexés et soldats malgré eux. Dans cette colonne se trouvait un groupe de civils, d’origine allemande, qui avait suivi la colonne lors de son départ.

J’appris ainsi que toute cette troupe venait de Port-Vendres par train, depuis Perpignan, et qu’au début de la journée ils avaient été obligés de s’arrêter ici par suite de mitraillage par l’aviation alliée. Je fus ainsi rejoint par l’inspecteur Jean qui avait pu passer au Pont de Maurin et tous deux nous nous sommes dirigés vers le Pont de Cholet où se trouvait l’État-Major de la colonne, nous avons été présentés aux Officiers par l’interprète qui était arrivé depuis quelques temps. Jean prit l’initiative d’engager les pourparlers par le truchement de l’interprète, il était environ 10 heures.

Le Commandant Bettin, de Hambourg, qui dirigeait la troupe, nous demanda quelle était la situation des troupes alliées aux environs de Montpellier, s’il y avait des Allemands en ville, etc. Ces renseignements obtenus, il réunit tous ses Officiers et discuta assez longuement avec eux. Il nous demanda encore d’autres renseignements et continua à parler avec son État-Major.

Vers 11 heures, le Commandant des CU (Corps Urbain) Humbert-David, accompagné de MM. Corvi, Almeras, Doumergue, et du chauffeur Martin, vint en automobile. Il fut mis au courant des pourparlers engagés, présenté au Commandant allemand comme représentant toutes les forces en tenues et régulières de la région. Au cours de leur conversation, il se trouva que ces deux Officiers avaient combattu l’un contre l’autre à Narvik.

Ces conversations se continuèrent longuement entre le Commandant Bettin (et non Colonel Flick, nommé par les journaux à cette époque) et le Commandant Humbert-David. Après renseignements demandés à l’Officier français, le Commandant allemand se concertait avec son État-Major et à toute question il répondait « moment » avec son accent. Les conversations paraissaient avoir une bonne fin, lorsqu’un grand gaillard, employé de gare (Bahnoff), vêtu de bleu, chemise et short, vint se mêler avec les Officiers, à ce moment-là les choses eurent l’air de se gâter. Après s’être introduit dans le cercle des Officiers, parlant haut, il fut écouté et des ordres furent donnés.

Des agents de liaison partirent en direction du Pont de Maurin et une heure après toute la colonne se groupait par sections, après le Pont de Cholet. Aucun allemand ne se trouvait plus entre les deux ponts. Ce regroupement des forces fut consécutif à la venue, quelques instants avant, d’une automobile contenant du personnel de la Police : Jaulent et d ‘autres. Celui-ci arrivant en bras de chemise et arborant un brassard tricolore au bras, je lui fis comprendre qu’avant de descendre il avait tout intérêt à le cacher, car les allemands avaient une rancune contre les terroristes, ainsi appelaient-ils les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). Il comprit et ainsi que tous ses camarades ils cachèrent leurs brassards en retroussant les manches de leurs chemises. Après avoir été mis au courant des conversations, la voiture repartit de suite.

Pendant que les Officiers conversaient entre eux, les sept français que nous étions étaient accostés par des allemands qui nous offrirent des cigarettes, sans avoir parmi eux des soldats qui paraissaient nous surveiller. C’est ainsi que je fus interpellé par un allemand, Georges Notz, qui parlait très bien le français. Il me déclara avoir fait ses études au Lycée de Reims, en France, et me mit au courant des conversations qui se déroulaient entre les Officiers allemands. J’appris ainsi que le Commandant ne voulait pas se rendre avec sa troupe sans combattre, ils étaient 1500, tous armés et ayant des munitions, les FFI ne leur faisant point peur, car devant leur nombre ils se sont toujours effacés. Il me cita le cas, à leur départ de Port-Vendres, avant Perpignan, ils furent assaillis par des coups de feux isolés, la colonne ayant pris des dispositions de combat, ils capturèrent un jeune homme, muni d’un revolver, qui leur avait tiré dessus.

Si dans l’ensemble, les Officiers et les soldats voulaient se rendre, le Commandant Bettin ne pouvait prendre la décision de lui-même, surtout qu’ils ignoraient les forces auxquelles us pouvaient faire face et à qui ils se rendaient. Un certain penchant était pour la reddition lorsque « Bahnoff » est venu envenimer la conversation, déclarant que lui ne se rendrait pas sans combattre et que la force qu’ils représentaient devait continuer le combat.

Il était environ 6 heures lorsqu’avec Notz je fus mis en rapport avec un groupe d’Officiers qui ne participait pas aux conditions. Voyant que rien ne pouvait intervenir, alors ils me demandèrent quelles étaient les routes permettant d’arriver à la route de Nîmes. Je leur fis comprendre qu’ils n’avaient qu’à traverser la ville car toutes les routes ou chemins étaient gardés par les FFI et qu’ils seraient obligés de livrer combat pour continuer leur route. Je m’engageais même à leur servir de guide pour traverser la ville, s’ils ne voulaient pas se rendre afin qu’ils ne se battent pas en ville. Lorsqu’il apprit cette proposition que j’avais faite aux allemands, le Commandant Humbert-David me traita de fou.

À cette heure-là, 17 heures, je dois dire que Jean et une partie de la suite du Commandant des GMR (Groupes Mobiles de Reserve) étaient retournés en ville depuis fort longtemps. Vers 17 heures 30, une automobile militaire vint se joindre à notre groupe. Le Colonel War 3, commandant le RMCR 4 en garnison à Montpellier, était accompagné du Capitaine Major Pen-amond 5 et d’un autre officier.

Ayant été présentés au Colonel Bettin, tous deux reprirent les conversations, le Commandant Humbert-David se retira avec ses Officiers, je restais seul civil avec l’Officier français.

Vers 18 heures, avec la complicité de Notz, je décidais de faire savoir que j’étais en relation avec l’aviation alliée et que ceux-ci viendraient mitrailler la colonne avant la fin de la nuit si aucune décision n’était intervenue et, comme un hasard miraculeux, dix minutes après, une escadrille alliée vint survoler la troupe, deux avions se détachèrent, firent un rond au-dessus de nous et rejoignirent les autres appareils. Notz me fit savoir quelques instants après que les Officiers engageraient leur chef à accepter la reddition de la troupe en se constituant prisonnière à l’Armée française.

Je mis le Colonel Méar an courant de cette proposition, il fit comprendre que tous les prisonniers seraient places sous le contrôle de la Croix Rouge et qu’aucuns sévices n’auraient lieu contre les soldats. Quelques instants après, une autre conversation s’engagea en ma présence entre le Colonel Méar et Bettin et un interprète allemand, l’alsacien étant parti depuis longtemps, les conditions de la reddition furent conclues. Les Officiers seraient désarmés mais le Colonel Méar leur rendit leur pistolet, ils prêtèrent serment de ne pas en faire usage, celadevant leur chef en faisant le saint hitlérien.

Toute la troupe fut mise en colonne par trois et chaque section vint déposer les armes sur le côté droit de la route à côté du dépôt d’ordures. Comme le dépôt des armes devait être fait en vrac, je soumis la proposition suivante au Colonel Méar : « sachant que toutes ces armes allaient être saisies par n’importe qui, que toutes seraient alimentées et chargées, je lui suggérai que par l’intermédiaire de l’interprète allemand et des Officiers, une inspection des armes fut faite avant de les déposer ».

Je fus félicité par le Colonel Méar et des ordres furent donnés. À l’arrivée de chaque section, chaque Officier responsable faisait aligner ses hommes et toutes les armes furent désarmées et déchargées évitant ainsi tout accident qui aurait pu se produire. Les fusils furent mis à part, les pistolets d’un autre côté, les munitions, grenades, les jumelles, presque tous se débarrassèrent de leur masque, des vélos furent mis contre le talus. Ce butin en vrac, a représenté la valeur de cinq voitures fourragères militaires qui fut transporté à la caserne Robert Jammes 6 par les soins du Colonel Méar et distribué par la suite à toutes les forces du Maquis qui vinrent à Montpellier dans les jours qui suivirent. (Fig. 4)

Anciennes casernes des Minimes, porte centrale. Montpellier, place Notre-Dame-des-Tables
Fig. 4 - Anciennes casernes des Minimes, porte centrale. Montpellier, place Notre-Dame-des-Tables.

Au départ du Commandant Humbert-David, il fut décidé qu’il grouperait et rassemblerait toutes les forces en tenue de la ville et c’est ainsi que les GMR, les gardes-voies et communications […], de son cote le Colonel Méar fit venir les quelques européens qu’il avait à la caserne car la majorité de son régiment était composée de troupes de couleur, et afin de ne pas avoir d’incident avec les PG 7 allemands, il fut convenu que ces derniers ne viendraient pas les prendre. Des gardiens cyclistes passèrent en avant de la colonne pour faire circuler et partir tous les civils qui se trouvaient sur le trajet suivi par les PG. Et c’est ainsi qu’encadrés par une cinquantaine de Français, plus ou moins démunis d’armes, certains se servirent au dépôt sur le bord de la route, que les 1500 allemands firent leur entrée en ville et en ordre. Ils furent cantonnés dans les locaux de la caserne Robert Jammes, l’ex centre démobilisateur. La garde extérieure fut assurée alors par les Noirs du Colonel Méar, la discipline intérieure fut assurée par les Allemands eux-mêmes.

Ayant été intrigues par de nombreuses détonations que nous entendions lors des pourparlers, je revins le lendemain au Pont de Cholet. Aux environs des champs bordant la voie de chemin de fer, je vis de nombreux tas de cendres

… disséminés un peu partout. Ces tas représentaient toute la comptabilité de cette colonne, livrets militaires, machines à écrire, tout avait été brûlé au moyen de grenades qui mettaient le feu à tous les papiers.

Le train qui se trouvait sur la voie comprenait une vingtaine de wagons, voyageurs et marchandises ; la défense antiaérienne était assurée par un canon antiaérien de 20 mm. Dans les wagons se trouvaient de nombreuses munitions et des artifices de signalisation. Des traces d’un récent pillage étaient visibles. Je fis part au Colonel Méar que des munitions étaient déposées dans les wagons ; il les fit enlever immédiatement, mais de nombreuses caisses de munitions avaient disparu.

Par la suite tous les PG furent transférés à l’Asile de Font d’Aurelle où les moyens de garde étaient plusieurs. Les Officiers furent envoyés à la prison de Lodève. Lors du transfert à Font d’Aurelle, tous les Officiers et soldats furent fouillés par leurs gardiens FFI ou Milice Patriotique, plusieurs millions de francs furent saisis au soi-disant profit des victimes des FFI. Des sévices eurent lieu contre des soldats. Toutes ces vengeances furent tolérées malgré que le Colonel Méar eut affirmé que tous les PG se trouvaient régis par les conventions de la Croix Rouge internationale de Genève.

Par la suite, une grosse partie des PG fut affectée au déminage de la région où beaucoup payèrent de leur vie.

Georges Notz que je considère comme ayant permis la reddition de tous ses camarades, sans combattre, fut par mes soins affecté dans un emploi sans danger, c’est ainsi qu’il fut chargé d’interprète au 451ème Groupement de PG allemands à l’école de déminage de Palavas et par la suite fut libéré. »

À Montpellier, le 12 Mars 1945
signé : CLOUSCARD

Vu pour certification matérielle de la signature de M. L. CLOUSCARD, apposée ci-dessus.
Montpellier, le
Le Commissaire de Police, signé : illisible
Timbre rond : Commissariat de Police du 3e arrdt. [Place de la Comédie]

Document 2

Le document précédent est immédiatement suivi du texte ci-dessous :

« Il faut néanmoins souligner que l’initiative et le courage des inspecteurs Jean et Clouscard et de l’interprète M. Jeager ont eu pour effet immédiat d’empêcher le regroupement rapide et le départ de ce détachement allemand qui aurait pu, au cours de son avance, piller, détruire et livrer combat.

Persuadés de n’avoir fait que leur devoir, ces trois hommes n’ont jamais donné le compte-rendu de leur dangereuse mission et aucun rapport établi sur l’affaire du Pont de Cholet ne les a nominés.

Ils n’auraient même jamais songé à en donner eux-mêmes le compte-rendu s’ils n’étaient tenus aujourd’hui de ramener la preuve de leurs sentiments patriotiques.

À Montpellier, le 12 Mars 1945
signé : JEAGER, JEAN, CLOUSCARD

Vu pour certification matérielle de la signature de MM. JEAGER, JEAN et CLOUSCARD, apposées ci-dessus.
Montpellier, le
Le Commissaire de Police, signé : illisible
Timbre rond : Commissariat de Police du 3e arrdt.

Document 3

Reddition de 1 500 Allemands le 23 Août 1944 au Pont de Cholet de Montpellier

Au cours de l’année 1948, j’ai appris les faits suivants : lors des pourparlers avec les Officiers de la colonne allemande le 23 Août 1944 au Pont de Cholet a Montpellier, un de ceux-ci s’est évadé.

Cet Officier, Officier de détail de la colonne, parlant très bien le français, a demandé au locataire d’une villa du chemin de Maurin une tenue civile, pour pouvoir revenir en Allemagne. Le locataire, ex-Officier français à la retraite, lui a remis les vêtements demandés. L’Officier allemand, ayant appris que les Officiers et les soldats étaient détenus la Caserne Robert Jammes, est parvenu à les contacter a plusieurs reprises.

Ayant été dénoncé, il fut arrêté et la somme de 300 000 francs (de 1944) lui fut confisquée. Au cours de l’interrogatoire subi à l’Asile de Font d’Aurelle où tous les Officiers avaient été transférés, il a demandé une décharge de cette somme et se vit accuse de douter des intentions de ses gardiens. Il fut oblige de se récuser. Cet Officier allemand, après la Libération, s’est fixé Montpellier, 13 rue Magnol, et s’est marié une Française. Il était peintre.

Au retour des PG français, les cartes de séjour et de travail ont été retirées aux Allemands qui sont retournés chez eux. Flers et sa femme sont partis en Allemagne vers 1948.

CLOUSCARD Louis

Un autre témoignage, beaucoup plus succinct, est celui de M. Guy Jacques qui, étudiant en « préparation Agro » à Montpellier, est mobilisé et termine la guerre comme Aspirant de Chars. Il est recruté à la démobilisation par le Général Guillaumat comme Officier dans la Garde des Voies et Communications, poste qui offrira de grandes possibilités d’observations des déplacements des Unités militaires allemandes. Le PC se trouve au 5, rue de la Loge. Le 23 Août 1944, désigné par le Commandant Cazal et son adjoint Claparède, il rejoint le pont de Cholet avec le brigadier Plaze. Il raconte que le Commandant allemand « ne veut se rendre qu’a des gens en uniforme, à un égal en grade au minimum et que les honneurs militaires lui soient rendus […] une douzaine de Sénégalais formant un piquet d’honneur. L’Officier allemand salue le Colonel Méar et lui remet son pistolet. Le Colonel Méar enlève le chargeur et lui rend l’arme. La reddition vient d’être scellée ».

La présence de soldats sénégalais est étonnante. Fin novembre 1942, l’Année d’Armistice a été dissoute et les quelques Unités de soldats africains, malgaches ou indochinois, qui n’avaient pas été renvoyées Outre-Mer se sont trouvées dans l’impossibilité de quitter la France. Ceux de Montpellier étaient à la Caserne Robert Jammes. Pendant l’Occupation, la Caserne Jammes abritait plusieurs services civils dont le Service des Farines et le SGMICR N° 4 que commandait le Lieutenant-colonel Louis Méar, de l’Infanterie Coloniale. Après le départ des troupes allemandes, ils seront affectés a la garde des principaux bâtiments administratifs et participeront le 25 Août 1944, à ce qui est connu sous le nom de « combat de Montferrier », a 3 km au nord de Montpellier.

Concernant les Officiers allemands, le Capitaine de Frégate Walter Denys, né en 1896 à Hambourg, est un descendant de huguenots français émigrés en Allemagne suite a l’Édit de Fontainebleau de 1685. Il repose dans la nécropole militaire allemande de Dagneux (Ain), block 27, tombe 180.

Le Capitaine de Corvette Ernst Bettin aurait été fusillé par la Résistance suite aux exactions commises par ses troupes entre Perpignan et Narbonne. Aucunes traces de jugement, de condamnation ni de sépulture, n’ont été trouvées. Curieusement, Bettin est lui aussi, très certainement, d’origine française, car ce nom, qui n’est également pas de consonance germanique, existe en France dans plus de vingt départements, porté par près de 500 personnes et celui de Denys par environ 700.

Remerciements a MM Paul Génelot, Guy Jacques, Jean-Claude Richard-Ralite, et Ch. Xancho auteur de
Port-Vendres camp retranche allemand sur la Méditerranée. Perpignan, 2004.

Sources

— Archives Municipales de Montpellier : Fonds Paul Génelot, série PG, volume 51 (pp. 20-29) ; volume 60 : Operations aériennes en Languedoc-Roussillon par Brice Peired

NOTES

1. Cholet dérive de « Chaulet », toponyme trouvé dans les archives depuis 1160, et désignait une ancienne église disparue, formant l’un des quatre anciens chefs-lieux de paroisses rurales de Montpellier avec Prunet, Sauret et Lavane. Chaulet figure sur la carte de Cassini au XVIIIe siècle et devient Cholet (mas de Cholet) sur le plan cadastral napoléonien de 1818. Ce nom vient de l’occitan « caulet » (prononcer caoulétt), « choux », probablement un champ de choux. D’après une autre source, ce serait aussi le nom de l’adjudicataire du ramassage des ordures ménagères – sous toutes réserves – l’un n’empêchant pas l’autre. Le ramassage s’effectuait à l’aide de tombereaux tirés par un robuste cheval qui obéissait à la voix. Les ordures étaient déposées à environ 3 km de la place de la Comédie, au-delà du pont. Le Stade Cholet y sera par la suite construit.

2. Arènes est très probablement une déformation du nom d’un gros propriétaire des terrains alentours : Darenne.

3. Louis Méar. Lieutenant-colonel des Troupes Coloniales.

4. Il s’agit du SGMICR Sous Groupement des Militaires Indigènes Coloniaux Rapatriables.

5. Henri Perramond. Médecin-Capitaine des Troupes Coloniales.

6. La Caserne Robert Jammes que seuls les plus anciens Montpelliérains connaissent, était située sur le Cours Gambetta. C’était l’ancienne caserne des Minimes, qui abrita au XIXe siècle le 122e régiment d’Infanterie. Elle fut démolie en 1948 pour laisser place à la Sécurité Sociale. Seules les trois portes furent sauvegardées et on peut voir la porte centrale, dite d’Isly, place Notre-Dame-des-Tables sur le mur Sud, la porte de Marengo face au numéro 7 de la rue de Vallat, tout de suite à droite à la sortie du passage reliant la rue de l’Ancien Courrier à l’église Saint-Roch, et la porte de Lützen à la Maison Léo Lagrange de La Paillade.

7. Prisonniers de Guerre.