Description

Pauvreté et mal-logement :
Regards sur quatre villes témoins en Bas-Languedoc

* Maître de conférences de géographie, Université Paul Valéry
** Doctorante en géographie urbaine
*** Professeur Émérite de géographie, Université Paul Valéry

Dès les années 1950, les fragilités sociales et économiques des petites villes en Bas-Languedoc ont été décrites par le géographe Raymond Dugrand. Il mettait déjà l’accent sur une crise permanente qui expliquait de tristes records régionaux tant en termes de taux de chômage que de nombre de faillites. En ce qui concerne les petites villes, jadis prospères et jouant toujours un rôle de centre à l’échelle de leur bassin de vie, les facteurs explicatifs de la crise relevaient selon lui moins de la géographie, pas si défavorable, que de processus croisés combinant le jeu de la rente foncière à la désindustrialisation, deux facteurs étroitement corrélés à la dynamique du système économique dominant. La Grand-Combe, Bédarieux, Clermont-l’Hérault, Lodève, Le Vigan ou Ganges, auraient ainsi peu à peu été affaiblies, en raison de l’absence d’investissements productifs, de cadres techniques et surtout de leur trop grande dépendance à une seule activité, qu’elle soit minière, industrielle ou agricole. Les fermetures de services publics et de commerces ou encore la fracture numérique survenues au cours des vingt dernières années n’ont fait que précipiter leur déclin. En reprenant leur étude, aujourd’hui sous l’angle spécifique de la pauvreté et du « mal-logement », on en révèle les principales – et aussi les moins visibles – pathologies urbaines et sociales, et ce en particulier dans leurs centres anciens. Il s’agit également de montrer combien leur « déclin » est relatif tant leurs trajectoires varient, notamment en fonction de leur statut, de leur bassin de vie, de leurs stratégies urbaines et territoriales, de leur localisation et, naturellement, des relations qu’elles entretiennent avec les métropoles

La pauvreté, définie comme le manque de ressources matérielles ou financières par rapport à la moyenne d’un groupe social, est signe de discrimination et d’exclusion. Vue comme une atteinte à la dignité, elle est régulièrement associée au mal-logement, comme le constatent les associations qui analysent l’état de la pauvreté au sein des groupes sociaux. En 2018, l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale souligne que « pauvreté et mal-logement sont étroitement liés dans notre pays », alarme de « la crise persistante du mal-logement » alors que l’accès à la propriété devient « un marqueur social » déterminant et que de nombreux foyers modestes, aux faibles revenus, souvent dépendants des minima sociaux, glissent dans la pauvreté et « décrochent » par rapport aux systèmes d’accès au logement (propriété, logement social, centres d’hébergement…). Pauvreté, exclusion et précarité en matière de logements vont ainsi de pair.

Si la notion de pauvreté a toujours existé, ses critères sont cependant évolutifs : les causes qui la produisent et la perception que l’on en a évoluent au fil des changements économiques, sociaux et sociétaux : « le paysage de la pauvreté se renouvelle » (Gueslin, 2013). Aujourd’hui, le capitalisme libéral inscrit les pauvretés contemporaines au-delà de l’errance et des « gens de rien », des mendiants, des vagabonds et des clochards, installés dans la pauvreté des siècles passés.

En France, c’est l’INSEE, organisme officiel de la définition et de la statistique, qui détermine les « seuils » de pauvreté et les indicateurs d’inégalités, avec deux ans de recul, pour permettre de mieux poser et évaluer les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ainsi, le taux de pauvreté monétaire correspond à la proportion d’individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté exprimé en euros. Le seuil de pauvreté se mesure lui-même à partir de la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population ; le seuil habituel correspond à 60 % du niveau de vie médian. Ainsi, en 2016, la moitié de la population française avait un niveau de vie inférieur à 20 520 euros annuels (valeur de la médiane) soit 1 710 euros net par mois. Avec un revenu net mensuel de 1 026 euros pour une personne seule, le taux de pauvreté monétaire concernait alors 14 % de la population française, soit 8,8 millions d’individus. Ajoutons que les 10% de personnes les plus modestes ont un revenu mensuel inférieur à 920 euros, que 38,3% des chômeurs vivent sous le seuil de pauvreté et que 34,8 % des personnes vivant dans une famille monoparentale sont pauvres.

Pour autant, malgré ces critères statistiques monétaires, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, précise que ce taux relatif varie en fonction de la valeur du niveau de vie médian et masque donc la réalité de la « pauvreté vécue », celle « d’être privé de… », pauvreté qui décrit « le déficit d’accès à un ensemble de biens et de services collectivement jugés indispensables » (Maurin, 2016). En effet, la pauvreté est avant tout une réalité de privations, de difficultés de tous ordres, d’exclusion, souvent de solitude. Être mal-logé s’ajoute à cette marginalisation et participe au maintien dans une spirale de difficultés. Le logement conditionne en effet tous les aspects de la vie quotidienne : son accessibilité et sa localisation dépendent des revenus de leurs occupants (a-t-on réellement le choix de l’emplacement de son logement ?) ; la santé physique et mentale, qui conditionne par la suite la capacité à s’intégrer socialement, à trouver un emploi, à se divertir, dépend là encore de la qualité de son logement (Fondation Abbé Pierre, 2016).

Les trajectoires des ménages contribuent alors à confirmer, ou renforcer, des fractures territoriales, brutalement accentuées avec la crise de 2008/2009. Dans les grandes agglomérations et quelques villes moyennes, la politique de la ville, « politique de cohésion et de solidarité envers les quartiers les plus défavorisés » instaure une géographie dite prioritaire de renouvellement urbain qui concerne quelque 1 500 quartiers les plus pauvres et 5,5 millions d’habitants. Dans ces secteurs, le mal-logement est connu et reconnu : des moyens importants y sont alloués, et ce depuis 40 ans. Mais qu’en est-il dans les « campagnes », territoires ruraux peu denses, soutenus par un important réseau de petites villes à la fois indispensables dans leurs bassins de vie et extrêmement fragilisées? Ces territoires, eux aussi, ne manquent pas d’interroger sur les progressions de la pauvreté. Un sondage IPSOS-SPF en 2017 corrobore cette réalité : 37 % de ces Français disent avoir vécu une situation de pauvreté. Leurs conditions de vie se détériorent ; loisirs, vacances, culture, santé, nourriture sont budgétairement affectés. Pour eux, enfin, se maintenir dans son logement pose  […] (extrait d’article : 2 pages sur 10 (4 illustrations))

Informations complémentaires

Année de publication

2018

Nombre de pages

12

Auteur(s)

Alexandre BRUN, Carole CUENOT, Jean-Paul VOLLE

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf