Pauvreté et mal-logement :
Regards sur quatre villes témoins en Bas-Languedoc

* Maître de conférences de géographie, Université Paul Valéry
** Doctorante en géographie urbaine
*** Professeur Émérite de géographie, Université Paul Valéry.

[ Texte intégral ]

Dès les années 1950, les fragilités sociales et économiques des petites villes en Bas-Languedoc ont été décrites par le géographe Raymond Dugrand. Il mettait déjà l’accent sur une crise permanente qui expliquait de tristes records régionaux tant en termes de taux de chômage que de nombre de faillites. En ce qui concerne les petites villes, jadis prospères et jouant toujours un rôle de centre à l’échelle de leur bassin de vie, les facteurs explicatifs de la crise relevaient selon lui moins de la géographie, pas si défavorable, que de processus croisés combinant le jeu de la rente foncière à la désindustrialisation, deux facteurs étroitement corrélés à la dynamique du système économique dominant. La Grand-Combe, Bédarieux, Clermont-l’Hérault, Lodève, Le Vigan ou Ganges, auraient ainsi peu à peu été affaiblies, en raison de l’absence d’investissements productifs, de cadres techniques et surtout de leur trop grande dépendance à une seule activité, qu’elle soit minière, industrielle ou agricole. Les fermetures de services publics et de commerces ou encore la fracture numérique survenues au cours des vingt dernières années n’ont fait que précipiter leur déclin. En reprenant leur étude, aujourd’hui sous l’angle spécifique de la pauvreté et du « mal-logement », on en révèle les principales – et aussi les moins visibles – pathologies urbaines et sociales, et ce en particulier dans leurs centres anciens. Il s’agit également de montrer combien leur « déclin » est relatif tant leurs trajectoires varient, notamment en fonction de leur statut, de leur bassin de vie, de leurs stratégies urbaines et territoriales, de leur localisation et, naturellement, des relations qu’elles entretiennent avec les métropoles.

La pauvreté, définie comme le manque de ressources matérielles ou financières par rapport à la moyenne d’un groupe social 1, est signe de discrimination et d’exclusion. Vue comme une atteinte à la dignité, elle est régulièrement associée au mal-logement, comme le constatent les associations qui analysent l’état de la pauvreté au sein des groupes sociaux 2. En 2018, l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale souligne que « pauvreté et mal-logement sont étroitement liés dans notre pays », alarme de « la crise persistante du mal-logement » alors que l’accès à la propriété devient « un marqueur social » déterminant et que de nombreux foyers modestes, aux faibles revenus, souvent dépendants des minima sociaux, glissent dans la pauvreté et « décrochent » par rapport aux systèmes d’accès au logement (propripté, logement social, centres d’hébergement). Pauvreté, exclusion et précarité en matière de logements vont ainsi de pair.

Si la notion de pauvreté a toujours existé, ses critères sont cependant évolutifs : les causes qui la produisent et la perception que l’on en a évoluent au fil des changements économiques, sociaux et sociétaux : « le paysage de la pauvreté se renouvelle » (Gueslin, 2013). Aujourd’hui, le capitalisme libéral inscrit les pauvretés contemporaines au-delà de l’errance et des « gens de rien », des mendiants, des vagabonds et des clochards, installés dans la pauvreté des siècles passés 3.

En France, c’est l’INSEE, organisme officiel de la définition et de la statistique, qui détermine les « seuils » de pauvreté et les indicateurs d’inégalités, avec deux ans de recul, pour permettre de mieux poser et évaluer les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ainsi, le taux de pauvreté monétaire correspond à la proportion d’individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté exprimé en euros. Le seuil de pauvreté se mesure lui-même à partir de la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population ; le seuil habituel correspond à 60 % du niveau de vie médian. Ainsi, en 2016, la moitié de la population française avait un niveau de vie inférieur à 20 520 euros annuels (valeur de la médiane) soit 1 710 euros net par mois. Avec un revenu net mensuel de 1 026 euros pour une personne seule, le taux de pauvreté monétaire concernait alors 14 % de la population française, soit 8,8 millions d’individus. Ajoutons que les 10 % de personnes les plus modestes ont un revenu mensuel inférieur à 920 euros, que 38,3 % des chômeurs vivent sous le seuil de pauvreté et que 34,8 % des personnes vivant dans une famille monoparentale sont pauvres 4.

Pour autant, malgré ces critères statistiques monétaires, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, précise que ce taux relatif varie en fonction de la valeur du niveau de vie médian et masque donc la réalité de la « pauvreté vécue », celle « d’être privé de… », pauvreté qui décrit « le déficit d’accès à un ensemble de biens et de services collectivement jugés indispensables » (Maurin, 2016) 5. En effet, la pauvreté est avant tout une réalité de privations, de difficultés de tous ordres, d’exclusion, souvent de solitude. Être mal-logé s’ajoute à cette marginalisation et participe au maintien dans une spirale de difficultés. Le logement conditionne en effet tous les aspects de la vie quotidienne : son accessibilité et sa localisation dépendent des revenus de leurs occupants (a-t-on réellement le choix de l’emplacement de son logement ?) ; la santé physique et mentale, qui conditionne par la suite la capacité à s’intégrer socialement, à trouver un emploi, à se divertir, dépend là encore de la qualité de son logement (Fondation Abbé Pierre, 2016).

Les trajectoires des ménages contribuent alors à confirmer, ou renforcer, des fractures territoriales, brutalement accentuées avec la crise de 2008/2009. Dans les grandes agglomérations et quelques villes moyennes, la politique de la ville, « politique de cohésion et de solidarité envers les quartiers les plus défavorisés » instaure une géographie dite prioritaire de renouvellement urbain qui concerne quelque 1 500 quartiers les plus pauvres et 5,5 millions d’habitants. Dans ces secteurs, le mal-logement est connu et reconnu : des moyens importants y sont alloués, et ce depuis 40 ans. Mais qu’en est-il dans les « campagnes », territoires ruraux peu denses, soutenus par un important réseau de petites villes à la fois indispensables dans leurs bassins de vie et extrêmement fragilisées 6 ? Ces territoires, eux aussi, ne manquent pas d’interroger sur les progressions de la pauvreté. Un sondage IPSOS-SPF en 2017 corrobore cette réalité : 37 % de ces Français disent avoir vécu une situation de pauvreté. Leurs conditions de vie se détériorent ; loisirs, vacances, culture, santé, nourriture sont budgétairement affectés. Pour eux, enfin, se maintenir dans son logement pose problème.

Les rapports annuels de la Fondation Abbé Pierre confirment l’état de pauvreté en Occitanie classée en 2017 au quatrième rang des régions les plus pauvres de France : 16,7 % de la population y vit sous le seuil national de pauvreté, et plus de 20 % dans les quatre départements littoraux. Chômage et sous-emploi caractérisent aussi l’espace occitan et amplifient les causes de la pauvreté. Au premier trimestre 2018 le taux de chômage régional s’élevait à 10,7 % de la population active (8,9 % en France métropolitaine), mais à plus de 12 % dans le Gard, l’Aude et les Pyrénées Orientales et à 12,9 % dans l’Hérault. Dans ces départements, et tout particulièrement dans l’Hérault et le Gard, les structures économiques, sociales, urbaines et architecturales héritées expliquent en partie l’existence d’une pauvreté liée au monde ouvrier (crise et récession industrielle) et paysan (fin de la ruralité paysanne). Pauvreté et mal-logement dessinent alors une géographie inédite de l’espace régional d’Occitanie dans le détail des configurations urbaines, des systèmes de relations des villes à leur campagne, des structures sociales et de la distribution socio-spatiale des revenus. L’analyse des petites villes dans le « Bas Languedoc » et plus particulièrement dans l’arrière-pays de la métropole montpelliéraine confirme cette géographie des territoires.

Repenser le territoire par le biais de la pauvreté et du mal-logement

La pauvreté, un indicateur territorial

La région Occitanie est reconnue « pilote » par sa dynamique démographique fruit de son attractivité (son taux de croissance est deux fois plus élevé que celui de la France métropolitaine), mais « pauvre » par ses dimensions et composantes sociales, en ville, dans leurs périphéries et en zones rurales. Les revenus déclarés sont faibles et parmi les plus inégalitaires en France.

Carte pauvreté des petites villes de 5.000 à 20.000 habitants
Fig. 1 - Carte pauvreté des petites villes de 5.000 à 20.000 habitants

Par unité de consommation, les médianes des revenus déclarés (19 192 euros en 2014) et revenus disponibles (19 457 euros) après transferts des aides et compensations monétaires sont 1 000 euros inférieurs à la médiane nationale. Indemnités de chômage, pensions, retraites et prestations sociales expliquent la part élevée des transferts et minima sociaux, reflet de la pauvreté rurale et des quartiers urbains défavorisés. Pire encore, la pauvreté est singulièrement accusée pour les catégories les plus affectées : les plus pauvres d’Occitanie sont parmi les plus pauvres de France. C’est en outre dans les départements méditerranéens que les revenus médians des plus pauvres sont les plus faibles et les effets de compensation les plus élevés. (Fig. 1) (Fig. 2)

Fig. 2 - Tableau des taux de pauvreté

À l’échelle des intercommunalités et sur la base des revenus, l’INSEE a construit une typologie des territoires selon quatre profils types qui accordent une vision nouvelle de la région. Le profil 1 qui repose sur la part dominante des salaires isole l’espace métropolitain de Toulouse élargi aux intercommunalités voisines, les communautés de Rodez et Mende et seulement deux ensembles communautaires en Languedoc, le Grand Pic Saint-Loup et la communauté d’agglomération du Pays de l’Or. L’association salaires et allocations de chômage (profil 2) donne importance au grand périmètre toulousain et à l’espace urbain polarisé par Nîmes et Montpellier, ainsi qu’à quelques intercommunalités de petites villes, Tarbes, Cahors, Pamiers, Foix, Millau. Les profils : 3 (allocations chômage et retraites) et 4 (revenus non salariaux et du patrimoine) opposent, selon une ligne Saint-Girons/Mont Lozère, les anciens départements de Midi-Pyrénées, plus la Lozère nord-occidentale à ceux du Languedoc méditerranéen plus l’Ariège. Façon d’opposer deux modèles de ruralité et les villes, petites ou moyennes, qui leur sont associées. (Fig. 3)

Carte INSEE : 4 profils de revenus
Fig. 3 - Carte INSEE : 4 profils de revenus

La question du mal-logement

Être mal logé accroît le ressenti de la pauvreté, l’idée même de précarité et le sentiment d’insécurité, de rejet et d’exclusion. Le rapport 2018 de la Fondation Abbé Pierre, véritable « signal d’alarme » est sans concession : en France métropolitaine, « 4 millions de personnes sont mal logées, 12 millions fragilisées » (Fondation Abbé Pierre, 2018).

Alors que la qualité du parc immobilier s’améliore, que le confort sanitaire se généralise et que le degré de satisfaction des ménages frôle les 50 %, le marché libéral du logement qui renchérit l’achat et la location, les limites apportées à la construction de logements sociaux et les baisses des aides sociales (APL) rendent plus vives les difficultés des ménages et des individus les plus pauvres. Les inégalités s’accroissent pour accéder au logement tant sur le plan du patrimoine que sur celui des parcours résidentiels. Être mal logé, c’est n’avoir d’autre choix que d’être assigné à résidence 7.

Hors de toute référence aux personnes sans domicile, aux habitations de fortune et aux bidonvilles, le mal-logement se mesure en manque de confort, en limitation des usages (le chauffage par exemple) et en surpeuplement qui est une réponse forcée à la pénurie de logements accessibles. Pour qualifier les conditions de logement, l’INSEE a élaboré une batterie de 9 indicateurs : logement trop petit par rapport au nombre de personnes dans le ménage, absence de salle de bains, de toilettes, d’eau chaude courante, de système de chauffage, logement de petite taille, difficultés à chauffer le logement, logement trop humide ou trop bruyant. Trois de ces indicateurs suffisent pour définir des difficultés à se loger et la nature du mal-logement.

Dans son projet de « Baromètre de la cohésion des territoires » le Commissariat Général à l’Égalité des Territoires 8 place d’ailleurs l’accès au logement social comme indicateur de la qualité de la vie au vu des difficultés d’attribution selon les territoires. À ce propos, la région Occitanie se singularise par la faiblesse du parc locatif social qui représente quelque 10 % du parc des résidences principales soit moins de 280 000 logements (15 % en France métropolitaine, l’article 55 de la loi SRU situe le seuil minimal des communes concernées à 20 %, 25 % d’ici 2025 selon les situations locales en fonction de la loi de 2013). Au 31 décembre 2017 près de 140 000 ménages étaient en attente d’un logement social soit 12 % de plus qu’en 2015. Le taux de satisfaction ne dépasse que très rarement 30 % des demandes et le temps d’attente a progressé jusqu’à 22 mois à Montpellier et franchit le seuil de 3 ans pour près d’un demandeur sur cinq. Dans le parc privé également, les catégories sociales les plus pauvres doivent faire face à l’augmentation des loyers (2 à 3 fois le loyer des logements sociaux) et au mauvais état des logements, particulièrement ceux des centres anciens, plus accessibles mais peu équipés, souvent humides, sombres, exigus voir insalubres.

La région Occitanie compte 105 quartiers prioritaires de la politique de la ville répartis dans 41 unités urbaines (358 000 habitants, 6 % de la population régionale) que l’INSEE a classés selon leur degré de pauvreté et leur composition sociale et familiale 9. Ceux qui relèvent du profil « centre ville à population âgée » concernent 14 quartiers dont une majorité dans les petites villes du Languedoc notamment à Bédarieux, Lodève, La Grand-Combe, Saint-Ambroix, Limoux et Lézignan-Corbières. En centre ville, ils concentrent dans des logements locatifs anciens une population pauvre ou âgée, souvent éloignée de l’emploi.

En janvier 2017, Alexandre Brun et Carole Cuenot mettaient en évidence les paradoxes des deux départements voisins, Hérault et Gard : un littoral et une plaine rétro-littorale attractive et dynamique, portée par un réseau de villes-centre (Béziers, Sète, Montpellier, Nîmes), et des « arrière-pays » anciennement industriels et agricoles, globalement pauvres et peu enclins à infléchir les trajectoires de déclin économique et démographique qui sont les leurs. Plus surprenant encore, alors que la tension du marché locatif est extrêmement élevée dans les agglomérations urbaines, à moins de 40 kilomètres, les petites villes présentent des taux de vacance dépassant fréquemment les 15 % (Cuenot, Brun, 2017) 10.

Dans ces territoires singuliers, à la fois suffisamment proches de l’aire de métropolisation de Sète à Nîmes pour ne pas bénéficier d’une réelle capacité d’autonomie, et trop éloignés pour en capter le développement, mal-logement et pauvreté deviennent des questions centrales. Alors que les grandes agglomérations, dont les taux de pauvreté sont supérieurs à 25 %, font l’objet de toutes les attentions de l’État, les petites villes manquent de moyens pour aborder ces questions. En Hérault, seules Lodève et Bédarieux bénéficient des crédits alloués aux 7 contrats de ville (22 quartiers prioritaires). Dans le Gard qui regroupe 22 % de la population des quartiers prioritaires d’Occitanie, les petites villes, Bagnols-sur-Cèze, Beaucaire, Pont-Saint-Esprit, Saint-Gilles, Vauvert, Uzès et La Grand-Combe (leur taux de pauvreté est toujours supérieur à 22 %), intégrées à des unités urbaines et plus éloignées des effets positifs de la métropolisation sont mieux inscrites dans la politique de la ville qui compte 18 quartiers prioritaires.

En 2015, dans ces deux départements, les 61 petites villes de 5 000 à 20 000 habitants représentent 8,8 % du nombre de communes, mais plus de 500 000 habitants soit plus du quart de leur population. Hors des aires d’agglomération, elles constituent des pôles de centralité qui structurent des territoires de rattachement. Elles disposent d’un maillage d’équipements, de services de santé, d’éducation, de formation, de commerces de proximité et de services publics qui irriguent leurs campagnes. Leur centre ville est en devenir.

Mal-logement et pauvreté paralysent les centres anciens des petites villes

Les petites villes en statut d’interface entre le rural et l’urbain-métropolitain, toujours difficiles à définir, restent le « parent pauvre de la recherche en géographie urbaine » 11. Elles n’ont suscité, au cours des dernières années, qu’un intérêt limité tant sur le plan scientifique que dans les politiques publiques. La fondation Abbé Pierre elle-même experte du mal-logement dans les grandes agglomérations, et, à l’inverse, dans les campagnes, est cependant beaucoup moins assurée dans les petites villes, en marge des dynamiques métropolitaines et pas toujours en symbiose avec les problématiques de la ruralité.

Dans l’Hérault et le Gard, à l’image de l’ensemble du territoire national, les petites villes ont des trajectoires contrastées. Celles du littoral sont « intégrées » à l’aire métropolitaine ou au Biterrois/Narbonnais et participent au vaste réseau d’échanges et de flux inter cités. Elles sont en moyenne plus riches que les villes-centres (Montpellier, Nîmes, Béziers, Sète) qui concentrent davantage de logements sociaux et de pauvreté.

Les petites villes des « arrière-pays », en revanche, sont considérées comme « isolées » car hors du continuum urbain. La ligne Clermont-l’Hérault / Quissac / Uzès / Pont-Saint-Esprit en délimite la distribution (Sommières 4 750 habitants et Remoulins 2 300 exceptées). Elles se répartissent en trois catégories, déterminées par un ensemble de critères statistiques traduisant chacun un degré de dynamisme 12 : le taux de propriétaires, la dynamique résidentielle récente, le taux d’évolution annuel de la population dû au solde naturel entre 2009 et 2014, le taux d’évolution annuel de la population dû au solde migratoire (2009-2014), le taux d’emploi des jeunes actifs (15-24 ans), la part des cadres des fonctions métropolitaines (CFM) dans l’emploi total, la part des diplômés de l’enseignement supérieur, le revenu médian par Unité de Consommation, le taux d’emploi et le taux de concentration de l’emploi.

Ces trois catégories traduisent les fragilités, plus ou moins prononcées, des petites villes sur les plans économiques et sociaux. Celles qui sont proches de la métropole ou à la périphérie du noyau alésien sont les plus dynamiques : elles bénéficient de la croissance de la ville-centre. Pour autant, leur taux de concentration de l’emploi, qui détermine leur capacité à polariser les flux, est faible. Ces petites villes sont, de fait, qualifiées de « résidentielles ». Les résultats de l’analyse statistique ajoutés à leur distribution géographique permettent d’identifier la seconde catégorie comme « intermédiaire » entre arrière-pays et influences métropolitaines. La dernière catégorie, « petites villes isolées », correspond aux petites villes qui sont le plus éloignées de l’avant-pays et ne parviennent pas à en capter les effets en termes de développement. Elles sont extrêmement fragilisées ; pour autant, leur taux de concentration de l’emploi élevé les rend centrales et structurantes dans leurs bassins de vie. (Fig. 4)

Typologie des petites villes (source C. Cuenot, 2018)
Fig. 4 - Typologie des petites villes (source C. Cuenot, 2018)

Ces différences de trajectoires, parfois importantes, sont le résultat de plusieurs facteurs. La proximité de l’espace de métropolisation dit « d’avant pays » apparaît souvent déterminante. Mais des conditions singulières, propres à chaque petite ville, y contribuent également, comme leur héritage économique, social et politique, leurs ressources (touristiques notamment), leur gouvernance et leur capacité à établir une vision stratégique à long terme.

Pour les petites villes les plus fragilisées, et même pour celles qui sont dans la catégorie « intermédiaire », la pauvreté et le mal-logement sont au centre du processus de dévitalisation, affectant tout particulièrement leurs centres anciens. Bédarieux, Lodève, Clermont-l’Hérault et La Grand-Combe, dans le Gard, participent à ces trajectoires. Elles sont nos quatre petites villes témoins. Clermont-l’Hérault, 8 667 habitants en 2015, Lodève 7 409, Bédarieux 5 966 se situent respectivement au 18, 22e et 35ème rang des 43 villes de plus de 5 000 habitants dans le département de l’Hérault. La Grand-Combe (5 130 habitants) est 24ème dans le département du Gard, sur 26 villes de plus 5 000 habitants. (Fig. 5)

Carte Gard Hérault des petites villes
Fig. 5 - Carte Gard Hérault des petites villes

En 2016 et 2017 la Fondation Abbé Pierre a confié au Master d’Urbanisme de l’Universitp Paul Valéry, en appui du laboratoire Art-Dev 13, un programme de recherche sur le mal logement dans les petites villes de l’arrière-pays montpelliérain, Bédarieux, Lodève et Clermont-l’Hérault. La Grand-Combe, présentant les mêmes caractéristiques, a été ajoutée comme quatrième ville témoin. L’état des lieux, les héritages, les trajectoires d’un avenir projeté, les ambitions politiques en termes d’aménagement ont fait l’objet d’interrogations et d’investigations de terrain. La réflexion s’est prolongée par une démarche d’analyse enrichie de visions prospectives. L’approche du territoire a reposé sur la parole des habitants via un questionnaire semi-ouvert qui a permis la constitution de bases de données qualitatives et quantitatives 14. Les projets élaborés par équipe, en studio, traduisent l’idée que des opportunités existent pour revivifier les centres à partir d’une requalification de leur structure résidentielle avec comme objectifs d’améliorer le cadre de vie, de créer des espaces de « respiration » plus fréquents, et d’offrir, au centre, de nouveaux leviers de développement économique et social.

Des héritages qui ont modelé le territoire

Manufactures, fabriques ou mines ont donné une forte identité industrielle à Clermont-l’Hérault et sa manufacture de Villeneuvette pour les draps fins, Bédarieux pour le marché intérieur, Lodève pour les draps de troupe suite aux commandes royales, et La Grand-Combe par ses mines de charbon 15.

À la fin du XIXème siècle, ces quatre petites villes affichent leur prospérité et spécialisation pour les campagnes qui les entourent. Bédarieux compte alors plus de 10 000 habitants, ajoutant à ses industries manufacturiqres (tanneries, filatures) l’exploitation de mines de bauxite et de charbon. Elle est par ailleurs chef-lieu de canton depuis 1790. Au début du XXème siècle elle sera même la cinquième ville du département derrière Montpellier, Béziers, Sète et Agde. Lodève, la cité du Cardinal de Fleury- 11 000 habitants – est, par longue tradition, spécialisée dans la draperie. Son importance est également administrative et héritée ; elle est chef-lieu de canton après avoir été capitale du diocèse éponyme. La Grand-Combe compte quant à elle plus de 13 000 habitants, se relie au Rhône dès 1841 via le chemin de fer vers Beaucaire pour exporter le charbon (projet conduit par la Compagnie Talabot qui inaugura la ligne de Nîmes vers Montpellier en 1845). Elle fait partie du bassin houiller d’Alès/La Grand-Combe qui comptera sur l’ensemble des concessions minières jusqu’à 20 000 ouvriers en 1958 (Paczkowski, Vielzeuf, Vigne, 1989). Clermont-l’Hérault, plus petite – environ 5 000 habitants – valorise son vignoble de quelque 6 000 hectares par le négoce du vin qui l’inscrit comme capitale. Naturellement, ces petites villes concentrent la quasi-totalité des emplois des campagnes environnantes et regroupent commerces, services privés et publics, établissements de santé et d’éducation, administrations locales…

Ces petites villes prennent figure de villes dynamiques, transformant leur tissu urbain en l’adaptant à leur fonction industrielle dominante. L’eau courante, l’éclairage public, l’assainissement des rues anciennes, l’édification de nouveaux quartiers témoignent de leur relative richesse. Dans l’Hérault, la voie ferrée relie les petites villes de l’arrière-pays à Montpellier, Sète, Béziers, et par là à la vallée du Rhône mais aussi à Toulouse et au pôle industriel de Castres/Mazamet. Bédarieux est ainsi raccordé à Béziers dès 1858. La Grand-Combe se relie à Alès et au reste du réseau languedocien par la ligne des Cévennes, prolongée en 1867 jusqu’à Brioude via Chamborigaud.

En 1890, à Clermont-l’Hérault, la cité Molinier se construit autour du négoce du vin et des produits de la vigne aux environs de la gare, la ville accueillant alors de nouveaux métiers « périphériques », comme des tonneliers ou mécaniciens. Dans chacune de ces villes la gare devient un lieu important pour les marchandises comme pour les voyageurs. Ainsi à Bédarieux, 109 000 voyageurs transitaient par le train en 1890, 16 000 en 2015 16.

Elles se transforment également d’un point de vue architectural. L’apport de populations nouvelles repousse les limites de la cité. Des faubourgs voient le jour sur un parcellaire souvent étroit, avec des immeubles tout en hauteur, construit sur le modèle de l’immeuble de rapport avec commerces en rez-de-chaussée, logements répartis sur trois étages et espaces de stockage sous les toits. Pour les immeubles les plus riches, des éléments d’ornementation sont visibles sur les façades, encadrements de baies et de portes, garde-corps en fonte. Les logements ouvriers sont de facture architecturale plus sommaire, les baies ne présentent pas d’alignement homogène, les façades sont plus modestes et les logements exigus.

Du fait d’une industrie prospère, les habitations ouvrières et les faubourgs côtoient de remarquables maisons de maître. À Bédarieux, ces maisons prestigieuses sont apparues dès la fin du XVIIIème siècle, sur des terrains vierges, à proximité des usines installées le long de l’Orb (les maisons Sicard et Donadille). Elles sont construites en matériaux locaux – la pierre de taille en grès de Lamalou par exemple – et sont ornées de ferronneries. Lodève se dote d’hôtels particuliers, dans la rue du Cardinal de Fleury, sur l’ancienne place des Chátaignons 17. À La Grand-Combe, l’église tout en majesté, le temple du quartier de Trescol et le kiosque à musique sur la grande Esplanade témoignent du « paternalisme » de la Compagnie des Mines pour équiper sa ville ouvrière.

Il convient aussi de rattacher aux héritages une certaine qualification de la main d’œuvre et la place importante des ouvriers (plus de 12 % pour les cités héraultaises dans leur population de plus de 15 ans en 2015, Hérault 9,7 % ; plus de 14 % pour La Grand-Combe, Gard 11,1 %) dans le profil social de la ville alors que les cadres et professions intellectuelles supérieures sont en nombre réduit (moins de 5 %, Hérault 8,5 %, Gard 6,3 %). Le niveau de vie médian est ainsi nettement inférieur à celui du département – moins de 17 000 euros, 15 970 pour Lodève contre 18 974 pour l’Hérault et 14 103 pour La Grand-Combe contre 18 946 pour le Gard – la part des prestations sociales, des minimas sociaux et des retraites nettement supérieure aux moyennes départementales et, en conséquence, le taux de pauvreté, quel que soit l’âge, très élevé, concerne près de 25 % de la population (28,8 % à Lodève, 19,4 % dans le département). À La Grand-Combe, le taux de pauvreté atteint 38,9 % de l’ensemble des ménages fiscaux (20,1 % pour le département du Gard) 18.

Crise, décroissance, pauvreté et mal-logement

À la sortie de la guerre et jusqu’aux années 1990, Bédarieux (7 000 habitants en 1946), Lodève (6 200 habitants) mais surtout La Grand-Combe (14 165 habitants), sont des villes plus importantes et plus « urbaines » que Clermont l’Hérault (5 200 habitants) plus marqué par les activités viticoles. La crise des industries textiles et manufacturières affecte les deux premières, la fermeture des concessions minières précipite La Grand-Combe dans une décroissance continue jusqu’à aujourd’hui, tandis que Clermont-l’Hérault va « basculer » dans les effets du périurbain de Montpellier. L’inversion démographique qui suit verra cette dernière franchir le seuil des 8 000 habitants alors que Lodève régresse (fermeture de la Cogema) et que Bédarieux et La Grand-Combe se vident de leurs forces vives. L’essor du littoral (Mission Racine) et de Montpellier (Capitale régionale, Université, IBM…) a bouleversé l’ordre des petites villes animatrices de leurs pays frappés par l’exode rural et la crise de leur modèle économique (fermeture des mines, des ateliers industriels, des voies ferrées et petites gares…).

L’accueil des rapatriés donne le ton des constructions de quartiers nouveaux, notamment à Lodève (Montifort, 1967) qui s’affiche par la suite « porte de la Méditerranée », mais ne peut inverser la logique économique de crise, de repli, de reflux démographique et économique qui marque profondément la fin du siècle. La reprise des années 2000 concerne essentiellement Clermont-l’Hérault proche de Montpellier, alors que Lodève enclenche tardivement son renouveau (rôle déterminant de l’A 75) et que Bédarieux, plus isolé, voit sa population stagner. La Grand-Combe continue de décroître, souffre de sa proximité avec Alès (moins de 10 minutes). La « crispation » démographique va de pair avec l’augmentation des fragilités sociales : fort taux de chômage (plus de 20 % des actifs de 15 à 64 ans, près de 26 % à Bédarieux et jusqu’à 40,1 % à La Grand-Combe), taux de pauvreté parmi les plus élevés du département, faiblesse des bas revenus (jusqu’à 1 000 euros de moins que la moyenne annuelle départementale établie à 9 500 euros), faiblesse également accusée pour les revenus les plus élevés qui représentent tout au plus 90 % de la moyenne départementale de cette tranche (80 % à Bédarieux). Et jusqu’à 30 % des jeunes qui n’ont pas de diplôme et sont en mal d’intégration au travail.

Ces fragilités sociales ne sont pas sans conséquences sur le milieu urbain. Elles ont mécaniquement un effet direct sur la ville, et en particulier sur les centres anciens. Les populations les plus pauvres ne peuvent se loger décemment hors du logement social et les propriétaires immobiliers ne disposent que rarement de ressources financières suffisantes pour amorcer des travaux de réhabilitation, dont les coûts sont élevés. Le processus de paupérisation trouve là ses composantes majeures. Le mal-logement accompagne et renforce la réalité et le ressenti de pauvreté. Il s’affiche avec des composantes qui sont différentes de celles qui définissent l’habitat rural hérité et dégradé des villages tout autant que de la façon dont la question du mal-logement s’inscrit dans les quartiers des grandes agglomérations régionales. Il tient aux héritages d’une population ouvrière dépendante et aux revenus tronqués par les crises successives de la sphère productive. Il est aussi le sous-produit de la faiblesse des moyens des propriétaires résidents et des collectivités locales ne pouvant engager des politiques de requalification/ rénovation sans aides extérieures du département, de la Région ou de l’État.

Le quartier prioritaire du centre ville de Bédarieux (2 315 habitants) retenu par le Commissariat Général à l’Égalité des Territoires illustre parfaitement cette situation de paupérisation active. Le contrat de ville 2015-2020 se veut ainsi exemplaire d’une gouvernance citoyenne et de co-construction de la déclinaison du projet selon les 4 axes retenus : cohésion sociale, cadre de vie et renouvellement urbain, développement économique et emploi, valeurs de la République et citoyenneté. Le tout pour lutter contre la dégradation des conditions d’habitat dans un centre ville « qui était majoritairement occupé par les ouvriers de l’industrie… reflet de l’urbanisation de l’époque, avec des rues étroites peu lumineuses, une importante humidité, des immeubles (les maisons chandelles) souvent construits avec les moyens de l’époque… qui connaît d’importantes difficultés à se rénover, se moderniser… » (Contrat de ville, 2015).

Lodève est classée 15ème en France quant au nombre relatif de pauvres et 1ère en Hérault. Son centre ville (avec les hauts de Montbrun, une partie du quartier des Carmes et quelques immeubles de part et d’autre de la gendarmerie pour une population de 3 080 habitants) est également inscrit parmi les 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville par ses composantes sociales et résidentielles : fort pourcentage de personnes âgées et de personnes seules, beaucoup de petits logements peu adaptés à la vie familiale (20 % de 1 à 2 pièces), structures résidentielles désuètes, faible taux d’emploi, emplois précaires importants (22 % des actifs), revenus très faibles (un quart des ménages ne dispose que de 3 900 euros de revenus annuels déclarés), d’où peu de ménages imposés (24 %), une médiane des revenus disponibles inférieure à 13 000 euros par an (16 700 pour l’EPCI) et un taux de pauvreté à 60 % affectant près d’une personne sur deux. La rotation résidentielle au centre est très élevée témoignant d’une grande insatisfaction des locataires. La convention cadre prend appui sur 5 enjeux majeurs portant sur la mobilité des populations, la nécessité de venir à bout de l’habitat dégradé et adapter le parc résidentiel à la demande actuelle, de stabiliser la population la plus fragilisée, de recréer de la mixité sociale et de revenus, et enfin de contribuer à la revalorisation de l’image de la ville pour renforcer son attractivité.

La Grand-Combe est, quant à elle, la ville la plus pauvre du département du Gard. Parmi les 18 « quartiers prioritaires » définis par la politique de la ville que compte le Gard, La Grand-Combe bénéficie de deux périmètres, le « Centre Ville/ Arboux » et, tout près, celui de « Trescol/ La Levade ». Ce dernier se classe au cinquième rang des quartiers prioritaires les plus pauvres d’Occitanie. Le taux de pauvreté à 60 % y concerne 52 % de la population des ménages (46,1 % au centre ville/ Arboux) et les deux tiers des ménages s’inscrivent dans les plus bas revenus déclarés (58,3 % à centre ville/ Arboux). En 2016, ces deux quartiers urbains regroupent plus de 3 400 habitants, soit plus d’un tiers de la population de l’agglomération (INSEE, 2018) 19. Ils sont jugés « socio-économiquement sinistrés », fortement marqués par une population précaire qui se renouvelle sur les bases de la précarité. Le turn-over élevé concerne essentiellement des locataires précarisés remplaçant les anciens locataires pauvres. Les impayés de loyer sont conséquents. Les propriétaires manquent aussi de moyens pour améliorer leur logement. Le parc social (environ 40 % des logements), dense et vieux, offre de médiocres conditions d’habitat. Le tissu ancien, au centre, privé, dégradé, présente souvent les critères de l’habitat indécent ou indigne. L’enjeu souligné par le contrat de ville en termes d’amélioration des conditions résidentielles et du cadre de vie pour concourir à un « mieux habiter » consiste à faciliter la réhabilitation/ rénovation par la destruction de plus de 130 logements et la réhabilitation de près de 400 sur un total de quelque 2 300 logements pour les deux quartiers. Une image renouvelée de la ville est à ce prix.

Ces zonages prioritaires intègrent une tendance qui concerne les quatre petites villes étudiées, celle de la corrélation directe entre dégradation des conditions de résidence au centre, vacance locative et paupérisation. Le marché de l’immobilier efface toute trace de mixité sociale, le parc de logements accessibles devient de fait la seule réponse aux populations les plus fragilisées en termes de revenus, ce qui accroît le sentiment d’exclusion, de marginalisation et d’insécurité (témoignages des habitants, 2015). La vacance locative dégrade l’image de la ville : la récurrence de logements à l’abandon, de volets fermés ou de portes murées renvoie au promeneur comme à l’habitant un signal négatif. Les raisons de cette vacance sont en partie expliquées par le fait que les propriétaires sont généralement modestes, les coûts de réhabilitation élevés et les aides financières de l’Agence Nationale de l’Amélioration de l’Habitat laissant des restes à charge conséquents, trop élevés (10 à 15 % du montant total des travaux). Enfin, et même si cela reste marginal, un certain nombre de propriétaires affichent ne pas avoir l’intention d’engager des frais pour remettre leur bien sur le marché, craignant une location/ occupation à des populations précaires non solvables (témoignages, 2015).

Pour autant, le mal-logement dans les centres anciens renvoie aussi à leur environnement urbain. La vacance commerciale y est de plus en plus forte. En cause, des locaux qui ne répondent ni à la demande, ni aux exigences des installations commerciales contemporaines (petites surfaces qui ne sont pas aux normes incendie ou de desserte, pas d’accès pour les populations à mobilité réduite, stationnement difficile…). S’y ajoute la concurrence des centres commerciaux en périphérie, plus grands et plus accessibles. Les espaces publics, sont souvent peu fonctionnels, le mobilier urbain dégradé et le stationnement toujours problématique.

Les centres anciens de Lodève, Bédarieux, La Grand-Combe et Clermont-l’Hérault, à l’image de ceux de la plupart des petites villes de la région Occitanie, sont victimes d’un urbanisme fonctionnel qui sépare lieu de vie et lieu de travail, et a fait éclater les espaces de consommation. L’usage largement dominant de la voiture individuelle nuit à la centralité historique : les périphéries deviennent plus attractives car moins contraignantes. Dans le cas de La Grand-Combe, la « périphérie » est la ville d’Alès, qui concentre les grandes zones commerciales et un habitat locatif plus récent. Les centres ont perdu les classes moyennes ayant choisi de vivre en périphérie. Ils attirent, par les loyers qui y sont pratiqués, les catégories sociales les plus fragilisées faute d’accéder au parc social. Vacance, entretien défectueux, dégradation conduisent à une dépréciation du centre dans l’imaginaire collectif. Les sentiments d’abandon et d’insécurité deviennent fréquents, tandis que la vacance commerciale progresse.

À l’image de la petite ville un temps symbole d’une France industrielle et rurale, Bédarieux, Lodève, Clermont-l’Hérault et La Grand-Combe figurent aujourd’hui, avec des nuances, le modèle de ce que l’on a identifié sous l’étiquette de « villes qui rétrécissent » (“les shrinking cities”). L’intégration à l’aire métropolitaine de Montpellier place Clermont-l’Hérault en ville-relais qui participe à la dynamique démographique et se différencie de ses voisines héraultaises. La Grand-Combe, cité minière ouvrière, est plus distante du monde rural. (Fig. 6)

Modèle économique et urbain de dévitalisation des petites villes
Fig. 6 - Modèle économique et urbain de dévitalisation des petites villes

Conclusion

La région Occitanie se singularise à la fois par son attractivité reconnue (première en France pour la progression démographique et la création d’entreprises) et ses records de pauvreté (chômage et précarité sociale). Cette situation contrastée recouvre en réalité des situations locales très contrastée recouvre en réalité des situations locales très nuancées. Alors que les petites villes des aires urbaines et métropolitaines sont parmi les plus riches, celles des arrière-pays comptent parmi les plus pauvres. Éloignées des pôles urbains majeurs, peu convoitées par les promoteurs, investisseurs et aménageurs, les petites villes, en situation de repli, concentrent pauvreté et mal logement. Elles sont soumises à un processus de paupérisation qui contribue à la dégradation de leur patrimoine immobilier. La modernisation indispensable de leur infrastructure résidentielle souffre d’une insuffisance de moyens et d’un environnement urbain peu attractif. La politique de la ville, sous tendue par un engagement citoyen, détermine des enjeux et qualifie des objectifs prioritaires autour de la cohésion sociale, de l’emploi et du développement économique, du renouvellement urbain et du cadre de vie. Les moyens alloués à cette démarche ont pour but de mobiliser les acteurs locaux et les partenaires institutionnels et privés pour inverser les tendances à la déprise démographique, à l’attractivité fragile ou à la récession et poursuivre le renouvellement urbain afin d’offrir un meilleur cadre de vie à la population résidente. Le regard porté sur quatre petites villes du Bas-Languedoc souligne combien les petites villes participent à la fracture sociale et territoriale. En ce qui les concerne, la question de leur renouvellement urbain doit être abordée de manière globale et ouvre un vaste chantier qui interroge leur place et leur rôle dans l’organisation de l’espace. Les petites villes, héritières d’un passé souvent florissant, auraient-elles été mises à l’écart du mouvement général de l’économie et de la société urbaine de type métropolitain ? Peuvent-elles oublier leur passé ? Comment pourraient-elles offrir quelque chose de « différent, de beau, de prometteur » (C. Châtel et F. Moriconi-Ébrard) alors que l’essentiel des politiques publiques et des préoccupations d’aménagement du territoire vise à centrer les regards et les actions sur les espaces de métropolisation et non plus sur la redynamisation des territoires en déclin (France Stratégie, Loi MAPTAM et NOTRe). Aux frontières de l’urbain métropolitain, ne leur reste-t-il pas à s’insérer dans les espaces interstitiels des aires métropolitaines pour faire valoir leur spécificité et leurs ressources de nature et d’histoire ? C’est peut-être là une des clés de leur devenir, d’affirmation de leur capacité à faire ville, à se moderniser et animer leur territoire.

BIBLIOGRAPHIE

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Rapports :

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Contrats de ville :

Bédarieux, Contrat de ville 2015-2020, Quartier du centre-ville.

Lodève, Contrat de ville 2015-2020.

La Grand-Combe, Contrat de ville du Pays Grand-Combien 2015-2020, quartiers Centre-ville/ Arboux et Trescol/ La Levade.

NOTES

1. Définition du CNLA, 8 février 2016.

2. Liste des associations : ATD quart Monde, Fondation Abbé Pierre, Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), Secours populaire, Secours catholique, Centre d’action sociale protestant… Collectif ALERTE créé en 1994… « 51 associations de lutte contre la pauvreté et le mal-logement se sont unifiées, mercredi 4 janvier 2017 à Paris » (Le Monde du 4 Janvier 2017).

3. Gueslin A., Les gens de rien : une histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle, Fayard, 456 p. 2004 ; Gueslin A., 2013, « D’ailleurs et de nulle part. Mendiants, vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge », Paris, Fayard, 536 p. ; Roinsard N., 2013, « Histoire de la pauvreté errante », La Vie des idées.

4. INSEE Première N° 1710, 11/09/2018, « Les niveaux de vie en 2016 ».

5. Maurin L., 2016, « Un million de pauvres de plus en 10 ans », Observatoire des inégalités.

6. Malgré le fait que les trajectoires économiques des petites villes dans les espaces ruraux varient fortement en fonction des régions, elles ont globalement été fragilisées par la désindustrialisation et beaucoup peinent à imaginer des solutions de redynamisation pérennes.

7. « L’assignation à résidence » est une peine judiciaire, alternative à la prison, ordonnant à une personne de rester vivre dans le périmètre d’un territoire donné.

8. CGET, Projet de baromètre de la cohésion des territoires, Décembre 2017.

9. INSEE Occitanie, Dossier N° 7 Juillet 2018, Quartiers prioritaires de la politique de la ville en Occitanie : les multiples visages de la pauvreté.

10. Cuenot C., Brun A, 2017, « Le mal-logement dans le centre ancien des petites villes, l’exemple languedocien », Urbanités N° 8.

11. Édouard J.-C., 2012, « La place de la petite ville dans la recherche géographique en France : de la simple monographie au territoire témoin ». Annales de Géographie, N° 683 ; Châtel C. et Moriconi-Ébrard F., 2017, « Les petites villes à la recherche de valeur ou de richesse ? », Territoire en mouvement, N° 33.

12. Cette méthodologie d’analyse spatiale a été inspiré d’une étude de l’agence d’urbanisme d’Aix-Marseille, en cours, sur la typologie des villes petites et moyennes en PACA en 2018.

13. ART-DEV : Acteurs, Ressources et Territoires dans le DEVeloppement, UMR 5281, Université Paul Valéry, Montpellier.

14. 100 habitants ont été interrogés par ville. Chacun des questionnaires a été rempli en direct et commenté par la personne, l’entretien étant enregistré. Tous les profils sociaux et classes d’âges ont été représentés.

15. Caliste Lisa, « Faire des draps à Lodève, Clermont-l’Hérault et Bédarieux », 2016, HAL, archives-ouvertes.fr.

16. Société Archéologique et Historique des Hauts Cantons de l’Hérault, Bulletin spécial n° 4, 1985.

17. https://lodeve.fr/histoire-et-patrimoine/.

18. INSEE, Fichier localisé social et fiscal (FiLoSoFi), 2015, mis en ligne le 19/06/2018.

19. INSEE Occitanie, Dossier N° 7 Juillet 2018, Quartiers prioritaires de la politique de la ville en Occitanie : les multiples visages de la pauvreté.