Notes de toponymie : (II) Le nom de lieu Le Vignogoul, commune de Pignan (Hérault)
Notes de toponymie :
(II) Le nom de lieu Le Vignogoul, commune de Pignan (Hérault)
p. 135 à 136
Le nom de lieu Le Vignogoul, qui est couramment ressenti comme un appellatif (le Guide B.N.P. 34 signale l’église et le château du Vignogoul), a fait l’objet d’une notice détaillée de M. F.R. Hamlin (D.N.L.H., 414) qui a recueilli de nombreuses formes anciennes, dont les trois premières, tirées du Cartulaire de Maguelone et datées approximativement du XIIe siècle, enferment toutes un –g– (Vinogolo, Vinhogolo, Vignogolo) comme le nom actuel, tandis qu’en 1214 et 1250 apparaissent des formes en –v– (Vinovol, Vinovolo). Dans son commentaire le même auteur écrit : « Étymologie obscure le premier élément est passé de Vino– à Vinho– par analogie avec vinha ; l’altération –ogolo > –ovolo dans de nombreuses formes médiévales reste à expliquer ».
En ce qui concerne les trois plus anciennes mentions qui, on vient de le voir, sont toutes tirées d’un cartulaire, c’est-à-dire d’un ouvrage de deuxième main dans lequel les textes ont été recopiés souvent très longtemps après leur première rédaction, il est utile de présenter la documentation que l’on peut tirer d’un lot de documents originaux, conservés aux Archives Départementales de l’Hérault (59 H, liasse B) et dans lesquels on peut lire aux pièces 7, 8 et 25, datées respectivement de 1155, 1162 et 1194, les formes suivantes, dans l’ordre Sancta Maria de Vinovol, parrochie Sancte Marie de Vinozol, in parrochia Sancti Martini de Vinovol. La chronologie de ces trois mentions montre que les formes en –ovol et en –ozol ont précédé et non suivi les formes en –ogol, lesquelles sont nettement postérieures.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas admettre pour le vignogoul l’explication qui a été proposée par d’excellents linguistes, notamment par Albert Dauzat dans son Dictionnaire Étymologique (Paris, 1930), pour établir l’origine du mot français vignoble qui remonterait à une forme postulée en latin vulgaire *vineobulum ? Mais, au lieu de considérer que l’équivalent provençal de la forme française est « vinhobre », mot récent qui n’est qu’un simple calque de vignoble, n’est-il pas plus indiqué de penser que le continuateur normal en langue d’oc de ce même étymon *vineobulum est bien notre vignogoul languedocien, qui serait ainsi passé par les étapes suivantes :
- passage du b latin intervocalique au v provençal, comme dans cabalium > caval « cheval ».
- amuïssement du v intervocalique, vinovol, forme attestée en 1145, devenant *vino-ol, prononcé vinooul.
- suppression de l’hiatus o/ou par épenthèse soit d’un –z-, soit d’un –g-; *vinool passant à vinozol ou vinogol, formes pareillement attestées en 1162 et en 1214.
Les formes anciennes démontrent que le g de Vignogoul n’est apparu que tardivement et qu’il a été précédé par un –v– issu normalement d’un –b– latin. Quant à la palatalisation du n, que l’on constate dès le XIIe siècle, bien que transcrite plus tard (Vinhogolo et Vignogolo), elle a été probablement masquée par une graphie inadéquate (n au lieu de nn, forme habituellement employée au XIIe siècle pour marquer la mouillure de l’n), mais elle a été prononcée dès la naissance du mot et elle a perduré jusqu’à nos jours, confirmant l’hypothèse de *vineobulum.
Le nom de lieu Le Vignogoul signifierait donc Le Vignoble et il serait la forme toponymique d’un nom commum qui, en ancien provençal, aurait été au XIIe siècle *vinnovol et à partir du XIIIe, après l’apparition de la graphie occitane rh, *lo vinhovol ; pour devenir ensuite, conformément aux lois phonétiques de la langue parlée, quelquefois *lo vinhozol, mais le plus souvent *lo vinhogol, francisé au XVIIIe siècle (carte de Cassini) sous l’attraction compréhensible du mot vigne en Vignagoul et aboutissant finalement au Vignogoul actuel.
Comme l’on peut le constater de nos jours encore, les terrains qui entourent le Centre Psychothérapique installé dans l’ancien château du Vignogoul constituent de bons vignobles qui, sans aucun doute, ont fourni dès le XIIe siècle à l’abbaye créée en ces lieux fertiles une part importante de son revenu. A tel point que le nom commun des environs a rapidement remplacé le nom propre de l’établissement religieux : monasterium Sancte Marie de Bonno Loco quod alias de Vinovolo appeilatur.
P.-S. – Grâce à M. J.-P. Chambon, directeur des services du F.E.W. à Bâle, à qui j’avais envoyé pour avis le texte ci-dessus, j’ai pu apprendre :
a) que l’étymologie du mot français vignoble par *vineobulum avait été établie pour la première fois en 1897 par le grand linguiste Antoine Thomas, fondateur en 1888 de la revue Annales du Midi (qui était alors, je voudrais le souligner, un « Bulletin Trimestriel d’Archéologie, d’Histoire et de Philologie »), dans ses Essais de philologie française, Paris, 1897, p. 397-398.
b) que dans sa démonstration A. Thomas s’appuyait précisément sur l’exemple toponymique du Vignogoul (Hérault) : « Transportons-nous dans le département de l’Hérault, région viticole par excellence. Considérons le nom de lieu-dit Le Vignogoul, ancienne abbaye, dans la commune de Pignan. Le Trésor dou Félibrige de Mistral nous apprend que la terminaison oul est atone, comme dans Saint-Papoul, Valuéjoul, etc. Le Dictionnaire topographique nous fournit la plus ancienne forme romane : Vinovol (1153), domus del Vinovol (1211). Si vous remarquez qu’au XIIe siècle on s’abstient ordinairement de marquer le mouillement de n, qu’on ne sait trop comment représenter, vous n’hésiterez pas à considérer le languedocien vinovol (écrit plus récemment vinhovol) et le français vignoble comme frères germains. Or, v provençal, dans la région où nous sommes, représente b latin et non p, et de vinhovol nous allons, les yeux fermés, au type étymologique *vineobulum».
De telle sorte que le seul complément utile à la mise au point d’A. Thomas est d’avoir cherché, M. Hamlin et moi-même, quelques formes anciennes supplémentaires et d’avoir essayé pour ma part de montrer comment vinhovol était finalement devenu Vignogoul.
Retenons aussi la remarque de F. Mistral qui a observé qu’au XIXe siècle l’accent du mot Vignogoul, dans l’Hérault, portait sur le o et non sur le ou final.
Occasion de rendre ainsi hommage à deux grands hommes en pensant que le texte ante scriptum n’était pas toutefois inutile, car, comme disent les Allemands : doppelt genäht hält besser.
