Note sur une reliure mutilée d’un missel médiéval
de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert

À une date que l’on ne peut pas préciser, on relia un missel noté de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert en réutilisant une feuille de parchemin sur laquelle le notaire du village avait écrit et signé de son seing manuel deux actes dont le deuxième date du 11 mars 1307 (peut-être 1308, nouveau style). Il s’agit du manuscrit 120 de la Bibliothèque municipale de Montpellier (aujourd’hui la Médiathèque centrale d’agglomération Émile Zola). Me fondant sur les microfiches de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, j’ai parlé longuement de ce missel fragmentaire du XIIIe siècle dans un article paru dans le numéro précédent d’Études héraultaises 1. Le manuscrit 120, que j’ai pu avoir  entre les mains en 2008 après la publication de cette étude 2, compte vingt feuillets suivis du fragment conservé de l’ancienne reliure (fig. 1). Il est probable que le manuscrit a été rogné avant d’être protégé par une reliure moderne, car on ne voit plus l’ancienne foliotation utilisée par Léon Gaudin dans l’article qu’il publia en 1871 quand le volume n’était pas encore catalogué 3. Quant à la reliure mutilée, il ne reste plus que la moitié inférieure de la feuille de parchemin, mais ce fragment mérite examen parce qu’il nous offre à ma connaissance les seuls renseignements dont nous disposions sur le règlement d’un litige entre laïcs à Saint-Guilhem-le-Désert au XIVe siècle.

Voici le texte des deux actes fragmentaires. J’ai mis entre crochets les lettres que j’ai pu restituer.

Missel noté fragmentaire provenant de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, XIIIe siècle
Fig. 1 Missel noté fragmentaire provenant de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, XIIIe siècle, Médiathèque centrale d’Agglomération Émile Zola, Montpellier, ms 120, deux actes de notaire sur l’ancienne reliure en parchemin (XIVe siècle). (Photo : JN).

1. (Mots illisibles) q (lettres illisibles) quas dicte (lacune) a te diem (lettres illisibles) Guillelma Olivarii in suo testamento Bernardus (Bertrandus ?) Jachobi predictus (lacune). [Actum in ?] villa Sancti Guillelmi de Desertis in presentia et testimonio Petri Egidii, Petri Asuzvereu, barbitonsori, Guillelmi Banholi, clerici, et (lacune) ni (peut-être [Guillel]mi, si le m a perdu son premier jambage) Benedicti, notarii publici totius dicte 4 Sancti G. de Desertis qui, mandato partium, hanc publicam cartam scripsi et eam signo meo signavi. [O]misi superius in quinta decima linea istud quod sequitur sub tali signo II: Stephano, costa[t (?)] michi etiam de illo foramine in medio illius dictionis.

Quoque… Seing manuel du notaire 5.

2. Anno ab Incarnatione Domini millesimo trecentesimo septimo, domino Philippo rege Francorum regnante, scilicet quinto idus martii, noscant omnes quod ego, Jachobus Olivarii de Sancto Guillelmo de Desertis, per me et omnes meos, bona fide, sine dolo, cum hac publica scriptura perpetuo valitura, scio, assero, confiteor et in veritate recognosco tibi, Bernardo Olivarii, fratri meo, me habuisse et rea[l]iter recepisse in peccunia 6 numerata a te quatuor libras et sex solidos et octo denarios turonensium et unam capram cum suo edulo, quas quatuor libras et sex solidos et octo denarios turonensium et dictam capram cum suo edulo michi arbitrati fuerunt dominus Guillelmus Benedicti, (lacune) ddos, Paulus Egidii, Petrus Maurelli et Johannes Maurelli prout in compromisso facto a me, notario infrascripto, plenius (lacune) [exce]ptioni non habit[e] [p]eccunie et non michi a te tradite seu recepte ex certa scientia renuncio. De quibus (lacune) t absolvo et pactum [e]xp[ressu]m facio de non petendo et de non agendo a te dictas quatuor libras et [sex solidos et octo denarios turonensium et un]am capram cum suo [e]dulo seu aliquid aliud solutione eorundem. Et si carta vel carte jure fuerint con[scripte (?)] (lacune) d (lacune) heta (ou heca), irruo penitus et anullo ita quod michi seu meis non possint prodesse (lacune) in nullo contravegne 7 obligatione bonorum meorum promitto et juro su[per Sancta Evangelia (?)] (lacune) ta. Acta fuerunt hec in vi[lla] Sancti Guillelmi de Desertis in presentia et testimo[nio] (lacune à l’endroit où se trouvaient probablement les noms des trois premiers témoins du premier acte) [et] (peut- être Guillelm)i Benedicti, notarii publici totius dicte Sancti Guillelmi de Desertis, qui, mandato [partium hanc publicam cartam scripsi et eam signo meo signavi.] Seing manuel du notaire.

Vu l’état lacunaire des documents, la traduction suivante sera approximative.

1. « … que lesdites (qu’à ladite ?)… par vous jour… Guillaumette Olivier dans son testament le susdit Bernard (Bertrand ?) Jacques… Fait au village de Saint-Guilhem-le-Désert en présence des témoins suivants : Pierre Gilles, Pierre Asuzvereu, barbier, Guillaume Banhol, clerc, et Guillaume ( ?) Benoït, notaire public de tout ledit village de Saint-Guilhem-le-Désert, qui, sur la demande des parties, ai écrit cet acte publique et l’ai signé de mon seing manuel. J’ai omis plus haut à la ligne 15 ce qui suit sous le signe II : Étienne, je reconnais ( ?) aussi à propos de cette cavité au milieu de ce domaine.

D’ailleurs… »

2. « L’an de l’Incarnation du Seigneur 1307, sous le règne du seigneur Philippe, roi des Français, à savoir le cinq des ides de mars, qu’il soit connu de tous que moi, Jacques Olivier de Saint-Guilhem-le-Désert, pour moi et tous les miens, de bonne foi, sans fraude, je sais, avoue et en vérité reconnais avec cet acte publique qui sera valable à perpétuité, que j’ai eu et réellement reçu de toi, Bernard Olivier, mon frère, en argent comptant quatre livres et six sous et huit deniers tournois et une chèvre avec son chevreau, lesquels quatre livres et six sous et huit deniers tournois et ladite chèvre avec son chevreau me furent accordés par le seigneur Guillaume Benoït, (peut-être un deuxième arbitre dont le nom se termine par ddos), Paul Gilles, Pierre Maurel et Jean Maurel dans la convention d’arbitrage faite par moi, le notaire souscrit, plus complètement… Je renonce en toute connaissance de cause à l’exception des choses que je n’ai pas eues et que tu ne m’a pas remises ou que je n’ai pas reçues de toi. De celles-ci… je te fais grâce, et je conclus un pacte explicite selon lequel je ne te demanderai ni n’intenterai aucune action pour obtenir de toi lesdits quatre livres et six sous et huit deniers tournois et une chèvre avec son chevreau ou quelque chose d’autre en paiement des mêmes. Et si on a rédigé ( ?) légalement une ou plusieurs chartes…, je me précipite pour les invalider de sorte qu’elles ne puissent être utiles ni à moi ni aux miens… Je promets et je jure sur les Saints Évangiles ( ?)…, sous l’obligation de mes biens, de ne point contrevenir à la loi. Fait au village de Saint-Guilhem-le-Désert devant les témoins suivants :… et Guillaume ( ?) Benoït, notaire public de tout ledit village de Saint-Guilhem-le-Désert, qui, sur la demande des parties, ai écrit cet acte publique et l’ai signé de mon seing manuel.

Malgré des lacunes importantes, le deuxième document nous apprend qu’en 1307 (ou peut-être en 1308), le village de Saint-Guilhem-le-Désert avait son propre notaire et que ce notaire rédigea une quittance définitive pour mettre fin à une querelle entre un acheteur et un vendeur, Bernard Olivier et son frère Jacques. Le prix, calculé en espèces et en nature, avait été contesté autrefois, mais Bernard et Jacques ont accepté la décision d’un groupe d’arbitres 8 dont faisait partie un Guillaume Benoït qui pourrait bien être notre notaire. Selon toute vraisemblance, le premier document sur la feuille de parchemin est précisément la convention d’arbitrage faite par ce même notaire, et, en décrivant une ou plusieurs propriétés, il a dû signaler à la ligne 15 la présence d’une cavité qui se trouvait probablement parmi les nombreux avens et grottes de la région de Saint-Guilhem. Les deux actes n’apportent pas de précisions sur ce qui a été vendu, mais la mention d’un détail topographique et l’importance accordée à la vente m’amènent à croire qu’il s’agit de biens immobiliers. D’après la quittance, Jacques reconnaït avoir reçu de Bernard l’argent et les animaux domestiques qui lui étaient dus, renonce à faire des réclamations à propos de cette vente, rend non valable tout document susceptible de l’avantager ou les siens au détriment de Bernard et s’engage, sous l’obligation de ses biens, à garantir son frère d’une éviction totale ou partielle. Il est à noter que des renonciations et des garanties de ce genre et la fixation d’un prix en numéraire et en nature figurent aussi dans les actes de vente dressés à Toulouse et en Provence aux XIIe et XIIIe siècles 9.

Puissent ces bribes d’histoire locale et les noms propres cités dans les deux actes aider les chercheurs à faire de nouvelles découvertes sur la vie quotidienne à Saint-Guilhem-le-Désert vers la fin du Moyen âge.

Notes

   1.Alice M. Colby-Hall, « Chant grégorien et liturgie latine et occitane dans un manuscrit méconnu de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert », Études héraultaises, 37-38 (2007-2008), 23-28.

   2.Je tiens à remercier Mme Élisabeth Prost, responsable des fonds patrimoniaux de la Médiathèque centrale d’agglomération Émile Zola, de m’avoir autorisée à consulter le manuscrit 120.

   3.Léon Gaudin, « Épïtres farcies de la Saint-Étienne en langue romane », Revue des langues romanes, 2 (1871), 133-42 + 8 facsimilés hors texte.

   4.Ici et dans la dernière phrase du deuxième acte, le mot ville est sous-entendu après dicte.

   5.Il est probable que cet acte remplissait la moitié supérieure de la feuille de parchemin, étant donné que le notaire reproduit un passage qu’il a omis à la ligne quinze, qui ne se trouve pas parmi les lignes conservées. Avant d’être mutilée, la reliure a dû mesurer environ 340 sur 170 mm.

   6.Le notaire écrit le mot pecunia avec deux c.

   7.Subjonctif présent du verbe occitan contravenir.

   8.Sur le recours à l’arbitrage à Toulouse au XIIIe siècle, voir Mireille Castaing-Sicard, Les contrats dans le très ancien droit toulousain (Xe-XIIIe siècle) (Toulouse : Imprimerie Maurice Espic, 1959), p. 286-93, 502-04.

   9.Castaing-Sicard, Les contrats, p. 82-83, 86-92, 539-45, 559-61, et Marie-Louise Carlin, La pénétration du droit romain dans les actes de la pratique provençale (XIe-XIIIe siècle), Bibliothèque d’histoire du droit et droit romain, 11 (Paris : Librairie générale de Droit et de Jurisprudence R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1967), p. 69-75, 79, 81, 86-93, 104-06, 108-15, 124-26, 135-40.