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Description
L’étrangère, le certificat de santé
et la communauté d’habitants
(Marseillan, août 1720)
* Université de Caen (HisTéMé) – Fondation Thiers.
p. 51 à 60
Cet article propose l’édition et le commentaire « en régime d’anachronisme », pour reprendre l’expression de Nicole Loraux, d’un dossier de procédure au criminel, exhumé aux Archives départementales de l’Hérault en pleine pandémie de Covid-19. Le dimanche 4 août 1720, en début d’après-midi, une bagarre éclate à Marseillan, petit port au nord-ouest de l’étang de Thau et au débouché du canal des Deux Mers. D’un côté, les représentants de l’autorité consulaire ; de l’autre, les proches d’un tisserand nommé Michel. Alors que les nouvelles de la peste marseillaise se diffusent sur la côte languedocienne, ce dernier est accusé d’héberger une « étrangère » venue de Provence. Le différend porte, en conséquence, sur la présentation d’un certificat de santé. À la différence de l’attestation de déplacement dérogatoire, qui repose sur un traçage étatique des individus, celui-ci s’appuie avant tout sur l’exercice d’une police intra-communautaire fondée sur des logiques d’interconnaissance et de confiance à l’échelle du voisinage.
This article proposes the edition and commentary « in a regime of anachronism », to use the expression of Nicole Loraux, of a criminal procedure file, exhumed at the Archives départementales de l’Hérault in the midst of the Covid-19 pandemic. On Sunday, August 4, 1720, in the early afternoon, a fight broke out in Marseillan, a small port northwest of the Etang de Thau and at the outlet of the Canal des Deux Mers. It was between on the one hand, representatives of the consular authority; on the other, the relatives of a weaver named Michel. Whilst the news of the Marseille plague spread along the Languedoc coast, the latter is accused of hosting a « foreigner » from the Provence region. The dispute the-refore concerned the presentation of a health certificate. Unlike the certificate of displacement dispensation, which is based on the State tracing of individuals, it is based above all on the exercise of an intra-community police based on the logic of reciprocal knowledge and trust within a neighbourhood.
Aqueste article propausa l’edicion e lo comentari « en regim d’anacronisme » (per reprene l’expression de Nicole Loraux) d’un dorsièr de procedura en criminal, desclapat als Archius departamentals d’Erau en plena pandemia de Covid-19. Lo dimenge 4 d’agost 1720, en debuta d’aprèp-miègjorn, una batèsta esclata a Marselhan, pichòt pòrt al nòrd-oèst de l’estanh de Taur e a l’eissida del canal de las Doas-Mars. D’un costat, los representants de l’autoritat consolara ; de l’autre, los pròches d’un teissandièr nommat Miquèl [Michel]. Alara que las novèlas de la pèsta marselhesa se difusan sus la còsta lengadociana, aqueste darrièr es acusat d’albergar una « estrangièra » venguda de Provença. Lor contèsta pòrta en consequéncia sus la presentacion d’un certificat de santat. A la diferéncia de l’atestacion de desplaçament derogatòri, que repausa sus un traçatge estatal dels individús, aqueste, s’apièja abans tot sus l’exercici d’una polícia intracomunautària fondada sus de logicas d’interconeissença e de fisança a l’escala del vesinatge.
Durant les premières semaines de l’été 1720, les nouvelles de la peste qui commence à faire des ravages à Marseille et dans ses environs se diffusent dans les ports languedociens. Le 17 juillet, des patrons en provenance de la cité phocéenne préviennent les consuls d’Agde « que le mal contagieux est au dit Marseille ». Dépendantes du grand port provençal dans leur accès à l’Orient mais ouvertes au lointain par le cabotage, les communautés du bas Languedoc sont de moins en moins accoutumées à ces alertes. Le fléau, qui possède désormais uniquement une origine maritime, a encore été signalé en Provence ou en Catalogne au milieu du XVIIe siècle. Le 4 août, le duc de Roquelaure, lieutenant général des armées du roi et commandant en chef de la province de Languedoc, rédige une instruction transmise aux consuls des communautés de son ressort. Les directives sont claires et ne cessent d’être répétées, en particulier après l’arrêt du Conseil du 14 septembre 1720 qui conduit le Régent à reprendre en main la gestion de l’épidémie : « on a tiré une ligne gardée par des troupes de distance en distance, qui enferme Marseille & ses environs, par une enceinte d’où les habitants ne peuvent sortir à peine de la vie, & ne doivent être reçus en aucun lieu », en sorte que « tout ce qui viendra de cette partie de la Provence ne pourra être admis en Languedoc, sans des certificats de santé authentiques, visés par messieurs les commandants & intendants de Provence ». Rapidement, de part et d’autre du Rhône, les administrations urbaines réactivent leurs réflexes de police sanitaire : elles limitent les entrées et les sorties, contrôlent les marchandises, prennent des mesures d’hygiène publique ou encore font des stocks de denrées alimentaires et de plantes thérapeutiques. Loin de demeurer passives, les autorités de bourgades elles-mêmes s’exécutent avec application pour faire respecter la mise « en interdit » des territoires gagnés par la peste. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2022 |
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Nombre de pages | 10 |
Auteur(s) | Élias BURGEL |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |