Les difficultés d’exploitation d’un service public vital
pendant et au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Les chemins de fer d’intérêt local de l’Hérault (1939-1948)

Mis en service entre 1872 et 1913 pour desservir les portions du territoire départemental délaissées par les compagnies du Midi et du PLM (SNCF en 1938), le réseau des chemins de fer d’intérêt local de l’Hérault comprend à son apogée cinq lignes à voie normale d’une longueur totale de 212 km Montpellier (gare de l’Esplanade) – Palavas, Montpellier (gare Chaptal) – Rabieux, Montpellier-Chaptal – Béziers (gare du Nord) par Mèze, (Mèze) – Font-Mars – Agde et Béziers-Nord – Saint-Chinian. Les échanges avec les grands réseaux transitent par les gares de Montpellier-Arènes (PLM/Midi), Rabieux, Montbazin-Gigean (jusqu’en 1939), Agde et Colombiers (Midi) (Fig. 1). Traversant une région viticole active et peuplée, son trafic s’accroît jusqu’au milieu des années 1920. Toutefois, le déficit d’exploitation apparaît en 1921 puis se creuse sous l’effet des bouleversements économiques provoqués par le premier conflit mondial (envolée des dépenses d’exploitation non compensée par les tarifs) et du développement de la concurrence routière.

Carte d'ensemble du réseau des chemins de fer d'intérêt local de l'Hérault
Fig. 1 - Carte d'ensemble du réseau des chemins de fer d'intérêt local de l'Hérault.

Appelé à équilibrer le budget d’exploitation, le département rachète le réseau à la compagnie concessionnaire et l’afferme en 1929 à la Société générale des chemins de fer Économiques (la SE), entreprise fondée en 1880 et titulaire de nombreux contrats de concession ou d’affermage de chemins de fer à voie normale ou métrique d’intérêt général (Bretagne, Franche-Comté, etc.) ou local (Gironde, Somme, etc.). En 1931, la SE entreprend la modernisation de la voie et du matériel roulant du réseau de l’Hérault au moyen d’un crédit de 16 millions de francs alloué par le Conseil général mais celui-ci, devant la dégradation continue des résultats, décide d’interrompre les travaux et de supprimer le transport des voyageurs sur toutes les relations, celle de Palavas exceptée, le 1er janvier 1933. La perspective de nouvelles pertes conduit finalement à voter, le 3 mai 1939, la fermeture et le déclassement de l’ensemble, à l’exception de la ligne de la mer et des raccordements de Montpellier qui équilibrent leurs comptes. Cette mesure radicale, entérinée par un décret du 16 novembre 1939, doit prendre effet le 1er janvier 1940.

Lorsque la Deuxième guerre mondiale éclate, « l’intérêt local » – comme l’appellent les « vieux » héraultais – offre donc un double visage : la ligne balnéaire de Palavas enregistre un trafic voyageur croissant. Le département a commandé en mars 1939 un autorail et une remorque pour moderniser le service 1 – tandis que les autres relations n’acheminent sur leurs voies sommairement entretenues, dans l’attente de leur fermeture imminente, que des trains de marchandises tractés par des locomotives vieillissantes (Fig. 2). Mais, ici comme ailleurs, les restrictions qui frappent les transports routiers dés le début du conflit rendent au rail, national comme départemental, son quasi-monopole de fait. Échappant au couperet 2, l’intérêt local redevient alors un outil vital pour la population et l’économie héraultaises. Si bien que, la paix revenue, le département décidera de le moderniser, prolongeant ainsi son sursis.

Nous nous proposons d’évoquer cette page de l’histoire de l’intérêt local en montrant comment, pendant plus de cinq ans, il dut affronter d’innombrables difficultés de tous ordres pour exécuter tant bien que mal, dans un contexte d’extrême pénurie, son indispensable mission : transporter voyageurs et marchandises. Cette étude restitue donc un pan de la vie quotidienne dans notre département au cours de cette sombre période.

En 1938, le train de marchandises pour Rabieux prés au départ sur une voie herbue de la gare de Montpellier-Chaptal, fermée aux voyageurs depuis 1933
Fig. 2 - En 1938, le train de marchandises pour Rabieux prés au départ sur une voie herbue de la gare de Montpellier-Chaptal, fermée aux voyageurs depuis 1933. Locomotive a 5 essieux couplés n° 501 (série 501 a 503, Borsig, 1912) (Cliché : Maurice Maillet).

La reprise du trafic et l'amélioration des résultats d'exploitation

La France entre officiellement en guerre contre l’Allemagne le 3 septembre 1939, mais les préparatifs militaires commencent des après la signature du pacte germano-soviétique du 23 août, avec notamment le rappel des réservistes et la réquisition consécutive des autocars. Cette dernière mesure entrainant la suspension des transports routiers, le préfet de l’Hérault prescrit, le 25 août, la réouverture aux voyageurs, jusqu’à nouvel ordre, des quatre voies ferrées d’intérêt local fermées à ce trafic depuis 1933 : Rabieux, Agde, Béziers et Saint-Chinian. Avisé verbalement le même jour à 11 heures par l’ingénieur en chef du contrôle (Ponts et chaussées), bras séculier de la tutelle préfectorale, le chef d’exploitation Léon Morin – nommé à la tète du réseau de l’Hérault en 1938 – adopte immédiatement les dispositions nécessaires pour assurer, à partir du lendemain 26, le service spécial prévu en cas de mobilisation, soit deux allers-retours quotidiens sur chaque section : allocations supplémentaires de charbon (commandé à Graissessac), d’essence (2 000 litres) et d’huile, rappel des agents permissionnaires et suppression du « chômage du samedi » (14 agents ont reçu leur ordre de mobilisation à cette date). En attendant la fabrication de billets en carton Edmonson, les gares puisent dans la réserve des bulletins de perception supplémentaire ou des billets « passe partout », la délivrance des titres étant limitée aux billets simples, 2ème classe plein tarif ou 1/2 tarif. Des le dimanche 27 août, les convois acheminent sans incident les réservistes sur les centres mobilisateurs de Béziers et de Montpellier. Sur Palavas, où la desserte est réduite, le service dominical se limite à la circulation en navette, selon les besoins, dune seule rame vapeur.

Privées de desserte routière, les populations isolées redécouvrent les vertus du transport ferroviaire. Ainsi, le 8 septembre, le maire de La Boissière (ligne de Rabieux) obtient-il le rétablissement de l’arrêt de La Boissière-village « qui rendrait de grands services a la commune pour les voyageurs, et ensuite pour laisser et reprendre les sacs postaux » car « le gérant de l’agence postale étant mobilisé, le service est complètement désorganisé, il ne reste que sa femme pour assurer le service et ne peut de ce fait aller a la gare qui est à un kilomètre du village. » 3 Le 4 octobre, le quotidien publie un communiqué persifleur signé « LB » appelant les élus à se « rendre compte aujourd’hui des centaines d’usagers qui empruntent tous les jours ce chemin de fer si discrédité par eux, qu’ils entendent les doléances des voyageurs, et s’ils veulent remplir leur mandat exactement qu’ils fassent leur mea culpa des votes hostiles qu’ils ont émis pour le fermer définitivement. » Toutefois, alors que le pays s’installe dans la « drôle de guerre », le rétablissement des lignes routières entraine, conformément au plan départemental des transports, la suppression des trains de voyageurs, le 1er décembre 1939 sur Rabieux, Agde et Béziers et le 15 décembre suivant sur Béziers-Saint-Chinian.

Moins de deux semaines après l’armistice du 22 juin 1940, « considérant qu’il y a lieu de prendre d’urgence des mesures en vue de restreindre la consommation des carburants », un arrêté préfectoral du 3 juillet ordonne la reprise du service des voyageurs sur l’intérêt local, étant entendu que « les services d’autobus desservant totalement ou partiellement les mêmes parcours […] seront suspendus ou mis en correspondance avec lui. » 4 En vertu de ce même arrêté la grille instaurée le 6 juillet prévoit le prolongement jusqu’à Lodève des trains Montpellier-Rabieux via la ligne SNCF, fermée aux voyageurs au nord de Paulhan depuis mai 1939. La circulation des convois de l’intérêt local sur le grand réseau, qui perçoit un péage, s’effectue sous la responsabilité des agents Hérault. Ceux-ci délivrent et retirent les billets aux haltes de Sallèles-du-Bosc et de Cartels ainsi qua Lodève, et dirigent les manœuvres pour la réception et l’expédition des convois, le garage du matériel et le remisage de la machine à Lodève. Les gares du réseau connaissent alors une activité soutenue puisque, au second semestre 1940, les lignes autres que celle de Palavas acheminent 383 100 voyageurs pour une recette de 2 862 914 F. Après la démobilisation, nombre de militaires regagnent leur foyer par l’intérêt local. Néanmoins, en raison du garage prolongé du matériel, les trains offrent des conditions de transport spartiates comme en témoigne la lettre adressée le 17 septembre 1940 par le président de la Chambre de commerce de Montpellier au chef d’exploitation et signalant des voitures « n’ayant pas de vitres et aucun moyen permettant de fermer les fenêtres ! » 5

À partir de 1941, le service des voyageurs subit de nombreuses fluctuations liées aux possibilités respectives des transports ferroviaires (état des locomotives, charbon, etc.) et routiers (carburants, pneumatiques, etc.), le principe consistant à limiter sinon supprimer les doublons entre les deux modes : suspendu le 15 mars 1941 sur Montpellier-Béziers et le 2 mai 1941 sur Montpellier-Rabieux-Lodève, il reprend sur Montpellier-Mèze et Rabieux le 1er décembre suivant mais il cesse sur Béziers-Saint-Chinian le 1er juin 1942 pour économiser le charbon et l’huile. Le 1er mai 1942, la SE innove non sans mérite en instaurant un service Montpellier-Mèze-Marseillan assuré par trois « automotrices » De Dion à moteur diesel, repliées du réseau SE de Franche-Comté en juin 1940 et équipées d’un gazogène par la maison « Réfrigération Midi France » (Ets. Barthès) de Béziers (Fig. 3 et 4). Des problèmes mécaniques et la très mauvaise qualité des huiles de graissage écourtent toutefois cette expérience – première application de l’autorail sur une ligne de l’intérêt local autre que Palavas – malgré une nouvelle et aussi brève tentative sur Montpellier-Béziers, après modification des engins, en novembre suivant. Le 23 décembre 1942 marque donc le retour d’un service vapeur sur Rabieux (avec prolongement sur Lodève jusqu’au 7 août 1943 puis du 7 avril au 8 octobre 1944), Béziers et Marseillan mais ce n’est que le 13 septembre 1943 que les trains mixtes desservent à nouveau Saint-Chinian. À cette époque – et jusqu’en 1946 – la grille « voyageurs » connaît une très grande instabilité puisque, suivant les sections et les périodes, sa consistance varie d’un ou deux mouvements quotidiens à un service trihebdomadaire de trains mixtes. Tout trafic voyageurs est même suspendu sur Rabieux du 7 août au 13 septembre 1943 pour permettre le transport des raisins.

Aux ateliers de Montpellier-Chaptal, autorails série M 101 à 105 (De Dion, 1938)
Fig. 3 & 4 - Aux ateliers de Montpellier-Chaptal, autorails série M 101 à 105 (De Dion, 1938) du réseau SE de la Franche-Comté repliés dans l'Hérault et équipés d'un gazogène en 1942. Trois appareils de cette série reviendront à Montpellier en 1966 pour rouler sur la ligne de Palavas jusqu'à sa fermeture, en 1968.

Parallèlement au rétablissement des trains de voyageurs, l’intérêt local enregistre un trafic marchandises accru en raison de la réquisition massive des véhicules routiers et de la pénurie des carburants, pneumatiques et pièces détachées : en 1940 et 1941, le tonnage retrouve le niveau des années de fort trafic (1925-1930) avec une moyenne de 498 000 tonnes, mais il fléchit en 1942-1943, miné par les difficultés de traction, la pénurie de matériel et les restrictions de circulation sur la SNCF, puis il s’effondre en 1944 en raison de la multiplication des interceptions sur les lignes SNCF (bombardements, sabotages, etc.). Conjugué avec le relèvement des tarifs voyageurs et marchandises (majorations de taxes, suppression ou modification des tarifs spéciaux, etc.) prescrit par le gouvernement de Vichy et une relative maîtrise des dépenses, ce surcroît d’activité améliore sensiblement le coefficient d’exploitation (rapport recettes/dépenses d’exploitation) qui s’abaisse de 1,95 en 1938 à 1,18 en 1941 avant d’afficher un taux moyen de 1,22 en 1942-1945. Pour la première fois depuis 1920, le réseau enregistre même, en 1940, un coefficient positif de 0,97 avec un léger excédent de 304 306 F.

Le temps des restrictions

Le chemin de fer doit toutefois affronter de nombreuses difficultés matérielles pour assurer un service indispensable à la vie des régions desservies. Une formule résume la période 1940-1946 : pénurie de personnel et de matières (combustible, consommables, etc.).

Le personnel

Dès 1940, et parallèlement à l’allongement de la durée hebdomadaire du travail de 40 à 45-48 heures en application de directives nationales, l’exploitant doit reconstituer le cadre du personnel délesté dans les années 1930. Cette opération – qui porte l’effectif de 361 personnes en 1938 à 416 en 1946 – s’opère par le recrutement d’agents auxiliaires, c’est à dire non admis au cadre permanent en raison de la situation précaire de l’exploitation. Mais confrontée à la pénurie générale de main-d’œuvre, accentuée en 1943 par l’instauration du service du travail obligatoire (STO), la SE recrute très difficilement les spécialistes nécessaires, notamment pour la maintenance du matériel roulant. Et elle doit souvent se contenter de simples manœuvres – que des salaires peu attractifs n’encouragent pas – et de requis fournis par le STO. Parmi ces derniers, les meilleurs éléments semblent d’ailleurs être les artisans travaillant la moitié du temps dans leur boutique et l’autre moitié à l’atelier ! Le réseau abrite également un certain nombre d’agents embauchés – sur leur demande ou celle du contrôle – pour les soustraire au travail forcé en Allemagne. En octobre 1943, malgré les démarches de la société fermière et du contrôle auprès des services de la main-d’œuvre pour obtenir l’attribution de personnel qualifié, l’atelier central de Montpellier-Chaptal n’emploie que 17 ajusteurs sur un cadre normal de 25. Le service de la voie connaît les mêmes difficultés puisque l’effectif théorique de 67 agents arrêté en juillet 1942, lors de la réorganisation provisoire des équipes d’entretien sur laquelle nous reviendrons, n’est pas encore atteint début 1944 malgré la mise à disposition de manœuvres par le STO. De fait, certains ne répondaient pas aux exigences physiques tandis que d’autres n’ont jamais rejoint leur poste ! Si bien que 14 emplois restent encore vacants au 1er février 1944 6. Ce sous-effectif chronique se double d’une sérieuse diminution du rendement due aux absences pour maladies, blessures, congés et réquisitions, ainsi qu’à l’état déficient du personnel affaibli par les restrictions alimentaires. La traction (ateliers/dépôts) souffre également de cette crise du rendement avec un taux d’absentéisme qui passe de 36 % de l’effectif en 1943 à 42 % en 1944 ! 7 Ce taux est bien supérieur à celui alors observé sur d’autres réseaux de la SE.

Les approvisionnements

Comme en 1914-1918, la pénurie ou la mauvaise qualité des combustibles, lubrifiants et matières consommables traverses, tôles, acier, cuivre, bronze, antifriction, bois, peinture, toiles enduites, glaces, etc., redevient une préoccupation permanente et la SE doit jongler avec les maigres attributions allouées par l’organisme répartiteur des chemins de fer secondaires, le Comité d’organisation des voies ferrées d’intérêt local (CO.VFIL), créé en 1940. Des adaptations s’imposent donc. En août 1942, la pénurie de produits pétroliers conduit ainsi à garer 4 des 5 draisines à essence – un gazogène est monté sur celle d’Aniane – affectées aux équipes d’entretien de la voie « à long parcours » (LP) (Fig. 5) et à renouer avec l’ancienne organisation fondée sur de petites équipes plus nombreuses (11 brigades ordinaires auxquelles s’ajoute l’équipe LP d’Aniane). De même, les camions chargés à partir de 1941 (8 véhicules en 1943) du service urbain et du transit entre les gares SNCF et SE de Montpellier reçoivent un gazogène à bois ou au charbon de bois. Rappelons ici que les autorails De Dion franc-comtois sont également convertis au gazogène en 1942. Enfin, en 1943, il est décidé de substituer l’éclairage électrique à l’éclairage au pétrole dans 10 gares non équipées avant 1939.

La draisine D 1 (Billard, 1931) du service d'entretien de la voie garée au dépôt de Chaptal au début des années 1940
Fig. 5 - La draisine D 1 (Billard, 1931) du service d'entretien de la voie garée au dépôt de Chaptal au début des années 1940. Cet engin terminera sa carrière à Montpellier en 1968

La pénurie de main-d’œuvre et de matières grève lourdement l’exploitation du chemin de fer car elle paralyse l’entretien des ses éléments fondamentaux : la voie et le matériel roulant, les locomotives en particulier. Cette situation n’est pas propre au réseau de l’Hérault mais elle revêt ici une acuité toute particulière en raison des perspectives de déclassement qui ont entraîné l’allègement des programmes de maintenance à partir de 1933.

L'entretien de la voie

Alors que le réseau de l’Hérault programme l’emploi de 50 traverses par kilomètre en 1942, il n’en obtient que 28, soit 5 600 environ pour l’ensemble des lignes ! En outre, les commandes sont livrées avec retard : sur 4 000 traverses demandées au titre du premier semestre 1942, la SNCF – chargée des acquisitions – n’a livré, au 24 août 1942, que 770 pièces, soit un déficit de 3 230 unités. Postérieurement au 31 octobre 1942, les livraisons s’échelonnent jusqu’au 31 juillet 1943, date à laquelle elles cessent pour ne reprendre qu’en janvier 1944. Si bien que, en février 1944, le chef de la voie déplore un retard de 11 739 traverses sur un programme de mise en voie de 10 000 pièces pour chacun des exercices 1942 et 1943 8.

L’état du chemin de fer se dégrade donc au fil des années : traverses brisées, plancher défectueux sur de grandes longueurs, etc., qui provoquent de fréquentes cassures de ressorts de locomotives et des ruptures de rails. Alors qu’auparavant la vitesse des convois dépendait uniquement de la puissance des locomotives, des charges à remorquer et du profil en long de la voie, l’état de celle-ci entre désormais en ligne de compte. Dès novembre 1940, le directeur de la SE rappelle ainsi au chef d’exploitation que les agents de conduite « doivent respecter, d’une manière impérieuse, les limitations de vitesse imposées pour la sécurité ; qu’en outre, ils ne doivent, en aucun cas, réaliser dans les pentes des vitesses exagérées, compte tenu de l’état de la voie ; il conviendra à ce sujet, de fixer si ce n’est déjà fait, les vitesses limites à ne pas dépasser. » Conformément à ces directives, des ralentissements à 15 km/h en traction vapeur et à 30 km/h pour les autorails (en 1942) sont prescrits et intéressent au fil du temps un kilométrage de plus en plus important.

Comme dans toutes les entreprises, expédients et recyclage ont droit de cité. En novembre 1941, le chef du service de la voie prescrit de réutiliser les vieilles traverses sur les voies de service, soit après décalage des portées de sabotage, soit après découpage de la partie centrale récupérable pour former des « blochets » destinés à supporter chaque file de rails. En juin 1942, le directeur général de la SE, considérant que les circonstances ne permettent plus de distribuer les traverses retirées au personnel, demande à ses chefs d’exploitation de les utiliser en priorité : 1/ au réemploi en voie métrique après réfection des tables de sabotage et recoupe ; 2/ comme bois d’allumage pour le chauffage des gares, maisons de garde, bureaux ; 3/ aux besoins des ateliers ; 4/ à la carbonisation pour le reliquat, c’est à dire la plus grande partie 9. Par une deuxième circulaire de même date, le directeur général demande le classement des bois existant dans les emprises du chemin de fer (acacias, vernis du Japon, platanes, etc.) pour les usages suivants : 1/ traverses ; 2/ bois de charpente ; 3/ planches de fonds de wagons et menuiseries ; 4/ bois de feu (charbonnettes pour carbonisation et fagots) 10. En janvier 1943, après inventaire des arbres à couper le long des lignes de Rabieux, Saint-Chinian et Agde (évalués à 150 T), la SE consulte trois entreprises pour l’abattage d’acacias entre Celleneuve et Pignan mais nous ignorons le dénouement de cette affaire.

L'entretien des locomotives

Malgré la remise en service, après réfection sommaire par l’atelier de Chaptal, de locomotives garées avant le conflit, le nombre d’unités utilisables tombe de 16 en 1939 – sur un effectif normal de 25 – à 12 en 1942 et à 5 fin 1943 ! Si bien que l’exécution du service impose aux machines disponibles des parcours exagérés qui ne permettent plus un entretien courant suffisant (lavages périodiques de la chaudière, etc.) et accélèrent leur usure, en raison notamment de la forte teneur en calcaire des eaux de l’Hérault. Pour tenter de redresser la situation, le service de la traction utilise deux palliatifs :

En 1944, un train remorqué par une locomotive louée à la SNCF (série 030 B 100 ex-800 de la Cie du Midi) arrive en gare de Saint-Chinian
Fig. 6 - En 1944, un train remorqué par une locomotive louée à la SNCF (série 030 B 100 ex-800 de la Cie du Midi) arrive en gare de Saint-Chinian. Ce document est l'une des seules photographies connues d'une machine SNCF employée par l'intérêt local entre 1940 et 1946.
  1. dès septembre 1940, louer des machines auprès de la SNCF (Fig. 6). Toutes à tender séparé et parmi les plus légères du parc de la société nationale, ceslocomotives affichent un médiocre rendement et ne peuvent circuler que sur les sections où la voie et les ouvrages ont été renforcés. De plus, les engins les plus lourds ne doivent pas dépasser 6 km/h sur certains ponts métalliques. Bien souvent déficient, ce matériel inadapté au profil accidenté du réseau et d’une utilisation onéreuse (loyer, consommation de charbon, etc.), provoque de nombreux déboires. Néanmoins, il permet de « tenir », notamment en 1943, quand culmine la crise de la traction, avec un effectif moyen mensuel de 8 machines SNCF pour un parcours moyen de 10 400 km par mois.
  2. à partir de 1941, confier l’exécution de grosses réparations à l’industrie privée, les Aciéries du Nord (ADN) à L’Horme (Loire) et les Ets Fouga à Béziers 3 locomotives en 1941, 4 en 1942 et 1943,3 en 1944, 2 en 1945 et 2 en 1946. Mais les travaux sous-traités s’éternisent en raison des difficultés matérielles éprouvées par les industriels – du même ordre que celles du chemin de fer – et de la surcharge de leurs usines qui, de surcroît, déploient une subtile inertie, chez Fouga en particulier. De plus, de 1942 à 1944, la SNCF fixe les programmes des ateliers privés sous le contrôle étroit de la Haupt Verkehrs Direktion (Direction générale des transports) de Paris 11, laquelle accorde systématiquement la priorité au matériel de la société nationale. C’est ainsi que, à la suite de malfaçons (sabotages ?), les deux plus puissantes locomotives de l’intérêt local effectuent plusieurs longs séjours à Béziers entre 1942 et 1944.

L’augmentation des dépenses de grosses réparations, qui passent de 326 600 F en 1941 à 2 500 000 F en 1944, témoigne de l’effort de remise en état des locomotives. Celui-ci finit par porter ses fruits puisque l’intérêt local aligne 11 locomotives utilisables en avril 1944.

Une exploitation difficile

Transporter voyageurs et marchandises dans ces conditions relève de la gageure. La continuité du service exige des efforts acharnés et le dévouement sans borne du personnel qui doit déployer beaucoup d’ingéniosité, comme le note le contrôleur de l’exploitation de Béziers le 9 juin 1942 : « [Le personnel] a fait tout ce qui lui était matériellement possible de faire pour donner au public le plus de commodités et d’agrément dans ses déplacements. Nous avons, ceci est certain, passé de forts mauvais moments, et même des nuits entières pendant l’hiver 1941-1942, pour cause de vétusté de notre matériel de traction. » 12

Malgré les prouesses accomplies journellement pour faire rouler les trains, le faible effectif et l’usure des locomotives disponibles, la qualité inférieure du charbon et des lubrifiants, le mauvais état de la voie, etc., se traduisent par la dégradation de la qualité et de la régularité des services voyageurs et marchandises : réduction de l’offre, faibles vitesses commerciales, retards, suppressions de trains, détresses en ligne, incidents, etc. dont la presse locale, animée d’un mauvais esprit évident, se fait l’écho sur un ton ironique, notamment Le Petit Méridional avec ses historiettes satiriques au titre venimeux : « Les Voyageurs arrivent sans le train » (15 juin 1943), « Un record est battu sur la ligne d’Aniane » (17 juin 1943) ou encore… « Un train arrive à l’heure » (21 juin 1943) ! Pourtant, pour bien marquer le caractère aléatoire de l’exploitation, les horaires précisent que « la fréquence des trains et la régularité des horaires ne sont pas garanties ; les voyageurs ne sont admis que dans la limite des places disponibles. »

L’architecture générale de l’exploitation repose sur un cadre régulier de trains mixtes (trains de voyageurs conduisant des wagons de marchandises pour les principales gares) ou marchandises-voyageurs (MV) (trains de marchandises comportant des voitures de voyageurs et ne garantissant pas les correspondances) – distinction alors classique sur les chemins de fer d’intérêt local et les lignes secondaires des grands réseaux – auxquels s’ajoutent des trains facultatifs purement marchandises mis en route selon les besoins.

Deux exemples nous éclairent sur le service offert en 1943-1944 :

— la grille mise en vigueur le 13 septembre 1943 sur Béziers-Saint-Chinian prévoit deux allers et retours par trains mixtes qui circulent les lundi, mercredi et vendredi (départs de Béziers à 5 h 40 et 17 h 06) et accomplissent – théoriquement – le parcours de 33 km en 1 heure 27, soit une vitesse commerciale de 23 km/h (33 km/h en 1930). Le voyageur moins pressé peut opter pour le train MV graphiqué les mercredi, jeudi et samedi (départ à 7 heures) avec une vitesse commerciale de 12 km/h seulement car il manœuvre dans toutes les gares.

— l’horaire du 19 mai 1944 ne propose aux Piscénois désireux de passer une journée à Montpellier qu’un train quittant Pézenas à 6 heures 15 du matin (arrivée à Montpellier à 9 heures 14) avec retour en sa bonne ville à 21 heures (départ de Montpellier à 17 heures 50), soit une amplitude de 14 heures 45. Cependant, la réalité est souvent plus épique que ne le laisse supposer la sécheresse des horaires : « Pour se rendre à Montpellier le mardi 26 janvier il n’existait pour qui n’est pas en mesure de conquérir et conserver de haute lutte une place dans le CAMEL [ligne d’autocar] d’autre solution que le chemin de fer d’intérêt local. En principe départ à 6 h 49, retour à 20 h 23. En fait le retour s’est fait à 22 heures. » 13

Nous nous proposons d’étudier plus particulièrement les difficultés rencontrées pour assurer le service des voyageurs sur la ligne balnéaire de Palavas – qui se caractérise par de fortes pointes de trafic – et celui des marchandises sur l’ensemble du réseau.

Des trains pris d'assaut sur la ligne de la mer

Sur la ligne de la mer, la réduction du nombre de trains dès le début du conflit (5 allers et retours en semaine et 10 le dimanche contre 26 en 1937) pose plus que jamais la question de la gestion des foules les jours de pointe, la demande de transport restant importante en raison des restrictions apportées à la circulation routière. Dès 1940, le chef d’exploitation entend soumettre les voyageurs « à une discipline désirable pour la bonne exécution d’un service rendu extrêmement difficile par la pénurie des moyens et l’état d’esprit du public. » 14 La principale source de troubles se trouve à Montpellier, lorsque les candidats au voyage, craignant de ne pouvoir prendre place dans le convoi en partance, envahissent la gare. L’après-midi du dimanche 16 mars 1941 restera dans les annales : près de 1 800 personnes se présentent à la gare de Montpellier-Esplanade. Le train de 14 h 15 n’offrant que 600 places – soit la capacité de 11 voitures, nombre maximum susceptible de s’inscrire le long du trottoir-, le chef de gare doit fermer les guichets. Une poussée se produit alors dans la foule qui se presse dans la salle d’attente et une grande glace de la recette se brise. Le seul gendarme en faction ne pouvant contenir cette marée humaine, six gendarmes et quelques agents de police arrivés rapidement font évacuer les lieux ! 15

Les mêmes scènes se jouent aussi à Palavas où, au retour de la plage, les voyageurs pénètrent fréquemment sur les voies ou escaladent les clôtures pour s’entasser à plus de 900 dans le train du soir (600 places) ! Les convois circulent donc en surcharge tandis que tout contrôle est paralysé car les agents, insultés, menacés et même bousculés, ne peuvent circuler dans les voitures. À défaut du concours de la force publique, et les gardes-voies de communication (deux gardes mis à disposition en 1943) se révélant inefficaces, la SE doit détacher du personnel supplémentaire en période de fort trafic (14 agents le 25 mai 1942, jour de la Pentecôte). Finalement, il est décidé de n’admettre au départ de Montpellier que le nombre de voyageurs correspondant à la capacité des 5 convois du soir, soit 3 000 places : chacun prend la suite de la file d’attente en se présentant et les abonnés ou les titulaires d’un billet retour ne bénéficient d’aucune priorité. Mais encore faut-il que les voyageurs se répartissent entre tous les trains prévus. Or, ils attendent souvent le dernier départ de Palavas pour rentrer à Montpellier. (Fig. 7)

Après la Deuxième guerre mondiale, une rame typique du Train de Palavas prête pour repartir à Montpellier
Fig. 7 - Après la Deuxième guerre mondiale, une rame typique du Train de Palavas prête pour repartir à Montpellier attend ses voyageurs au terminus de Palavas-Rive gauche. Sur la droite, le mur construit en 1917 pour empêcher les voyageurs d'envahir les voies (déjà !). La locomotive n° 70 (série 61 à 82, Schneider, 1902) est aujourd'hui conservée au Musée du Train à Palavas.

D’autre part, dès août 1940, les convois à destination de Palavas ne s’arrêtent plus, lors des pointes, à la halte de Palavas-Rive droite, à moins de 600 mètres du terminus de Palavas-Rive gauche. De fait, afin de trouver plus facilement une place pour le retour, les voyageurs y prenaient d’assaut « les trains descendant vers Palavas-Rive gauche, envahissant les plateformes des voitures, les marchepieds et montant même sur les tampons, empêchant ainsi la descente des voyageurs. » De plus, « de nombreuses personnes profitaient de ce moyen pour s’introduire dans la gare en échappant au contrôle des billets à l’entrée et voyageaient en fraude, soit sans billet, soit en utilisant des billets périmés. » 16 Au départ de Montpellier, la fraude est plus difficile car la disposition de la gare de l’Esplanade permet, avec le concours de la police, de canaliser le public admis dans la limite de la capacité du train.

Par contre, malgré les mesures adoptées (appels par haut-parleur avant le départ, verbalisation, etc.), le chef d’exploitation Morin ne réussira pas plus que ses prédécesseurs ou ses successeurs à empêcher le public « particulièrement indiscipliné » de se tenir sur les plateformes ou les marchepieds des voitures pendant la marche… une tenace coutume locale immortalisée par les dessins de Dubout !

À ces difficultés inhérentes à la période s’ajoute une contrainte technique : la déformation croissante du tablier métallique du viaduc de l’Esplanade, sur les voies SNCF Tarascon-Sète, conduit à limiter le service de Palavas au chantier de Racanié, au sud du passage à niveau de l’avenue du Pont-Juvénal, à compter du 13 février 1942, puis à reporter l’origine/terminus des trains de la mer à la gare Chaptal, moins centrale, le 5 avril 1942, après réactivation de la branche directe Chaptal-Palavas du « triangle de Racanié ». Le terminus de l’Esplanade – dont la salle d’attente est utilisée pendant l’été 1942 par la Coopérative fruitière Montpellier-Lattes pour vendre des légumes – n’est rouvert que le 10 février 1943, après remplacement de la travée dangereuse par la Société des Ponts et travaux en fer.

Un service marchandises erratique

La faible fréquence des trains de marchandises – parfois ramenée à trois dessertes hebdomadaires – et leur irrégularité entraînent d’importants retards dans la livraison ou l’enlèvement des wagons, ce qui provoque l’allongement des délais de transport et l’encombrement des gares. Embouteillages accentués par les poussées de trafic et les restrictions de circulation édictées périodiquement par la SNCF : en février 1943, plus de 3 000 tonnes à destination de celle-ci restent en souffrance dans les gares de l’intérêt local. De plus, la pénurie chronique de locomotives conduit à fermer au trafic par wagons, du 4 août 1943 au 5 avril 1944, les transits SNCF de Montpellier-Arènes et Agde, sauf pour les marchandises prioritaires raisins, combustibles, bauxites, etc. Cette mesure impose un long détour, source de retard, à certains transports, notamment les wagons-réservoirs vides adressés par les loueurs de Sète au commerce de Mèze (65 km via Colombiers contre 40 par Agde).

Sur le plan pratique, les gares ne peuvent acheminer les envois que suivant leur ordre d’inscription sur le registre des expéditions – sous réserve du respect des priorités fixées par l’administration – et dans la limite du matériel fourni – pour le transit – par la SNCF. Or, celle-ci, dont le parc a subi une hémorragie de l’ordre de 50 %, répond aux demandes avec retard. Ainsi, en décembre 1941, l’intérêt local n’obtient que 60 wagons sur les 350 sollicités. En outre, les règles d’utilisation du matériel découlant des besoins du grand réseau, lesquels varient selon les courants de trafic, ces règles diffèrent de la région du Sud-Est à celle du Sud-Ouest, circonscriptions SNCF dont dépend l’Hérault. Le problème touche plus particulièrement les expéditions de vins en fûts, très actives en 1940-1942 en raison de la pénurie de wagons-réservoirs. Par exemple, en décembre 1941, le Sud-Est exige le chargement de la futaille sur des wagons plats tandis que le Sud-Ouest autorise l’emploi de couverts. Ces subtilités échappent généralement aux utilisateurs qui protestent, comme Mazaury, négociant à Poussan, écrivant au préfet le 13 décembre 1941 que « ceci est anormal et que tous les Français vivant du vin doivent être sur le même pied d’égalité. » 17

D’un point de vue financier, le séjour prolongé des wagons du réseau national sur l’intérêt local provoque, à partir de 1942, la dégradation du compte d’échange avec la SNCF, grevé par la hausse des dépenses de location de matériel à la charge de la SE (redevances et pénalités). Le 3 février 1943, pour activer la rotation des wagons, le préfet approuve d’ailleurs l’application des règles relatives aux délais de chargement et de déchargement ainsi qu’aux droits de stationnement fixées par l’arrêté du 22 août 1942 du secrétaire d’État aux communications, et plus rigoureuses que celles en vigueur jusqu’alors. Autre incidence de la lenteur des transports, le poste « pertes et avaries », très faible avant 1939, accuse – comme sur la SNCF – une importante augmentation.

Les nombreuses réclamations adressées au préfet, au service du contrôle et au chef d’exploitation révèlent les invraisemblables retards subis par les expéditions de vins (31 % du tonnage en 1942). En voici un florilège. Le 11 janvier 1941, Thomas Bessière, négociant à Mèze, attire l’attention de l’ingénieur du contrôle sur « les retards continuels que met la gare de Mèze à manœuvrer le matériel roulant qui nous est adressé sur notre embranchement particulier, et que nous nous employons à remettre à sa disposition dans les 24 heures de sa rentrée sur notre embranchement. C’est ainsi que deux wagons qui sont chargés de fûts pleins depuis mercredi et jeudi de cette semaine, se trouvent toujours dans l’attente d’être montés en gare. Le fait que nous vous signalons se renouvelle chaque semaine et il arrive quelquefois qu’un wagon et même plusieurs, arrivés sur notre gare le dimanche ou le lundi, passent la semaine sans pouvoir être réexpédiés. » 18 Toujours à Mèze, le 11 octobre 1941, le négociant Léon Bessière s’émeut auprès du chef d’exploitation de la décision de ne plus conduire les wagons vides sur le quai maritime et ce, « au moment de reprendre les expéditions de vins interrompues depuis plusieurs mois. » Or, le pétitionnaire avait pris l’habitude de « rendre toutes [ses] expéditions de [son] magasin sur quai maritime en traversant le port par chaland poussé au moyen de perches [ce qui] permettait de ne pas faire usage de camions », tandis que, « par suite de la suppression des chargements au quai maritime », il va devoir faire camionner tous ses envois en gare de Mèze 19. L. Bessière obtient finalement gain de cause.

Autre foyer de réclamations : la ligne Béziers-Colombiers-Saint-Chinian. Le 8 février 1942, le directeur général du Groupement professionnel des exploitants de wagons-réservoirs (GPWER) signale à l’ingénieur en chef du contrôle « la lenteur des transports » constatée « depuis quelque temps » sur ce secteur. Et de citer plusieurs exemples éloquents : « Des wagons expédiés de Béziers (SNCF) à Saint-Chinian via Colombiers mettent 3 jours pour effectuer ce trajet (wagons 578.741 et 578.607 expédiés de Béziers le 9/1/42 arrivent le 8/2/42). Le wagon 576.074 expédié de Lignan à St-Chinian, trajet direct sans changer de ligne, 29 km à parcourir, met 13 jours. Le wagon 542.936 expédié de Cazouls-les-Béziers, trajet direct sans changer de ligne, 20 km à parcourir met 9 jours. » 20 Deux ans plus tard, le 29 février 1944, le même groupement regrette que les wagons, après chargement, restent en gare parfois près d’un mois, si bien que le vin devient impropre à la consommation. Et d’ajouter que « lorsque nous présentons une réclamation […] il nous est invariablement répondu : nous ne pouvons donner suite à votre demande, ce retard provient de l’encombrement de nos voies constaté par un procès-verbal administratif » 21.

De son côté, le 5 mars 1942, Raymond Robert, négociant à Prades-sur-Vernazobres, écrit à l’ingénieur en chef du contrôle : « Actuellement les expéditions sont arrêtées […] et malgré tout cela, la gare de Cessenon possède toujours des quantités de wagons-réservoirs vides et que l’on ne dégage pas. Je sais que le matériel de traction fait bien défaut, mais les manœuvres aux embranchements Maurel et Puech font perdre beaucoup de temps et sont en partie cause du retard des trains et de l’encombrement de la gare côté gauche. » 22 Le 9 novembre 1943, nouvelle plainte de Robert : « Plus de 80 wagons réservoirs sont sur cette gare [de Cessenon] et cela depuis le commencement d’octobre. À ce jour 35 sont pleins depuis plus de 8 jours et pour un motif ou l’autre ces wagons ne partent pas alors que les wagons en provenance de la gare de Saint-Chinian sont acheminés plus régulièrement. Une fois c’est le train qui arrive complet de Saint-Chinian, une autre fois c’est la locomotive qui ne marche pas : en résumé il y a toujours un motif pour ne pas prendre les wagons pleins. » Et de déplorer : « Déjà les propriétaires des wagons réservoirs font des difficultés pour nous adresser du matériel sur cette gare à cause du trop long séjour de leur matériel, nous arriverons un moment où personne ne voudra nous louer des wagons et de ce fait de perdre une clientèle vieille de plusieurs années en nous mettant dans l’obligation de cesser notre commerce. » 23

De l'Occupation à la Libération

Après l’invasion de la zone libre, le 11 novembre 1942, l’intérêt local subit les diktats de l’occupant, notamment pour l’acheminement des troupes dites « d’opération ». Ainsi, l’horaire dominical mis en vigueur le 28 mars 1943 réserve un aller et retour Montpellier-Palavas aux militaires. À compter du 17 janvier 1944, toujours sur les instances de l’occupant, le premier train pour Palavas quitte Montpellier à 6 heures et non plus à 6 heures 25 du matin tandis que son symétrique part de Palavas à 7 heures et non plus à 7 heures 28. Le chemin de fer transporte également les requis affectés aux travaux de fortification du littoral. En mars-avril 1944, la SE doit à plusieurs reprises retarder d’une heure le départ du premier train pour Palavas pour permettre aux travailleurs forcés de rejoindre les chantiers de l’Organisation Todt dans les environs de Lattes et de Pérols. À l’inverse, le 9 juin 1944, l’entreprise Ostbau Gmbh demande au préfet délégué de faire avancer d’une heure l’expédition du premier train Palavas-Montpellier « afin de nous permettre de commencer de bonne heure le travail sur nos chantiers de Lattes et de Montpellier […] Nous logeons environ 250 ouvriers et 80 ouvriers du STO dans un camp de Palavas. » 24 Enfin, de novembre 1942 à août 1944, l’intérêt local transporte vivres et matériel pour le compte de l’occupant : bois, ciment, fers, pièces d’artillerie, etc. 25 Ce trafic prioritaire aggrave les difficultés de traction en absorbant la plupart des locomotives disponibles et contribue à l’engorgement des gares. Il est d’ailleurs permis de se demander si le refus souvent opposé par les mécaniciens, en 1943, d’enlever des charges pourtant bien inférieures à celles prévues par les règlements ne s’explique pas, certes par l’état défectueux de la voie et des locomotives ou la mauvaise qualité du charbon, mais aussi, peut-être, par la volonté de retarder ces transports « encombrants » ainsi que ceux de bauxite, minerai sur lequel l’occupant a mis la main.

Plus que jamais, alors que la concurrence routière a pratiquement disparu, l’intérêt local contribue à l’approvisionnement des localités desservies : charbon (pour le négoce et l’usine à gaz de Montpellier raccordée à Racanié), bois de chauffage, céréales, farines (en 1941-1942, le Ravitaillement général fixe même le siège du centre de répartition départemental des farines à la gare Chaptal), bois et matériaux de construction, pailles, fourrages, fumures, etc. Le transport des gadoues se développe en raison de l’extension des cultures maraîchères, notamment dans les régions de Lattes et de Gignac-Aniane, pour compenser les moindres apports des départements traditionnellement fournisseurs (Pyrénées-Orientales, Bouches-du-Rhône, etc.) et l’arrêt du trafic maritime avec l’Algérie. Des terrains irrigables par le canal de Gignac sont ainsi mis en culture par le Groupement maraîcher départemental de Gignac, formé sur l’initiative du préfet délégué, pour approvisionner Montpellier, Sète et Béziers 26. Les légumes voyagent aussi par fer : en 1944, des wagons chargés à Gignac sont acheminés jusqu’à la gare de Montpellier- Esplanade (théoriquement fermée aux wagons complets) via Chaptal et le raccordement de Racanié. Le chemin de fer livre également les nombreux colis de ravitaillement si précieux pour améliorer l’ordinaire des familles héraultaises tandis que, à l’inverse, nombre de colis adressés aux prisonniers de guerre détenus en Allemagne commencent leur long voyage dans un fourgon de l’intérêt local (le trafic « petit colis » en transit bondit de 540 % entre 1939 et 1943).

L’évacuation des communes côtières, au printemps 1944, sur l’ordre du commandement allemand qui redoute un débarquement allié sur le littoral méditerranéen, anéantit le trafic civil de la ligne de Palavas, qui a déjà diminué en 1943 avec l’arrivée de la Wehrmacht. Depuis le 1er août 1943, difficultés de traction obligent, la desserte quotidienne se limite d’ailleurs à 4 allers-retours en semaine et à 8 puis 5 le dimanche, ce qui permet de n’employer qu’une seule locomotive dont le roulement prévoit aussi – en semaine – le service des embranchements particuliers de Racanié.

Déclenché en prévision du débarquement en Normandie, le plan vert (sabotage des voies de communication) frappe les lignes SNCF dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, notamment dans le Biterrois. Quoique d’un intérêt stratégique restreint, le réseau secondaire essuie également deux « pétardages » : dans la nuit du 8 au 9 juin, les aiguilles 1 et 2 de la gare de bifurcation de Maureilhan (ligne de Saint-Chinian) sont détériorées. Le premier train du 9 déraille mais la circulation reprend sur Saint-Chinian le jour même, dans l’après-midi, et sur Colombiers-SNCF le lendemain. À la suite de cette affaire, le chef de gare – qui aurait entendu les explosions entre 3 h 45 et 4 h 45 du matin – et l’aiguilleur reçoivent un « blâme avec inscription au dossier » pour n’avoir pas procédé à la visite réglementaire des appareils. Une semaine après, le 16 juin, la gare de Maureilhan fait l’objet d’un nouveau sabotage bénin.

Le 25 juin, en trois vagues, les alliés bombardent usines et voies de communication à Sète, Balaruc et Frontignan, coupant la grande ligne SNCF. Pour maintenir la liaison Montpellier-Béziers, l’intérêt local organise aussitôt des trains spéciaux de transbordement tracés par Mèze et… pris d’assaut par les voyageurs. Le 5 juillet, vers 12 h 30, les avions alliés pilonnent le triage, le dépôt SNCF et les usines Fouga de Béziers puis, une heure plus tard, le triage de Montpellier-Arènes.

Les bombes labourent le chantier SNCF (Fig. 8 et 9) mais elles touchent également les quartiers résidentiels du sud de la ville et les installations du réseau secondaire : raccordements entre la gare Chaptal et les gares d’Arènes (SNCF) et de l’Esplanade. À Racanié, le magasin de la voie est détruit et la charpente de la remise à machines découverte. Aussitôt interrompu, le service ne reprend sur la ligne de Palavas que le 20 juillet avec seulement 3 allers et retours pour économiser le charbon car l’Organisation Todt a quitté Palavas.

La gare de triage de Montpellier-Arènes (SNCF) après le bombardement allié du 5 juillet 1944
Fig. 8 & 9- La gare de triage de Montpellier-Arènes (SNCF) après le bombardement allié du 5 juillet 1944.

Au mois d’août, de nouveaux sabotages frappent les rails départementaux dans la nuit du 6 au 7 au pont sur la rue Fermaud (Montpellier), dans la nuit du 11 au 12 à la gare de Maureilhan (pour la troisième fois !), dans la nuit du 15 au 16 au km 48 + 313 de la ligne de Saint-Chinian (peu avant Montagnac) et dans la nuit du 19 au 20 au km 80 de la même ligne (près de Béziers, direction de Saint-Chinian).

Alors que les Alliés commencent à débarquer en Provence, trois mitraillages aériens visent des convois ou des installations de l’intérêt local, les deux premiers entraînant des victimes parmi les voyageurs : le 15 août à 21 h 15, attaque du train n° 35 Montpellier-Chaptal – Rabieux-Lodève à 150 mètres au-delà de la halte SNCF de Cartels (3 morts et 18 blessés) ; le 18 août à 11 h 20, attaque du train n° 53 Montpellier-Chaptal – Béziers au km 78, près de la gare de Béziers-Nord (6 blessés) ; le 20 août, attaque de la gare de Montbazin (dégâts aux voies et au bâtiment).

Dans la nuit du 18 au 19 août, la Wehrmacht en retraite détruit les ponts situés dans la zone côtière comprise entre Frontignan et Carnon, notamment l’ouvrage ferroviaire des Quatre-Canaux (ligne de Palavas) qui s’affaisse dans le canal du Rhône à Sète en deux tronçons (Fig. 10). Auparavant, du 17 au 20 août, les troupes pillent une réserve de près de 30 tonnes de charbon de bois et de bois pour gazogène constituée au magasin de la gare Chaptal. Signalons enfin que, lors de la libération de Béziers, le 22 août, la gare du Nord et ses abords sont le théâtre d’un accrochage d’une durée de trois heures entre un groupe de résistants et une colonne allemande égarée 27.

Le pont de 29 mètres d'ouverture sur le canal du Rhône à Sète (ligne Montpellier-Palavas) après sa destruction par les Allemands
Fig. 10 - Le pont de 29 mètres d'ouverture sur le canal du Rhône à Sète
(ligne Montpellier-Palavas) après sa destruction par les Allemands
dans la nuit du 18 au 19 août 1944.

Un nouveau départ pour l'intérêt local

À la Libération, la SE doit panser les plaies de la guerre et de l’Occupation. Les destructions imputables à cette dernière se chiffrent à 1 495 000 F dont 770 000 F pour celles commises par l’occupant et 590 000 F pour celles provoquées par les Alliés ou la Résistance 28. Si le raccordement Chaptal-Racanié est rouvert dès la fin juillet 1944, celui d’Arènes ne fonctionne à nouveau que le 3 novembre 1944, après réparations par l’entreprise Dehé, chargée par la SNCF de la réfection de la gare d’Arènes conjointement avec La Métropolitaine et La Ferroviaire. Le vendredi 20 avril 1945, un train spécial réservé aux autorités et à leurs invités célèbre dignement la remise en service du pont des Quatre-Canaux. Jusqu’à cette date, les voyageurs pour Palavas, déposés par le train à la limite de la brèche, devaient traverser le canal sur une passerelle provisoire puis embarquer sur une péniche qui les conduisait à destination. Quant à la rame, elle refoulait jusqu’à l’évitement des Premières-Cabanes où la locomotive « changeait de bout » pour le retour à Montpellier ! Deux mois avant cette cérémonie, en février 1945, un nouveau chef d’exploitation, Fernand Viala, a remplacé L. Morin parti en retraite. La nomination de cet ancien cadre de la SNCF – il fut chef de l’arrondissement d’exploitation de Béziers – se révélera particulièrement judicieuse lorsqu’il s’agira d’étudier avec la société nationale les réformes susceptibles de pérenniser l’intérêt local.

Car, à l’heure de la « reconstruction », il n’est plus question d’appliquer le décret de 1939. Le nouveau Conseil général issu des élections de septembre 1945 en sollicite même l’abrogation mais le ministre des Travaux publics, par dépêche du 19 janvier 1946, se borne prudemment à accepter le maintien du statu quo. Poursuivre l’exploitation implique toutefois la remise en état et la modernisation des infrastructures et du matériel arrivés à la limite d’usure. Alors que les restrictions sévissent encore, l’ouvrage se heurte à la pénurie de matières et aux rituelles coupures de courant qui touchent toutes les entreprises : « Aux ateliers en particulier, l’interruption d’une heure et demie tous les jours compromet gravement notre travail de remise en état et si le délestage, comme l’ont annoncé les journaux, doit se produire deux fois par semaine, il nous sera matériellement impossible d’assurer notre service d’entretien. » 29 Les dépassements de consommation font l’objet de pénalités, et le chemin de fer doit plaider sa cause par la voix du contrôle pour en obtenir la remise : « La gare d’Aniane est la seule gare de prise d’eau de la section de Rabieux, depuis que la station de pompage de Rabieux n’est plus en état de fonctionner. De ce fit, toutes les locomotives circulant sur ladite section sont dans l’obligation de faire de l’eau à Aniane, ce qui explique l’augmentation de la consommation d’électricité de cette gare. » 30

Cependant, les efforts déployés permettent d’améliorer la situation. En 1946, la remise en état progressive de la voie – grâce à une dotation supplémentaire de 3 500 traverses obtenue fin 1945 – et le renforcement de certains tabliers métalliques autorisent l’accélération de la marche des trains puis, l’année suivante, l’élévation de la charge par essieu sur les sections encore interdites aux wagons lourds des lignes de Rabieux, Agde et Béziers. Il est même un temps envisagé de prolonger les rails de Palavas à Carnon mais la pénurie de matériaux étouffe dans l’œuf ce projet visionnaire 31 ! Avec le concours des Établissements Fouga, le nombre de locomotives utilisables passe de 6 au début de 1945 à 15 en juin 1946 et à 17 en novembre de la même année, cinq mois après la restitution des deux dernières machines louées à la SNCF. L’atelier de Chaptal « ressuscite » également deux autorails De Dion à essence de 1925 « passées à la ferraille » avant la guerre. À partir de juillet 1946, ce matériel circule sur Montpellier-Rabieux et Béziers-Saint-Chinian. Toujours en 1946, le département achète deux autorails d’occasion qui, après révision complète, entrent en service en 1946-1947 sur les mêmes relations. Le point d’orgue de la modernisation est la commande, en décembre 1948, aux Établissements Coferna (Constructions Ferroviaires et Navales de l’Ouest) des Sables-d’Olonne (Vendée), de six locomotives diesel- électriques à construire avec des bogies et des groupes électrogènes provenant des surplus américains. Mises en service en 1950-1951, ces fidèles machines donneront un nouveau souffle à l’exploitation.

Mais la dégradation des comptes d’exploitation, provoquée par le réveil de la concurrence routière, dès 1946, et l’alourdissement des charges, conduit le département à supprimer progressivement ses chemins de fer d’intérêt local. Amorcé en 1951 avec l’abandon des sections les plus stériles, ce processus mené en plusieurs étapes s’achève le 31 octobre 1968 avec la regrettable fermeture de la quasi-centenaire ligne de Palavas, alors que le développement de l’agglomération montpelliéraine et l’aménagement du littoral auraient justifié une modernisation complète. Aujourd’hui, seul subsiste de ce superbe ensemble le moignon Colombiers – Cazouls-lès-Béziers (marchandises), déclassé en 1939 et paradoxalement sauvé.., par la Deuxième guerre mondiale !

Annexe

La lettre (ADH, 891 W 37) adressée le 17 avril 1943 par le contrôleur de l’exploitation de Béziers, Marcel Caumon, au chef d’exploitation du réseau de l’Hérault, à Montpellier, livre un saisissant tableau brossé sur le vif des problèmes techniques que le rail devait quotidiennement affronter au cours de la Deuxième guerre mondiale pour assurer sa mission pénurie de locomotives, difficultés de traction, incidents, le tout sur fond de résignation des usagers.

N° 573

BÉZIERS, le 17 avril 1943
Monsieur le chef d’exploitation
MONTPELLIER

J’ai l’honneur de venir, après les deux accidents survenus sur ma section le 15 courant au Km 90+665 [entre les gares de Maureilhan et de Cazouls-lès-Béziers], le 16 au Km 69+200 [entre les gares de Servian et Bassan], vous entretenir de la situation dans laquelle je me trouve par suite du manque d’une troisième machine type 60 à Béziers. En effet, depuis novembre 1942, je travaille avec une machine sur Montpellier et une sur St-Chinian, celles que la SNCF a bien voulu nous accorder, je puis dire une seule également. Je vous ai signalé cela à maintes reprises, à présent je me vois forcé de vous dire que nous ne pouvons continuer à exploiter ainsi étant donné les incidents de plus en plus fréquents qui se produisent.

Pour l’accident du Km 60+200, je me suis vu dans l’obligation de supprimer le train de voyageurs n° 57 du 16 avril entre Servian et Béziers. Malgré ma dépêche lancée jusqu’à Font-Mars de prévenir les voyageurs que ce train serait supprimé entre Servian et Béziers, il s’en est trouvé certains principalement des dames qui se sont vues dans l’obligation de venir de Servian à Béziers à pied, en pleine nuit. Vous jugerez avec moi et ce malgré les circonstances actuelles, que ce parcours n’a pas été bien agréable, les voyageurs dans ma section comprennent, ou bien je le leur fais comprendre, tous les inconvénients auxquels nous sommes assujettis, cependant il ne faudrait pas exagérer et il convient de remédier à ces inconvénients car nous aurions pu aisément établir un transvasement sur le point de l’accident si nous avions eu la seconde machine 60 à Béziers, mais il faut que je vous le dise comme je le pense, nous sommes actuellement les déshérités du réseau à Béziers pour tout ce qui concerne le service de la traction, c’est ainsi que depuis plus de 20 jours nous avons à Béziers la machine 63 sans aucun lavage et sans réparations, faut-il dire, elle a tombé le feu trois fois au début de la semaine, ceci évidemment au détriment bien entendu de l’acheminement des marchandises, qu’attend-on pour faire rentrer cette machine au lavage, une détresse à nouveau ou une catastrophe, je me le demande ?

Sur la ligne de St-Chinian la seule machine dont je dispose depuis le 19 mars est du type SNCF 030.000 actuellement 030.133. Ce type de machine ne remorque qu’une charge de 90 T machine arrière [c’est à dire tender en avant] ou 100 T avant dans les rampes de 30 mm/m, il est donc inévitable que je ne puisse plus arriver malgré les doubles montées répétées à dégager les gares de Cessenon et commune [avec la SNCF] de Colombiers où journellement il y a dans les 300 à 400 tonnes à enlever, il s’ensuit un embouteillage de ces gares qui ne peut continuer ainsi.

D’autre part, la circulation au Km 90+665 a été interrompue du 15 au 17 avril 16 h ce qui a encore provoqué un cumul de tonnage dans les gares de Maureilhan 400 tonnes à Cessenon 1000 tonnes; de plus je me trouve dans l’obligation de transbordement sur place au Km 90+660, les marchandises se trouvant encore dans le matériel déraillé et par la suite au fur et à mesure de sa remise en place de faire acheminer ce matériel sur Maureilhan pour être visité par le MT [Matériel et Traction] de Béziers-Sud-Ouest [SNCF] ; il est donc indispensable de mettre en marche des trains de travaux entre Béziers et le Km 90+665, il me faut donc pour cela faire, une machine supplémentaire à Béziers pour effectuer tous ces travaux.

Il faut absolument et j’insiste sur ce fait que Monsieur le Chef du Service de la Traction à Montpellier fasse un véritable effort pour nous envoyer une deuxième machine 60 à Béziers. Ceci est indispensable tout autant que nous n’aurons pas deux 60 en bon état dans notre dépôt, je ne pourrai vous garantir d’assurer convenablement le service des voyageurs entre Béziers et Font-mars, ni même d’enlever convenablement le tonnage restant aussi bien sur la ligne de Mèze que celle de St-Chinian et Colombiers.

J’espère que vous voudrez bien reconnaître le bien fondé de la présente et prescrire toutes dispositions que vous jugerez nécessaire pour remédier à cet état de chose, dont je vous entretiens un peu longuement, ce dont je m’excuse.

Votre dévoué
LE CONTRÔLEUR DE L’EXPLOITATION
Signé : CAUMON     

CONCLUSIONS – Il faut à Béziers un minimum de trois machines et de préférence :

2      Machines       60 ;

1            —            SNCF.

à noter que les 2 machines SNCF sont presque indispensables pour assurer le service marchandises sur St-Chinian.

NOTES

1. En raison de la réquisition des usines De Dion en 1940, ce matériel ne sera livré, après bien des péripéties, qu’en décembre 1947.

2. Une loi du 4 mars 1942 consacrera le maintien de l’exploitation. Ce texte de portée générale – le cas de l’Hérault n’était pas unique dispose que « lorsque par suite des événements de guerre, l’exploitation d’une ou plusieurs voies ferrées d’intérêt local déjà déclassée a dû être maintenue […] cette exploitation reste soumise à la législation des voies ferré es d’intérêt local […]. » La fermeture effective est décidée par le préfet avec l’agrément du Secrétaire d’État aux communications (Ministre des Travaux publics ou des Transports par la suite) qui fixe également la date d’effet du déclassement. C’est en vertu de cette procédure que les lignes des chemins de fer de l’Hérault visées par le décret de 1939 ont été supprimées après la guerre.

3. Lettre sans date au « Directeur des chemins de fer économiques de l’Hérault ». Archives Départementales de l’Hérault (ADH), 891 W 208.

4. Ibidem. Cet arrêté, pris en application de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la Nation en temps de guerre, énumère les services routiers suspendus (art. 3) et interdit services urbains et doublages (art. 5), la sanction étant la mise en fourrière des véhicules en contravention (art. 6). Les services maintenus doivent immédiatement réduire leur fréquence de 50 % (art. 5) mais les entreprises peuvent majorer provisoirement leurs tarifs (art. 7).

5. Ibidem.

6. Rapport du chef du service de la voie du 8 février 1944. ADH, 898 W 98.

7. Rapport de l’ingénieur ordinaire du contrôle du 20 novembre 1944. ADH, 1146W 8.

8. Rapport précité du chef du service de la voie du 8 février 1944.

9. Lettre circulaire du 12 juin 1942. ADH, 891 W 166.

10. Ibidem.

11. La HVD résultat de la transformation, le 15 juin 1942, de la Direction des transports de la Wehrmacht de Paris. Présidé par Hans Münzer; cet organisme civil divisé en cinq « groupes » (administration, exploitation, travaux, machines et ateliers) contrôlait le réseau ferroviaire par l’intermédiaire de cinq directions régionales de l’exploitation (EBD). Notons qu’il existait aussi, dans le Sud de la France, quatre « bureaux des chemins de fer » à Béziers, Lyon, Marseille et Toulouse. Sur le contrôle allemand de la SNCF, cf. Alfred GOTTWALD, "Les cheminots allemands pendant l’Occupation en France de 1940 à 1944". Une entreprise publique dans la guerreLa SNCF 1939-1945. Actes du VIIIe colloque de l’Association pour l’histoire des chemins de fer en France. PUF, 2001, 414 p., p. 175-194.

12. Note manuscrite au chef d’exploitation. ADH, 891 W 208.

13. Lettre du maire de Pézenas au préfet délégué du 28 janvier 1944. ADH, 1000 W 144.

14. Lettre du chef d’exploitation à l’ingénieur du contrôle du 17 août 1940. ADH 891 W 208.

15. Lettre du chef d’exploitation à l’ingénieur en chef du contrôle du 17 mars 1941.ADH, 5 S 505.

16. Lettre précitée du chef d’exploitation au service du contrôle du 17 août 1940.

17. ADH, 5 S 505.

18. ADH, 1146 W 86.

19. Ibidem.

20. Ibidem

21. Ibidem.

22. ADH, 5 S 505.

23. ADH, 1146 W 86.

24. Lettre au préfet délégué du 9juin 1944. ADH, 5 S 551.

25. 23 000 T en 1943 soit 7 % du tonnage de l’exercice. En août 1944, la SE n’avait encaissé que 28 % du montant total de ces transports (8 645 555 F) exécutés aux conditions des tarifs commerciaux (selon l’état dressé par la SE en application de la circulaire ministérielle du 15 novembre 1944. ADH, 898 W 128). Le solde fut réglé – en tout ou partie – par le comité d’organisation des VFIL après la guerre.

26. Lettre du 27 février 1943 du préfet délégué sollicitant auprès du Secrétariat d’État aux communications la mise à disposition du Génie rural de 50 wagons de 20 T pour transporter de Sète à Aniane le ciment nécessaire à la remise en état du canal de Gignac (53 km de canalisations). ADH, 5 S 27.

27. 27. Voir la narration de cette « Bataille de la gare du Nord » (sic) par un protagoniste (résistant) anonyme dans le Midi Libre du 19 août 1963.

28. « État des destructions et dégâts causés par faits de guerre » dressé par la SE en application de la circulaire ministérielle précitée du 15 novembre 1944. ADH 898 W 128. L’État remboursa une partie du préjudice au titre des « dommages du guerre ». Quant au solde de l’indemnité, le département l’affecta en 1961 à… l’École normale d’institutrices, le projet proposé par la SE, en 1958, d’édifier une nouvelle gare à Palavas – plus judicieux que la reconstruction de l’inutile magasin de Racanié – n’ayant pas abouti en raison du refus de la Reine des plages de contribuer à la dépense

29. Lettre du chef d’exploitation à l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées du 19 novembre 1946. ADH, 898 W 129.

30. 30. Lettre de l’ingénieur en chef du contrôle à l’ingénieur en chef de la 5ème circonscription électrique à Toulouse du 30 avril 1945. ADH, ibid.

31. Étudié par la SE à la demande de l’association des propriétaires de Carnon et évalué en avril 1946 à 16 ME, ce prolongement d’environ 3,800 km devait puiser son trafic dans la reconstruction de Carnon, l’édification de nouveaux immeubles et la desserte de quatre importantes propriétés viticoles du littoral (6-8 000 hl annuels chacune).